Cour d'Appel d'Aix-en-Provence

Arrêt du 20 septembre 2022 n° 22/01608

20/09/2022

Non renvoi

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

 

Chambre 1-1

 

ARRÊT SUR TRANSMISSION D'UNE QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

 

DU 20 SEPTEMBRE 2022

 

N° 2022/

 

Rôle N° RG 22/01608 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BIZQ7

 

BANQUE POPULAIRE MEDITERRANEE VENANT AUX DROITS DE LA BANQUE POULAIRE COTE D'AZUR

 

C/

 

ADMINISTRATION DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS

 

MONSIEUR LE DIRECTEUR REGIONAL GARDE-COTES DE MEDITERRANEE

 

MONSIEUR LE RECEVEUR REGIONAL DES DOUANES

 

Copie exécutoire délivrée

 

le :

 

à :

 

Me Sandra JUSTON

 

Me Jean DI FRANCESCO

 

Décision déférée à la Cour :

 

Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 18 Décembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 13/14259.

 

DEMANDERESSE A LA QUESTION PRIORITAIRE DE ONSTITUTIONALITE :

 

BANQUE POPULAIRE MÉDITERRANÉE VENANT AUX DROITS DE LA BANQUE POPULAIRE COTE D'AZUR, demeurant [Adresse 1]

 

représenté par Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, Me Mathieu CROIX de la SCP STREAM, avocat au barreau du HAVRE, Me Freddy DESPLANQUES, avocat au barreau de

 

DÉFENDERESSES A LA QUESTION PRIORITAIRE CONSTITUTIONNALITÉ :

 

ADMINISTRATION DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS, demeurant [Adresse 3]

 

représenté par Me Jean DI FRANCESCO, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Anne-claire MOYEN, avocat au barreau de PARIS

 

MONSIEUR LE DIRECTEUR REGIONAL GARDE-COTES DE MEDITERRANEE, demeurant [Adresse 2]

 

représenté par Me Jean DI FRANCESCO, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Anne-claire MOYEN, avocat au barreau de PARIS

 

MONSIEUR LE RECEVEUR REGIONAL DES DOUANES, demeurant [Adresse 4]

 

représenté par Me Jean DI FRANCESCO, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Anne-claire MOYEN, avocat au barreau de PARIS

 

*-*-*-*-*

 

COMPOSITION DE LA COUR

 

L'affaire a été débattue le 21 Juin 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Danielle DEMONT, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

 

La Cour était composée de :

 

Monsieur Olivier BRUE, Président

 

Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller

 

Mme Danielle DEMONT, Conseiller

 

qui en ont délibéré.

 

Greffier lors des débats : Mme Colette SONNERY.

 

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 20 Septembre 2022.

 

MINISTERE PUBLIC :

 

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

 

ARRÊT

 

contradictoire,

 

Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Septembre 2022,

 

Signé par Monsieur Olivier BRUE, Président et Mme Colette SONNERY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

***

 

QPC n° 2 enregistrée sous le n°22/1608

 

RG de la cour pour le fond : 19/5340

 

(RG tribunal n° 13/14259)

 

Exposé du litige

 

La banque populaire Côte d'Azur (la banque) a créé en 1990 une activité de financement de navires de plaisance confiée à un département nommé « Marine azur ». Elle propose à ses clients des solutions de financement (crédits-bails français et italiens).

 

La législation douanière prévoit que les personnes qui résident en France et qui utilisent un navire de plaisance battant pavillon étranger doivent être titulaires d'un droit de passeport, lequel correspond à une taxe à la charge du propriétaire ou de l'utilisateur français d'un navire de plaisance ou de sport battant pavillon étranger.

 

La direction régionale des douanes et des droits indirects des Alpes-Maritimes a notifié à la banque des procès-verbaux d'infractions aux dispositions des articles 237 et suivants du code des douanes, l'informant que les faits concernaient 148 navires, pour un montant total de droits de passeport éludés s'élevant à 5'617'248 €, au titre des années 2008, 2009 et 2010.

 

La banque a reçu la notification le 3 novembre 2012, d'un avis de mise en recouvrement pour avoir paiement de cette somme au titre du droit de passeport pour ces années.

 

L'avis de mise en recouvrement a été contesté par la banque selon une lettre du 7 novembre 2012.

