Cour d'Appel d'Aix-en-Provence

Arrêt du 20 septembre 2022 n° 22/01605

20/09/2022

Non renvoi

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

 

Chambre 1-1

 

ARRÊT SUR TRANSMISSION D'UNE QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

 

DU 20 SEPTEMBRE 2022

 

N° 2022/

 

Rôle N° RG 22/01605 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BIZQZ

 

BANQUE POPULAIRE MEDITERRANEE VENANT AUX DROITS DE LA BANQUE POULAIRE COTE D'AZUR

 

C/

 

ADMINISTRATION DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS

 

MONSIEUR LE DIRECTEUR REGIONAL GARDE-COTES DE MEDITERRANEE

 

MONSIEUR LE RECEVEUR REGIONAL DES DOUANES

 

Copie exécutoire délivrée

 

le :

 

à :

 

Me Sandra JUSTON

 

Me Jean DI FRANCESCO

 

Décision déférée à la Cour :

 

Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 18 Décembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 13/14259.

 

DEMANDERESSE A LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

 

BANQUE POPULAIRE MÉDITERRANÉE VENANT AUX DROITS DE LA BANQUE POPULAIRE COTE D'AZUR, demeurant [Adresse 1]

 

représentée par Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat postulant du barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et Plaidant par Me Mathieu CROIX de la SCP STREAM, avocat au barreau du HAVRE, substitué par Me Freddy DESPLANQUES, avocat plaidant du barreau du HAVRE.

 

DÉFENDERESSES A LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

 

ADMINISTRATION DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS, prise en la personne de Monsieur le Directeur régional des garde-côtes de Marseille, demeurant en cette qualité à la [Adresse 2]

 

représenté par Me Jean DI FRANCESCO, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Anne-Claire MOYEN, avocat au barreau de PARIS

 

MONSIEUR LE DIRECTEUR REGIONAL DES GARDE-COTES DE MEDITERRANEE, domicilié es-qualité à la [Adresse 2]

 

représenté par Me Jean DI FRANCESCO, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Anne-Claire MOYEN, avocat au barreau de PARIS

 

MONSIEUR LE RECEVEUR REGIONAL DES DOUANES, demeurant en cette qualité à [Adresse 2]

 

Plaidant par Me Jean DI FRANCESCO, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Anne-Claire MOYEN, avocat au barreau de PARIS

 

*-*-*-*-*

 

COMPOSITION DE LA COUR

 

L'affaire a été débattue le 21 Juin 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Danielle DEMONT, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

 

La Cour était composée de :

 

Monsieur Olivier BRUE, Président

 

Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller

 

Mme Danielle DEMONT, Conseiller

 

qui en ont délibéré.

 

Greffier lors des débats : Mme Colette SONNERY.

 

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 20 Septembre 2022.

 

MINISTERE PUBLIC :

 

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

 

ARRÊT

 

contradictoire,

 

Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Septembre 2022,

 

Signé par Monsieur Olivier BRUE, Président et Mme Colette SONNERY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

***

 

QPC n°1 enregistrée sous le n°22/1605

 

RG de la cour pour le fond : 19/5340

 

(RG tribunal n° 13/14259)

 

Exposé du litige

 

La banque populaire Côte d'Azur (la banque) a créé en 1990 une activité de financement de navires de plaisance confiée à un département nommé « Marine azur ». Elle propose à ses clients des solutions de financement (crédits-bails français et italiens).

 

La législation douanière prévoit que les personnes qui résident en France et qui utilisent un navire de plaisance battant pavillon étranger doivent être titulaires d'un droit de passeport, lequel correspond à une taxe à la charge du propriétaire ou de l'utilisateur français d'un navire de plaisance ou de sport battant pavillon étranger.

 

La direction régionale des douanes et des droits indirects des Alpes-Maritimes a notifié à la banque des procès-verbaux d'infractions aux dispositions des articles 237 et suivants du code des douanes, l'informant que les faits concernaient 148 navires, pour un montant total de droits de passeport éludés s'élevant à 5'617'248 €, au titre des années 2008, 2009 et 2010.

 

La banque a reçu la notification, le 3 novembre 2012, d'un avis de mise en recouvrement pour avoir paiement de cette somme au titre du droit de passeport pour ces années.

 

L'avis de mise en recouvrement a été contesté par la banque selon une lettre du 7 novembre 2012.

 

Le 15 novembre 2012, le receveur régional des douanes a émis un nouvel avis de mise en recouvrement portant sur le même montant.

 

La banque a adressé à l'administration des douanes un chèque du montant sollicité et élevé par ailleurs une contestation de l'avis de mise en recouvrement par lettre du 29 mars 2013.

