Cour administrative d'appel de Toulouse

Ordonnance du 12 octobre 2022 n° 22TL21870

12/10/2022

Non renvoi

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée Motel Montpellier Sud a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la réduction de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de la taxe pour frais de chambres de commerce et d'industrie auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2019.

Par un jugement n° 2100377 du 27 juin 2022, le tribunal administratif de Montpellier, après avoir décidé par ordonnance du 29 juin 2021 qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts, a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par un mémoire distinct, enregistré le 29 août 2022, la société Motel Montpellier Sud, représentée par Me Zapf, demande à la cour, à l'appui de sa requête enregistrée le 26 août 2022 tendant à l'annulation du jugement du 27 juin 2022 et à la réduction de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de la taxe pour frais de chambres de commerce et d'industrie auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2019, de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts.

Elle soutient que :

a) les dispositions dont l'interprétation est contestée sont applicables au litige ;

b) elles n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution ;

c) la question posée présente un caractère sérieux car le I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts entraîne une rupture d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, dès lors que ces dispositions :

- instaurent une différence de traitement entre les sociétés selon leur mode de détention ;

- peuvent conduire à soumettre à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises des contribuables dont le chiffre d'affaires varierait entre 152 000 et 500 000 euros ;

- peuvent conduire à des doubles impositions en ce qu'elles impliquent la prise en compte d'un chiffre d'affaires consolidé sans prévoir de mécanisme de neutralisation des refacturations intragroupes ;

- instaurent une différence de traitement au profit des sociétés en participation, qui sont dépourvus de capital et dont, en conséquence, le chiffre d'affaires ne peut être consolidé avec celui de leurs associés dès lors que ceux-ci ne peuvent remplir la condition de détention prévue au I de l'article 223 A du code général des impôts.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 septembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour de ne pas faire droit à la transmission demandée.

Il soutient que :

- la différence de traitement induite par le I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts poursuit un but d'intérêt général, qui consiste à prévenir les comportements d'optimisation fiscale, et repose de surcroît sur un critère objectif et rationnel en rapport direct avec ce but, en l'espèce l'appartenance à un groupe économique ;

- l'absence de mécanisme de neutralisation des refacturations intragroupes dans la détermination du chiffre d'affaires consolidé ne comporte pas de risque de double imposition dans la mesure où ce chiffre d'affaires consolidé ne fait pas partie de l'assiette de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ;

- si les dispositions en cause entraînent des effets de seuil, ces derniers ne sont pas manifestement disproportionnés et n'imposent pas au contribuable une charge excessive au regard de ses capacités contributives ;

- il existe un mécanisme de plafonnement de la contribution économique territoriale en fonction de la valeur ajoutée qui permet précisément d'éviter qu'un contribuable subisse une charge fiscale excédant ses capacités contributives ;

- l'argument selon lequel le chiffre d'affaires d'une société en participation ne peut pas être consolidé avec celui des associés qui la détiennent n'est pas susceptible d'entraîner une rupture du principe d'égalité dès lors que cette société en participation est placée dans une situation différente.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. D'une part, aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé () ". Aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux () ". L'article R. 771-7 du code de justice administrative dispose que : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

2. D'autre part, en vertu du I de l'article 1586 quater du code général des impôts, les entreprises redevables de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises bénéficient d'un dégrèvement dont le montant est égal à une fraction de cette cotisation. Cette fraction décroît en fonction de leur chiffre d'affaires. Aux termes du I bis du même article 1586 quater, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 : " Lorsqu'une entreprise, quels que soient son régime d'imposition des bénéfices, le lieu d'établissement, la composition du capital et le régime d'imposition des bénéfices des entreprises qui la détiennent, remplit les conditions de détention fixées au I de l'article 223 A pour être membre d'un groupe, le chiffre d'affaires à retenir pour l'application du I du présent article s'entend de la somme de son chiffre d'affaires et des chiffres d'affaires des entreprises qui remplissent les mêmes conditions pour être membres du même groupe. / Le premier alinéa du présent I bis s'applique, y compris lorsque les entreprises mentionnées à ce même premier alinéa ne sont pas membres d'un groupe mentionné aux articles 223 A ou 223 A bis. / Ledit premier alinéa n'est pas applicable lorsque la somme des chiffres d'affaires mentionnée au même premier alinéa est inférieure à 7 630 000 € ". Aux termes du premier alinéa du I de l'article 223 A du même code : " Une société, ci-après désignée par les mots : "société mère", peut se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés ou d'établissements stables membres du groupe, ci-après désignés par les mots : "sociétés du groupe", ou de sociétés ou d'établissements stables, ci-après désignés par les mots : "sociétés intermédiaires", détenus à 95 % au moins par la société mère de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés du groupe ou de sociétés intermédiaires ".

3. La société Motel Montpellier Sud soutient, à l'appui de sa demande en réduction de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de la taxe pour frais de chambres de commerce et d'industrie auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2019, que ces dispositions du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

4. D'une part, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. D'autre part, en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques garantie par l'article 13 de la Déclaration de 1789.

