Cour d'Appel d'Aix-en-Provence

Arrêt du 20 septembre 2022 n° 22/01610

20/09/2022

Non renvoi

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

 

Chambre 1-1

 

ARRÊT SUR TRANSMISSION D'UNE QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

 

DU 20 SEPTEMBRE 2022

 

N° 2022/

 

Rôle N° RG 22/01610 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BIZRC

 

BANQUE POPULAIRE MEDITERRANEE VENANT AUX DROITS DE LA BANQUE POULAIRE COTE D'AZUR

 

C/

 

ADMINISTRATION DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS

 

MONSIEUR LE DIRECTEUR REGIONAL GARDE-COTES DE MEDITERRANEE

 

MONSIEUR LE RECEVEUR REGIONAL DES DOUANES

 

Copie exécutoire délivrée

 

le :

 

à :

 

Me Sandra JUSTON

 

Me Jean DI FRANCESCO

 

Décision déférée à la Cour :

 

Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 18 Décembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 13/14259.

 

DEMANDERESSE A LA QUESTION PRIORITAIRE CONSTITUTIONNALITÉ

 

BANQUE POPULAIRE MEDITERRANEE VENANT AUX DROITS DE LA BANQUE POULAIRE COTE D'AZUR, demeurant [Adresse 1]

 

non comparant

 

DÉFENDERESSES A LA QUESTION PRIORITAIRE CONSTITUTIONNALITÉ

 

ADMINISTRATION DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS, demeurant [Adresse 2]

 

non comparant

 

MONSIEUR LE DIRECTEUR REGIONAL GARDE-COTES DE MEDITERRANEE, demeurant [Adresse 2]

 

non comparant

 

MONSIEUR LE RECEVEUR REGIONAL DES DOUANES, demeurant [Adresse 2]

 

non comparant

 

*-*-*-*-*

 

COMPOSITION DE LA COUR

 

L'affaire a été débattue le 21 Juin 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Danielle DEMONT, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

 

La Cour était composée de :

 

Monsieur Olivier BRUE, Président

 

Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller

 

Mme Danielle DEMONT, Conseiller

 

qui en ont délibéré.

 

Greffier lors des débats : Mme Colette SONNERY.

 

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 20 Septembre 2022.

 

MINISTERE PUBLIC :

 

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

 

ARRÊT

 

contradictoire,

 

Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Septembre 2022,

 

Signé par Monsieur Olivier BRUE, Président et Mme Colette SONNERY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

***

 

QPC n° 3 enregistrée sous le n°22/1610

 

RG de la cour pour le fond : 19/5340

 

(RG tribunal n° 13/14259)

 

Exposé du litige

 

La banque populaire Côte d'Azur (la banque) a créé en 1990 une activité de financement de navires de plaisance confiée à un département nommé « Marine azur ». Elle propose à ses clients des solutions de financement (crédits-bails français et italiens).

 

La législation douanière prévoit que les personnes qui résident en France et qui utilisent un navire de plaisance battant pavillon étranger doivent être titulaires d'un droit de passeport, lequel correspond à une taxe à la charge du propriétaire ou de l'utilisateur français d'un navire de plaisance ou de sport battant pavillon étranger.

 

La direction régionale des douanes et des droits indirects des Alpes-Maritimes a notifié à la banque des procès-verbaux d'infractions aux dispositions des articles 237 et suivants du code des douanes, l'informant que les faits concernaient 148 navires, pour un montant total de droits de passeport éludés s'élevant à 5'617'248 €, au titre des années 2008, 2009 et 2010.

 

La banque a reçu la notification le 3 novembre 2012, d'un avis de mise en recouvrement pour avoir paiement de cette somme au titre du droit de passeport pour ces années.

 

L'avis de mise en recouvrement a été contesté par la banque selon une lettre du 7 novembre 2012.

 

Le 15 novembre 2012, le receveur régional des douanes a émis un nouvel avis de mise en recouvrement portant sur le même montant.

 

La banque a adressé à l'administration des douanes un chèque du montant sollicité et élevé par ailleurs une contestation de l'avis de mise en recouvrement par lettre du 29 mars 2013.

 

Par exploit du 26 novembre 2013 la banque a fait assigner l'administration des douanes, la directrice régionale des douanes des Alpes-Maritimes et le receveur régional des douanes aux fins d'obtenir l'annulation de l'avis de mise en recouvrement n° 898/12/1458 du 15 novembre 2012 et le dégrèvement de son montant.

