Cour administrative d'appel de Paris

Ordonnance du 16 novembre 2022 n° 22PA04225

16/11/2022

Autre

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Grenelle Hôtel a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la réduction de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de la taxe pour frais de chambre de commerce et d'industrie auxquelles elle a été assujettie au titre de 2019 dans les rôles de la ville de Paris (15ème arrondissement).

Par un mémoire distinct portant question prioritaire de constitutionnalité, la SAS Grenelle Hôtel a également demandé au Tribunal de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, une question prioritaire de constitutionnalité relative à la constitutionnalité du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts, dans sa version issue de l'article 15 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 portant loi de finances pour 2018.

Par un jugement n° 2113515 du 15 juillet 2022, le tribunal administratif de Paris a décidé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité présentée et a rejeté la demande de la SAS Grenelle Hôtel.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 15 septembre 2022, et un mémoire distinct portant question prioritaire de constitutionnalité, enregistré le 16 septembre 2022, la SAS Grenelle Hôtel, représentée par Me Zapf, avocat, demande à la Cour :

1°) de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour et, le cas échéant, le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel se soient prononcés sur la question prioritaire de constitutionnalité ;

2°) de réformer le jugement entrepris ;

3°) de prononcer la réduction, à hauteur de 22 049 euros, de la cotisation sur la valeur ajoutée et de la taxe pour frais de chambre de commerce et d'industrie mentionnées ci-dessus ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les impositions en litige méconnaissent les principes constitutionnels d'égalité devant la loi et les charges publiques en instituant une différence de traitement uniquement fondée sur le mode de détention du capital de la société redevable, en créant une différence de traitement au regard de l'exonération prévue par la loi pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est compris entre 152 500 et 500 000 euros, en ne prévoyant aucun mécanisme de neutralisation des facturations intragroupes, et en créant une inégalité de traitement entre les sociétés en participation et les autres sociétés relevant du régime fiscal des sociétés de personnes ;

- elles méconnaissent les dispositions combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1 du premier protocole additionnel à cette convention.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-5 ;

- la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 portant loi de finances pour 2018, notamment son article 15, I, 1°;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. D'une part, aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État () le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé () ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux () ".

2. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Aux termes de l'article 13 de cette même Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

3. Aux termes de l'article 1586 quater I, bis, du code général des impôts, dans sa version issue du 1° du I de l'article 15 de la loi du 30 décembre 2017, portant loi de finances pour 2018, visée ci-dessus : " Lorsqu'une entreprise, quels que soient son régime d'imposition des bénéfices, le lieu d'établissement, la composition du capital et le régime d'imposition des bénéfices des entreprises qui la détiennent, remplit les conditions de détention fixées au I de l'article 223 A pour être membre d'un groupe, le chiffre d'affaires à retenir pour l'application du I du présent article s'entend de la somme de son chiffre d'affaires et des chiffres d'affaires des entreprises qui remplissent les mêmes conditions pour être membres du même groupe. Le premier alinéa du présent I bis s'applique, y compris lorsque les entreprises mentionnées à ce même premier alinéa ne sont pas membres d'un groupe mentionné aux articles 223 A ou 223 A bis. Ledit premier alinéa n'est pas applicable lorsque la somme des chiffres d'affaires mentionnée au même premier alinéa est inférieure à 7 630 000 €. ".

4. En se bornant à reproduire les termes de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par mémoire distinct devant le Tribunal, et à soutenir dans sa requête d'appel que les dispositions querellées créent une rupture d'égalité caractérisée non justifiée par des critères objectifs et rationnels, mais au contraire uniquement par un objectif de rendement budgétaire et de lutte contre l'optimisation fiscale, alors que la filialisation réalisée par la société requérante est uniquement motivée par des raisons d'ordre fonctionnel, et qu'elles ne prévoient aucun mécanisme de neutralisation des refacturations intragroupe, la société requérante ne remet pas en cause les motifs retenus à bon droit par les premiers juges, qui, eu égard en premier lieu aux objectifs poursuivis par le législateur d'éviter la réalisation d'opérations de restructuration aux fins de réduire le montant de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, par des sociétés susceptibles de relever du régime fiscal des groupes de sociétés, et de tenir compte de leur capacité contributive, indépendamment de la date de constitution du groupe, en deuxième lieu à la différence de situation juridique et fiscale entre, d'une part, ces dernières sociétés et les autres sociétés, et, d'autre part, les sociétés relevant du régime fiscal de l'article 8 du code général des impôts et les sociétés en participation, et en dernier lieu à l'absence de situation de double imposition établie, ont conclu au non-lieu à transmission.

5. D'autre part, aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " () les présidents de formation de jugement () des cours peuvent, par ordonnance : () 5° Statuer sur les requêtes qui ne présentent plus à juger de questions autres que la condamnation prévue à l'article L. 761-1 () ; () ; 7° Rejeter, après l'expiration du délai de recours (), les requête ne comportant que () des moyens inopérants (). () les présidents de formation des cours () peuvent, en outre, par ordonnance, rejeter, après l'expiration du délai de recours, les requêtes manifestement dépourvues de fondement. (). ".

6. En premier lieu, ainsi qu'il a été mentionné au point 4 de la présente ordonnance, il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée au Conseil d'Etat. Les conclusions de la requête doivent, dans cette mesure, être regardées comme n'étant assorties que de moyens inopérants, la méconnaissance de dispositions constitutionnelles ne pouvant être utilement soulevée devant le juge qu'à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.

7. En second lieu, s'agissant des moyens tirés de l'inconventionnalité de l'imposition en litige au regard des dispositions combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1 du premier protocole additionnel à cette convention, la SAS Grenelle Hôtel, en se bornant à reproduire sans y apporter d'autre modification que celle tenant à une critique des motifs retenus par le Tribunal, ne remet pas en cause les motifs retenus à bon droit par les premiers juges, qui, eu égard à l'objectif poursuivi par le législateur d'éviter la réalisation d'opérations de restructuration aux fins de réduire le montant de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, par des sociétés susceptibles de relever du régime fiscal des groupes de sociétés, et à la différence de situation juridique et fiscale entre, d'une part, ces dernières sociétés et les autres sociétés, et, d'autre part, les sociétés relevant du régime fiscale de l'article 8 du code général des impôts et les sociétés en participation, ont écarté les moyens soulevés. Les moyens soulevés doivent, dès lors, être écartés comme étant manifestement dépourvus de fondement.

8. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions aux fins de réduction d'imposition de la requête doivent être rejetées sur le fondement des dispositions citées du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative. Par voie de conséquence, les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, également, être rejetées.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité de la SAS Grenelle Hôtel.

Article 2 : La requête de la SAS Grenelle Hôtel est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société par actions simplifiée (SAS) Grenelle Hôtel.

Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris (Service du contentieux d'appel déconcentré - SCAD).

Fait à Paris, le 16 novembre 2022.

Le président de la 9ème chambre,

S. CARRERE

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

7