Tribunal administratif de Cergy-Pontoise

Jugement du 21 octobre 2022 n° 1908113

21/10/2022

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

I. Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 28 juin 2019, 22 juillet et 4 octobre 2021 sous le n°1908113, la SARL Sentinel, représentée par Me Vidal, doit être regardée comme demandant au tribunal, d'annuler la décision du 1er mai 2019 par laquelle la commission nationale d'agrément et de contrôle (CNAC) du conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) a implicitement rejeté son recours administratif préalable obligatoire du 28 février 2019 formé contre la décision du 28 décembre 2018 par laquelle la commission locale d'agrément et de contrôle Ile-de-France - Ouest a prononcé à son encontre un blâme et une pénalité financière de 7 000 euros.

Elle soutient que :

- la décision de la commission locale d'agrément et de contrôle Ile-de-France-Ouest est insuffisamment motivée ;

- elle a été prise en méconnaissance de l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif aux principes du procès équitable ;

- elle a été prise en méconnaissance du principe du contradictoire ;

- elle a été rendue en méconnaissance du principe d'impartialité ;

- elle se fonde sur l'article L. 612-2 du code de la sécurité intérieure, qui est contraire au principe de légalité des délits et des peines ;

- elle est entachée d'une erreur de droit au regard de l'article L. 612-2 du code de la sécurité intérieure.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 30 juin et 30 août 2021, le conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) conclut au rejet de la requête et fait valoir que les moyens ne sont pas fondés.

II. Par une requête, enregistrée le 17 décembre 2020 sous le n°2013235, la SARL Sentinel, représentée par Me Vidal, doit être regardée comme demandant au tribunal :

1°) d'annuler le titre de perception émis à son encontre le 10 décembre 2019 en vue du recouvrement de la somme de 7 000 euros au titre de la pénalité financière qui lui a été infligée le 28 décembre 2018 par la commission locale d'agrément et de contrôle Ile-de-France-Ouest, implicitement confirmée par la décision de la CNAC du 1er mai 2019, ensemble la décision implicite rejetant son recours administratif du 17 janvier 2020 formé contre ce titre ;

2°) de la décharger de l'obligation de payer la somme de 7 000 euros ainsi mise à sa charge.

Elle soutient que le titre de perception contesté est illégal dès lors que la décision du 28 décembre 2018 et la décision implicite du 1er mai 2019, qui constituent sa base légale, sont elles-mêmes illégales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 octobre 2021, le directeur départemental des finances publiques de l'Essonne conclut au rejet de la requête et fait valoir que les moyens ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 16 février 2022, le conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), représenté par Me Cano, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- les conclusions à fin d'annulation sont irrecevables ;

- les moyens ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Garona, conseillère ;

- les conclusions de M. Charpentier, rapporteur public ;

- les observations de Me Vidal, pour la SARL Sentinel ;

- et les observations de Me Coquillon, pour le CNAPS.

Considérant ce qui suit :

1. Le 15 septembre 2016, la SARL Sentinel a fait l'objet d'un contrôle de son activité par les agents du conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS). A la suite de ce contrôle, et dans le cadre de l'engagement d'une procédure disciplinaire, la commission locale d'agrément et de contrôle (CLAC) Ile-de-France-Ouest a été saisie aux fins de sanction. Par délibération du 28 décembre 2018, cette commission a prononcé à l'encontre de la SARL Sentinel un blâme ainsi que des pénalités financières d'un montant de 7 000 euros. Par un courrier du 28 février 2019, reçu le 1er mars suivant, la SARL Sentinel a saisi la commission nationale d'agrément et de contrôle d'un recours administratif préalable obligatoire et une décision implicite de rejet est née le 1er mai 2019. Un titre de perception a alors été émis en vue du recouvrement de la somme litigieuse, le 10 décembre 2019, et la contestation formée par la SARL Sentinel, le 17 janvier 2020, a été implicitement rejetée. La SARL Sentinel doit être regardée comme demandant au tribunal l'annulation de la décision implicite du 1er mai 2019 ainsi que celle du titre de perception du 10 décembre 2019 émis à son encontre en vue du recouvrement de la somme de 7 000 euros au titre de la pénalité financière, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux.

