Tribunal administratif de Grenoble

Jugement du 29 septembre 2022 n° 2003831

29/09/2022

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu les procédures suivantes :

I- Par une requête enregistrée le 23 juin 2020, sous le n° 2003831, la société Massis Import Export Europe, représentée par Me Dias, demande au tribunal :

1°) de lui accorder la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre des années 2014 à 2016 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'administration ne peut rectifier un contribuable lorsqu'elle a antérieurement pris position sur une situation de fait au regard d'un texte fiscal en vertu des articles L. 80 A et L. 80 B du livre des procédures fiscales, de la doctrine fiscale applicable à l'époque des faits (BOI-SJ-RES-10-10-20-20120912 n° 320 et 330) et de la loi du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance ;

- les frais engagés lors du mariage du fils du gérant ont été exposés dans l'intérêt de la société compte tenu de la culture orientale des fournisseurs et des distributeurs de la société ayant été invités à cette cérémonie. La taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé ces dépenses est donc déductible.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 octobre 2020, la direction spécialisée de contrôle fiscal Centre-Est conclut au rejet de la requête.

Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

II- Par une requête enregistrée le 2 juillet 2021, sous le n° 2104475, la société Massis Export Europe, représentée par Me Dias, demande au tribunal :

1°) de lui accorder la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 2017 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'administration ne peut rectifier un contribuable lorsqu'elle a antérieurement pris position sur une situation de fait au regard d'un texte fiscal en vertu des articles L. 80 A et L. 80 B du livre des procédures fiscales, de la doctrine fiscale applicable à l'époque des faits (BOI-SJ-RES-10-10-20-20120912 n° 320 et 330) et de la loi du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance ;

- les rappels de taxe sur la valeur ajoutée ne peuvent comprendre les remises allouées au débitant dans l'assiette de la taxe ; l'interprétation par l'administration de l'article 298 quaterdecies du code général des impôts méconnait l'article 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en ce qu'elle entraîne une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;

- les ventes à destination de Monaco ne sont pas soumises à la taxe sur la valeur ajoutée.

Par un mémoire en défense enregistré le 16 septembre 2021, la direction spécialisée de contrôle fiscal Centre-Est conclut au non-lieu partiel à statuer à concurrence du dégrèvement accordé en cours d'instance et au rejet du surplus de la requête.

Elle soutient que :

- il a été procédé au dégrèvement des rappels de taxe sur la valeur ajoutée correspondant aux ventes de tabac à destination de Monaco, à concurrence de la somme totale de 1 332 euros ;

- les moyens tirés de l'inconstitutionnalité d'une disposition légale sont irrecevables dès lors qu'ils ne sont pas soulevés dans un écrit distinct et motivé ;

- les moyens soulevés par la société requérante quant aux impositions demeurant en litige ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- l'ordonnance n° 58-1067 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Coutarel, première conseillère,

- les conclusions de M. Journé, rapporteur public,

- et les observations de Me Dias, avocat de la société Massis Import Export Europe.

Considérant ce qui suit :

1. La société Massis Import Export Europe, qui exerce une activité de grossiste en tabacs a fait l'objet d'une vérification de comptabilité ayant porté sur les exercices clos en 2014, 2015 et 2016 puis d'un examen de comptabilité portant sur la taxe sur la valeur ajoutée pour la période allant du 1er janvier au 31 mai 2017. A l'issue de ces contrôles, elle a été assujettie à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre des années 2014 à 2017. Les réclamations présentées par la société Massis Import Export Europe ayant fait l'objet de décisions de rejet, elle demande au tribunal la décharge de ces impositions par les requêtes enregistrées sous les numéros 2003831 et 2104475. Ces requêtes ont le même objet et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même jugement.

Sur l'étendue du litige :

2. Par une décision en date du 15 septembre 2021, postérieure à l'enregistrement de la requête n° 2104475, l'administrateur général des finances publiques de la direction spécialisée de contrôle fiscal Centre-Est a prononcé le dégrèvement des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquelles la société Massis Import Export Europe a été assujettie au titre de l'année 2017 relatif aux ventes de tabac à destination de Monaco. Les conclusions aux fins de décharge de la requête n° 2104475 sont, dans cette mesure, devenues sans objet.

Sur le bien-fondé des impositions restant en litige :

En ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée collectée :

3. Aux termes de l'article 298 quaterdecies du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige : " I. - Les opérations portant sur les tabacs manufacturés sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée dans les conditions de droit commun, sous réserve des dispositions ci-après. / II. - Le fait générateur de la taxe sur la valeur ajoutée applicable aux ventes dans les départements de France métropolitaine de tabacs manufacturés est celui qui est prévu à l'article 575 C. / La taxe est assise sur le prix de vente au détail, à l'exclusion de la taxe sur la valeur ajoutée elle-même. / Elle est acquittée par le fournisseur dans le même délai que le droit de consommation. " Aux termes de l'article 570 du même code dans sa version applicable : " I. Selon les modalités fixées par voie réglementaire, tout fournisseur est soumis aux obligations suivantes : () 3° Consentir à chaque débitant une remise dont les taux sont fixés par arrêté pour la France continentale, d'une part, et pour les départements de Corse, d'autre part. Cette remise comprend l'ensemble des avantages directs ou indirects qui lui sont alloués ; () "

S'agissant de l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée des ventes de tabac :

4. D'une part, il résulte des dispositions précitées de l'article 298 quaterdecies du code général des impôts que la société Massis Import Export est légalement redevable de la taxe sur la valeur ajoutée à raison de ses opérations de vente à des détaillants des tabacs manufacturés qu'elle a importés.

