Tribunal administratif de Paris

Ordonnance du 9 novembre 2022 n° 2114807

09/11/2022

Non renvoi

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 12 juillet 2021, l'OPCI IREEF French Real Estate, représentée par Me Thiry, demande au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge de l'équivalent de la part départementale de taxe foncière sur les propriétés bâties de l'année 2020 mis à sa charge au titre de son immeuble sis 173-175, boulevard Haussmann à Paris 75008.

Par un mémoire distinct enregistré le 20 octobre 2022, l'OPCI IREEF French Real Estate demande au tribunal, à l'appui de ses conclusions à fin de décharge, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat, aux fins de transmission au Conseil Constitutionnel, la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 1er de l'ordonnance n° 2018-75 du 8 février 2018 codifié sur ce point à l'article 1383-VI du code général des impôts.

Elle soutient que :

-la dispositions législative contestée est applicable au litige ;

-elle n'a pas été déjà déclarée conforme à la Constitution ;

-la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux en ce que ces dispositions méconnaissent les article 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen car elles suppriment une exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties légale temporaire de 2 ans applicable de droit, à tous les contribuables, sur le territoire français, pour les seules constructions nouvelles sises à Paris qui auraient dû en bénéficier au titre de l'année 2019 et/ou 2020 et y substituent pour la seule ville de Paris un régime dérogatoire unique d'exonération facultative temporaire sur délibération de la ville de Paris, délibération qui du reste n'a pas été prise ; cette différence de traitement n'est pas justifiée par une différence de situation ou une raison d'intérêt général en rapport avec l'objet de la loi ; le ministre de l'action et des comptes publics a du reste envisagé dans un courrier en date du 31 juillet 2019, la possibilité de maintenir à Paris l'exonération des immeubles nouveaux autres qu'à usage d'habitation au titre de l'année 2019.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 novembre 2022, le directeur régional des finances publiques conclut à la non-transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité.

Il soutient que les conditions de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité ne sont pas réunies car la question est dépourvue de caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1,

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée,

- l'ordonnance n° 2018-75 du 8 février 2018,

- la loi n° 2017-257 du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain,

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales,

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique susvisée du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État (). Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux () ".

2. Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ". Aux termes de l'article R. 771-11 de ce code : " La question prioritaire de constitutionnalité soulevée pour la première fois devant les cours administratives d'appel est soumise aux mêmes règles qu'en première instance ".

3. En premier lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " La loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse.". Toutefois, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

4. Le dispositif d'exonération temporaire résultant des dispositions de l'article 1383 du code général des impôts s'applique différemment, depuis 1992, à la part communale et à la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties. Les communes perçoivent la taxe foncière sur les propriétés bâties au titre de l'ensemble des constructions nouvelles de locaux professionnels en vertu du IV de l'article 1383 et elles peuvent décider de supprimer l'exonération temporaire des logements nouveaux en vertu du V du même article. En revanche, les départements ne perçoivent aucune taxe pour les constructions nouvelles, logements comme locaux professionnels en vertu du I du même article sans pouvoir supprimer cette exonération. A la suite de la fusion de la commune et du département de Paris dans une collectivité à statut particulier résultant de l'article 1er de la loi du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain, la nouvelle collectivité vote un taux unique de taxe foncière sur les propriétés bâties sans distinction entre une part communale et une part départementale de la taxe. S'agissant du dispositif exonératoire, la ville de Paris a été assimilée à une commune en vertu de l'article 1er de l'ordonnance du 8 février 2018 codifié à l'article 1656 quater du code général des impôts, de sorte que l'exonération temporaire de droit de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties a été supprimée pour les nouveaux locaux professionnels qui sont situés dans la ville de Paris.

5. Les dispositions du VI de l'article 1383 du code général des impôts qui s'appliquent à compter des impositions établies au titre de 2019 et dont la requérante conteste le caractère constitutionnel, prévoient que : " La ville de Paris, peut, par une délibération prise dans les conditions prévues à l'article 1639 A bis, exonérer de taxe foncière sur les propriétés bâties à concurrence du taux appliqué au titre de 2018 au profit du département de Paris, les immeubles mentionnés au IV, pour la durée prévue au I et dans les conditions prévues au III. ". Ces dispositions ont été prises dans le but de neutraliser la disparition de l'exonération temporaire de droit de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour les nouveaux locaux professionnels situés dans la ville de Paris à concurrence du taux appliqué en 2018.

6. La différence de traitement qui en résulte entre les constructions nouvelles de locaux professionnels selon qu'elles se situent à Paris ou sur une autre partie du territoire national est donc justifiée par une différence de situation liée au statut spécifique de la ville de Paris. Par ailleurs, cette différence de traitement est en rapport direct avec l'objet des dispositions qui l'ont instituée qui visent, comme il a été indiqué ci-dessus, à adapter le régime exonératoire de l'article 1383 du code général des impôts à la spécificité de la ville de Paris et non le rendement financier de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour la ville de Paris, comme le soutient la requérante. La circonstance que la ville de Paris n'ait pas pris de délibération en vue d'exonérer temporairement de taxe foncière sur les propriétés bâties les constructions nouvelles de locaux professionnels est sans incidence, tout comme la circonstance que le ministre de l'action et des comptes publics ait envisagé dans un courrier en date du 31 juillet 2019, la possibilité de maintenir à Paris l'exonération des immeubles nouveaux autres qu'à usage d'habitation au titre de l'année 2019 dans l'hypothèse où le Conseil de Paris instaurerait cette exonération pour les années 2020 et suivantes.

7. Il en résulte que les dispositions critiquées du VI de l'article 1383 du code général des impôts ne portent pas atteinte au principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

8. En second lieu, aux termes de l'article 13 de la même déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Si la requérante invoque le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, elle n'assortit pas ce moyen de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. En tout état de cause, le régime exonératoire critiqué ne méconnaît pas le principe d'égalité devant les charges publiques dès lors que, d'une part, la ville de Paris est soumise à un régime spécifique et que, d'autre part, ce régime s'applique de la même façon à l'ensemble des constructions nouvelles non affectées à l'habitation qui sont situées dans la ville de Paris . Enfin, la circonstance que la ville de Paris n'a pas voté l'exonération temporaire des constructions nouvelles non affectées à l'habitation, privant ainsi les contribuables concernés de l'avantage financier correspondant, ne saurait être utilement opposé au législateur qui a accordé à la ville la faculté de maintenir cette exonération.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'OPCI IREEF French Real Estate ne présente pas un caractère sérieux. Dès lors, il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'OPCI IREEF French Real Estate dans la requête n° 2114807.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'OPCI IREEF French Real Estate et au directeur de la direction régionale des finances publiques d'Ile de France et de Paris.

Fait à Paris, le 9 novembre 2022.

La présidente de la 1ere section,

Sylvie VIDAL

La République mande et ordonne au ministre de l'Economie, des finances et de la Souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°2114807/1-1