Tribunal administratif de Montreuil

Ordonnance du 2 novembre 2022 n° 2014649

02/11/2022

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, notamment ses articles 6 et 13;

- la Constitution, notamment ses articles 34 et 61-1 ;

- l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le

Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-12 ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code général des impôts ;

- le code des assurances ;

- la loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009 de financement de la sécurité sociale pour 2010, notamment son article 18 ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par M. C A d'une part, M. B A d'autre part, sont formulées en termes identiques et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a par suite lieu de les joindre pour y statuer par une même ordonnance.

2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".

3. Selon l'article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé () ". Aux termes de l'article 23-2 de cette ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux () ".

4. Aux termes de l'article R*. 771-7 du code de justice administrative: " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du Tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

5. Les dispositions contestées, qui résultent de l'article 19 de la loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009 de financement de la sécurité sociale pour 2010, sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution.

6. De première part, aux termes du 1er alinéa du V de l'article L. 136-7 du code de la sécurité sociale : " La contribution visée au premier alinéa du I et aux II et IV ci-dessus est assise, contrôlée et recouvrée selon les mêmes règles et sous les mêmes sûretés, privilèges et sanctions que le prélèvement mentionné à l'article 125 A du code général des impôts () ".

7. De deuxième part, aux termes de l'article L. 136-7 du code de la sécurité sociale : " I.- Lorsqu'ils sont payés à des personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts, les produits de placement sur lesquels sont opérés les prélèvements prévus aux 1 ou 2 du II de l'article 125-0 A, aux II et III de l'article 125 A et au I de l'article 125 D du même code, ainsi que les produits de placement mentionnés au I des articles 125 A et 125-0 A du même code retenus pour l'établissement de l'impôt sur le revenu lorsque la personne qui en assure le paiement est établie en France, sont assujettis à une contribution () " ; aux termes du II du même article : " Sont également assujettis à la contribution selon les modalités prévues au premier alinéa du I, pour la part acquise à compter du 1er janvier 1997 et, le cas échéant, constatée à compter de cette même date en ce qui concerne les placements visés du 3° au 9° : / () 3° Les produits attachés aux bons ou contrats de capitalisation, ainsi qu'aux placements de même nature mentionnés à l'article 125-0 A du code général des impôts, quelle que soit leur date de souscription () : / () c) Lors du dénouement des bons ou contrats ou lors du décès de l'assuré () ".

8. De troisième part, aux termes de l'article L. 132-12 du code des assurances : " Le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l'assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l'assuré. Le bénéficiaire, quelles que soient la forme et la date de sa désignation, est réputé y avoir eu seul droit à partir du jour du contrat, même si son acceptation est postérieure à la mort de l'assuré " ; aux termes de l'article L. 132-13 de ce code : " Le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant ".

9. M. C A et M. B A ont été désignés par Mme D A, mère du premier et grand-mère du second, bénéficiaires de plusieurs contrats d'assurance-vie que cette dernière avait souscrits. A son décès, survenu le 8 avril 2018, le capital inscrit aux différents contrats d'assurance-vie en unités de compte pour lesquels les requérants avaient été désignés bénéficiaires leur a été versé, après déduction des contributions sociales qui ont été prélevées par les assureurs.

Sur le caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité:

Quant à la méconnaissance de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 :

10. Aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses de l'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". Il résulte de ce principe combiné avec l'article 34 de la Constitution qu'il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives des redevables. Pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

11. MM. A soutiennent que les dispositions critiquées de l'article L. 136-7 du code de la sécurité sociale méconnaissent l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen au motif que, dans leur version applicable aux faits de l'espèce, telle qu'elle est issue de l'article 18 de la loi de financement pour la sécurité sociale pour 2010, elles assujettissent aux contributions sociales les gains des souscripteurs de contrats d'assurance-vie en unités de compte non seulement à l'occasion de leur dénouement effectué de leur vivant, mais aussi, désormais, lors de leur décès. Les requérants en déduisent que ces contributions ne pouvant être prélevées qu'après le décès du souscripteur, elles constituent une dette fiscale indûment transférée sur les bénéficiaires des contrats alors pourtant qu'à la date à laquelle ces impositions sont dues, ils ne sont pas, en tant que bénéficiaires, propriétaires des actifs des contrats en cause. En outre, ces contrats n'entrant pas dans l'actif successoral de leurs bénéficiaires, la dette fiscale se rapportant à ces contrats ne peut leur être transmise.

12. Il résulte cependant des dispositions en cause et, notamment, de celles, citées au point 7, du c) du 3° du II de l'article L. 136-7 du code de la sécurité sociale, que la contribution sociale généralisée (CSG) devient exigible lors du dénouement du contrat d'assurance-vie, que ce dernier résulte de son rachat par l'assuré ou résulte du décès de ce dernier et que l'assiette de cette contribution, sur laquelle sont alignées celles des autres prélèvements sociaux en cause, est constituée de la valorisation du capital constatée à la date du décès, cette valorisation représentant la somme inscrite au contrat, minorée des versements effectués durant le contrat par son souscripteur, en l'espèce feu Mme D A. Par suite, les prélèvements sociaux litigieux frappent non pas des gains réalisés par les bénéficiaires des contrats que sont les requérants, mais uniquement ceux réalisés par l'assuré jusqu'au dénouement du contrat, les intéressés se voyant ainsi transmettre, outre le capital, les produits y attachés minorés desdits prélèvements lesquels, d'ailleurs, ne sont pas progressifs, mais proportionnels aux seuls gains ainsi constatés et donc indépendants de la capacité contributive de leur redevable appréciée dans son ensemble.

Quant à la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789

13. Les requérants soutiennent que, s'agissant des gains constatés sur des contrats d'assurance-vie en unités de compte, les dispositions contestées ne déterminent pas le redevable de la contribution sociale généralisée ni, partant, d'aucun des prélèvements sociaux dus sur les produits de placement au sens de l'article L. 136-7 du code de la sécurité sociale, de sorte qu'elles méconnaîtraient l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, aux termes duquel " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ".

14. Il résulte de ce qui a été précédemment dit, notamment au point 12 que, compte tenu de l'assiette, du fait générateur et de la date d'exigibilité définis par les dispositions critiquées du code de la sécurité sociale, les prélèvements sociaux en cause ont nécessairement pour redevable l'assuré, en l'espèce feu Mme D A. Il s'ensuit que les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par MM. A sont dépourvues de sérieux, de sorte qu'il n'y a pas lieu de les transmettre au Conseil d'Etat.

O R D O N N E

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité à la Constitution des dispositions du 1er alinéa du V de l'article L. 136-7 du code de la sécurité sociale soulevée par MM. A.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. C A, à M. B A et à la directrice chargée de la direction des impôts des non-résidents.

Fait à Montreuil, le 2 novembre 2022.

Le président de la 10ème chambre,

Signé

B. Auvray

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°2014649, 2014652 QPC