Tribunal administratif de Rennes

Ordonnance du 25 octobre 2022 n° 2205352

25/10/2022

Autre

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 21 octobre 2022, M. B A, représenté par Me Hachet, demande au juge des référés :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté du 7 septembre 2022 par lequel le préfet des Côtes-d'Armor a suspendu son permis de conduire pour une durée de six mois ;

2°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est remplie : il est domicilié en campagne et ne peut plus faire fonctionner son entreprise normalement ; la décision impacte gravement sa situation financière et risque d'entraîner la mise en jeu de sa responsabilité professionnelle ; l'urgence doit être appréciée au regard de l'intérêt général, l'intérêt de la question prioritaire de constitutionnalité qu'il pose dépassant son intérêt particulier ;

- sur le doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige :

- les dispositions de l'article L. 235-1 du code de la route sont inconstitutionnelles ;

- l'arrêté du 13 décembre 2016 fixant les modalités du dépistage des substances témoignant de l'usage de stupéfiants, et des analyses et examens prévus par le code de la route est illégal par voie d'exception : les taux qu'il retient ne respectent pas la définition du cannabis en tant que stupéfiant telle qu'elle ressort de l'article R. 5132-86-1 du code de la santé publique et de l'arrêté du 30 décembre 2021 portant application de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique ;

- l'arrêté en litige lui a été notifié après le délai légal de l'article L. 224-2 du code de la route.

Par un mémoire enregistré le 21 octobre 2022, M. A, représenté par Me Hachet, demande au juge des référés, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à la suspension de la décision du 7 septembre 2022 de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 235-1, alinéa 1er du code de la route.

Il soutient que les dispositions de l'article L. 235-1 du code de la route n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une précédente décision du Conseil constitutionnel à la suite du changement intervenu dans les définitions des substances ou plantes classées comme stupéfiants et notamment le cannabis ; la nouvelle définition des termes " cannabis " et " substances ou plantes classées comme stupéfiants " constitue un changement des circonstances de droit et permet de ré-interroger la conformité à la Constitution des dispositions de l'article L. 235-1 du code de la route telles qu'interprétées de façon constante par la chambre criminelle de la Cour de cassation ; la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux dès lors que les taux retenus par l'arrêté du 13 décembre 2016 fixant les modalités du dépistage des substances témoignant de l'usage de stupéfiants, et des analyses et examens prévus par le code de la route, ne respectent pas la définition du cannabis en tant que stupéfiant telle qu'elle ressort de l'article R. 5132-86-1 du code de la santé publique et de l'arrêté du 30 décembre 2021, partiellement suspendu, portant application de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique, mais aussi de la convention unique sur les stupéfiants du 31 mars 1961 (ONU) telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne ; le législateur en renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de définir ces seuils n'a pas épuisé sa compétence faute de ne pas avoir exclu expressément le cannabis légal de l'incrimination de conduite après avoir fait usage de stupéfiant, et a par conséquent manqué aux obligations qui lui incombent aux termes de l'article 34 de la Constitution ; l'atteinte portée à la liberté d'aller et venir, composante de la liberté individuelle, que constitue l'incrimination de conduite après avoir fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants est manifestement disproportionnée au regard de l'objectif de prévention d'atteinte à l'ordre public, notamment d'atteintes à l'intégrité physique des personnes, fixé par le législateur.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la requête au fond n° 2205334.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme Plumerault, première conseillère, pour statuer sur les demandes de référé.

Considérant ce qui suit :

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision () ". Aux termes de l'article L. 522-3 du même code : " Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1 ".

2. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des éléments fournis par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence s'apprécie objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de chaque espèce, et notamment des objectifs d'intérêt public poursuivis par la décision critiquée.

3. M. A, pour démontrer l'urgence qu'il y aurait à suspendre l'exécution de la décision attaquée, soutient que son permis de conduire lui est nécessaire pour pouvoir poursuivre son activité d'auto-entrepreneur dès lors qu'il habite en campagne. Toutefois, à l'appui de ses allégations, le requérant se borne à produire un extrait Kbis de sa société créée en avril 2022 ainsi que la copie d'une facture sans apporter aucun élément précis et concret sur les conditions réelles de son activité professionnelle. Le requérant n'établit pas davantage qu'il lui serait impossible de prévoir temporairement de nouvelles modalités d'organisation en ayant recours à des modes de transport alternatifs, notamment en utilisant un véhicule ne nécessitant pas la détention du permis de conduire pendant la durée de la suspension de son permis ou même en se faisant véhiculer par des tiers lorsqu'il peut être amené à se déplacer. En outre, il résulte de l'instruction que l'intéressé s'est vu suspendre son permis de conduire pour usage de substances ou plantes classées comme stupéfiant. Dans ces conditions, à supposer même que la suspension de son permis de conduire occasionne une gêne pour M. A pendant un temps limité le contraignant à se réorganiser, la condition d'urgence, qui doit s'apprécier objectivement et globalement, n'est pas remplie. Dès lors, il y a lieu de rejeter, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le bien-fondé des moyens invoqués, les conclusions à fin de suspension de la requête de M. A.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

4. Il résulte de la combinaison des dispositions de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 avec celles du livre V du code de justice administrative qu'une question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée devant le juge administratif des référés statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 de ce code. Toutefois, le juge des référés peut, en toute hypothèse, y compris lorsqu'une question prioritaire de constitutionnalité est soulevée devant lui, rejeter de telles conclusions pour irrecevabilité ou pour défaut d'urgence. S'il rejette les conclusions aux fins de suspension pour l'un de ces motifs, il n'y a pas lieu, pour le juge des référés de statuer sur la demande de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité. En l'espèce, ainsi qu'il est dit ci-dessus, la condition d'urgence n'étant pas satisfaite, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité.

5. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de faire application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative et de rejeter la requête en toutes ses conclusions, y compris celles présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B A.

Fait à Rennes, le 25 octobre 2022.

Le juge des référés,

signé

F. Plumerault

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

D