Tribunal administratif de Paris

Ordonnance du 16 novembre 2022 n° 2117649

16/11/2022

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct de la requête n° 2117649, enregistré le 17 août 2022, Mme A C B, représentée par Me Boudi, demande au tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des alinéas 2° à 7° de l'article L.612-6 du code de l'éducation.

Elle soutient que :

- les dispositions contestées de l'article L.612-6 du code de l'éducation sont applicables au litige ;

- la question de la conformité de ces dispositions à la Constitution revêt un caractère nouveau ;

- les dispositions contestées ne sont pas conformes à la Constitution par les moyens tirés de ce que :

- le législateur a méconnu le principe constitutionnel d'égal accès au service de l'enseignement supérieur tel que garanti par le treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, auquel renvoie le Préambule de la Constitution de 1958, dès lors qu'il n'a pas fixé les conditions précises dans lesquels les établissements peuvent restreindre l'accès au service public de l'enseignement supérieur ni les critères précis utilisés pour la sélection des candidats dans le cadre de l'examen des candidatures à une formation de deuxième cycle sur dossier, et a, ce faisant, méconnu l'étendue de sa compétence ;

- il a, en s'abstenant de définir de fixer des critères objectifs et rationnels de sélection et de départage des candidats lorsque le nombre de ces derniers excède les capacités d'accueil, ou, à défaut, d'habiliter le gouvernement à définir ces objectifs par décret, après avis, en particulier, du conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, créé un modèle peu compréhensible et contraignant pour les universités comme pour les usagers, qui méconnaît à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; ainsi, en premier lieu, ce modèle omet de préciser si la détermination des capacités d'accueil par le conseil d'administration porte sur la mention ou sur le parcours ; en deuxième lieu, il engendre une situation telle que le non-respect par les établissements de l'obligation de soumettre au contrôle de légalité du recteur une délibération votée puis de donner à cette dernière une publicité adéquate et suffisante, prive les décisions de base légale, entraîne des admissions forcées sur injonction, porte atteinte à l'autorité des directeurs de master et altère la valeur des diplômes ; en troisième lieu, il fait subir aux étudiants, en l'absence de précision sur les conditions minimales d'accès à l'enseignement de deuxième cycle, une limitation croissante des possibilités d'accès à cet enseignement, ce qui suscite, eu égard à la dématérialisation et à l'automatisation des notifications, au surplus dépourvues de motivation, l'insatisfaction et l'incompréhension des intéressés, confrontés à des décisions entachées d'arbitraire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment le Préambule et l'article 61-1,

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel,

- le code de l'éducation, notamment l'article L. 612-6,

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission à condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Par ailleurs, aux termes de l'article R.771-7 du code de justice administrative : " () les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

2. Mme B demande que le Conseil constitutionnel soit saisi de la question de la conformité à la Constitution des dispositions des alinéas 2° à 7° de l'article L.612-6 du code de l'éducation. Ces dispositions sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

3. Aux termes des dispositions contestées de l'article L. 612-6 : " () Les établissements peuvent fixer des capacités d'accueil pour l'accès à la première année du deuxième cycle. L'admission est alors subordonnée au succès à un concours ou à l'examen du dossier du candidat. / Cependant, s'ils en font la demande, les titulaires du diplôme national de licence sanctionnant des études du premier cycle qui ne sont pas admis en première année d'une formation du deuxième cycle de leur choix conduisant au diplôme national de master malgré plusieurs demandes d'admission se voient proposer l'inscription dans une formation du deuxième cycle en tenant compte de leur projet professionnel et de l'établissement dans lequel ils ont obtenu leur licence, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat pris après avis du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche. / Cette demande est faite par l'étudiant immédiatement après l'obtention de la licence sanctionnant des études du premier cycle ou de manière différée. / Lorsque la situation d'un candidat le justifie, eu égard à des circonstances exceptionnelles tenant à son état de santé ou à son handicap, l'autorité académique, saisie par ce candidat, peut procéder au réexamen de sa candidature dans des conditions fixées par décret pris après avis du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche. En tenant compte de la situation particulière que l'intéressé fait valoir, de son projet professionnel, de l'établissement dans lequel il a obtenu son diplôme national de licence ainsi que des caractéristiques des formations, l'autorité académique prononce, avec son accord, son inscription dans une formation du deuxième cycle. / Les capacités d'accueil fixées par les établissements font l'objet d'un dialogue avec l'Etat. / Les titulaires du diplôme national de licence sanctionnant des études du premier cycle qui ne poursuivent pas une formation du deuxième cycle sont informés des différentes perspectives qui s'offrent à eux en matière d'insertion professionnelle ou de poursuite de leur formation. Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités de cette information. ".

En ce qui concerne la conformité des dispositions contestées au treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, auquel renvoie le Préambule de la Constitution de 1958 :

4. Mme B soutient qu'en ne fixant pas les limites dans lesquelles les établissements peuvent restreindre leurs capacités d'accueil ni les critères objectifs et précis de départage des candidats dans le cadre de l'examen des candidatures à une formation de deuxième cycle sur dossier, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence et, ce faisant, le principe constitutionnel d'égal accès au service de l'enseignement supérieur tel qu'il est garanti par le treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, auquel renvoie le Préambule de la Constitution de 1958.

