Cour administrative d'appel de Toulouse

Ordonnance du 1er septembre 2022 n° 21TL00028

01/09/2022

Non renvoi

Vu la procédure suivante :

Par des mémoires distincts enregistrés le 27 octobre 2021 et le 7 décembre 2021 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille sous le n° 21MA00028, et ensuite au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 21TL00028, la commune d'Aigaliers, représentée par Me Brunel, demande à la cour, en application de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, à l'appui de sa requête dirigée contre le jugement n° 1803088 du 10 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à ce que l'arrêté du 11 septembre 2006 du préfet du Gard portant application du régime forestier à des parcelles lui appartenant soit déclaré illégal, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 214-3 du code forestier rédigées comme suit : " par l'autorité administrative compétente de l'Etat, après avis de ", et " En cas de désaccord, la décision est prise par arrêté du ministre chargé des forêts ".

Elle soutient que :

a) les dispositions dont l'interprétation est contestée sont applicables au litige ;

b) elles n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution ;

c) la question posée présente un caractère sérieux :

- l'article L. 214-3 du code forestier porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution en méconnaissant le principe de libre administration des collectivités territoriales posé par les dispositions combinées des articles 34 et 72 de la Constitution ;

- cet article porte atteinte à son droit de propriété garanti par les articles 2, 4 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, les dispositions contestées entraînant une privation de son droit de gérer sa forêt, et le législateur n'ayant jamais exposé les motifs d'intérêt général qui auraient conduit à une telle limitation ;

- cet article est entaché d'une incompétence négative du législateur, les articles 34 et 55 de la Constitution étant méconnus dès lors que les stipulations de l'article 1er du 1er protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, celles de l'article 17 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ainsi que les dispositions de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics font obstacle au maintien des dispositions précédemment mentionnées de l'article L. 214-3.

Par un mémoire enregistré le 2 décembre 2021, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation demande à la cour de ne pas transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la requérante.

Il soutient que :

- la question prioritaire de constitutionnalité n'a pas à être transmise au Conseil d'Etat dès lors que le tribunal administratif de Bordeaux a déjà transmis une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article L. 214-3 du code forestier au regard du principe de libre administration des collectivités territoriales et du droit de propriété ;

- le droit de propriété et le principe de libre administration des collectivités territoriales n'ont pas été méconnus ;

- le moyen tiré de la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut qu'être écarté dès lors que, d'une part, un tel moyen ne peut être accueilli que si des droits et libertés garantis par la Constitution sont méconnus et, d'autre part, les moyens tirés de la non-conformité de dispositions législatives à des conventions internationales ne peuvent être soulevés à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code forestier ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. D'une part, aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé () ". Aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux () ". L'article R. 771-7 du code de justice administrative dispose que : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

2. D'autre part, aux termes de l'article L. 214-3 du code forestier : " Dans les bois et forêts des collectivités territoriales et des autres personnes morales mentionnées au 2° du I de l'article L. 211-1 susceptibles d'aménagement, d'exploitation régulière ou de reconstitution, l'application du régime forestier est prononcée par l'autorité administrative compétente de l'Etat, après avis de la collectivité ou de la personne morale intéressée. En cas de désaccord, la décision est prise par arrêté du ministre chargé des forêts ".

3. En premier lieu, le régime forestier mis en place par le titre Ier du livre II du code forestier poursuit l'objectif d'intérêt général d'assurer la cohérence de la politique forestière nationale, la mise en valeur de la forêt et de ses produits dans des conditions économiques satisfaisantes et la prise en compte des bassins d'approvisionnement des industries du bois.

4. Si l'application du régime forestier par le ministre chargé des forêts a pour effet de transférer à l'Office national des forêts, sous le contrôle du juge, pour les bois et forêts concernés, la gestion des coupes et des ventes, l'affectation des parcelles ou leur défrichement, les collectivités locales propriétaires conservent un pouvoir de décision ou de contractualisation sur leur domaine forestier. En particulier, il résulte des dispositions des articles L. 212-1 à L. 212-3 du code forestier que le document d'aménagement qui définit les programmes d'action envisagés pour la gestion des bois et forêts ne peut pas être approuvé en l'absence d'accord de la collectivité intéressée. Par ailleurs, les dispositions du chapitre IV du titre Ier du livre II du code forestier confèrent aux collectivités territoriales un rôle déterminant dans la programmation des coupes, le choix des quantités mises en vente et la façon dont les coupes sont mises à la disposition de l'Office national des forêts ou, lorsque leur produit est vendu après façonnage, dans le choix de leurs modalités d'exploitation en régie par la collectivité ou par l'intermédiaire d'entrepreneurs qu'elle choisit, la collectivité étant associée aux opérations de vente, dont le produit lui est reversé. Enfin, les collectivités propriétaires conservent la faculté de vendre librement leurs bois et forêts soumis au régime forestier, dès lors qu'une sortie du régime forestier n'est pas envisagée.

5. Eu égard aux prérogatives que conservent ainsi les collectivités locales propriétaires de bois et forêts soumis au régime forestier, lequel n'entraîne aucune privation de propriété pour ces collectivités, et compte tenu de l'objectif d'intérêt général mentionné au point 3, le pouvoir conféré au ministre chargé des forêts par les dispositions contestées ne méconnaît pas les exigences constitutionnelles relatives à la propriété des personnes publiques et ne porte pas à la libre administration des collectivités territoriales une atteinte contraire à l'article 72 de la Constitution.

6. En second lieu, la commune d'Aigaliers soutient que le législateur, en adoptant des dispositions contraires à des normes internationales, aurait méconnu sa propre compétence résultant notamment de l'article 55 de la Constitution qui dispose que les conventions internationales " ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois ". Par un tel moyen, elle entend se prévaloir de la non-conformité des dispositions de l'article L. 214-3 du code forestier aux stipulations de l'article 1er du 1er protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 17 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ainsi qu'aux dispositions de la directive du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics. Un tel moyen, contestant la conformité de dispositions législatives à des conventions internationales, est inopérant dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité.

7. En tout état de cause, la méconnaissance alléguée de sa propre compétence par le législateur ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Ainsi qu'il a été indiqué aux points 3 à 5, les dispositions contestées de l'article L. 214-3 du code forestier ne méconnaissent pas les exigences constitutionnelles relatives à la propriété des personnes publiques et ne portent pas à la libre administration des collectivités territoriales une atteinte contraire à l'article 72 de la Constitution.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la commune d'Aigaliers est dépourvue de caractère sérieux. Il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil d'Etat pour transmission au Conseil constitutionnel.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question soulevée par la commune d'Aigaliers dans son mémoire enregistré le 27 octobre 2021.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune d'Aigaliers et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Copie en sera adressée au préfet du Gard.

Fait à Toulouse, le 1er septembre 2022.

Le président de la 1ère chambre,

A. Barthez

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2 QPC

Code publication

C