Cour administrative d'appel de Bordeaux

Ordonnance du 25 octobre 2022 n° 22BX02272

25/10/2022

Non renvoi

Vu la procédure suivante :

Mme A B, représentée par Me Bessy, a saisi la cour, le 14 août 2022, d'un appel dirigé contre le jugement n° 2105131 du 30 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 15 septembre 2021 par laquelle le directeur du Centre hospitalier départemental La Candélie l'a suspendue de ses fonctions sans traitement à compter du 15 septembre 2021 jusqu'à production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination contre la Covid-19.

Par un mémoire distinct, enregistré le 25 août 2022, déposé au titre des articles 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 modifiée du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et R. 771-3 du code de justice administrative, Mme B demande à la cour de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la constitutionnalité des dispositions des I de l'article 12 et III de l'article 14 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire.

Elle soutient que :

- les dispositions contestées sont applicables au litige ;

- elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs ou le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, dès lors que la décision n°2021-824 DC du 5 août 2021 ne se prononce pas sur ces points ;

S'agissant du I de l'article 12 :

- l'obligation vaccinale, alors que les vaccins disponibles ne bénéficient que d'une autorisation provisoire de mise sur le marché et n'ont pas fait l'objet de la phase IV du processus d'autorisation permettant une surveillance à grande échelle des effets, méconnaît le droit à la protection de la santé reconnu par le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, et le droit au travail reconnu par l'alinéa 5 du même préambule ;

- elle méconnaît aussi le principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine dégagé par la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994 relative aux lois de bioéthique ;

- l'obligation, qui porte atteinte aux droits précités, n'est pas proportionnée au but poursuivi de limiter la propagation du Covid-19, dès lors qu'il n'est pas établi que les quatre vaccins disponibles initialement empêcheraient la transmission du virus, que les remontées de pharmacovigilance sont inquiétantes alors même que les effets secondaires à court terme ne sont pas tous rapportés aux autorités de santé et qu'on ne connaît pas les effets à long terme, et que deux des vaccins ne sont plus disponibles en France ;

S'agissant du III de l'article 14 :

- il méconnaît le principe constitutionnel du respect des droits de la défense dès lors que la mesure de suspension imposée pour les soignants non vaccinés doit être regardée comme une sanction disciplinaire, et n'est pas assortie des garanties prévues en cette matière.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;

- la Constitution du 4 octobre 1958 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée ;

- le code de la santé publique ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-458 QPC du 20 mars 2015 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-824 du 5 août 2021 ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. En application de l'article LO 771-1 du code de justice administrative : " La transmission par une juridiction administrative d'une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat obéit aux règles définies par les articles 23-1 à 23-3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ". Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que la cour administrative d'appel saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

2. Le I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 soumet à l'obligation de vaccination contre la Covid-19, sauf contre-indication médicale reconnue, les personnes exerçant leur activité dans les établissements de santé et dans certains établissements, services ou lieux à vocation sanitaire, sociale ou médicosociale ou destinés à l'habitat des personnes âgées ou handicapées.

3. L'article 14 de la même loi dispose que : " I. - A compter du lendemain de la publication de la présente loi et jusqu'au 14 septembre 2021 inclus, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12 ou le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret B. - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret. / ()III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit. / La dernière phrase du deuxième alinéa du présent III est d'ordre public. / Lorsque le contrat à durée déterminée d'un agent public non titulaire est suspendu en application du premier alinéa du présent III, le contrat prend fin au terme prévu si ce dernier intervient au cours de la période de suspension "

4. A l'appui de son recours dirigé contre le jugement du 30 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 15 septembre 2021 par lequel le directeur du Centre hospitalier départemental La Candélie l'a suspendue de ses fonctions d'infirmière à compter du 15 septembre 2021 jusqu'à la présentation des justificatifs requis pour l'exercice de ses fonctions, Mme B demande à la cour de renvoyer au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 12 et 14 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire. Les dispositions de l'article 12, en tant qu'elles visent, au a) du 1° de son I, les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique, ainsi que les dispositions du III de l'article 14 sont applicables au litige, au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 cité ci-dessus. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, dès lors que celui-ci ne s'est prononcé dans sa décision n° 2021-824 du 5 août 2021 ni sur le principe de l'obligation vaccinale imposée aux soignants ni sur la suspension des fonctions résultant de la non-présentation des justificatifs requis.

En ce qui concerne le droit à la protection de la santé, l'inviolabilité du corps humain et le droit à la dignité de la personne humaine :

5. Aux termes du onzième alinéa du Préambule de la constitution de 1946, la Nation " garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ".

6. Ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2015-458 QPC du 20 mars 2015, il est loisible au législateur de définir une politique de vaccination afin de protéger la santé individuelle et collective, ainsi que de modifier les dispositions relatives à cette politique de vaccination pour tenir compte de l'évolution des données scientifiques, médicales et épidémiologiques. Le droit à la protection de la santé garanti par le Préambule de la Constitution de 1946 n'impose pas de rechercher si l'objectif de protection de la santé que s'est assigné le législateur aurait pu être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé.

7. En adoptant, notamment pour les professionnels de santé exerçant au sein d'établissements publics de santé, le principe d'une obligation vaccinale à compter du 15 septembre 2021, le législateur a entendu, dans un contexte de progression rapide de l'épidémie de Covid-19 accompagné de l'émergence de nouveaux variants et compte tenu d'un niveau encore incomplet de la couverture vaccinale de certains professionnels de santé, garantir le bon fonctionnement des établissements grâce à la protection offerte par les vaccins disponibles et protéger, par l'effet de la moindre transmission du virus par les personnes vaccinées, la santé des malades pris en charge par les professionnels de santé exerçant dans ces établissements.

8. Cette obligation vaccinale ne s'impose pas, en vertu de l'article 13 de la même loi du 5 août 2021, aux personnes qui présentent un certificat médical de contre-indication ainsi que, pendant la durée de sa validité, aux personnes disposant d'un certificat de rétablissement. Par ailleurs, l'article contesté donne compétence, en son IV, au pouvoir réglementaire, compte tenu de l'évolution de la situation épidémiologique et des connaissances médicales et scientifiques et après avis de la Haute autorité de santé, pour suspendre cette obligation pour tout ou partie des catégories de personnes qu'elle concerne. Enfin, la vaccination contre la Covid-19, dont l'efficacité au regard des deux objectifs rappelés au point 7 est établie en l'état des connaissances scientifiques, n'est susceptible de provoquer, sauf dans des cas très rares, que des effets indésirables mineurs et temporaires. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions qu'elle conteste, qui sont justifiées par une exigence de santé publique et ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif qu'elles poursuivent, porteraient atteinte à l'exigence constitutionnelle de protection de la santé garantie par le Préambule de la Constitution de 1946, à l'inviolabilité du corps humain, ou au principe constitutionnel de respect de la dignité de la personne humaine.

En ce qui concerne le droit au travail :

9. Aux termes du cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : " Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ".

10. S'agissant des personnes qui étaient employées dans un établissement public de santé à la date d'entrée en vigueur de la loi et qui refusent de se soumettre, en dehors des motifs prévus par la loi, à l'obligation vaccinale, les dispositions de l'article 14 prévoient non pas la rupture de leur contrat de travail ou la cessation de leurs fonctions, mais la suspension du contrat de travail ou des fonctions exercées jusqu'à ce que l'agent produise les justificatifs requis. Dans ces conditions, contrairement à ce que soutient la requérante, les dispositions attaquées ont opéré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles qui découlent respectivement du droit à l'emploi et du droit à la protection de la santé.

En ce qui concerne les droits de la défense :

11. Il résulte des termes des dispositions de l'article 14 citées ci-dessus que la suspension des fonctions, qui se borne à constater que l'intéressé ne remplit pas les conditions légales pour exercer ses fonctions, ne constitue pas une sanction. Par suite, le moyen tiré de ce qu'une telle mesure ne saurait intervenir sans passer par la procédure disciplinaire seule à même de garantir le respect du principe à valeur constitutionnelle du respect des droits de la défense ne peut être utilement invoqué.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme B ne présente pas un caractère sérieux au sens des dispositions précitées. Par suite, il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

ORDONNE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme B.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A B et au Centre hospitalier départemental La Candélie.

Fait à Bordeaux, le 25 octobre 2022.

La présidente de la 2ème chambre,

Catherine Girault

N°22BX0227

Code publication

C