5.La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.

6. Aux termes, d'une part, de l'article 13 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : " La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat. ". Aux termes, d'autre part, de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958: " () La loi détermine les principes fondamentaux : / - de l'enseignement ; / () ". L'égal accès à l'enseignement constitue un principe fondamental.

7. Le législateur a prévu que les établissements publics d'enseignement supérieur peuvent tenir compte de leurs capacités d'accueil pour l'accès à la première année du deuxième cycle, et a posé le principe des deux modes possibles de sélection que sont l'examen ou le concours, en vue d'apprécier les mérites et les aptitudes des candidats au regard des formations demandées. Il a, ainsi, retenu des critères objectifs et rationnels, de nature à garantir le respect du principe d'égal accès à l'enseignement.

8. En outre, si les dispositions contestées renvoient au pouvoir règlementaire la détermination de la liste limitative des formations de deuxième cycle dans lesquelles une admission peut dépendre des capacités d'accueil des établissements et, dans ce cas, être subordonnée au succès à un concours ou à l'examen du dossier du candidat, elles n'ont ni pour objet ni pour effet de permettre aux établissements de fixer, étudiant par étudiant, les modalités d'examen des candidatures à une même formation de deuxième cycle. Ainsi, alors même que les critères de sélection des candidatures sur dossier à une formation de deuxième cycle ne sont pas précisés par les dispositions législatives contestées, l'incompétence négative alléguée n'affecte pas par elle-même le principe d'égalité garanti par le treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, auquel renvoie le Préambule de la Constitution de 1958.

9. Eu égard à ce qui précède, le grief tiré de la méconnaissance par les dispositions contestées du treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, auquel renvoie le Préambule de la Constitution de 1958, doit être écarté.

En ce qui concerne la conformité des dispositions contestées à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 :

10. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Sont garantis par cette disposition les principes d'impartialité et d'indépendance, les droits de la défense ainsi que le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif.

11. Mme B soutient que les dispositions contestées, en ne précisant pas les règles de départage des candidats et d'examen des dossiers et en renvoyant aux établissements le pouvoir de fixer ces règles, a méconnu l'article 16 de la Déclaration. Elle ajoute qu'il en découle des contraintes excessives pour les universités ainsi que la violation des droits des étudiants et des usagers à connaître et à comprendre les modalités de sélection ainsi que les motifs des décisions de refus, qui apparaissent entachées d'arbitraire.

12. Toutefois et en premier lieu, le législateur, en posant le principe du concours ou de l'examen a prévu avec une précision suffisante une appréciation des mérites et des aptitudes des candidats, selon des critères objectifs et rationnels consistant en l'adéquation des demandes avec les formations proposées. Les modalités d'application de ce principe aux personnes concernées font l'objet de règlements pris par les établissements et sont soumises au contrôle du juge de l'excès de pouvoir. La circonstance que l'article L. 612-6 confère aux établissements d'enseignement supérieur, sans renvoyer à un décret, la faculté de fixer les règles d'examen des dossiers, est, en tout état de cause, sans incidence sur la conformité des dispositions contestées avec l'article 16 de la Déclaration et ne porte atteinte à aucun des droits garantis par cet article.

13. En second lieu et d'une part, les dispositions invoquées au soutien du moyen tiré des contraintes subies par les établissements, telles que celle relative au contrôle de légalité exercé par le recteur d'académie, chancelier des universités, issue de l'article L. 719-7 du code de l'éducation et celle résultant de l'article L. 221-2 du code des relations entre le public et l'administration, portant sur les conditions d'entrée en vigueur des actes réglementaires, ont un objet différent de celui des dispositions contestées et, au surplus et en tout état de cause, constituent des garanties au regard des exigences de l'article 16 de la Déclaration. D'autre part, si elles se bornent à poser le principe, notamment, d'un examen des dossiers lors de la procédure d'admission, les dispositions contestées font l'objet de règlements d'application de portée nationale, en particulier, s'agissant de la notification des décisions de refus d'admission, de l'article 1 du décret n°2017-83 du 25 janvier 2017, codifié à l'article D. 612-36-2 du code de l'éducation, lequel prévoit des modalités précises de notification des décisions en cause et la communication de leurs motifs aux candidats en ayant fait la demande, qui peuvent, ainsi, avoir connaissance de ces motifs et, s'ils s'y croient fondés, les contester.

14. Compte tenu de ce qui précède, le grief tiré de la méconnaissance, par les dispositions contestées, de l'article L. 612-6 de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ne peut qu'être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme B est dépourvue de caractère sérieux. Par conséquent, il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

ORDONNE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme B.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A C B et à l'université Paris II Panthéon-Assas.

Fait à Paris, le 16 novembre 2022.

La vice-présidente de la 1ère section

D. PERFETTINI

La République mande et ordonne à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

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Code publication

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