 

Le 15 novembre 2012, le receveur régional des douanes a émis un nouvel avis de mise en recouvrement portant sur le même montant.

 

La banque a adressé à l'administration des douanes un chèque du montant sollicité et élevé par ailleurs une contestation de l'avis de mise en recouvrement par lettre du 29 mars 2013.

 

Par exploit du 26 novembre 2013 la banque a fait assigner l'administration des douanes, la directrice régionale des douanes des Alpes-Maritimes et le receveur régional des douanes aux fins d'obtenir l'annulation de l'avis de mise en recouvrement n° 898/12/1458 du 15 novembre 2012 et le dégrèvement de son montant.

 

Par mémoire distinct du 27 mars 2014, la banque a présenté quatre questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) dans le cadre de cette procédure qui ont donné lieu à quatre ordonnances de refus de transmission rendues par le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Marseille.

 

Par jugement en date du 30 août 2016, le tribunal de grande instance de Marseille a sursis à statuer sur la demande dans l'attente d'une décision du conseil d'État sur la légalité de la circulaire du 18 avril 2011.

 

La SA banque populaire Méditerranée est venue aux droits de la SA banque populaire Côte d'Azur.

 

Par arrêt du 14 juin 2017 le Conseil d'État a déclaré en partie illégale la circulaire du 18 avril 2011.

 

L'instance a été réenrôlée.

 

Par jugement en date du 18 décembre 2018 (RG n° 13/ 1459) le tribunal de grande instance de Marseille a :

 

' annulé l'avis de mise en recouvrement n° 898/12/1458 du 15 novembre 2012 émis par la direction générale des douanes et droits indirects à l'encontre de la banque populaire Côte d'Azur devenue Banque populaire Méditerranée ;

 

' condamné l'administration des douanes à restituer à la Banque populaire Méditerranée la somme de 5'617'248 € avec intérêts au taux légal à compter du 26 novembre 2013 ;

 

' dit n'y avoir lieu à condamnation aux dépens en application de l'article 367 du code des douanes ;

 

' et condamné l'administration des douanes et droits indirects à payer à la société Populaire Méditerranée la somme de 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

 

*

 

Le 29 mars 2019, le directeur régional des douanes et droits indirects des Alpes-Maritimes et le directeur régional garde-côte de Méditerranée ont relevé appel de cette décision.

 

***

 

Le 18 janvier 2022 la Banque populaire Méditerranée (BPM), venue aux droits de la Banque populaire Côte d'Azur, a réitéré devant la cour ses demandes de transmission de 4 questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), au visa de l'article 23-2 de la loi organique n° 2009-15 23 du 10 décembre 2009, relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution.

 

***

 

La QPC n° 2 enregistrée sous le n° 22/1608 est la suivante .

 

La banque demande à la cour au dispositif de ses écritures de « prendre acte de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du code des douanes en son article 238, dans sa rédaction applicable à la date des faits, pour violation des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (DDHC) de 1789 en ce que l'article 238 porte atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques en ne réservant pas au crédit-bailleur d'un navire de plaisance dont le crédit-preneur n'est pas soumis au droit de passeport un traitement distinct de celui réservé aux propriétaires de tels navires.

 

*

 

Les textes invoqués outre le visa de l'article 34 de la Constitution :

 

L'article 6 de la DDHC qui dispose que « La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics. Selon leurs capacités et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »

 

' L'article 13 dispose « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »

 

*

 

La banque populaire Méditerranée (la banque) fait valoir les moyens suivants.

 

Les dispositions de l'article 238 du code des douanes constituent le fondement légal des procès-verbaux ayant conduit à l'émission de l'avis de mise en recouvrement litigieux ; le caractère constitutionnel ou non de cette disposition emporte une conséquence directe sur l'issue du litige.

 

Si le droit de passeport tel qu'il est prévu porte atteinte aux droits et libertés fondamentaux, l'imposition à laquelle a été soumise la banque populaire Méditerranée est dépourvue de fondement légal.

 

Le tribunal de grande instance de Marseille a reconnu que la disposition contestée est bien applicable au litige.

