Tribunal administratif de Rennes

Ordonnance du 25 octobre 2022 n° 2106470

25/10/2022

Renvoi

Vu la procédure suivante :

Par requête et un mémoire en réplique, enregistrés respectivement les 17 décembre 2021 et 9 août 2022, la société Nrgie Conseil, représentée par la société Boré, Salve de Bruneton et Mégret, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 18 octobre 2021 par laquelle le directeur départemental de la protection des populations d'Ille-et-Vilaine lui a infligé une amende administrative d'un montant total de 65 109 euros pour manquement aux dispositions de l'article L. 223-1 du code de la consommation relatif au démarchage téléphonique de 65 109 consommateurs dans le cadre de travaux énergétiques, assortie de la publication de cette décision de sanction sur le site internet de la préfecture d'Ille-et-Vilaine et sur le site internet, le compte Facebook et le compte Twitter de la DGCCRF sous un délai d'un mois à compter de sa notification et pour une durée de trois mois ;

2°) subsidiairement, de réformer cette décision en tant qu'elle lui inflige une amende de 65 109 euros assortie de sa publication sur le site internet de la préfecture d'Ille-et-Vilaine et sur le site internet, le compte Facebook et le compte Twitter de la DGCCRF sous un délai d'un mois à compter de sa notification et pour une durée de trois mois, afin de ramener la sanction prononcée dans de plus justes proportions ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, d'annuler la décision litigieuse en tant qu'elle prévoit sa publication sur le site internet de la préfecture d'Ille-et-Vilaine et sur le site internet, le compte Facebook et le compte Twitter de la DGCCRF sous un délai d'un mois à compter de sa notification et pour une durée de trois mois ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par mémoire, enregistré le 22 mars 2022, le préfet d'Ille-et-Vilaine conclut au rejet de la requête.

Par mémoire, enregistré le 9 août 2022, la société Nrgie Conseil demande au tribunal, en application des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité à la Constitution des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 221-3 du code de la consommation, dans leur version issue de la loi n° 2020-901 du 24 juillet 2020.

La société Nrgie Conseil soutient que :

- les dispositions en cause sont applicables au litige ;

- ces dispositions n'ont jamais été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;

- la question présente un caractère sérieux dès lors que les dispositions de l'article L. 221-3 du code de la consommation méconnaissent le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et sont contraires à la liberté d'entreprendre ;

- s'agissant du principe d'égalité, la différence de traitement instituée par les dispositions législatives contestées entre, d'une part, les professionnels du secteur de la rénovation énergétique et de la production d'énergies renouvelables pour les particuliers, et d'autre part, l'ensemble des autres professionnels qui recourent au démarchage téléphonique en vue de conclure un contrat portant sur la vente d'un bien ou la fourniture d'un service est inconstitutionnelle ; les professionnels du secteur de la rénovation énergétique et des énergies renouvelables ne se trouvent pas dans une situation différente des autres professionnels qui recourent au démarchage téléphonique ; l'interdiction en cause revient également à opérer une différence de traitement entre professionnels du même secteur d'activité, à savoir le bâtiment, lesquels sont pourtant dans une situation identique, puisque seuls ceux effectuant des travaux de rénovation énergétique ou à fin de production d'énergies renouvelables tombent sous le coup de l'interdiction ;

- à supposer même que l'on considère que les professionnels visés par l'interdiction en cause seraient placés dans une situation différente de celles des autres professionnels ou que le législateur ait entendu déroger à l'égalité de traitement dont ils devaient faire l'objet, la discrimination instituée par les dispositions contestées n'en serait pas moins injustifiée dès lors qu'elle est contraire à l'objectif poursuivi par le législateur à savoir la protection des consommateurs ; en toute hypothèse, une telle différence de traitement est excessive ;

- s'agissant de la liberté d'entreprendre, l'interdiction en cause est sans lien direct et suffisant avec l'objectif de protection du consommateur qu'a entendu poursuivre le législateur ; elle est par ailleurs disproportionnée.

Ce mémoire a été communiqué au préfet d'Ille-et-Vilaine qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 6-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 2020-901 du 24 juillet 2020 ;

- le code de la consommation ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. La société Nrgie Conseil a fait l'objet, le 13 janvier 2021, d'un contrôle à l'issue duquel le directeur départemental de la protection des populations d'Ille-et-Vilaine a décidé, le 18 octobre 2021, de lui infliger, en application de l'article L. 522-1 du code de la consommation, une amende administrative d'un montant total de 65 109 euros pour démarchage téléphonique de consommateurs pour la réalisation de travaux d'économie d'énergie. Par requête enregistrée le 17 décembre 2021, la société Nrgie Conseil demande l'annulation de cette décision. Par mémoire, enregistré le 9 août 2022, la société demande au tribunal de transmettre au Conseil d'État une question prioritaire de constitutionnalité.

2. Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " () les présidents de formation de jugement des tribunaux () peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité. ".

3. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance visée ci-dessus du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, présenté dans un mémoire distinct et motivé, statue par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État et procède à cette transmission à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question présente un caractère sérieux.

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 223-1 du code de la consommation, dans leur rédaction issue de la loi n° 2020-901 du 24 juillet 2020 : " Le consommateur qui ne souhaite pas faire l'objet de prospection commerciale par voie téléphonique peut gratuitement s'inscrire sur une liste d'opposition au démarchage téléphonique. Il est interdit à un professionnel, directement ou par l'intermédiaire d'un tiers agissant pour son compte, de démarcher téléphoniquement un consommateur inscrit sur cette liste, sauf lorsqu'il s'agit de sollicitations intervenant dans le cadre de l'exécution d'un contrat en cours et ayant un rapport avec l'objet de ce contrat, y compris lorsqu'il s'agit de proposer au consommateur des produits ou des services afférents ou complémentaires à l'objet du contrat en cours ou de nature à améliorer ses performances ou sa qualité. Toute prospection commerciale de consommateurs par des professionnels, par voie téléphonique, ayant pour objet la vente d'équipements ou la réalisation de travaux pour des logements en vue de la réalisation d'économies d'énergie ou de la production d'énergies renouvelables est interdite, à l'exception des sollicitations intervenant dans le cadre de l'exécution d'un contrat en cours au sens du deuxième alinéa du présent article () ". Il résulte de l'instruction que l'amende litigieuse a été infligée à la société Nrgie Conseil au motif que celle-ci avait démarché, contrairement à l'interdiction prévue au troisième alinéa de l'article L. 223-1 du code de la consommation, 65 109 consommateurs dans le cadre de travaux d'économie d'énergie. Les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 223-1 du code de la consommation sont donc bien applicables au présent litige.

5. En deuxième lieu, ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution selon les modalités prévues au 2° de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.

6. En troisième et dernier lieu, en soutenant que les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 221-3 du code de la consommation dans leur rédaction issue de la loi n° 2020-901 du 24 juillet 2020 portent atteinte au principe d'égalité devant la loi et/ou à la liberté d'entreprendre, la société Nrgie Conseil pose des questions qui ne sont pas dépourvues de caractère sérieux.

7. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Nrgie Conseil.

O R D O N N E :

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 223-1 du code de la consommation, dans leur rédaction issue de la loi n° 2020-901 du 24 juillet 2020 est transmise au Conseil d'État.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de la société Nrgie Conseil, jusqu'à la réception de la décision du Conseil d'État ou, s'il a été saisi, jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Nrgie Conseil et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie sera transmise pour information au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Fait à Rennes, le 25 octobre 2022.

Le président de la 2ème chambre,

signé

F. Etienvre

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.