Tribunal administratif de Paris

Ordonnance du 19 septembre 2022 n° 2219033

19/09/2022

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 13 septembre 2022, Mme C A représentée par

Me Djemaoun demande au juge des référés :

1°) d'enjoindre au préfet de police de lui fixer un rendez-vous afin de lui restituer son certificat de résidence algérien ou à défaut de lui remettre un récépissé lui permettant de travailler, le temps que son certificat de résidence algérien lui soit restitué, sans délai, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'urgence de sa situation est avérée dès lors que le juge des référés du tribunal administratif a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de lui permettre de pénétrer sur le territoire français et de lui délivrer un document lui permettant de travailler ; elle ne parvient pas à obtenir de rendez-vous et elle va basculer en situation irrégulière le 16 septembre 2022 ;

- cette situation porte une atteinte grave et manifestement illégale à son droit de mener une vie privée et familiale et à sa liberté d'aller et venir.

Par un mémoire distinct, enregistré le 13 septembre 2022, Mme A demande qu'une question prioritaire de constitutionnalité soit posée s'agissant de l'article L. 342-19 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Elle soutient que :

- la disposition lui est applicable, elle n'a jamais été déclarée conforme à la Constitution et que la question posée est sérieuse ;

- cette disposition méconnaît le droit pour l'étranger à voir sa situation examinée au regard des dispositions relatives au séjour des étrangers en France, en méconnaissance d'un principe de valeur constitutionnelle ;

- elle méconnaît également l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 34 de la Constitution.

Par un mémoire enregistré le 15 septembre 2022 le préfet de police, représenté par Actis Avocats conclut au rejet de la requête.

Il soutient que la condition tenant à l'urgence n'est pas remplie.

Par un mémoire en réplique, enregistré le 16 septembre 2022, Mme A conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que sa requête.

Vu :

- l'ordonnance n° n° 22218728-221730/9 du 7 septembre 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Paris ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'ordonnance organique n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. B comme juge des référés.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B ;

- les observations de Mme A représentée par Me Djemaoun qui soutient que :

- la question prioritaire de constitutionnalité posée est sérieuse dès lors qu'il résulte du texte même de l'article L. 349-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'étranger placé sous visa de régularisation perd tout droit au séjour du fait de l'expiration du visa de huit jours qui lui est délivré en application de ces dispositions ;

- la délivrance d'un visa de huit jours en application de l'article L. 349-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile la place dans une situation de flou juridique que la non opposabilité de la décision portant retrait de son titre de séjour constatée par le juge des référés dans son ordonnance du 7 septembre 2022 ne dissipe pas ;

- qu'à supposer même qu'elle n'ait été privée que du support matériel constatant son droit au séjour, cette circonstance suffit à caractériser l'urgence de sa situation.

- et les observations de Me Faugeras pour le préfet de police.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A demande au juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative d'enjoindre au préfet de police de lui fixer un rendez-vous afin de lui restituer son certificat de résidence algérien ou à défaut de lui remettre un récépissé lui permettant de travailler, le temps que son certificat de résidence algérien lui soit restitué, sans délai, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle demande également que le Conseil constitutionnel soit saisi de la question de la constitutionnalité des dispositions de l'article L. 342-19 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Il résulte des dispositions combinées des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil Constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

3. L'article L. 342-19 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Si le maintien en zone d'attente n'est pas prolongé au terme du délai fixé par la dernière décision de maintien, l'étranger est autorisé à entrer en France sous couvert d'un visa de régularisation de huit jours. Il devra avoir quitté le territoire français à l'expiration de ce délai, sauf s'il obtient une autorisation provisoire de séjour, un document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou une attestation de demande d'asile.". Mme A a été libérée de la zone d'attente et mise en possession d'un visa de régularisation de huit jours qui expire le 16 septembre 2022 en application de ces dispositions. Elle soutient qu'elle va par conséquent basculer en situation irrégulière alors que le retrait de son certificat de résidence algérien ne lui est pas opposable et que ces dispositions, applicables au litige et qui n'ont jamais été déclarées conforme à la Constitution, méconnaissent le droit pour l'étranger à voir sa situation examinée au regard des dispositions relatives au séjour des étrangers en France, en méconnaissance d'un principe de valeur constitutionnelle et qu'elles méconnaissent également l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 34 de la Constitution, le législateur, en omettant de prévoir un dispositif spécifique permettant l'enregistrement d'une demande de titre de séjour dans le délai de huit jours ainsi qu'une voie de recours particulière en cas de carence de l'administration dans la délivrance d'un document autorisant le séjour de l'intéressé dans ce même délai, ayant méconnu l'étendue de sa propre compétence.

4. Eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, l'article L. 342-19 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile peut être regardé comme applicable au litige au sens des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée. Ces dispositions n'ont, par ailleurs, jamais été déclarées conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Toutefois, à supposer même que le droit d'un étranger de voir sa situation examinée au regard des dispositions relatives au séjour des étrangers en France serait garanti par la Constitution, il résulte des dispositions de l'article R. 431-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'un étranger qui a déposé une demande de titre de séjour antérieurement à l'expiration de la durée de validité de son visa et à qui l'administration a nécessairement délivré un récépissé de demande de titre de séjour, ne peut être regardé comme en situation irrégulière jusqu'à l'intervention de la décision prise sur sa demande de titre de séjour. Ainsi, le délai de huit jours prévu par l'article L. 432-19, qui a vocation à s'appliquer à des étrangers dépourvus de titre de séjour qui ont fait l'objet d'un refus d'entrée en France et ont été maintenus en zone d'attente pendant la durée maximale prévue par la loi et ont pu, à cette occasion, demander leur admission au titre de l'asile, permet aux intéressés de saisir l'administration d'une demande d'examen de leur situation au regard des dispositions relatives au séjour des étrangers en France sans que l'expiration du délai prescrit impose qu'une procédure particulière d'enregistrement et d'instruction de cette demande soit nécessaire à la préservation des droits des intéressés. En cas de carence de l'administration dans la délivrance, dans le délai de huit jours prescrit par ces dispositions, d'un récépissé leur permettant de séjourner régulièrement sur le territoire, les intéressés disposent notamment de la possibilité de saisir le juge administratif des référés sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative de sorte que la circonstance que législateur n'a prévu aucune voie de recours particulière pour connaître de cette situation ne prive pas les intéressés d'un recours juridictionnel effectif.

5. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité posée par Mme A est dépourvue de caractère sérieux et qu'il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

6. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ".

7. Il résulte de l'instruction que par une ordonnance n° 22218728-221730/9 du 7 septembre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer sans délai à Mme A un document l'autorisant à pénétrer sur le territoire national et à y séjourner et travailler à titre provisoire, dans l'attente de décisions éventuelles sur son droit effectif au séjour. Le juge des référés a estimé que l'exécution de la décision du 10 février 2020 par laquelle le ministre de l'intérieur a retiré la carte de résident de Mme A, au motif qu'elle l'avait obtenue par fraude, et l'a assortie d'une obligation de quitter le territoire français, ne lui avait pas été régulièrement notifiée et ne lui était donc pas opposable dès lors que l'accusé de réception ne comportait aucune mention suffisamment lisible pouvant établir sa notification régulière et l'intéressée justifiant avoir communiqué ses nouvelles adresses à l'administration.

8. Le 8 septembre 2022, Mme A ressortissante algérienne née le 23 septembre 1983, a été autorisée à entrer sur le territoire français et mis en possession d'un visa de régularisation en application des dispositions sus rappelées de l'article L. 342-19 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Mme A soutient que l'urgence de sa situation est avérée dès lors que la demande de rendez-vous qu'elle a adressée à l'administration dès le 9 septembre 2022 en vue d'obtenir la restitution de sa carte de résidence algérien ou, à défaut, un récépissé dans l'attente de cette restitution, est demeuré à ce jour sans réponse et que l'expiration du délai de huit jours prévu à l'article L. 342-19 va avoir pour conséquence qu'elle va se trouver en situation irrégulière sur le territoire français. Or, dès lors que la décision par laquelle l'administration a retiré son certificat de résidence algérien à Mme A ne lui est pas opposable pour n'avoir jamais été régulièrement notifiée, ni cette décision individuelle défavorable, qui n'est jamais entrée en vigueur, ni l'expiration du délai de huit jours prescrit par les dispositions de l'article L. 342-19 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peuvent avoir pour effet de mettre fin au droit au séjour que l'intéressée tient du certificat de résidence algérien de dix ans du 8 février 2018 dont elle est titulaire. Dès lors, Mme A n'établit pas être dans une situation d'urgence au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative justifiant l'intervention du juge des référés dans les plus brefs délais.

9. Si, par ailleurs, Mme A soutient qu'elle se trouve dans l'impossibilité de justifier de son droit au séjour du fait qu'on ne lui a pas restitué sa carte de résidence algérien, l'intéressée, qui peut se prévaloir de la présente ordonnance ainsi que de celle du 7 septembre 2022, peut également, si elle s'y croit fondée, demander l'exécution complète de cette dernière ordonnance ou saisir le juge des référés en application des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la requête présentée par Mme A doit être rejetée en toutes ses conclusions.

O R D O N N E

Article 1 : Il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité relative aux dispositions de l'article L. 342-19 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au Conseil d'Etat.

Article 2 : La requête de Mme A est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme C A et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie sera adressée au préfet de police.

Fait à Paris, le 19 septembre 2022.

Le juge des référés,

E. B

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. /9