 

La question posée n'a pas été tranchée par le Conseil Constitutionnel. L'article 238 du code des douanes est bien d'origine législative pour être issu des lois du 31 décembre 1995 et du 30 décembre 2005. Il n'a pas fait l'objet d'un examen par le Conseil constitutionnel.

 

En ce qui concerne le caractère sérieux de la question, l'article 238 du code des douanes dans sa rédaction applicable au litige porte atteinte au principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques qui résulte de l'article 6 et de l'article 13 de la DDHC, principe qui impose au législateur d'assurer un traitement différent à des contribuables placés dans des situations distinctes au regard de l'objet de la loi.

 

Cette atteinte procède d'une méconnaissance par le législateur de la différence de situation entre le crédit-bailleur des navires de plaisance utilisés par des crédits-preneurs établis hors de France et les autres propriétaires de navires de plaisance.

 

Le Conseil Constitutionnel retient non seulement l'interdiction faite au législateur de traiter différemment des contribuables placés dans des situations identiques, mais aussi que le principe d'égalité devant les charges publiques s'oppose à ce que le législateur traite de manière identique des contribuables qui sont placés dans des situations différentes.

 

C'est ainsi à titre d'exemple qu'a été jugée contraire à la Constitution une contribution assise sur les revenus professionnels de tous les médecins conventionnés généralistes ou spécialistes, quel que soit leur comportement individuel en matière d'honoraires et de prescription pendant l'année au cours de laquelle le dépassement a été constaté, « le législateur n'ayant pas fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la loi ».

 

Le législateur doit donc s'assurer, avant de soumettre des contribuables distincts à une imposition identique, que ceux-ci ne sont pas placés dans des situations si différentes que les assimiler conduise à une rupture d'égalité entre eux.

 

Le Conseil Constitutionnel a ultérieurement précisé l'objet de son contrôle en indiquant qu'il appartient au législateur de déterminer les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, celui-ci doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

 

Pour le Conseil Constitutionnel, le principe d'égalité ne s'oppose, ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans la l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qu'il établit.

 

Or le crédit-bailleur d'un bien est placé à l'égard de ce bien dans une situation distincte d'un propriétaire qui en conserverait la jouissance : il n'en jouit pas et il n'est pas libre de disposer de son bien car le crédit-preneur dispose d'une option d'achat.

 

Le droit fiscal tire les conséquences de cette situation spécifique du crédit-bailleur, notamment en matière de taxe foncière et de taxes sur les véhicules de société, puisque c'est l'utilisation du bien qui détermine la charge de l'impôt et il n'est pas redevable de l'impôt lorsqu'il n'utilise pas son bien.

 

De la même manière, en matière de taxe sur les véhicules de société, c'est le crédit- preneur qui est redevable de la taxe.

 

L'objectif du droit de passeport a été rappelé par la circulaire de l'administration des douanes du 18 avril 2011 : il est de taxer les utilisateurs résidant en France et d'empêcher que les propriétaires utilisateurs qui résident en France soient tentés de profiter d'un effet d'aubaine en faisant le choix d'un pavillon autre que français pour éluder le paiement du droit annuel de navigation et de francisation.

 

Toutefois, en ne précisant pas que le droit de passeport ne serait à la charge du propriétaire que dans les hypothèses où l'utilisateur d'un navire aurait sa résidence ou un établissement en France, et qu'il serait dès lors soumis au droit de passeport, le législateur a ouvert la possibilité pour l'administration des douanes de soumettre les sociétés de crédit-bail, propriétaires de navires, au droit de passeport alors même que leur client, l'utilisateur du navire, ne serait pas établi en France et qu'il échapperait dès lors au champ d'application du droit de passeport.

 

Une telle interprétation est contraire à l'objectif de la loi qui est de taxer l'utilisateur final du navire, c'est-à-dire celui qui fait le choix du pavillon et pour lequel il faut éviter l'effet d'aubaine dont il pourrait être tenté de profiter en faisant le choix d'un pavillon étranger.

 

Il convient pour les navires de plaisance ou de sport, de raisonner comme pour les véhicules de société et plus généralement pour les biens mis en crédit-bail comme il est dit supra : le crédit- preneur est redevable de l'imposition dont l'objet procède de l'utilisation des biens mis en crédit bail.

