Tribunal administratif de Besançon

Jugement du 13 octobre 2022 n° 2100891

13/10/2022

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 02 juin 2021, 13 août 2021, 24 novembre 2021, 12 décembre 2021, 30 janvier 2022, 1er avril 2022, 08 avril 2022, 03 juin 2022, 27 juillet 2022, 02 août 2022, 15 août 2022, 20 septembre 2022 et 21 septembre 2022, M. E D demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler la décision du 17 mai 2021 par laquelle la proviseure du lycée Victor Bérard a prononcé la suspension temporaire de ses fonctions jusqu'à la fin de son contrat, soit le 31 août 2021 ;

2°) d'annuler la décision du 28 juin 2021 par laquelle la proviseure du lycée Victor Bérard n'a pas renouvelé son contrat à durée déterminée ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 13 704 euros au titre du préjudice matériel et de 6 000 euros au titre du préjudice moral qu'il estime avoir subis ;

4°) d'annuler les décisions de non renouvellement de contrat prises à l'encontre de Mme F et M. A;

5°) d'enjoindre à l'administration de porter plainte contre les personnes qui ont exercé des pressions à son encontre ;

6°) d'enjoindre au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse de modifier la législation en vigueur afin que le personnel des établissements scolaires ne puisse plus siéger dans les instances disciplinaires ;

7°) de communiquer le jugement à intervenir au procureur de la République.

M. D soutient que :

En ce qui concerne la décision portant suspension temporaire de ses fonctions :

- elle est dépourvue de motivation ;

- elle est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'il n'a pas été informé de son droit de consulter son dossier individuel ;

- elle est fondée sur des motifs matériellement inexacts ;

- elle méconnait les dispositions de l'article 6 ter A de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983.

En ce qui concerne la décision portant non renouvellement de son contrat :

- elle méconnait les dispositions de l'article 6 ter A de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983.

En ce qui concerne la demande indemnitaire :

- il a subi un préjudice matériel de 13 704 euros ;

- il a subi un préjudice moral de 6 000 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 15 juillet 2021 et 14 décembre 2021, la proviseure du lycée Victor Bérard conclut au rejet de la requête.

La proviseure soutient que :

- la requête est irrecevable dès lors qu'elle ne demande pas expressément l'annulation de la décision qui suspend à titre conservatoire le requérant de ses fonctions ;

- la requête est irrecevable dès lors qu'elle ne contient que des moyens insuffisamment précis pour mettre le juge en mesure d'apprécier la nature de la demande ;

- en tout état de cause, les moyens invoqués dans la requête sont inopérants ou infondés.

Par un mémoire distinct enregistré le 02 août 2022, M. D demande au tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité par laquelle il soutient que diverses dispositions du code de l'éducation nationale sont contraires à la Constitution car elles instaurent des conseils de discipline d'établissement qui ne garantissent pas l'impartialité de ses membres.

Par un courrier du 15 septembre 2022, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur deux moyens d'ordre public relevés d'office :

- le moyen tiré du défaut de qualité donnant au requérant intérêt à agir contre les décisions de non renouvellement de contrat prises à l'encontre de Mme F et M. A.

- le moyen tiré de l'irrecevabilité des conclusions à fin d'injonction par lesquelles le requérant demande à ce qu'il soit enjoint à l'administration de déposer plainte et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse de modifier la législation en vigueur dès lors que le juge administratif n'est pas compétent pour se prononcer sur ces conclusions.

Par un mémoire, enregistré le 16 septembre 2022, M. D a présenté des observations sur ces moyens d'ordre public.

Six notes en délibéré pour M. D ont été enregistrées les 23, 24, 26 et 27 septembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C,

- et les conclusions de M. B.

Considérant ce qui suit :

1. M. D a été recruté par contrat à durée déterminée par le lycée Victor Bérard, au titre de l'année scolaire 2020-2021. Le 17 mai 2021, la proviseure du lycée a prononcé la suspension temporaire de ses fonctions jusqu'à la fin de son contrat, soit le 31 août 2021, puis le 28 juin 2021, a décidé de ne pas renouveler son contrat ainsi que celui de deux autres agents de l'établissement. Le requérant doit être regardé comme demandant au tribunal l'annulation de ces décisions.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

3. Si M. D soutient que les dispositions législatives relatives aux conseils de discipline d'un établissement scolaire ne garantissent pas l'impartialité de leurs membres, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'un tel conseil ait été saisi préalablement à l'adoption des décisions attaquées. Dans ces conditions, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. D n'est pas applicable au présente litige.

4. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil d'Etat pour transmission au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. D.

