Tribunal administratif de Rennes

Jugement du 17 novembre 2022 n° 2003519

17/11/2022

Irrecevabilité

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 18 août 2020, l'association Aben, représentée par M. A C, demande au tribunal :

1°) de saisir avant dire-droit le conseil constitutionnel à l'effet de statuer sur la conformité à la Constitution des dispositions du code de la route relatives au retrait de la circulation des véhicules ;

2°) d'annuler la décision du 16 juin 2020 du ministre de l'intérieur portant interdiction de circulation sur les voies ouvertes à la circulation publique du véhicule immatriculé

AN-345-JK et opposition au transfert du certificat d'immatriculation de ce véhicule ;

3°) de condamner l'État à l'indemniser des frais de location d'un véhicule, à hauteur de 2 200 euros par mois ;

4°) de mettre à la charge de l'État le paiement d'une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle n'a pas été destinataire du rapport sur lequel est fondée la décision contestée, établissant la dangerosité du véhicule immatriculé AN-345-JK ;

- les dispositions des articles L. 327-1 et L. 327-2 du code de la route sont contraires au principe d'égalité prévu par la Constitution, en ce qu'elles prévoient un traitement différent du propriétaire d'un véhicule selon que l'assureur est sollicité ou pas pour la remise en état, sans que cette discrimination ne soit justifiée au regard de l'objectif consistant à retirer de la circulation les véhicules dangereux ;

- l'article L. 327-1 du code de la route est également contraire au principe d'équité ;

- l'estimation faite par l'expert du coût de la réparation du véhicule qui s'élèverait à

3 732 euros est tout simplement fantaisiste et destinée à permettre l'application des dispositions de l'article L. 327-1 du code de la route ;

- la privation de sa voiture est à l'origine d'importants préjudices, dont elle demande l'indemnisation à hauteur des frais de location d'une voiture de remplacement, soit 2 200 euros par mois.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 novembre 2020, le ministre de l'intérieur conclut, à titre principal, à l'irrecevabilité de la requête et, à titre subsidiaire, à son rejet.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable, en ce qu'elle est présentée par M. C qui n'établit pas avoir été désigné par l'association Aben pour agir en son nom et ne démontre pas même en être membre ;

- les conclusions indemnitaires sont irrecevables, faute d'avoir été précédées d'une demande préalable indemnitaire, conformément aux dispositions de l'article R. 421-1 du code de justice administrative et faute d'être présentées par l'intermédiaire d'un avocat, conformément aux dispositions de l'article R. 431-2 du même code ;

- les conclusions tendant à la saisine du Conseil constitutionnel sont irrecevables dès lors qu'elles n'ont pas été présentées dans un mémoire distinct et motivé, conformément aux exigences de l'article R. 771-3 du code de justice administrative ;

- les moyens tendant à contester le rapport de l'expert automobile sont inopérants, dès lors qu'il appartient à l'association de formuler de telles observations directement auprès de son assureur ;

- aucun des autres moyens présentés par l'association requérante n'est fondé.

L'association Aben, représentée par M. B, son président, a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 juillet 2022.

Par une ordonnance du 12 septembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 octobre 2022.

Me Le Guen a informé le tribunal, le 19 octobre 2022, qu'elle représentait les intérêts de l'association Aben et a sollicité la communication de la procédure, sans toutefois produire d'observations complémentaires.

Vu :

- l'ordonnance n°2003521 rendue le 20 août 2020 par le juge des référés du tribunal administratif de Rennes saisi sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative ;

- l'ordonnance n°2003520 rendue le 20 août 2020 par le juge des référés du tribunal administratif de Rennes saisi sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution du 4 octobre 1958 ;

- le code de la route ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D,

- les conclusions de M. Rémy, rapporteur public,

- et les observations de Me Le Guen, représentant l'association Aben.

Considérant ce qui suit :

1. Le 16 juin 2020, le ministre de l'intérieur a informé l'association Aben qu'il avait été destinataire d'un rapport d'un expert automobile constatant que le véhicule immatriculé

AN-345-JK dont elle est propriétaire n'était plus en état de circuler dans des conditions normales de sécurité et qu'en conséquence, conformément aux dispositions de l'article R. 327-3 du code de la route, ce véhicule n'était plus autorisé à circuler sur les voies ouvertes à la circulation publique et qu'une opposition au transfert de son certificat d'immatriculation était enregistrée. M. C, agissant au nom de l'association Aben, demande l'annulation de cette décision et la condamnation de l'État à indemniser les préjudices résultant de cette décision. Il demande également que le conseil constitutionnel soit saisi, avant dire-droit, de la conformité à la constitution des dispositions des articles L. 327-1 et L. 327-2 du code de la route.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance

n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : "question prioritaire de constitutionnalité ". ". Aux termes de l'article R. 771-4 du même code : " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation, dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 et R. 612-1. ".

3. L'association Aben demande au tribunal de saisir, avant dire droit, le Conseil d'État afin qu'il transmette au conseil constitutionnel la question prioritaire portant sur la conformité à la Constitution des dispositions des articles L. 327-1 et L. 327-2 du code de la route. Toutefois, ainsi que le fait valoir le ministre de l'intérieur en défense, cette demande n'a pas fait l'objet d'un mémoire distinct de la requête introductive d'instance, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article R. 771-3 du code de justice administrative. Par suite, cette demande est irrecevable et doit être rejetée.

En ce qui concerne la communication du rapport d'expertise :

4. L'association requérante ne saurait sérieusement solliciter que le rapport de l'expert automobile fondant la décision en litige lui soit communiqué, dans le cadre de la présente instance, par le ministre de l'intérieur, dès lors qu'il lui était loisible de solliciter ce rapport auprès de son assureur, dont il n'est ni soutenu, ni allégué qu'il aurait été vainement saisi à cet effet.

En ce qui concerne la légalité de la décision contestée :

5. Aux termes de l'article L. 327-1 du code de la route : " Les entreprises d'assurances tenues à un titre quelconque à indemniser les dommages à un véhicule dont un rapport d'expertise fait apparaître que le montant des réparations est supérieur à la valeur de la chose assurée au moment du sinistre doivent dans les quinze jours suivant la remise du rapport d'expertise proposer une indemnisation en perte totale avec cession du véhicule à l'assureur. Le propriétaire du véhicule dispose de trente jours pour donner sa réponse. ". Selon l'article L. 327-5 de ce code : " Lorsqu'un expert en automobile constate qu'en raison de son état un véhicule ne peut circuler dans des conditions normales de sécurité, il en informe l'autorité administrative compétente, sans que puissent y faire obstacle les règles relatives au secret professionnel. L'autorité administrative compétente avise le propriétaire de l'interdiction de circulation de son véhicule et procède à l'inscription d'une opposition au transfert du certificat d'immatriculation jusqu'à la remise de ce document. / Le véhicule n'est remis en circulation qu'au vu d'un rapport d'un expert en automobile certifiant que ledit véhicule est en état de circuler dans des conditions normales de sécurité. ".

6. Le ministre de l'intérieur expose, sans être contesté, que le véhicule de marque Volkswagen, immatriculé AN-345-JK, dont l'association Aben est propriétaire, a été endommagé le 3 juin 2020 et que, compte tenu d'un rapport d'expertise mentionnant que le montant des réparations était supérieur à la valeur de la chose assurée au moment du sinistre, son assureur a proposé à l'association une indemnisation en perte totale avec cession du véhicule. En l'absence de réponse de l'association Aben à cette proposition d'indemnisation, son assureur a transmis au ministre de l'intérieur le rapport de l'expert automobile constatant que le véhicule immatriculé AN-345-JK n'était plus en état de circuler dans des conditions normales de sécurité. En vertu des dispositions précitées de l'article L. 327-5 du code de la route, le ministre de l'intérieur était, en conséquence, tenu d'aviser l'association Aben de l'interdiction de circulation de son véhicule et de procéder à l'inscription d'une opposition au transfert du certificat d'immatriculation. Dans ces conditions, les moyens invoqués par l'association requérante tenant au manque d'équité de l'expert ou au caractère fantaisiste de ses constatations sont inopérants pour contester la légalité de la décision du 16 juin 2020 du ministre de l'intérieur.

7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de

non-recevoir opposée en défense tirée du défaut de capacité de M. C pour représenter l'association Aben, alors même que celui-ci n'a produit aucune pièce en réplique susceptible de justifier de sa qualité de membre de l'association, que les conclusions présentées tendant à l'annulation de la décision du ministre de l'intérieur du 16 juin 2020 doivent être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires :

8. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable au litige : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle (). ".

9. L'association Aben demande la condamnation du ministre de l'intérieur à l'indemniser des préjudices résultant de la privation de son véhicule, en conséquence de la décision litigieuse du 16 juin 2020. Toutefois, ainsi qu'il a été développé précédemment, aucune illégalité fautive entachant la décision contestée n'est établie. En outre, le ministre de l'intérieur fait valoir en défense, sans être contredit, que l'association Aben n'a formulé aucune demande préalable

indemnitaire et est ainsi fondé à opposer une fin de non-recevoir aux prétentions indemnitaires formulées dans la requête. Les conclusions présentées par l'association Aben à fin d'indemnisation ne peuvent donc qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que l'association requérante demande au titre des dépenses exposées et non comprises dans les dépens. Les conclusions présentées à ce titre par l'association Aben doivent dès lors être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de l'association Aben est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à l'association Aben et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 27 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Vergne, président,

M. Le Roux, premier conseiller,

Mme Thalabard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 novembre 2022.

La rapporteure,

Signé

M. Thalabard

Le président,

Signé

G.-V. VergneLa greffière,

Signé

I. Le Vaillant

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C