 

Alors que lorsque le crédit-preneur utilise le navire et qu'il n'a ni sa résidence principale ni son siège social en France, il n'entre pas dans le champ d'application du droit de passeport. En mettant néanmoins dans de telles hypothèses un droit de passeport à la charge du crédit-bailleur le législateur méconnaît les objectifs de la loi et il rompt ainsi avec le principe d'égalité devant les charges publiques.

 

Le législateur lui-même a pris acte de l'atteinte à l'égalité devant les charges publiques procédant du défaut de prise en considération de la spécificité de la situation du crédit bailleur en amendant le texte de l'article 238 du code des douanes, d'abord par l'article 81 de la loi du 30 décembre 2009, puis par l'article 44 de la loi du 29 décembre 2010, les deux textes disposant désormais que : « Sont exonérées de droits de passeport les sociétés propriétaires d'un navire de plaisance ou de sport (') faisant l'objet d'un contrat de location avec option d'achat ou de crédit-bail conclu avec une personne physique n'ayant pas sa résidence principale en France ou avec une personne morale ne disposant pas d'établissement en France, à l'exclusion de celles qui seraient contrôlées directement ou indirectement par une personne physique ayant sa résidence principale en France. ».

 

Ces nouvelles dispositions ont toutes deux eu pour objet d'exonérer le propriétaire crédit bailleur du droit de passeport prévu par l'article 238 du code des douanes lorsque le crédit-preneur, personne physique n'ayant pas sa résidence principale en France ou personne morale ne disposant pas d'établissement en France, n'entre pas dans le champ d'application du droit de passeport.

 

A contrario l'article 238 ancien du code des douanes n'introduisant pas de distinction expresse entre le propriétaire d'un navire de plaisance ou de sport disposant de celui-ci, et le crédit bailleur d'un navire utilisé par un crédit preneur non soumis au droit de passeport, portait donc atteinte au principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques.

 

Dès lors il y a lieu de retenir que la question relative à la constitutionnalité de l'article 238 du code des douanes, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2005, est sérieuse.

 

*

 

L'administration des douanes a répondu par conclusions, dont les autres parties ont déclaré avoir eu connaissance en temps utile, et reprises oralement à l'audience des plaidoieries, que l'article 238 du code des douanes, dans sa rédaction applicable au litige garantissait au contraire un traitement égalitaire aux contribuables concernés par le paiement du droit de passeport, en prévoyant un ensemble de critères simples et objectifs pour déterminer les redevables de ce droit.

 

Ainsi de manière naturelle, seuls les résidents fiscaux français étaient redevables du droit de passeport.

 

Une fois le critère de résidence caractérisé, l'article 238 du code des douanes prévoyait que le premier redevable du droit de passeport était le propriétaire du navire et à titre subsidiaire, son utilisateur, la doctrine administrative précisant que le critère de l'utilisation du navire devait être employé lorsque le propriétaire ne remplissait pas les conditions pour être lui-même redevable.

 

En affirmant que la loi aurait dû distinguer la situation du crédit-bailleur dont le crédit-preneur n'était pas soumis au droit de passeport par rapport à celle des autres propriétaires de tels navires, la banque revendique en réalité un régime fiscal de faveur au profit des crédits bailleurs.

 

Ce régime fiscal de faveur, bien qu'accordé par la suite, ne se justifie pas en raison d'une prétendue atteinte au principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques.

 

Le Conseil Constitutionnel a rappelé à maintes reprises que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un ou l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit.

 

Or il est constant que dans le cas en litige, le fait de prévoir comme critère essentiel celui de la résidence fiscale française et de la propriété du navire comme fait générateur principal de l'obligation d'acquitter le droit de passeport ne porte aucunement atteinte au principe d'égalité, dès lors que ces critères sont simples, objectifs et parfaitement égalitaires.

 

La banque revendique la mise en place d'un régime dérogatoire général bénéficiant au crédit- bailleur et qui, à chaque fois que l'objet du contrat de crédit-bail ferait l'objet de certaines taxes, donnerait lieu à un transfert de ces taxes sur l'utilisateur.

 

Si un tel régime est concevable pour des raisons d'opportunité dans le but de favoriser le développement économique de l'activité de crédit bailleur, elle ne saurait cependant reposer sur une obligation pour le législateur de créer un régime général de faveur au bénéfice de cette activité économique particulière.