 

Par exploit du 26 novembre 2013, la banque a fait assigner l'administration des douanes, la directrice régionale des douanes des Alpes-Maritimes et le receveur régional des douanes aux fins d'obtenir l'annulation de l'avis de mise en recouvrement n° 898/12/1458 du 15 novembre 2012 et le dégrèvement de son montant.

 

Par mémoire distinct du 27 mars 2014, la banque a présenté quatre questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) dans le cadre de cette procédure qui ont donné lieu à quatre ordonnances de refus de transmission rendues par le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Marseille.

 

Par jugement en date du 30 août 2016, le tribunal de grande instance de Marseille a sursis à statuer sur la demande dans l'attente d'une décision du conseil d'État sur la légalité de la circulaire du 18 avril 2011.

 

La SA banque populaire Méditerranée est venue aux droits de la SA banque populaire Côte d'Azur.

 

Par arrêt du 14 juin 2017 le Conseil d'État a déclaré en partie illégale la circulaire du 18 avril 2011.

 

L'instance a été réenrôlée.

 

Par jugement en date du 18 décembre 2018 (RG n° 13/ 1459) le tribunal de grande instance de Marseille a :

 

' annulé l'avis de mise en recouvrement n° 898/12/1458 du 15 novembre 2012 émis par la direction générale des douanes et droits indirects à l'encontre de la banque populaire Côte d'Azur devenue Banque populaire Méditerranée ;

 

' condamné l'administration des douanes à restituer à la Banque populaire Méditerranée la somme de 5'617'248 € avec intérêts au taux légal à compter du 26 novembre 2013 ;

 

' dit n'y avoir lieu à condamnation aux dépens en application de l'article 367 du code des douanes ;

 

' et condamné l'administration des douanes et droits indirects à payer à la société Populaire Méditerranée la somme de 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

 

*

 

Le 29 mars 2019, le directeur régional des douanes et droits indirects des Alpes-Maritimes et le directeur régional garde-côte de Méditerranée ont relevé appel de cette décision.

 

***

 

Le 18 janvier 2022 la Banque populaire Méditerranée (BPM), venue aux droits de la Banque populaire Côte d'Azur, a réitéré devant la cour ses demandes de transmission de 4 questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), au visa de 23-2 de la loi organique n° 2009-15 23 du 10 décembre 2009, relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution.

 

***

 

La QPC n°1 enregistrée sous le n° 22/1605 est la suivante .

 

La banque demande à la cour au dispositif de ses conclusions de « prendre acte de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du code des douanes en son article 238, dans sa version applicable au litige et notamment dans sa version issue de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005, comme dans ses rédactions ultérieures, pour violation des articles 34 de la constitution et 4, 5, 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en tant que ce texte porte atteinte au principe de clarté et de précision de la loi en mettant le droit de passeport à la charge du propriétaire ou de l'utilisateur du navire. »

 

*

 

L'article 238 du code des douanes, dans sa version en vigueur du 1er janvier 2006 au 1er janvier 2009, modifié par la loi 2005-1720 entrée en vigueur le 1er janvier 2006 dispose :

 

« Le passeport délivré aux navires de plaisance ou de sport appartenant à des personnes physiques ou morales, quelle que soit leur nationalité, ayant leur résidence principale ou leur siège social en France, ou dont ces mêmes personnes ont la jouissance, est soumis à un visa annuel donnant lieu à la perception d'un droit de passeport.

 

Ce droit est à la charge du propriétaire ou de l'utilisateur du navire. Il est calculé dans les mêmes conditions, selon la même assiette, le même taux et les mêmes modalités d'application que le droit de francisation et de navigation prévu à l'article 233 ci-dessus sur les navires français de la même catégorie. (') »

 

*

 

La Banque populaire Méditerranée, dans sa question déposée le 18 janvier 2022 et dans ses dernières conclusions en date du 16 juin 2022, reprises oralement à l'audience des plaidoieries, fait valoir les moyens suivants :

 

Le texte de l'article 238 supra constitue le fondement légal des procès-verbaux ayant conduit à l'émission de l'avis de mise en recouvrement litigieux.

 

Le caractère constitutionnel ou non de cette disposition emporte une conséquence directe sur l'issue du litige.

 

Si le droit de passeport tel qu'il est prévu porte atteinte aux droits et libertés fondamentaux, l'imposition à laquelle a été soumise la BPM est dépourvue de fondement légal.

 

Le tribunal de grande instance de Marseille a reconnu que la disposition contestée est bien applicable au litige.