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable au litige : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. " Aux termes de l'article L. 80 B du même livre alors en vigueur : " La garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable : / 1° Lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal ; elle se prononce dans un délai de trois mois lorsqu'elle est saisie d'une demande écrite, précise et complète par un redevable de bonne foi. () ".

6. Si la société Massis Import Export Europe soutient que lors d'une précédente vérification de comptabilité l'administration n'a pas remis en cause l'absence d'assujettissement de ses opérations à la taxe sur la valeur ajoutée, cette circonstance ne constitue pas une prise de position formelle de l'administration que la société requérante pourrait lui opposer sur le fondement des dispositions précitées.

7. La société requérante n'est, par ailleurs, pas fondée à se prévaloir des points 320 et 330 de l'instruction BOI-SJ-RES-10-10-20-20120912 qui ne comportent pas une interprétation de la loi différente de celle dont il est fait application par le présent jugement.

8. Enfin, si la société Massis Import Export invoque le 2ème alinéa de l'article L 80-A du livre des procédures fiscales, issu du I de l'article 9 de la loi du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance qui dispose qu' " Il en est de même lorsque, dans le cadre d'un examen ou d'une vérification de comptabilité ou d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle, et dès lors qu'elle a pu se prononcer en toute connaissance de cause, l'administration a pris position sur les points du contrôle, y compris tacitement par une absence de rectification ", le II de l'article 9 de la loi du 10 août 2018 réserve l'application de ces dispositions A aux contrôles dont les avis sont adressés à compter du 1er janvier 2019. Par suite, la société Massis Import Export n'est pas fondée à s'en prévaloir.

S'agissant de l'assiette de la taxe sur la valeur ajoutée sur les ventes de tabac :

9. D'une part, il résulte de l'instruction que la société Massis Import Export Europe a comptabilisé des montants de ventes de tabacs nets de la remise accordée aux débitants de tabac. Toutefois, l'article 298 quaterdecies du code général des impôts, cité au point 3, dispose que la taxe sur la valeur ajoutée est assise sur le prix de vente au détail, à l'exclusion de la taxe sur la valeur ajoutée elle-même et qu'elle est acquittée par le fournisseur. Par suite, l'administration a pu à bon droit faire application des dispositions de cet article pour rehausser l'assiette de la taxe sur la valeur ajoutée due à raison des ventes de tabacs de la société requérante.

10. D'autre part, aux termes de l'article 61-1 de la Constitution dispose : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé () ". L'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé () ". L'article R. 771-3 du code de justice administrative dispose : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité ". " L'article R. 771-4 du même code dispose : " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation, dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 et R. 612-1. ".

11. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " La loi () doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

12. En l'espèce, la société Massis Import Export Europe soutient que l'interprétation de l'article 298 quaterdecies du code général des impôts par l'administration entraîne une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. A supposer même qu'elle ait entendu ce faisant soulever une question prioritaire de constitutionnalité, ainsi que le lui permettent les dispositions de la Constitution et de l'ordonnance du 7 novembre 1958 citées au point 10 un tel moyen serait toutefois irrecevable faute d'avoir été présenté dans un mémoire distinct. Le moyen doit, par suite, être écarté, à supposer même qu'il soit soulevé.

En ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée déductible :

13. Aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération () / II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : / a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures () ". Aux termes de l'article 206 de l'annexe II au code générale des impôts : " I. - Le coefficient de déduction mentionné à l'article 205 est égal au produit des coefficients d'assujettissement, de taxation et d'admission () / IV.- 1. Le coefficient d'admission d'un bien ou d'un service est égal à l'unité, sauf dans les cas décrits aux 2 à 4. / 2. Le coefficient d'admission est nul dans les cas suivants : / 1° Lorsque le bien ou le service est utilisé par l'assujetti à plus de 90 % à des fins étrangères à son entreprise () ". Lorsque l'administration, sur le fondement de ces dispositions, met en cause la déductibilité de la taxe ayant grevé l'acquisition d'un bien ou d'un service, il lui appartient, lorsqu'elle a mis en œuvre la procédure de redressement contradictoire et que le contribuable n'a pas accepté le redressement qui en découle, d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour soutenir que le bien ou le service acquis n'était pas nécessaire à l'exploitation.

14. Il résulte de l'instruction que l'administration a remis en cause la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée pour des dépenses qu'elle a estimé étrangères à l'intérêt de l'entreprise à savoir des frais de repas, de petits déjeuners et de véhicules de prestige. La requérante soutient que ces dépenses ont été réalisées dans l'intérêt de la société bien qu'elles soient intervenues lors du mariage du fils du gérant car un certain nombre de fournisseurs et de distributeurs étaient présents. Toutefois, elle ne produit aucun justificatif permettant de justifier du caractère professionnel de ces dépenses engagées à l'occasion d'un évènement d'ordre privé. Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve que ces frais n'ont pas été engagés dans l'intérêts de la société.

15. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions aux fins de décharge présentées par la société Massis Import Export doivent être rejetées ainsi que les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

 

Article 1er :

La requête de la société Massis Import Export est rejetée.

Article 2 :Le présent jugement sera notifié à la Sarl Massis Import Export Europe et à l'administratrice générale des finances publiques de la direction spécialisée de contrôle fiscal Centre-Est.

 

Délibéré après l'audience du 15 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Pfauwadel, président,

Mme B et Mme A, assesseurs.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 septembre 2022.

La rapporteure,

A. A

Le président,

T. Pfauwadel

La greffière,

C. Billon

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2, 2104475

Code publication

C