Sur la jonction :

2. Les requêtes nos 1908113 et 2013235 concernent la situation d'une même requérante et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul jugement.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite du 1er mai 2019 :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 633-3 du code de la sécurité intérieure en vigueur à la date de la décision attaquée : " Tout recours contentieux formé par une personne physique ou morale à l'encontre d'actes pris par une commission d'agrément et de contrôle est précédé d'un recours administratif préalable devant la Commission nationale d'agrément et de contrôle, à peine d'irrecevabilité du recours contentieux. ". Aux termes de l'article R. 633-9 du même code : " Le recours administratif préalable obligatoire devant la Commission nationale d'agrément et de contrôle prévu à l'article L. 633-3 peut être exercé dans les deux mois de la notification, par la commission locale d'agrément et de contrôle, de la décision contestée. Cette notification précise les délais et les voies de ce recours.

Toute décision de la Commission nationale d'agrément et de contrôle se substitue à la décision initiale de la commission locale d'agrément et de contrôle. () ".

4. Il résulte de ces dispositions que le recours administratif devant la commission nationale d'agrément et de contrôle organisé par les dispositions précitées doit être formé, dans tous les cas, avant tout recours contentieux. L'institution de ce recours administratif, préalable obligatoire à la saisine du juge, a pour effet de laisser à l'autorité compétente pour en connaître, le soin d'arrêter définitivement la position de l'administration. La décision prise à la suite de ce recours préalable obligatoire se substitue ainsi à la décision initiale prononcée par la commission locale d'agrément et de contrôle et est seule susceptible d'être déférée au juge de la légalité. Par suite, la décision de la commission nationale d'agrément et de contrôle (CNAC) s'est nécessairement substituée à la décision de la CLAC Ile-de-France-Ouest du 28 décembre 2018.

5. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent.

A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / () 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. ". Aux termes de l'article L. 232-4 du même code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. ".

6. D'une part, si la SARL Sentinel soutient que la décision de la CLAC Ile-de-France-Ouest n'est pas motivée, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la décision de la CNAC s'est nécessairement substituée à la décision initiale de la CLAC Ile-de-France-Ouest. D'autre part, à supposer même que la société requérante ait entendu soutenir que la décision implicite de la CNAC n'était pas davantage motivée, il ne ressort pas des pièces du dossier que la SARL Sentinel aurait sollicité la communication des motifs de cette décision implicite, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, le moyen tiré de l'absence de motivation de la décision attaquée doit être écarté.

7. En deuxième lieu, la SARL Sentinel soutient que la décision méconnait le principe du contradictoire. La requérante fait d'abord valoir qu'au cours des débats devant la CLAC Ile-de-France-Ouest, a été évoqué le devoir d'information du client de la SARL requérante d'une situation de sous-traitance tel que prévu par l'article R. 631-23 du code de la sécurité intérieure, sans qu'elle n'ait été préalablement prévenue, de sorte qu'elle n'a pu utilement se défendre. Elle indique, d'autre part, que la décision a été prise au visa de l'article R. 631-22 du même code, motif qui n'a pas davantage été évoqué lors des débats devant cette même commission. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la décision de sanction en litige se fonde sur le seul motif tiré de la méconnaissance par la SARL requérante, du principe d'exclusivité prévu à l'article L. 612-2 du code de la sécurité intérieure. Dans ces conditions, la circonstance, à la supposée établie, que la requérante n'a pas pu préparer sa défense concernant le devoir d'information du client d'une situation de sous-traitance n'est pas de nature à caractériser un manquement au principe du contradictoire. Il en va de même en ce qui concerne le visa de l'article R. 631-22 du code de la sécurité intérieure qui ne constitue pas davantage un motif de sanction. Par suite, le moyen doit être écarté.