 

Par mémoire distinct du 27 mars 2014, la banque a présenté quatre questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) dans le cadre de cette procédure qui ont donné lieu à quatre ordonnances de refus de transmission rendues par le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Marseille.

 

Par jugement en date du 30 août 2016, le tribunal de grande instance de Marseille a sursis à statuer sur la demande dans l'attente d'une décision du conseil d'État sur la légalité de la circulaire du 18 avril 2011.

 

La SA banque populaire Méditerranée est venue aux droits de la SA banque populaire Côte d'Azur.

 

Par arrêt du 14 juin 2017, le Conseil d'État a déclaré en partie illégale la circulaire du 18 avril 2011.

 

L'instance a été réenrôlée.

 

Par jugement en date du 18 décembre 2018 (RG n° 13/ 1459) le tribunal de grande instance de Marseille a :

 

' annulé l'avis de mise en recouvrement n° 898/12/1458 du 15 novembre 2012 émis par la direction générale des douanes et droits indirects à l'encontre de la banque populaire Côte d'Azur devenue Banque populaire Méditerranée ;

 

' condamné l'administration des douanes à restituer à la Banque populaire Méditerranée la somme de 5'617'248 € avec intérêts au taux légal à compter du 26 novembre 2013 ;

 

' dit n'y avoir lieu à condamnation aux dépens en application de l'article 367 du code des douanes ;

 

' et condamné l'administration des douanes et droits indirects à payer à la société Populaire Méditerranée la somme de 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

 

*

 

Le 29 mars 2019 le directeur régional des douanes et droits indirects des Alpes-Maritimes et le directeur régional garde-côte de Méditerranée ont relevé appel de cette décision.

 

***

 

Le 18 janvier 2022 la Banque populaire Méditerranée (BPM), venue aux droits de la Banque populaire Côte d'Azur, a réitéré devant la cour ses demandes de transmission de 4 questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), au visa de l'article 23-2 de la loi organique n° 2009-15 23 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution.

 

***

 

La QPC n°3 enregistrée sous le n° RG 22/1610 est la suivante :

 

La banque demande au dispositif de ses écritures de « prendre acte de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du code des douanes en son article 238, dans ses versions applicables au litige au litige et notamment celle issue de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005, pour violation des articles 34 de la Constitution et 6 et 13 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 en tant que ce texte porte atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques en soumettant au droit de passeport les sociétés de crédit-bail dont le siège social est situé en France et non celles opérant au travers d'un établissement stable en France. »

 

*

 

La banque populaire Méditerranée fait valoir dans sa QPC du 18 janvier 2022, et dans ses dernières écritures du 16 juin 2022, reprises oralement à l'audience des plaidoiries, les moyens suivants :

 

Le texte de l'article 238 du code des douanes supra constitue le fondement légal des procès-verbaux ayant conduit à l'émission de l'avis de mise en recouvrement litigieux.

 

Le caractère constitutionnel ou non de cette disposition emporte une conséquence directe sur l'issue du litige. Si le droit de passeport tel qu'il est prévu porte atteinte aux droits et libertés fondamentaux, l'imposition à laquelle a été soumise la BPM est dépourvue de fondement légal.

 

Le tribunal de grande instance de Marseille a reconnu que la disposition contestée est bien applicable au litige.

 

La question posée n'a pas été tranchée par le Conseil Constitutionnel. L'article 238 du code des douanes est bien d'origine législative pour être issu des lois du 31 décembre 1995 et du 30 décembre 2005. Il n'a pas fait l'objet d'un examen par le Conseil constitutionnel.

 

En ce qui concerne le caractère sérieux de la question, l'article 238 du code des douanes dans sa rédaction applicable au litige porte atteinte au principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques qui résultent de l'article 6 et de l'article 13 de la DDHC, principe qui impose au législateur d'assurer un traitement identique à des contribuables placés dans des situations identiques, en opérant une différence entre le traitement fiscal réservé aux sociétés de crédit-bail ayant leur siège social en France et celle dont le siège social est situé à l'étranger.

 

Le Conseil Constitutionnel retient non seulement l'interdiction faite au législateur de traiter différemment des contribuables placés dans des situations identiques, mais aussi que ce principe d'égalité devant les charges publiques s'oppose à ce que le législateur traite de manière identique des contribuables qui sont placés dans des situations différentes.

 

C'est ainsi qu'à titre d'exemple a été jugé contraire à la Constitution une contribution assise sur les revenus professionnels de tous les médecins conventionnés généralistes ou spécialistes quel que soit leur comportement individuel en matière d'honoraires et de prescription pendant l'année au cours de laquelle le dépassement a été constaté, « le législateur n'ayant pas fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la loi ».

 

Le législateur doit donc s'assurer avant de soumettre des contribuables distincts à une imposition identique que ceux-ci ne sont pas placés dans des situations si différentes que les assimiler conduise à une rupture d'égalité entre eux.

 

Le Conseil constitutionnel a ultérieurement précisé l'objet de son contrôle en indiquant qu'il appartient au législateur de déterminer les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

 

Pour le Conseil Constitutionnel, le principe d'égalité ne s'oppose, ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

 

C'est ainsi que le Conseil Constitutionnel a jugé à propos de la taxe sur les boissons énergisantes qu'en taxant des boissons ne contenant pas d'alcool à des fins de lutte contre la consommation alcoolique des jeunes, le législateur avait établi une imposition qui n'était pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objectif poursuivi et que le législateur avait méconnu en conséquence les exigences de l'article 13 de la DDHC (Décision du 13 décembre 2012).

 

Inégalité issue d'une discrimination entre sociétés de crédit-bail à raison de leur lieu de siège social

 

La territorialité de l'imposition étant gouvernée par le lieu de l'activité, la localisation du siège social ne constitue pas un critère objectif ou rationnel d'imposition. Le critère du siège social conduit à défavoriser les sociétés de crédit-bail françaises soumises au droit de passeport vis-à-vis des sociétés étrangères exerçant rigoureusement la même activité au travers d'une succursale en France considérée fiscalement comme un établissement stable, mais exemptes de ce droit, dès lors que leur siège social est situé à l'étranger.

 

Si l'identification de l'activité en lien avec l'utilisation des biens mis en crédit-bail détermine le redevable de l'imposition afférente (ce que rappellent les développements des conclusions déposées par la banque au soutien de sa QPC n° 2), le lieu de cette activité détermine la territorialité de cette imposition.

 

Quand bien même on retiendrait que le crédit-bailleur puisse être redevable du droit de passeport, alors que le crédit-preneur en est l'utilisateur, il y aurait encore lieu de dénoncer la discrimination procédant de ce que seules les sociétés de crédit-bail dont le siège social est situé en France sont soumises au droit de passeport, alors que la succursale française de sociétés de crédit-bail étrangères exerce la même activité sans être soumise au droit de passeport.

 

Cette situation constitue une discrimination à rebours, interdite en droit français au titre de l'égalité devant les charges publiques.

 

Il faut encore s'interroger sur la question de la territorialité de l'impôt en France. Le principe d'imposition en fonction du lieu d'activité quel que soit le lieu de siège social ressort de l'article 4A alinéa 2 du code général des impôts repris à l'article 209 du code général des impôts relatif à l'impôt sur les bénéfices des sociétés. L'article 1010 du code général des impôts relatif à la taxe sur les véhicules de société met également en 'uvre ce principe en disposant que les sociétés sont soumises à une taxe annuelle à raison des véhicules de tourisme qu'elles utilisent en France.

 

Le droit de passeport établi à l'article 238 du code des douanes a pour objet d'imposer les résidents français utilisant des navires de plaisance ou de sport sous un pavillon étranger.

 

Une société de crédit-bail ayant son siège en France, ou une société de crédit-bail ayant son siège à l'étranger et un établissement en France, peuvent indifféremment mettre en crédit-bail des navires de plaisance ou de sport : l'activité de crédit-bail et les revenus qu'elles engendrent sont dans les deux cas localisés en France.

 

Inégalité procédant de la discrimination en fonction du siège social

 

L'article 238 ancien du code des douanes ne réservait pas explicitement le cas du propriétaire crédit-bailleur de navires de plaisance, ce qui a conduit l'administration des douanes à soumettre les sociétés crédit-bailleresses de tels navires au droit de passeport.

 

L'article 238 du code des douanes dans sa rédaction ancienne, en ce qu'il permettait une discrimination entre sociétés de crédit-bail selon que le siège était ou non établi en France alors même que leurs activités seraient identiques, provoquait une rupture d'égalité devant les charges publiques.

