Tribunal administratif de Strasbourg

Jugement du 3 octobre 2022 n° 2107447

03/10/2022

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 28 octobre 2021, la société par actions simplifiée (SAS) Logistic Saint Nabor, représentée par Me Zapf, demande au tribunal :

1°) à titre principal, de surseoir à statuer jusqu'à ce que le présent tribunal et, le cas échéant, le Conseil d'Etat ou le Conseil constitutionnel, se soient prononcés sur la question prioritaire de constitutionnalité relative au I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts ;

2°) à titre subsidiaire, de prononcer la réduction de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et de la taxe pour frais de chambres de commerce et d'industrie auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2020, pour un montant total de 15 871 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SAS Logistic Saint Nabor soutient que :

- elle va déposer un mémoire distinct posant une question prioritaire de constitutionnalité à l'encontre de l'article 1586 quater I, bis du code général des impôts ;

- l'article 1586 quater I, bis du code général des impôts dans sa rédaction issue des dispositions de l'article 15, I, 1° de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 méconnaît l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention prévoyant le droit à la protection des biens ;

- en effet, ces dispositions instituent, pour déterminer le taux de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, une discrimination prohibée fondée sur le seul mode de détention du capital des sociétés, selon qu'elles remplissent, ou non, les conditions pour relever d'un groupe fiscalement intégré ;

- ces dispositions créent encore une discrimination prohibée en ce qu'elles ont pour effet de soumettre à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises des sociétés qui réalisent un chiffre d'affaire individuel inférieur au seuil d'assujettissement fixé, selon elle, à 500 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 décembre 2021, la directrice régionale des finances publiques de la région Grand Est et du département du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.

La directrice régionale des finances publiques de la région Grand Est et du département du Bas-Rhin soutient que les moyens soulevés par la SAS Logistic Saint Nabor ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 18 août 2022, la SAS Logistic Saint Nabor demande au tribunal, à l'appui de sa requête, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts dans sa version issue de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, qui méconnaît le principe d'égalité devant la loi et le principe d'égalité devant les charges publiques.

Un mémoire présenté par le directeur régional des finances publiques de la région Grand Est et du département du Bas-Rhin a été enregistré le 25 août 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée ;

- le code civil ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la décision du Conseil d'Etat n° 421964 du 3 octobre 2018 société de l'hôtel de la Cité refusant notamment la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité relative au I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B A ;

- et les conclusions de M. Laurent Guth, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Logistic Saint Nabor demande au tribunal de prononcer la réduction de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de la taxe pour frais de chambres de commerce et d'industrie auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2020, à hauteur d'une somme totale de 15 871 euros.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique susvisée du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État () le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel () ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ". Aux termes de l'article R. 771-6 du code de justice administrative : " La juridiction n'est pas tenue de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause, par les mêmes motifs, une disposition législative dont le Conseil d'Etat ou le Conseil constitutionnel est déjà saisi. En cas d'absence de transmission pour cette raison, elle diffère sa décision sur le fond, jusqu'à ce qu'elle soit informée de la décision du Conseil d'Etat ou, le cas échéant, du Conseil constitutionnel ".

3. La SAS Logistic Saint Nabor soutient que le I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts dans sa version issue de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 serait contraire au principe d'égalité devant la loi et au principe d'égalité devant les charges publiques. Toutefois, par une décision n° 421964 du 3 octobre 2018, le Conseil d'Etat, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, a jugé que la question soulevée, qui n'était pas nouvelle, ne présentait pas un caractère sérieux. Dès lors, il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la présente question prioritaire de constitutionnalité.

Sur les conclusions à fin de décharge :

4. L'article 1586 quater du code général des impôts dispose, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 : " () I bis.- Lorsqu'une entreprise, quels que soient son régime d'imposition des bénéfices, le lieu d'établissement, la composition du capital et le régime d'imposition des bénéfices des entreprises qui la détiennent, remplit les conditions de détention fixées au I de l'article 223 A pour être membre d'un groupe, le chiffre d'affaires à retenir pour l'application du I du présent article s'entend de la somme de son chiffre d'affaires et des chiffres d'affaires des entreprises qui remplissent les mêmes conditions pour être membres du même groupe. / Le premier alinéa du présent I bis s'applique, y compris lorsque les entreprises mentionnées à ce même premier alinéa ne sont pas membres d'un groupe mentionné aux articles 223 A ou 223 A bis. / Ledit premier alinéa n'est pas applicable lorsque la somme des chiffres d'affaires mentionnée au même premier alinéa est inférieure à 7 630 000 € () ". Le I. de l'article 223 A du même code, auquel renvoie l'article 1586 quater I bis cité précédemment, dispose quant à lui : " I. - Une société, ci-après désignée par les mots : " société mère ", peut se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés ou d'établissements stables membres du groupe, ci-après désignés par les mots : " sociétés du groupe ", ou de sociétés ou d'établissements stables, ci-après désignés par les mots : " sociétés intermédiaires ", détenus à 95 % au moins par la société mère de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés du groupe ou de sociétés intermédiaires () ".

5. Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". Aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ". Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle affecte la jouissance d'un droit ou d'une liberté sans être assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi.

6. En premier lieu, la SAS Logistic Saint Nabor fait valoir que le I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts institue une distinction fondée sur le seul mode de détention du capital social qui conditionne le taux d'imposition effectif à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Toutefois, cette distinction instaurée entre les sociétés remplissant les conditions de détention pour être membres d'un groupe fiscalement intégré, d'une part, et les sociétés ne remplissant pas ces conditions, d'autre part, repose sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec le but poursuivi par le législateur. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations conventionnelles citées au point précédent doit, par suite, être écarté.

7. En second lieu, les dispositions du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts n'ont aucune incidence sur l'appréciation du seuil d'assujettissement à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, fixé à l'article 1586 ter du code général des impôts, et n'ont nullement pour effet de soumettre à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises qui, sans ces dispositions, en seraient exclues faute d'atteindre le seuil d'assujettissement. La différence de traitement invoquée n'est donc pas établie. Il s'ensuit que la SAS Logistic Saint Nabor n'est pas fondée à soutenir que les dispositions du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts méconnaîtraient les stipulations des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention. Le moyen ainsi invoqué doit, par suite, être écarté.

8. Il résulte de ce qui précède que la SAS Logistic Saint Nabor n'est pas fondée à demander la réduction des impositions litigieuses. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris sa demande présentée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1 : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité posée par la SAS Logistic Saint Nabor.

Article 2 : La requête de la SAS Logistic Saint Nabor est rejetée.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la SAS Logistic Saint Nabor et au directeur régional des finances publiques de la région Grand Est et du département du Bas-Rhin.

 

Délibéré après l'audience du 19 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Julien Iggert, président,

M. Christophe Michel, premier conseiller,

M. Mohammed Bouzar, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2022.

Le rapporteur,

C. A

Le président,

J. IGGERT

Le greffier,

S. PILLET

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Strasbourg, le

Le greffier,