 

Ainsi en décidant que le critère essentiel du paiement du droit de passeport était pour tout résident fiscal français personne physique ou morale, la propriété du navire et, à défaut, son utilisation, le législateur a établi un critère parfaitement objectif et respectueux du principe d'égalité.

 

Il est ainsi dans l'intérêt de l'État, de mettre en place un droit de passeport ayant une base aussi large que possible dès lors que les critères de perception de ce droits sont objectifs.

 

Tel était le cas dans cet article 238 du code des douanes prévoyant que la propriété d'un navire ou son utilisation par un résident était le fait générateur essentiel de l'obligation d'acquitter le droit de passeport.

 

La question posée ne relève pas du Conseil Constitutionnel mais de la simple application du texte par les juridictions saisies.

 

S'agissant de la modification de l'article 238 du code des douanes par la loi de finances du 30 décembre 2009 et 29 décembre 2010, il ne s'agit pas de la prise en compte d'une prétendue atteinte à l'égalité devant les charges publiques qui procéderait du défaut de considération de la spécificité de la situation du crédit bailleur, contrairement à ce qui soutenu. Cette modification répond à des motifs d'opportunité économique, dans le but d'encourager le développement de l'activité de crédit-bail dans le domaine nautique.

 

C'est ainsi que dans un premier temps, de manière à limiter la charge pour les finances publiques du traitement de fiscal de faveur liée à l'exonération du droit de passeport au bénéfice du crédit- bailleur, il a été décidé de limiter cette exonération aux navires d'une valeur inférieure à 500'000 €, en maintenant donc l'obligation pour les crédits-bailleurs de navires d'une valeur inférieure à ce plafond ayant conclu un contrat de crédit-bail avec un utilisateur non résident d'acquitter le droit de passeport.

 

La première modification législative effectuée par l'article 81 de la loi du 31 décembre 2009 de l'article 238 du code des douanes prévoit ainsi en réalité, après rétablissement de la partie du texte qui est occultée par la banque :

 

« Sont exonérées de droits de passeport les sociétés propriétaires d'un navire de plaisance ou de sports d'une valeur inférieure à 500'000 € hors taxes faisant l'objet d'un contrat de location avec option d'achat ou de crédit-bail conclu avec une personne physique n'ayant pas sa résidence principale en France ou avec une personne morale ne disposant pas d'établissement en France, à l'exclusion de celles qui seraient contrôlées directement ou indirectement par une personne physique ayant sa résidence principale en France. ».

 

Par la suite le plafond a été purement et simplement supprimé.

 

L'étude des travaux parlementaires ayant conduit à cette suppression démontre que la cause en est la volonté du législateur d'instaurer un traitement fiscal de faveur et confirme l'objectif de stimulation économique de ce secteur d'activité : « Le présent article exonère de droit de passeport, à compter de 2011, les sociétés propriétaires d'un navire de plaisance ou de sports faisant l'objet à l'exportation d'un financement de type location avec option d'achat (LOA) ou crédit-bail, quelle que soit la valeur de ce navire, afin de préserver la compétitivité des sociétés de leasing français exerçant leur activité à l'exportation et jouant un rôle d'entraînement important pour l'industrie française du yachting. » (Les sociétés françaises de financement des navires de plaisance ou de sport intervenant dans des opérations de financement portant sur des navires de valeurs très souvent supérieures à 500'000 € hors taxes).

 

La question prioritaire de constitutionnalité posée par la la banque populaire Méditerranée constitue en réalité un moyen détourné de tenter de bénéficier rétroactivement d'un régime de faveur qui n'a été institué que postérieurement à l'avis de mise en recouvrement contesté en tentant d'exciper d'un régime de faveur général, au bénéfice des crédits bailleurs, sous couvert du principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques.

 

*

 

Le ministère public, par conclusions du 24 mai 2022, dont les autres parties ont déclaré avoir eu connaissance en temps utile, et reprises oralement à l'audience des plaidoieries, soutient que par décision du 28 mai 2010, le Conseil Constitutionnel a rappelé que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un ou l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit.