 

La question posée n'a pas été tranchée par le Conseil Constitutionnel. L'article 238 du code des douanes est bien d'origine législative pour être issu des lois du 31 décembre 1995 et du 30 décembre 2005. Il n'a pas fait l'objet d'un examen par le Conseil Constitutionnel.

 

L'exigence constitutionnelle de clarté et de précision résulte des articles 4,5, 6 et 16 de la déclaration des droits de l'homme.

 

L'article 238 du code des douanes viole cette obligation de clarté et de précision de la loi car elle ne permet pas d'identifier avec précision qui est redevable de l'impôt et il empêche les redevables de déterminer avec précision à l'avance, quel est le montant de l'impôt.

 

L'alinéa 2 de l'article 238 du code des douanes met le droit de passeport à la charge « du propriétaire ou de l'utilisateur du navire ». Il est constant que le droit de passeport ne doit être réglé qu'une seule fois par navire. Or le texte prévoit deux redevables, sans préciser lequel est le principal redevable et qui est l'autre redevable à titre subsidiaire.

 

En effet il existe des situations dans lesquelles le propriétaire n'est pas l'utilisateur du navire.

 

Une telle situation se rencontre lorsqu'un établissement de crédit a son siège en France et propose un contrat de crédit-bail à un consommateur lorsque ce dernier réside en France.

 

Il existe dans cette situation deux redevables à rang égal d'un même impôt, sans que la loi ne

 

vienne préciser lequel devra le payer en priorité ou à titre subsidiaire, créant une confusion entre

 

les deux catégories de contribuables que constituent les crédits- bailleurs et les crédits- preneurs de navires de plaisance ou de sport. Chacun pourrait en effet, sur le fondement de cette disposition, développer la croyance légitime que l'autre serait redevable du droit de passeport, ne pas régler ce droit, et être de fait poursuivi par l'administration des douanes.

 

Si le parquet et l'administration des douanes font front commun en invoquant un arrêt de la Cour de cassation du 2 avril 2008 qui précise que le droit de passeport est dû par le propriétaire ou son utilisateur, c'est-à-dire celui qui jouit du navire, c'est parce qu'un arrêt a dû venir interpréter l'article 238 du code des douanes, cette disposition législative étant suffisamment floue pour nécessiter une clarification apportée par le juge, de sorte que cette disposition manque intrinsèquement de clarté et de précision et viole la déclaration des droits de l'homme.

 

Dans la fiscalité portant sur les biens en crédit-bail, par exemple la contribution foncière des entreprises, c'est le crédit preneur qui est redevable de cet impôt car c'est l'utilisation du bien qui détermine la charge de l'impôt. Ou encore selon l'article 1010 du code général des impôts relatif à la taxe sur les véhicules de société, « Lorsqu'elle est exigible en raison des véhicules pris en location, la taxe est à la charge de la société locataire » et elle repose plus classiquement sur l'utilisateur du bien, c'est-à-dire celui qui dispose de sa jouissance.

 

La contrariété des interprétations successives de l'article 238 du code des douanes par l'administration offre une nouvelle illustration de la violation par ce texte du principe de clarté, et partant le sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité est incontestable.

 

Les conditions cumulatives de l'article 23-2 de la loi organique étant satisfaites, la banque s'estime dès lors fondée à solliciter la transmission de cette question à la Cour de cassation.

 

*

 

L'administration des douanes a répondu par conclusions, dont les autres parties ont déclaré avoir eu connaissance en temps utile, et reprises oralement à l'audience des plaidoieries, que la question ne présente pas de caractère sérieux et qu'il n'y a pas lieu de la transmettre à la Cour de cassation.

 

Selon le premier alinéa de l'article 238 du code des douanes :

 

« Le passeport délivré aux navires de plaisance ou de sport appartenant à des personnes physiques ou morales, quelle que soit leur nationalité, ayant leur résidence principale ou leur siège social en France, ou dont ces mêmes personnes ont la jouissance, est soumis à un visa annuel donnant lieu à la perception d'un droit de passeport.

 

Ce droit est à la charge du propriétaire ou de l'utilisateur du navire ».

 

L'alinéa premier éclaire l'alinéa 2 de l'article 238, lequel se comprend au regard de l'article précédent instaurant ce droit de passeport .

 

L'objectif du législateur est d'assurer une équité fiscale entre les propriétaires de navires résidant en France sous pavillon français, et qui sont donc soumis au droit annuel de francisation et de navigation, et ceux ayant choisi de naviguer sous pavillon étranger.

 

C'est la domiciliation en France du propriétaire ou de l'utilisateur qui constitue ainsi le fait générateur du droit de passeport.

 

Les deux cas de figure envisagés par l'alinéa premier de l'article 238 dans lesquels le droit de passeport est dû au regard de la domiciliation de la personne concernée sont les suivants :

 

' un navire de plaisance ou de sport sous pavillon étranger appartient à une personne physique ou morale ayant sa résidence principale ou son siège social en France ;

 

' la personne propriétaire du navire n'est pas domiciliée en France et ne remplit donc pas la condition de domiciliation, mais la personne physique ou morale utilisant le navire -c'est-à-dire disposant d'un droit de jouissance sur le navire- a sa résidence principale ou son siège social en France.

 

Ainsi, si le navire sous pavillon étranger appartient à une personne domiciliée en France, celle-ci sera redevable du droit de passeport ou si le propriétaire de ce navire ne remplit pas la condition de domiciliation posée par l'alinéa premier, c'est l'utilisateur du navire qui sera soumis à cette taxe s'il est domicilié en France.

 

Il n'y a donc aucune ambiguïté dans le texte, dès lors que le fait générateur du droit de passeport -la domiciliation- résulte clairement de la lecture de l'alinéa premier de l'article 238 du code général des impôts.

 

Au cas d'espèce, la banque met à disposition ses bateaux dans le cadre d'un crédit-bail ; elle est domiciliée en France, de sorte que le droit de passeport est incontestablement dû par cette dernière.

 

Si propriétaire et utilisateur se trouvent tous les deux domiciliés en France, la rédaction de l'alinéa susdit place le propriétaire comme étant celui qui assume par principe le règlement du droit de passeport ; c'est seulement si le propriétaire ne remplit pas la condition de domiciliation que le législateur s'intéresse à la situation de l'utilisateur.

 

Les dispositions de l'article 238 étant claires, c'est donc à tort que la banque prétend qu'il y a violation de l'exigence constitutionnelle de clarté et de précision de la loi ;

 

c'est ainsi que la Cour de cassation a jugé dans un arrêt de la chambre criminelle en date du 11 décembre 2013 (Crim. n° 13-82 505) que les dispositions de l'article 238 du code des douanes ne portaient pas atteinte au principe de légalité des délits et des peines, en ayant retenu que « les dispositions critiquées sont rédigées en termes suffisamment clairs et précis pour permettre leur interprétation et leur sanction, qui entrent dans l'office du juge pénal sans risque d'arbitraire».

 

*

 

Le ministère public, par conclusions du 24 mai 2022, dont les autres parties ont déclaré avoir eu connaissance en temps utile et reprises oralement à l'audience des plaidoieries, a conclu à la non transmission de la QPC soulevée par la SA Banque populaire Méditerranée.

 

Il expose que le Conseil Constitutionnel a reconnu le principe de clarté de la loi découlant de l'article 34 de la Constitution ; que par ailleurs, par décision du 16 décembre 1999, il a consacré l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi au rang d'objectif de valeur constitutionnelle en indiquant que cet objectif découlait des articles 4, 5,6 et 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; qu'il s'agit donc selon cette jurisprudence de deux notions distinctes, dont le fondement et la nature sont différents ; que le Conseil Constitutionnel fait valoir depuis sa décision en date du 22 juillet 2010 (Q PC n° 2010-4/17) que l'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi qui découle des articles 4, 5,6 et 16 de la DDHC ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une QPC sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution ; qu'ainsi le Conseil Constitutionnel ne fait pas application des objectifs à valeur constitutionnelle pour censurer les dispositions législatives soumises à son contrôle, mais plutôt pour fonder la compétence du législateur et contrôler la conciliation entre de tels objectifs et certains principes constitutionnels ; que les objectifs à valeur constitutionnelle ne constituent pas, en eux-mêmes, des droits dont peuvent se prévaloir les justiciables ; que la Cour de cassation a jugé qu'est irrecevable le grief fondé sur la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

 

A titre subsidiaire, le ministère public soutient que l'article 238 alinéa 2 du code des douanes ne présente pas de difficulté d'interprétation et que la chambre criminelle de Cour de cassation, par un arrêt du 11 décembre 2013, a eu l'occasion de juger que ses dispositions étaient rédigées en termes suffisamment clairs et précis pour permettre leur application et leur sanction, de sorte que la question n'est pas sérieuse et que la demande de transmission de cette QPC doit être rejetée.

 

SUR CE, LA COUR

 

Sur la recevabilité du moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution

 

En application de l'article 23-1 de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, devant les juridictions relevant du Conseil d'État ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présentée dans un écrit distinct et motivé .

 

Dans la présente procédure, le moyen tiré de l'existence d'une atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté par la banque dans un écrit motivé, distinct des conclusions au fond.

 

Il est donc recevable en la forme.

 

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité n°1 à la Cour de cassation

 

L'article 23-2 de la loi organique précitée dispose que la juridiction transmet sans délai la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :

 

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

 

2° Elle n'a pas été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil Constitutionnel, sauf changement de circonstances ;

 

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

 

Il n'est pas contesté par les défendeurs au moyen que la disposition dont la constitutionnalité est contestée, à savoir l'article 238 du code des douanes, est applicable au litige opposant les parties. Aucune décision du Conseil Constitutionnel n'a déclaré conforme à la Constitution l'article 238 du code des douanes.

 

Les deux premières conditions posées à l'article 23-2 de la loi du 10 décembre 2009 sont donc réunies.

 

La banque fait valoir exactement que le principe de clarté de la loi édicté à l'article 34 de la Constitution demeure invocable au soutien d'une question prioritaire de constitutionnalité.

 

La décision de la chambre criminelle de 2013 portant sur la clarté de la règle de l'article 238 du Code des douanes au regard d'une infraction notifiée au prévenu et ne portant pas sur un contrat civil de crédit-bail, mais sur un autre point, n'a pas épuisé le débat.

 

L'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi s'il n'est pas 'un droit' ou une 'liberté' au sens de l'article 61-1 de la Constitution vient compléter le principe de clarté de la loi.

 

Le Conseil Constitutionnel énonce en effet qu'« Il appartient au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie l'article 34 de la Constitution ; il doit dans l'exercice de cette compétence respecter les principes et les règles de valeur constitutionnelle et veiller à ce que le respect en soit assuré par les autorités administratives et juridictionnelles chargées d'appliquer la loi.

 

A cet égard le principe de clarté de la loi qui découle de l'article 34 de la Constitution et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi qui découle des articles 4,5, 6 et 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lui imposent, afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques. » (Décision n° 2001-455 du 12 janvier 2002) ;

 

En l'espèce la disposition de l'alinéa 2 de l'article 238 du code des douanes met le droit de passeport à la charge « du propriétaire ou de l'utilisateur du navire », le droit de passeport ne pouvant être réglé qu'une seule fois par navire.

 

Le texte assujettit de manière claire tout propriétaire ou utilisateur sous pavillon étranger au droit de passeport, si ce propriétaire ou cet utilisateur a sa résidence principale ou son siège social en France ; la circonstance que dans le cadre d'un contrat de crédit-bail le propriétaire et l'utilisateur ne soient pas la même personne n'est pas de nature à rendre ambigüe cette règle relative aux navires étrangers.

 

Dans les hypothèses où le propriétaire du navire n'est pas son utilisateur, l'administration des douanes a une option entre le propriétaire ou l'utilisateur.

 

Lorsqu'un établissement de crédit a son siège en France et qu'il propose un contrat de crédit-bail à un consommateur qui lui aussi réside en France, il existe dans cette situation deux redevables possibles à rang égal d'un même impôt, et chacun d'eux peut être poursuivi par l'administration des douanes sur le fondement de cette disposition, sans cumul possible.

 

Si le texte prévoit alors que deux redevables peuvent être poursuivis, il envisage d'abord le droit de propriété, et à défaut, le droit de jouissance ; il énonce en premier lieu le propriétaire, puis l'utilisateur du navire, de sorte que l'administration des douanes disposant du choix entre propriétaire et preneur s'adresse par principe au propriétaire, et à défaut au preneur.

 

Il n'y a pas de confusion ou de conflit possible, contrairement à ce qui est soutenu.

 

Les dispositions de l'article 238 du code des douanes sont précises et claires et elles permettent au contribuable de déterminer dans quelles circonstances la taxe est prévue par cet article ainsi que son montant, puisqu'elle est calculée « dans les mêmes conditions, selon la même assiette, le même taux et les mêmes modalités d'application que le droit de francisation et de navigation prévu à l'article 233 ci-dessus sur les navires français de la même catégorie ».

 

La question de la constitutionnalité du texte au regard des dispositions des articles 34 de la Constitution et 4, 5,6 et 13 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 est, en conséquence, dépourvue de caractère sérieux.

 

La 3e condition de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel n'étant pas remplie en l'espèce, il n'y a pas lieu à transmettre cette question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation.

 

PAR CES MOTIFS

 

La cour, statuant par arrêt contradictoire et dans les conditions de l'article 23-2 alinéa 3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel,

 

Rejette la demande de transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité n°1 soulevée par la la banque populaire Méditerranée, enregistrée sous le numéro RG 22/1605.

 

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT