Tribunal administratif de Cergy-Pontoise

Jugement du 23 septembre 2022 n° 1907472

23/09/2022

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 14 juin, 11 décembre 2019, 26 juin et 26 octobre 2020, M. A B et Mme C B, représentés par Me Tailfer, avocat, demandent au Tribunal :

1°) de prononcer la réduction, à hauteur de 40 371 euros, de la contribution sociale généralisée indue à laquelle ils ont été assujettis à raison des plus-values de cession de valeurs mobilières qu'ils ont réalisées au cours de l'année 2017 ;

2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. et Mme B soutiennent que :

- ils ne pouvaient se voir appliquer le taux de contribution sociale généralisée de 9,9 %, issu de l'article 8 de la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017, dès lors que le fait générateur de la plus-value est intervenu en 2016, avant l'adoption de l'article 8 de ladite loi ; l'application du taux rehaussé à 9,9 % aux plus-values réalisées en 2017 constitue une application rétroactive proscrite de la loi fiscale ;

- l'application du taux de 9,9 % méconnaît l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et porte atteinte au principe d'espérance légitime ;

- l'administration a méconnu les énonciations de sa propre doctrine publiée au bulletin officiel des impôts sous la référence BOI-RPPM-PVBMI-10-10-10.

Par des mémoires en défense enregistrés les 19 novembre 2019 et 19 mai 2021, la directrice départementale des finances publiques du Val-d'Oise conclut au rejet de la requête.

La directrice départementale des finances publiques du Val-d'Oise fait valoir que les moyens invoqués par M. et Mme B ne sont pas fondés.

Par des mémoires enregistrés les 13 janvier et 20 février 2020, M. et Mme B demandent au Tribunal, à l'appui de leur requête, de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 3° du A du V de l'article 8 de la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018.

Les requérants soutiennent que les dispositions contestées méconnaissent l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 juillet 2019, la directrice départementale des finances publiques du Val-d'Oise conclut qu'il n'y a pas lieu pour le Tribunal de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. et Mme B.

La directrice départementale des finances publiques du Val-d'Oise fait valoir que les conditions de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité ne sont pas remplies.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

-l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-5 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018 ;

- les décisions du Conseil d'État n° 431862 du 12 septembre 2019, n° 434359 du 2 décembre 2019 et n° 440954 du 28 septembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Prost, premier conseiller ;

- et les conclusions de M. Barraud, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme B ont réalisé, le 24 mars 2017, une plus-value de cession de valeur mobilière d'un montant de 2 374 754 euros. Cette plus-value a été soumise, au titre de l'année 2017, à l'impôt sur le revenu ainsi qu'aux prélèvements sociaux, notamment à la contribution sociale généralisée, dont le taux a été porté de 8,2 % à 9,9 % par l'article 8 de la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement pour la sécurité sociale pour 2018. Par une réclamation préalable du 29 janvier 2019, M. et Mme B ont contesté l'application à cette plus-value du taux de contribution sociale généralisée de 9,9 %. Par une décision en date du 28 mai 2019, l'administration a rejeté cette réclamation.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". En vertu des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, susvisée, le Tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'E´tat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

3. Par trois décisions des 12 septembre 2019, 2 décembre 2019 et 28 septembre 2020 (n° 431862, n° 434359 et n° 440954), le Conseil d'État a déclaré qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 3° du V-A de l'article 8 de la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018, au motif que cette question ne présentait pas un caractère sérieux. Par ces trois décisions, le Conseil d'État s'est prononcé sur le moyen tiré de la méconnaissance de la garantie des droits, qui résulte de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 en relevant que si les dispositions précitées de la loi du 30 décembre 2017, qui sont applicables aux impositions dues en 2018 au titre de l'année 2017, modifient le taux de la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine antérieurement applicable, aucune règle constitutionnelle n'en impose le maintien et le contribuable ne peut légitimement s'attendre à ce que lui soit appliqué le taux en vigueur à la date de la cession, dès lors que, si le transfert de propriété constitue le fait générateur de la plus-value, le fait générateur de l'imposition de cette dernière se situe au 31 décembre de l'année de la réalisation du revenu, date à laquelle la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 est entrée en vigueur, conformément aux dispositions du dernier alinéa de son article 78.

