Tribunal administratif de Paris

Ordonnance du 28 octobre 2022 n° 2220334

28/10/2022

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 30 septembre 2022, Mme A, représentée par Me Gendreau, demande au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu, de contribution sur les hauts revenus et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2017.

Par un mémoire distinct enregistré le 6 octobre 2022, Mme A demande au tribunal, à l'appui de ses conclusions à fin de décharge, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat, aux fins de transmission au Conseil Constitutionnel, la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 2 bis de l' article 150-0 D du code général des impôts en tant qu'elles prévoient que le prix d'acquisition retenu pour la détermination des plus-values placées en report d'imposition antérieurement au 1er janvier 2013, à l'exclusion de celles éligibles à l'abattement mentionné à l'article 150-0 D ter dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2013, est actualisé en fonction du dernier indice des prix à la consommation hors tabac publié par l'institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) à la date de la réalisation de l'opération à l'origine du report d'imposition.

Elle soutient que :

-la dispositions législative contestée est applicable au litige ;

-elle n'a pas été déjà déclarée conforme à la Constitution ;

-la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux en ce que ces dispositions méconnaissent l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen car d'une part, l'application du coefficient d'érosion monétaire au prix d'acquisition et non à l'assiette de la plus-value laisse persister dans certains cas des situations contraires au principe d'égalité devant les charges publiques et d'autre part, une personne se trouvant dans la même situation qu'elle, mais qui aurait cédé ses titres après le 1er janvier 2018, aurait bénéficié du prélèvement forfaitaire unique prévu à l'article 200 A du code général des impôts, conduisant à une imposition inférieure à celle qu'elle aurait dû acquitter, cependant qu'une plus-value placée en report d'imposition après le 1er janvier 2013 aurait bénéficié d'abattements pour la durée de la détention.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 octobre 2022, le directeur de la DNVSF conclut à la non-transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité.

Il soutient que les conditions de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité ne sont pas réunies car la question est dépourvue de caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1,

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée,

-la décision QPC n°2016-538 du Conseil Constitutionnel du 22 avril 2016,

- la décision QPC n° 2017-642 du Conseil Constitutionnel du 7 juillet 2017,

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales,

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique susvisée du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État (). Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux () ".

2. Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ". Aux termes de l'article R. 771-11 de ce code : " La question prioritaire de constitutionnalité soulevée pour la première fois devant les cours administratives d'appel est soumise aux mêmes règles qu'en première instance ".

3. Aux termes du 2 bis de l'article 150-0 D du code général des impôts dans sa version applicable aux faits de l'espèce, issue de l'article 34 de la loi n° 2016-1918 de finances rectificative pour 2016 du 29 décembre 2016 : " Le prix d'acquisition retenu pour la détermination des plus-values réalisées antérieurement au 1er janvier 2013 dont l'imposition a été reportée sur le fondement du II de l'article 92 B, du I ter de l'article 160 et de l'article 150 A bis , dans leur rédaction en vigueur avant le 1er janvier 2000, de l'article 150-0 C , dans sa rédaction en vigueur avant le 1er janvier 2006, et de l'article 150-0 D bis, à l'exclusion de celles éligibles à l'abattement mentionné à l'article 150-0 D ter, dans leur rédaction en vigueur avant le 1er janvier 2013, est actualisé en fonction du dernier indice des prix à la consommation hors tabac publié par l'Institut national de la statistique et des études économiques à la date de réalisation de l'opération à l'origine du report d'imposition. ".

4. Aux termes de l'article 13 de la Déclaration de 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

5. En premier lieu, Mme A soutient que les dispositions contestées en permettant l'application du coefficient d'érosion monétaire au prix d'acquisition et non à l'assiette de la plus-value laissent persister dans certains cas des situations contraires au principe d'égalité devant les charges publiques et sont ainsi contraires à la décision QPC du 22 avril 2016

n°2016-538. Toutefois, si cette décision indique dans son considérant 11 que " les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître l'égalité devant les charges publiques, priver les plus-values placées en report d'imposition avant le 1er janvier 2013 qui ne font l'objet d'aucun abattement sur leur montant brut et dont le montant de l'imposition est arrêté selon des règles de taux telles que celles en vigueur à compter du 1er janvier 2013, de l'application à l'assiette ainsi déterminée d'un coefficient d'érosion monétaire pour la période comprise entre l'acquisition des titres et le fait générateur de l'imposition", les termes " d'application à l'assiette ainsi déterminée d'un coefficient d'érosion monétaire" n'impliquent pas nécessairement, contrairement à ce que soutient Mme A, l'application d'un coefficient d'érosion monétaire au montant de la plus-value placée en report. En effet, l'imposition d'une plus-value vise à taxer la capacité contributive liée à l'augmentation de valeur d'un bien. La prise en compte de l'érosion monétaire permet de neutraliser la fraction de cette capacité contributive qui serait liée à la seule inflation. Or l'érosion monétaire subie depuis l'acquisition des parts ne saurait être calculée sur le montant de la plus-value subie, qui n'est constatée qu'à la date, nécessairement postérieure, de l'opération conduisant au report d'imposition. Si la décision précitée du 22 avril 2016, confirmée par la décision QPC n° 2017-642 du Conseil Constitutionnel du 7 juillet 2017, indique que l'absence de tout mécanisme prenant en compte la durée de détention pour atténuer le montant assujetti à l'impôt sur le revenu méconnaitrait les capacités contributives des contribuables et serait par suite non conforme à la Constitution, le 2° bis de l'article 150-0 D du code général des impôts a instauré un dispositif de revalorisation du prix d'acquisition des titres lorsque la plus-value avait été placée sur option du contribuable, en report d'imposition avant le 1er janvier 2013, majoration du prix d'acquisition qui diminue d'autant le montant de la plus-value imposable. Il en résulte que ce texte est conforme à la réserve d'interprétation émise par le Conseil Constitutionnel le 22 avril 2016.

6. En second lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " La loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse.". Si Mme A fait valoir que les dispositions critiquées ont été abrogées à compter du 1er janvier 2018 et que le nouveau dispositif aurait conduit à une imposition inférieure, la différence de traitement qui résulte de la succession de deux régimes juridiques dans le temps n'est pas, en elle-même, contraire au principe d'égalité.

7. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme A ne présente pas un caractère sérieux. Dès lors, il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme A dans la requête n° 2220334.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A et au directeur de la direction nationale des vérifications de situations fiscales.

Fait à Paris, le 28 octobre 2022.

La présidente de la 1ere section,

Sylvie VIDAL

La République mande et ordonne au ministre de l'Economie, des finances et de la Souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°2220334/1-1