5. En premier lieu, la société Motel Montpellier Sud soutient que la différence de traitement entre les sociétés qui remplissent les conditions de détention fixées par le I de l'article 223 A du code général des impôts et celles qui ne les remplissent pas, les premières étant imposées à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises selon un taux effectif d'imposition tenant compte du chiffre d'affaires consolidé du groupe économique auquel elles appartiennent, alors que les secondes sont imposées selon un taux effectif tenant compte de leur seul chiffre d'affaires propre et de ce fait moins élevé, n'est pas justifiée par une différence de situation entre ces sociétés au regard de l'objet de cette imposition, ni par un motif d'intérêt général.

6. Il ressort toutefois des travaux préparatoires à la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 de laquelle sont issues les dispositions contestées qu'en les adoptant, le législateur a entendu faire obstacle à la réalisation d'opérations de restructuration aux fins de réduire le montant de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dû par l'ensemble des sociétés du groupe grâce à une répartition différente du chiffre d'affaires en son sein. La différence de traitement ainsi instituée par ces dispositions, qui poursuit un but d'intérêt général visant notamment à faire obstacle à certains schémas d'optimisation fiscale, repose sur des critères objectifs et rationnels en lien avec l'objet du dégrèvement de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises prévu au I de l'article 1586 quater précité, dès lors que toutes les entreprises remplissant les conditions de détention requises pour être membres d'un groupe fiscalement intégré, susceptible d'être structuré en vue de réduire le montant total de la cotisation due par les sociétés du groupe, sont soumises aux mêmes règles de calcul de ce dégrèvement, qu'elles soient membres ou non d'un tel groupe au regard de l'impôt sur les sociétés.

7. En deuxième lieu, les sociétés en participation ou les sociétés en nom collectif, qui ne sont pas détenues par leurs associés dans les conditions prévues au I de l'article 223 A du code général des impôts requises pour être membres d'un groupe fiscalement intégré, sont ainsi placées dans une situation différente qui justifie, de manière objective et rationnelle, la différence de traitement en application des dispositions contestées du I bis de l'article 1586 quater. En outre, le chiffre d'affaires de ces sociétés peut être consolidé avec celui des entreprises dont elles détiennent le capital. De cette façon, ces sociétés ne sont pas exclues du dispositif contesté du I bis de l'article 1586 quater précité. Ainsi, ce dispositif, en ce qu'il prévoit une différence de traitement fondée sur les conditions de détention du capital prévues au I de l'article 223 A du code général des impôts, ne méconnaît pas le principe d'égalité devant l'impôt.

8. En troisième lieu, ainsi qu'il a été relevé au point 6 ci-dessus, en adoptant les dispositions critiquées, le législateur a entendu faire obstacle à la réalisation d'opérations de restructuration aux fins de réduire le montant de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dû par l'ensemble des sociétés du groupe grâce à une répartition différente du chiffre d'affaires en son sein. Le législateur a ainsi tenu compte de la situation particulière des sociétés membres d'un groupe économique. Il a toutefois réservé ce dispositif aux seules entreprises faisant partie des groupes économiques les plus importants, dont le chiffre d'affaires consolidé est supérieur ou égal à 7 630 000 euros. En outre, si ce dispositif de consolidation du chiffre d'affaires peut conduire à imposer à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises des sociétés qui, réalisant un chiffre d'affaires individuel compris entre 152 500 euros et 500 000 euros, ne sont pas imposées lorsqu'elles ne font pas partie d'un groupe économique, la différence de traitement n'impose pas en l'espèce au contribuable une charge excessive au regard de ses capacités contributives. Ainsi, la différence de traitement, fondée sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but poursuivi, n'entraîne pas de rupture de l'égalité devant les charges publiques.

9. En dernier lieu, s'agissant de l'absence de neutralisation des refacturations intragroupes, le I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts implique de tenir compte du chiffre d'affaires consolidé d'un groupe d'entreprises en vue seulement de déterminer le dégrèvement de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises auquel une entreprise peut prétendre. Ainsi, le chiffre d'affaires consolidé retenu en application de ce dispositif ne constitue pas la base d'imposition à cette cotisation. Dans ces conditions, la disposition légale attaquée est insusceptible de conduire à des situations de double imposition qui méconnaîtraient les principes d'égalité précédemment mentionnés.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Motel Montpellier Sud est dépourvue de caractère sérieux. Ainsi, il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'État.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'État la question soulevée par la société à responsabilité limitée Motel Montpellier Sud dans son mémoire enregistré le 29 août 2022.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société à responsabilité limitée Motel Montpellier Sud et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Pyrénées.

Fait à Toulouse, le 12 octobre 2022.

Le président de la 1ère chambre,

A. Barthez

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté économique et industrielle en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°22TL21870 QPC

Code publication

C