4. Dans la présente instance, les requérants se prévalent, à l'appui de leur demande de transmission au Conseil d'État de la question prioritaire de constitutionnalité, de la méconnaissance des mêmes normes constitutionnelles et soulèvent des moyens identiques. La question prioritaire posée porte ainsi sur la même question que celle soumise au Conseil d'État dans les trois instances susvisées n° 431862, n° 434359 et n° 440954. Par suite, en l'absence de changement de circonstances, cette question est dépourvue de caractère sérieux. Il n'y a donc pas lieu de faire droit à la demande de transmission.

Sur les conclusions aux fins de réduction :

5. Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". Une personne ne peut prétendre au bénéfice des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte. A défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations.

6. Aux termes de l'article 8 de la loi du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018 : " I.- Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié : () 6° L'article L. 136-8 est ainsi modifié : () b) Au 2° du même I, le taux : " 8,2 % " est remplacé par le taux : " 9,9 % " () V-A.- Les I et II du présent article s'appliquent : () 3° A compter de l'imposition des revenus de l'année 2017, en ce qu'ils concernent la contribution mentionnée à l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, sous réserve du II de l'article 34 de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 () ". Aux termes de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale : " I. Les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts sont assujetties à une contribution sur les revenus du patrimoine assise sur le montant net retenu pour l'établissement de l'impôt sur le revenu, à l'exception de ceux ayant déjà supporté la contribution au titre des articles L. 136-3, L. 136-4 et L. 136-7 : () e) Des plus-values, gains en capital et profits soumis à l'impôt sur le revenu () ".

7. Les dispositions contestées, qui sont applicables aux impositions dues en 2018 au titre de l'année 2017, modifient le taux de la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine antérieurement applicable. D'une part, aucune règle constitutionnelle ni aucun principe jurisprudentiel n'en imposait le maintien. Ainsi, en l'absence d'une base interne suffisante de l'intérêt patrimonial en cause, les requérants ne pouvaient légitimement s'attendre à ce que leur soit appliqué le taux en vigueur à la date de la cession, alors que si le transfert de propriété constitue le fait générateur de la plus-value, le fait générateur de l'imposition de cette dernière se situe au 31 décembre de l'année de la réalisation du revenu. En rehaussant de 1,7 point le taux de la contribution sociale généralisée, le législateur ne peut être regardé comme ayant remis en cause un avantage fiscal dont les contribuables pouvaient escompter la pérennisation et la circonstance que de telles plus-values étaient auparavant imposées à un taux de 8,2 % ne peut être regardée comme constituant un bien au sens de l'article 1er du premier protocole. D'autre part, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 est entrée en vigueur le 31 décembre 2017, conformément aux dispositions du dernier alinéa de son article 78 et trouve ainsi à s'appliquer aux plus-values réalisées en 2017. Dans ces conditions, M. et Mme B ne sont pas fondés à soutenir qu'un taux de contribution sociale généralisée de 8,2 % aurait dû être appliqué à la plus-value réalisée à l'occasion de cette cession et que l'application du taux de 9,9 % serait contraire au droit au respect des biens garantis par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et porterait atteinte au principe d'espérance légitime.

8. Si M. et Mme B se prévalent, sur le fondement des dispositions de l'article 80 A du livre des procédures fiscales, de l'interprétation administrative de la loi fiscale publiée sous la référence BOI-RPPM-PVBMI-10-10-10, selon laquelle, pour l'application de l'article 150-0 A du code général des impôts, le fait générateur de l'imposition est en principe constitué par le transfert de propriété à titre onéreux des valeurs mobilières ou des droits sociaux, qu'il résulte d'une vente, d'un apport, d'un échange, d'un partage ou de toute autre opération. Toutefois, la situation des requérants n'entre pas dans les prévisions de ces énonciations qui s'appliquent à l'article 150-0 A du code général des impôts relatifs à l'imposition des plus-values de cession de valeurs mobilière à l'impôt sur le revenu et non à la contribution sociale généralisée.

9. Il résulte de ce qui précède que les conclusions aux fins de réduction de la requête de M. B ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions aux fins d'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Les dispositions susmentionnées font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Les conclusions présentées à ce titre par M. et Mme B doivent, par suite, être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme B est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. A B et Mme C B et à la directrice départementale des finances publiques du Val-d'Oise.

Délibéré après l'audience du 8 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Kelfani, président, M. Prost, premier conseiller, et M. Villette, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 septembre 2022.

Le rapporteur,

Signé

F.-X. PROST

Le président,

Signé

K. KELFANI La greffière,

Signé

A. CHANSON

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour ampliation,

La Greffière

Code publication

C