 

En conséquence, contrairement à ce qui est soutenu, le législateur en prévoyant que le paiement du droit de passeport incombe soit au propriétaire, soit à l'utilisateur du navire, a pris le soin d'envisager les différents cas où l'utilisateur du navire ne serait pas le propriétaire et de ce fait, le législateur a inclus, sans avoir besoin de le mentionner, la relation crédit bailleur/crédit preneur.

 

Ainsi, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2005, l'article 238 du code des douanes ne contrevient pas au principe d'égalité devant les charges publiques.

 

En conséquence le moyen est dépourvu de sérieux et la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité doit être rejetée.

 

SUR CE, LA COUR

 

Sur la recevabilité du moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution

 

En application de l'article 23-1 de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, devant les juridictions relevant du Conseil d'État ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé .

 

Dans la présente procédure le moyen tiré de l'existence d'une atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté par la la banque populaire Méditerranée dans un écrit motivé, distinct des conclusions au fond .

 

Il est donc recevable en la forme.

 

Sur la transmission de la QPC n°2

 

L'article 23-2 de la loi organique précitée dispose que la juridiction transmet sans délai la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :

 

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

 

2° Elle n'a pas été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil Constitutionnel, sauf changement de circonstances ;

 

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

 

Il n'est pas contesté par les défendeurs au moyen que la disposition dont la constitutionnalité est contestée, à savoir l'article 238 du code des douanes, est applicable au litige opposant les parties.

 

Aucune décision du Conseil Constitutionnel n'a déclaré conforme à la Constitution l'article 238 du code des douanes. Les deux premières conditions posées à l'article 23-2 de la loi du 10 décembre 2009 sont donc réunies.

 

L'article 238 du code des douanes, dans sa rédaction applicable au litige, a pour objectif de soumettre toute personne physique ou morale qui réside en France à un droit de passeport égal au droit de francisation, dès lors qu'il est le propriétaire ou l'utilisateur d'un navire de plaisance ou de sport non francisé.

 

En décidant que le critère essentiel du paiement du droit de passeport était pour tout résident fiscal français personne physique ou morale, la propriété du navire ou à défaut son utilisation, le législateur a ainsi établi un critère objectif qui respecte le principe d'égalité.

 

Contrairement à ce qui est soutenu, l'article 238 du code des douanes ne fait pas de différence de traitement entre le crédit-bailleur d'un navire et les autres propriétaires de navires qui peuvent jouir personnellement de leur bien, le crédit-bailleur bénéficiant pour sa part du fruit des loyers; il ne contrevient pas au principe d'égalité devant les charges publiques.

 

Le principe d'égalité entre redevables propriétaires de navires battant pavillon étranger est respecté en faisant application de critères objectifs de perception du droit de passeport consistant dans la résidence en France par opposition à la situation des propriétaires ayant leur résidence à l'étranger.

 

En réalité, c'est la banque, en exigeant que le crédit-bailleur de navires de plaisance ou de sport non francisés utilisés par un crédit-preneur situé hors du champ d'application du droit de passeport, bénéficie d'un traitement fiscal distinct et qu'il ne soit pas soumis à un droit de passeport se substituant au droit de francisation, qui revendique abusivement un traitement de faveur discriminatoire qui créerait une rupture d'égalité entre redevables.

 

Les douanes font valoir exactement que la modification de l'article 238 du code des douanes par la loi de finances du 30 décembre 2009, puis par celle du 29 décembre 2010, ne correspondent pas à la prise en compte d'une prétendue atteinte à l'égalité devant les charges publiques, mais qu'elles procèdent seulement de motifs de stratégie économique, dans le but de procurer un avantage fiscal aux crédits-bailleurs, afin d'encourager l'activité de crédit-bail dans le domaine nautique.

 

Faute d'atteinte aux droits constitutionnels résultant des articles 34 de la Constitution et 6 et 13 de la DDHC de 1789, il y a lieu de dire que la question prioritaire de constitutionnalité n°2 posée par la banque populaire Méditerranée, dépourvue de caractère sérieux, ne sera pas transmise à la Cour de cassation.

 

PAR CES MOTIFS

 

La cour, statuant par arrêt contradictoire et dans les conditions de l'article 23-2 alinéa 3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel,

 

Rejette la demande de transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité n°2 soulevée par la banque populaire Méditerranée, enregistrée sous le numéro RG 22/1608.

 

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT