Cour administrative d'appel de Paris

Ordonnance du 16 novembre 2022 n° 22PA03409

16/11/2022

Autre

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) LH 197 a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer le dégrèvement de la somme de 15 959 euros, dont 137 euros au titre de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et de la taxe pour frais de chambre de commerce et d'industrie (TCCI) auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2018 et de 15 822 euros au titre de la CVAE et de la TCCI auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2019 dans les rôles de la commune de Puteaux (Hauts-de-Seine).

Par un mémoire distinct portant question prioritaire de constitutionnalité, l'EURL LH 197 a également demandé au Tribunal de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, une question prioritaire de constitutionnalité relative à la constitutionnalité du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts, dans sa version issue de l'article 15 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 portant loi de finances pour 2018.

Par une ordonnance n° 2014785 et autres en date du 7 juillet 2021, le président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Montreuil a décidé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité présentée par l'EURL LH 197.

Par un jugement n° 2014785 du 24 mai 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de l'EURL LH 197.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 22 juillet 2022, et un mémoire distinct portant question prioritaire de constitutionnalité, enregistré le 26 juillet 2022, l'EURL LH 197, représentée par Me Zapf, avocat, demande à la Cour :

1°) de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour et, le cas échéant, le Conseil d'Etat et le Conseil Constitutionnel se soient prononcés sur la question prioritaire de constitutionnalité ;

2°) de réformer le jugement entrepris ;

3°) de prononcer le dégrèvement de 137 euros au titre de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises 2018 et de la taxe pour frais de chambre de commerce et d'industrie 2018 et le dégrèvement de 15 822 euros au titre de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises 2019 et de la taxe pour frais de chambre de commerce et d'industrie 2019 ;

4°) d'annuler l'amende de 400 euros mise à sa charge ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les impositions en litige méconnaissent les principes constitutionnels d'égalité devant la loi et les charges publiques en instituant une différence de traitement uniquement fondée sur le mode de détention du capital de la société redevable, en créant une différence de traitement au regard de l'exonération prévue par la loi pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est compris entre 152 500 et 500 000 euros, en ne prévoyant aucun mécanisme de neutralisation des facturations intragroupes, et en créant une inégalité de traitement entre les sociétés en participation et les autres sociétés relevant du régime fiscal des sociétés de personnes ;

- elles méconnaissent les dispositions combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1 du premier protocole additionnel à cette convention.

Par un mémoire enregistré le 25 août 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique fait valoir que la question prioritaire de constitutionnalité ne présente pas un caractère sérieux et qu'il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-5 ;

- la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 portant loi de finances pour 2018, notamment son article 15, I, 1°;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. D'une part, aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État () le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé () ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux () ".

2. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Aux termes de l'article 13 de cette même Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

3. Aux termes de l'article 1586 quater I, bis, du code général des impôts, dans sa version issue du 1° du I de l'article 15 de la loi du 30 décembre 2017, portant loi de finances pour 2018, visée ci-dessus : " Lorsqu'une entreprise, quels que soient son régime d'imposition des bénéfices, le lieu d'établissement, la composition du capital et le régime d'imposition des bénéfices des entreprises qui la détiennent, remplit les conditions de détention fixées au I de l'article 223 A pour être membre d'un groupe, le chiffre d'affaires à retenir pour l'application du I du présent article s'entend de la somme de son chiffre d'affaires et des chiffres d'affaires des entreprises qui remplissent les mêmes conditions pour être membres du même groupe. Le premier alinéa du présent I bis s'applique, y compris lorsque les entreprises mentionnées à ce même premier alinéa ne sont pas membres d'un groupe mentionné aux articles 223 A ou 223 A bis. Ledit premier alinéa n'est pas applicable lorsque la somme des chiffres d'affaires mentionnée au même premier alinéa est inférieure à 7 630 000 €. ".

4. En se bornant à reproduire les termes de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par mémoire distinct devant le Tribunal, et à soutenir dans sa requête d'appel que les dispositions querellées créent une rupture d'égalité caractérisée non justifiée par des critères objectifs et rationnels, mais au contraire uniquement par un objectif de rendement budgétaire et de lutte contre l'optimisation fiscale, alors que la filialisation réalisée par la société requérante est uniquement motivée par des raisons d'ordre fonctionnel, et qu'elles ne prévoient aucun mécanisme de neutralisation des refacturations intragroupe, la société requérante ne remet pas en cause les motifs retenus à bon droit par le premier juge, qui, eu égard en premier lieu aux objectifs poursuivis par le législateur d'éviter la réalisation d'opérations de restructuration aux fins de réduire le montant de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, par des sociétés susceptibles de relever du régime fiscal des groupes de sociétés, et de tenir compte de leur capacité contributive, indépendamment de la date de constitution du groupe, en deuxième lieu à la différence de situation juridique et fiscale entre, d'une part, ces dernières sociétés et les autres sociétés, et, d'autre part, les sociétés relevant du régime fiscal de l'article 8 du code général des impôts et les sociétés en participation, et en dernier lieu à l'absence de situation de double imposition établie, a conclu au non-lieu à transmission.

5. D'autre part, aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " () les présidents de formation de jugement () des cours peuvent, par ordonnance : () 5° Statuer sur les requêtes qui ne présentent plus à juger de questions autres que la condamnation prévue à l'article L. 761-1 () ; () ; 7° Rejeter, après l'expiration du délai de recours (), les requête ne comportant que () des moyens inopérants (). () les présidents de formation des cours () peuvent, en outre, par ordonnance, rejeter, après l'expiration du délai de recours, les requêtes manifestement dépourvues de fondement. (). ".

6. En premier lieu, ainsi qu'il a été mentionné au point 4 de la présente ordonnance, il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée au Conseil d'Etat. Les conclusions de la requête doivent, dans cette mesure, être regardées comme n'étant assorties que de moyens inopérants, la méconnaissance de dispositions constitutionnelles ne pouvant être utilement soulevée devant le juge qu'à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.

7. En deuxième lieu, s'agissant des moyens tirés de l'inconventionnalité de l'imposition en litige au regard des dispositions combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1 du premier protocole additionnel à cette convention, l'EURL LH 197, en se bornant à reproduire sans y apporter d'autre modification que celle tenant à une critique des motifs retenus par le Tribunal, ne remet pas en cause les motifs retenus à bon droit par les premiers juges, qui, eu égard à l'objectif poursuivi par le législateur d'éviter la réalisation d'opérations de restructuration aux fins de réduire le montant de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, par des sociétés susceptibles de relever du régime fiscal des groupes de sociétés, et à la différence de situation juridique et fiscale entre, d'une part, ces dernières sociétés et les autres sociétés, et, d'autre part, les sociétés relevant du régime fiscale de l'article 8 du code général des impôts et les sociétés en participation, ont écarté les moyens soulevés. Les moyens soulevés doivent, dès lors, être écartés comme étant manifestement dépourvus de fondement.

8. En dernier lieu, en estimant qu'eu égard à l'absence d'évolution des circonstances de droit ou de fait applicables à la situation de la société requérante, par rapport aux circonstances ayant justifié la transmission d'une précédente question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat, objet de la décision de non-lieu à renvoi au Conseil Constitutionnel n° 421964 du 3 octobre 2018, et à la présentation depuis lors de plusieurs mémoires distincts, présentés par le même avocat, soulevant la même question auprès du Tribunal dans des circonstances de droit et de fait analogues, la demande de l'EURL LH 197 présentait une nature abusive, de nature à justifier l'application d'une amende sur le fondement de l'article R. 741-12 du code de justice administrative, le premier juge a suffisamment justifié l'application de l'amende en litige. Le moyen soulevé doit dès lors être écarté comme étant manifestement dépourvu de fondement.

9. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions aux fins de décharge d'imposition de la requête et celles tendant à la restitution de l'amende pour recours abusif qui lui a été infligée pour la somme de 400 euros doivent être rejetées sur le fondement des dispositions citées du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative. Par voie de conséquence, les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, également, être rejetées.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité de l'EURL LH 197.

Article 2 : La requête de l'EURL LH 197 est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) LH 197 et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction des grandes entreprises.

Fait à Paris, le 16 novembre 2022.

Le président de la 9ème chambre,

S. CARRERE

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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