Sur la légalité de la décision portant suspension de ses fonctions :

5. En premier lieu, aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983, alors en vigueur : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire () ". Il résulte de ces dispositions qu'une décision de suspension de fonctions adoptée à l'encontre d'un fonctionnaire ou un agent public est une mesure conservatoire prise dans l'intérêt du service et ne constitue pas une sanction disciplinaire. Il s'ensuit que, d'une part, une telle décision n'est pas au nombre des décisions qui doivent être motivées en application des dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. D'autre part, l'intéressé ne doit pas obligatoirement être mis à même de prendre connaissance de son dossier individuel dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983. Par suite, le requérant ne peut valablement soutenir que la décision portant suspension de ses fonctions devait être motivée et être précédée de la communication de son dossier individuel et les moyens tirés du défaut de motivation et du vice de procédure ne peuvent être qu'écartés.

6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision du 17 mai 2021 est fondée sur des fautes commises par le requérant. À ce titre, l'administration fait valoir, dans son rapport sur la manière de servir de l'agent du 11 mars 2021 et dans ses écritures, le comportement inapproprié que le requérant a pu avoir avec certains élèves du lycée, ses manquements dans la surveillance des élèves, ses manquements à faire respecter le règlement intérieur ou encore les difficultés de communication avec les équipes enseignantes et la direction. Si le requérant soutient que certains manquements sont communs à d'autres agents, que pour d'autres ils ont eu lieu alors qu'il n'était pas censé être en service ou encore qu'il est amené à exercer plusieurs missions qui conduisent à en délaisser certaines, ces circonstances, au demeurant non établies, ne permettent pas de contester utilement l'exactitude matérielle des faits qui fondent la décision attaquée. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de fait doit être écarté.

7. En dernier lieu, aux termes de l'article 6 ter A de la loi du 13 juillet 1983, dans sa version alors applicable : " Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'appréciation de la valeur professionnelle, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, aux autorités judiciaires ou administratives de faits constitutifs d'un délit, d'un crime ou susceptibles d'être qualifiés de conflit d'intérêts au sens du I de l'article 25 bis dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ". Ainsi qu'il a été rappelé au point précédent, la décision du 17 mai 2021 est fondée sur des fautes commises par le requérant. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les témoignages que le requérant aurait pu apporter aux autorités judiciaires et qui relatent des faits qu'il aurait observés dans le cadre de ses fonctions constituent le fondement de la décision attaquée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 6 ter A de la loi du 13 juillet 1983 doit être écarté.

8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées en défense, que le requérant n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il conteste.

Sur la légalité de la décision portant refus de renouvellement de contrat :

9. M. D se borne à soutenir que la décision du 28 juin 2021 est contraire à l'article 6 ter A de la loi du 13 juillet 1983, sans apporter aucun élément au soutien de son moyen permettant d'en apprécier le bien-fondé. Par suite, le moyen doit être rejeté.

10. Il résulte de ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il conteste.

Sur la demande indemnitaire :

11. Si M. D soutient qu'il a subi un préjudice matériel de 13 704 euros et un préjudice moral de 6 000 euros, il ne précise pas le fait générateur du dommage qu'il estime avoir subi. En tout état de cause, en l'absence d'illégalité démontrée dans les décisions contestées, aucune faute n'est de nature à engager la responsabilité du lycée.

12. Il résulte de ce qui précède que M. D n'est pas fondé à engager la responsabilité de l'administration.

Sur les conclusions à fin d'annulation du refus de renouveler les contrats de deux agents du lycée Victor Bérard :

13. Par un mémoire, enregistré le 30 janvier 2022, le requérant demande l'annulation des décisions refusant le renouvellement des contrats de deux agents du lycée Victor Bérard. En l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que les décisions contestées porteraient atteinte aux droits et prérogatives de l'intéressé ou l'affecteraient dans ses conditions d'emploi et de travail. Dans ces conditions, M. D ne dispose pas de la qualité lui donnant intérêt à agir contre ces décisions. Par suite, les conclusions tendant à l'annulation des décisions de non renouvellement des contrats de deux agents du lycée Victor Bérard sont irrecevables et doivent dès lors être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

14. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ". Il résulte de ces dispositions que les conclusions à fin d'injonction doivent nécessairement relever de la compétence du juge administratif.

15. M. D demande à ce qu'il soit enjoint à l'administration de porter plainte contre les personnes qui ont exercé des pressions à son encontre et au ministre de l'éducation nationale de modifier la législation afin que le personnel des établissements scolaires ne puisse plus siéger dans les instances disciplinaires de leur établissement. Ces conclusions ne constituent pas des mesures d'exécution relevant de la compétence du juge administratif. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par le requérant ne peuvent qu'être rejetées.

Sur la communication du jugement au procureur de la République :

16. Le jugement qui statue sur la situation individuelle d'un agent public n'est pas au nombre de ceux qui doivent être communiqués au procureur de la République. Par suite, les conclusions présentées à ce titre par M. D ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. D est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. E D et au lycée Victor Bérard.

Une copie de ce jugement sera transmise, pour information, au recteur de l'académie de Besançon.

Délibéré après l'audience du 22 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Grossrieder, présidente,

Mme Besson, conseillère,

M. Seytel, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 octobre 2022.

Le rapporteur,

J. C

La présidente,

S. Grossrieder

La greffière,

C. Quelos

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière (DEF)(/DEF)

Code publication

C