8. En troisième lieu, si la SARL Sentinel soutient que la composition de la CLAC Ile-de-France-Ouest méconnait le principe d'impartialité, dès lors que deux des membres de cette commission, sur neuf, appartenaient à la profession des activités de surveillance humaine, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces deux personnes auraient fait preuve, en l'espèce, de partialité envers la société requérante. Par suite, le moyen doit être écarté.

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité ". ". Aux termes de l'article R. 771-4 du même code : " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation, dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 et R. 612-1. ".

10. La requérante soutient que l'article L. 612-2 du code de la sécurité intérieure est contraire au principe de légalité des délits et des peines de valeur constitutionnelle. Toutefois, elle ne présente pas ce moyen dans un mémoire distinct, ainsi que l'exigent les dispositions précitées de l'article 771-3 du code de justice administrative. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de faire application des articles R. 611-7 et R. 612-1 du même code, ce moyen qui n'est pas recevable, doit être écarté.

11. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de la sécurité intérieure : " Sont soumises aux dispositions du présent titre, dès lors qu'elles ne sont pas exercées par un service public administratif, les activités qui consistent : / 1° A fournir des services ayant pour objet la surveillance humaine ou la surveillance par des systèmes électroniques de sécurité ou le gardiennage de biens meubles ou immeubles ainsi que la sécurité des personnes se trouvant dans ces immeubles ou dans les véhicules de transport public de personnes ; / () / 3° A protéger l'intégrité physique des personnes ; / (). ". Aux termes de l'article L. 612-2 du même code : " () / L'exercice de l'activité mentionnée au 3° de l'article L. 611-1 est exclusif de toute autre activité. / () ". Il résulte de ces dispositions que le principe d'exclusivité, mentionné à l'article L. 612-2, interdit à toute entreprise exerçant l'activité de protection de l'intégrité physique des personnes d'exercer une autre activité, soit directement, soit en la sous-traitant, sous sa responsabilité, à une autre personne.

12. Il ressort des pièces du dossier que la SARL Sentinel, qui exerçait une activité de protection de l'intégrité physique des personnes au sens du 3° de l'article L. 611-1 du code de la sécurité intérieure, ne pouvait sous-traiter à une autre société, des activités de surveillance, de gardiennage et de sécurité incendie sans méconnaître le principe d'exclusivité tel qu'énoncé par les dispositions de l'article L. 612-2 du code de la sécurité intérieure. Les circonstances, invoquées par la requérante, qu'elle n'exerçait pas directement cette activité ou encore que la société sous-traitante bénéficiait d'une autorisation d'exercer les activités de gardiennage et de surveillance en cause sont sans incidence sur la méconnaissance du principe d'exclusivité et donc sur la légalité de la décision attaquée. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Sentinel n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision implicite du 1er mai 2019 et ses conclusions à fin d'annulation doivent en conséquence être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'annulation du titre de perception et les conclusion à fin de décharge :

14. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 13 que le moyen tiré de l'exception d'illégalité de la décision de la CNAC rejetant implicitement son recours administratif préalable obligatoire du 1er mai 2019 doit être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée en défense, que les conclusions à fin d'annulation du titre de perception du 10 décembre 2019 présentées par la SARL Sentinel doivent être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions à fin de décharge.

 

D E C I D E :

 

Article 1er : Les requêtes de la SARL Sentinel sont rejetées.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la SARL Sentinel, au Conseil national des activités privées de sécurité et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie sera adressée au directeur départemental des finances publiques de l'Essonne.

Délibéré après l'audience du 7 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Buisson, président ;

- Mme Garona, conseillère ;

- Mme L'Hermine, conseillère ;

assistés de Mme Duroux, greffière.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 octobre 2022.

La rapporteure,

signé

E. Garona

Le président,

signé

L. Buisson

La greffière,

signé

C. Duroux

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Nos 1908113 - 2013235

Code publication

D