 

Ainsi une société ayant son siège social en France concluant un contrat de crédit-bail avec une personne physique résidant à l'étranger est redevable du droit de passeport. À l'inverse une société ayant son siège social à l'étranger, possédant une succursale en France, concluant un contrat de crédit-bail avec une personne physique résidant à l'étranger n'est pas redevable du droit de passeport.

 

Cette situation crée donc un désavantage pour les sociétés ayant leur siège social en France qui sont placées dans l'impossibilité d'offrir une prestation au même tarif que leurs homologues étrangères disposant d'un établissement en France.

 

Cette discrimination génératrice d'un déséquilibre concurrentiel a été confirmée par l'administration au travers de la circulaire du 18 avril 2011 et dans une correspondance en date du 4 novembre 2010 par laquelle la direction des services douaniers indique à la banque qu'elle n'appliquerait pas le droit de passeport à la succursale en France d'une société de crédit-bail italien qui reprendrait l'activité de crédit-bail de la BPM.

 

En l'état de deux catégories de sociétés exerçant la même activité sur le sol français, la localisation du siège social ne constitue pas un critère objectif ou rationnel, seul le lieu de l'activité devant gouverner l'applicabilité du droit de passeport.

 

Quant au lien entre cette inégalité de traitement et les objectifs poursuivis par le législateur, l'inégalité dénoncée par la présente question faisait échec à l'objet même de l'article 238 ancien du code des douanes en créant un effet d'aubaine que le texte cherchait pourtant à éviter : le choix d'un pavillon étranger permettait aux sociétés de crédit-bail étrangères opérant à travers un établissement stable en France d'échapper à la fiscalité française.

 

*

 

L'administration des douanes a répondu par conclusions, dont les autres parties ont déclaré avoir eu connaissance en temps utile, et reprises oralement à l'audience des plaidoieries, que l'article 238 du code des douanes dans sa version applicable au litige dispose que :

 

« Le passeport délivré aux navires de plaisance ou de sport appartenant à des personnes physiques ou morales, quelle que soit leur nationalité, ayant leur résidence principale ou leur siège social en France, ou dont ces mêmes personnes ont la jouissance, est soumis à un visa annuel donnant lieu à la perception d'un droit de passeport. »

 

La banque méconnaît la différence essentielle existant entre une société ayant son siège social en France et une société opérant au travers d'un établissement stable en France, en soutenant qu'en soumettant au droit de passeort les sociétés de crédit-bail dont le siège social est situé en France, et non celles opérant au travers d'un établissement stable en France, l'article 238 alinéa 1er du code des douanes porterait atteinte au principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques.

 

Il n'est cependant pas possible de comparer la situation d'une personne morale ayant son siège social en France et celle d'une personne morale exerçant en France par le biais d'établissements en France.

 

En effet, le critère de paiement de cette taxe est la résidence fiscale en France.

 

Or une société étrangère qui a un établissement stable en France ne peut pas être considérée comme résidente fiscale au regard de l'article 238 du code des douanes.

 

Il n'est pas envisageable de mettre à la charge d'un établissement stable d'une société n'ayant pas son siège social en France et dès lors, n'ayant pas le centre de ses intérêts et la direction effective de la société en France, le droit de passeport prévu par cet article.

 

Les personnes morales ayant un siège social à l'étranger exerçant par le biais d'établissements stables en France et les personnes morales ayant leur siège social en France ne sont absolumment pas placées dans des situations identiques.

 

Sur la spécificité de l'article 238 du code des douanes, le droit de passeport est en tout point identique dans ses taux et ses modalités au droit annuel de francisation et de navigation qui est perçu sur les bateaux battant pavillon français, constituant ainsi une taxe fiscale intérieure imposée à toute personne résidant en France et propriétaire d'un bateau à pavillon étranger.

 

Il existe donc une égalité de traitement fiscal entre navires étrangers et navires français contrecarrant tout reproche de règlement discriminatoire.

 

Il ressort notamment des travaux parlementaires du 27 octobre 1976 que la volonté première du législateur était en effet de « percevoir un droit au moins égal au droit de francisation, sur tous les navires, quel que soit leur pavillon, appartenant ou mis à la disposition de personnes physiques ou morales domiciliées en France. », et ce, dans l'objectif de lutter contre l'optimisation fiscale permettant à des personnes physiques ou morales, quelle que soit leur nationalité, d'opter pour un pavillon étranger afin de s'affranchir du paiement du droit de francisation et de navigation.

 

Sur le choix d'établir son siège social en France, la liberté d'établissement est garantie par le Traité instituant la Communauté européenne en ses articles 49 à 55.

 

Ce principe garantit aux entreprises européennes la liberté de s'établir dans d'autres Etats membres et la liberté de prestation de leurs services sur le territoire d'un autre État membre que celui de leur établissement.

 

Si la banque populaire Méditerranée a choisi d'établir son siège social en France, elle est donc soumise aux lois du pays dans laquelle elle est domiciliée.

 

De surcroît, elle possède une succursale en Italie afin d'intervenir sur le marché italien, où elle aurait pu librement établir son siège social.

 

Une société dont le siège social est basé en France et une société exerçant en France par le biais d'un établissement stable ne sont pas placés dans la même situation, ce qui justifie l'existence d'une différence de traitement.

 

Sur la spécificité du principe d'égalité en matière fiscale, celle-ci est tempérée en raison des facultés des redevables. Les sujétions imposées dans l'intérêt général doivent croître avec l'importance des ressources et la notion 'd'effort fiscal' permet de justifier que des sociétés françaises ne soient pas placées dans la même situation que des sociétés étrangères.

 

À ce titre il n'est pas inconstitutionnel qu'une société française ayant son siège social en France soit redevable d'un effort fiscal accru.

 

*

 

Le ministère public, par conclusions du 24 mai 2022, dont les autres parties ont déclaré avoir eu connaissance en temps utile, et reprises oralement à l'audience des plaidoieries, a conclu à la non-transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Banque Populaire Méditerranée, en exposant que la situation fiscale d'une société ayant son siège social en France n'est pas identique à celle d'une société ayant son siège social à l'étranger, même si elle exerce son activité en France via un établissement stable. La loi prévoit des régimes fiscaux distincts et à ce titre, il convient de considérer que la différence de traitement prévue par l'article 238 du code des douanes ne viole pas le principe d'égalité devant les charges publiques.

 

SUR CE, LA COUR

 

Sur la recevabilité du moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution

 

En application de l'article 23-1 de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, devant les juridictions relevant du Conseil d'État ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

 

Dans la présente procédure le moyen tiré de l'existence d'une atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté par la banque dans un écrit motivé, distinct des conclusions au fond.

 

Il est donc recevable en la forme.

 

Sur la transmission de la QPC n°3

 

L'article 23-2 de la loi organique précitée dispose que la juridiction transmet sans délai la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :

 

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

 

2° Elle n'a pas été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil Constitutionnel, sauf changement de circonstances ;

 

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

 

Il n'est pas contesté par les défendeurs au moyen que la disposition dont la constitutionnalité est contestée, à savoir l'article 238 du code des douanes, est applicable au litige opposant les parties. Aucune décision du Conseil Constitutionnel n'a déclaré conforme à la Constitution l'article 238 du code des douanes. Les deux premières conditions posées à l'article 23-2 de la loi du 10 décembre 2009 sont donc réunies.

 

Si une société ayant son siège social en France concluant un contrat de crédit-bail avec une personne physique résidant à l'étranger est redevable du droit de passeport et qu'à l'inverse une société ayant son siège social à l'étranger, possédant une succursale en France, concluant un contrat de crédit-bail avec une personne physique résidant à l'étranger n'est pas redevable du droit de passeport, cette différence de traitement doit être admise, dans la mesure où la circonstance de ne pas avoir son siège social en France, mais de n'y avoir qu'une succursale, est une différence significative de situation.

 

Le Conseil Constitutionnel a eu l'occasion à maintes reprises de rappeler que le principe d'égalité ne s'oppose pas ce que le législateur traite de manière différente des situations différentes.

 

La situation d'une personne morale ayant son siège social en France n'est pas comparable à celle d'une personne morale exerçant son activité en France par le biais d'établissements stables. La différence de traitement érigée entre ces deux types de société placées dans des situations différentes est justifiée.

 

Ainsi, l'article 238 du code des douanes ne contrevient pas au principe d'égalité devant les charges publiques et la QPC posée est dépourvue de caractère sérieux, ce qui fait obstacle à sa transmission à la Cour de cassation.

 

PAR CES MOTIFS

 

La cour, statuant par arrêt contradictoire et dans les conditions de l'article 23-2 alinéa 3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel,

 

Rejette la demande de transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité n°3 soulevée par la la banque populaire Méditerranée, enregistrée sous le numéro RG 22/1610.

 

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT