Cour d'Appel de Douai

Ordonnance du 1 septembre 2022 n° 20/04749

01/09/2022

Irrecevabilité

République Française

 

Au nom du Peuple Français

 

COUR D'APPEL DE DOUAI

 

CHAMBRE 8 SECTION 4

 

ORDONNANCE DU 01/09/2022

 

N° de MINUTE : 22/745

 

N° RG 20/04749 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TJMM

 

Tribunal paritaire des baux ruraux d'Abbeville du 03 Novembre 2016

 

Arrêt cour d'appel Amiens du 18 septembre 2018

 

Arrêt Cour de Cassation Paris du 28 mai 2020

 

APPELANTS

 

Monsieur [Z] [V]

 

[Adresse 2]

 

[Localité 1]

 

Madame [R] [T] épouse [V]

 

[Adresse 2]

 

[Localité 1]

 

Comparants en personne

 

INTIMÉS

 

Monsieur [O] [N]

 

né le 31 Janvier 1946 à [Localité 3]

 

[Adresse 4]

 

[Localité 6]

 

Madame [U] [F] épouse [N]

 

née le 10 Juin 1946 à [Localité 5]

 

[Adresse 4]

 

[Localité 6]

 

Représentés par Me Marie Soyer, avocat au barreau de Paris substitué par Me Monnier, avocat

 

PRÉSIDENT DE CHAMBRE : Véronique Dellelis

 

GREFFIER : Ismérie Capiez

 

DÉBATS : à l'audience du 07/07/2022

 

ORDONNANCE prononcée par mise à disposition au greffe le 1er/09/2022

 

Par jugement du 3 novembre 2016, le tribunal paritaire des baux ruraux d'Abbeville

 

a :

 

- débouté M. [Z] [V] et Mme [L] [T] épouse [V] de Ieurs demandes avant-dire droit;

 

- déclaré recevable la demande d'annulation pour illicéité de la clause du bail rural fixant le prix du fermage ;

 

- débouté M. [Z] [V] et Mme [L] [T] épouse [V] de leur demande en remboursement ' fermages illicites ' ;

 

- condamné les époux [N] à payer aux époux [V] la somme de 1295 euros en remboursement du trop-perçu au titre des taxes relatives à l'Association foncière rurale de [Localité 6] pour l' année 2003 ;

 

- débouté les époux [V] du surplus de leurs demandes,

 

- condamné les époux [V] à verser aux époux [N] la somme de 3171,85 euros au titre de l' échéance de fermage du 1er juin 2016, déduction faite de la somme de

 

4 000 euros due par ces derniers aux époux [V] au titre de l'article 700 du code de procédure civile (suite à l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens du 14 juin 2016),

 

- donné acte aux consorts [J] de ce qu'ils justifient de ce que M. [J] a réglé la somme de 20.341, 88 euros à Maître [D], huissier de justice, le 4 novembre 2010 au titre des fermages des années 2007 et 2008 et la somme de 4.032 euros au Trésor Public le 23 décembre 2005 au titre de la Taxe de l' AFR de [Localité 6] pour l'année 2002,

 

- condamné les époux [V] à verser aux époux [N] la somme de 1500 euros au titre de' l'article 700 du code de procédure civile ;

 

- condamné les époux [V] à verser aux consorts [J] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ,

 

- débouté les parties du surplus de leurs demandes, dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

 

Les époux [V] ont interjeté appel de cette décision et par arrêt du 18 septembre 2018 (RG n°16/05692), la cour d'appel d' Amiens a confirmé le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné les époux [N] à payer aux époux [V] la somme de 1295 euros au titre d'un trop perçu de taxes relatives à l'association foncière rurale de Quend pour l'année 2003, débouté les époux [N] de leur demande en paiement de la somme de 603,26 euros au titre d'un arriéré de fermages et débouté les époux [V] leur demande en paiement par les époux [N] de la somme de 603,25 euros en remboursement des taxes de drainage et de bocage ;

 

et statuant à nouveau de ces différents chefs ainsi réformés,

 

- déclaré irrecevable comme étant prescrite la demande des époux [V] au titre du trop perçu de taxes ;

 

- condamné les époux [V] à payer aux époux [N] la somme de 603,26 euros pour arriéré de fermages ;

 

- déclaré irrecevable comme étant prescrite la demande des époux [V] en remboursement des factures de drainage ;

 

- débouté les époux [V] de leur demande en remboursement des taxes de bocage ;

 

- débouté les époux [V] du surplus de leurs demandes.

 

Aux termes de cet arrêt, les époux [V] ont été condamnés à payer ensemble la somme de 3000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile aux époux [N] et la somme de 1500 euros sur le même fondement aux consorts [J].

 

Les époux [V] ont formé un pourvoi en cassation contre cette décision.

 

Par un arrêt du 28 mai 2020, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt de la Cour d'appel d'Amiens du 18 septembre 2018 mais seulement en ce qu'il a condamné les époux [V] à payer aux époux [N] :

 

- 3.171,85 euros au titre du fermage du 1er juin 2016, et

 

- 603,26 euros au titre d'arriérés de fermages.

 

Par déclaration de saisine du 17 novembre 2020, les époux [V] ont saisi la Cour d'appel de Douai des deux chefs de jugement cassés par l'arrêt de la Cour de cassation du 28 mai 2020.

 

Cette affaire a été enregistrée sous le numéro RG n° 20/04678.

 

Les époux [V] ont de nouveau saisi la Cour par déclaration du 23 novembre 2020.

 

Cette affaire a été enregistrée sous le numéro RG N°20/04749.

 

Parallèlement, par requête en rabat d'arrêt, les époux [V] ont sollicité le rabat de l'arrêt de la Cour de cassation du 28 mai 2020 en ce que la Cour aurait :

 

- procédé à une substitution de motifs sans préalablement inviter les parties à présenter leurs observations,

 

- dénaturé leur moyen relatif aux fermages illicites fondé selon eux essentiellement sur I' article L. 411-12 du code rural et de la pêche maritime et non sur l'article L. 411- dudit code.

 

Ils ont saisi cette cour d'une question prioritaire de constitutionnalisé concernant les modalités selon lesquelles leur requête en rabat d'arrêt aurait été rejetée par la Cour de cassation.

 

Cette question prioritaire de constitutionnalité a été évoquée lors de l'audience du 7 juillet 2022.

 

Le 7 juillet 2022, M. [Z] [V] et Mme [R] [T] épouse [V] soutiennent leurs dernières conclusions déposées lors de ladite audience, par lesquelles ils demandent à la présente juridiction de :

 

- transmettre à la Cour de cassation, laquelle devra transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

 

L'article L. 411-1 du code de l'organisation judiciaire qui précise qu''il y a dans toute la République une Cour de cassation' porte-t-il atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit dès lors que la Cour de cassation, dont les prérogatives tiennent également aux procédures de requête en rabat d'arrêt, ne répond pas, en toutes circonstances, selon les prescriptions imposées par ladite Cour de cassation ' ' ;

 

-dire que toute modification imposée par le Conseil Constitutionnel devra s'appliquer à l'ensemble des procédures devant la Cour de cassation des époux [V].

 

Ils font valoir qu'à la suite de leur requête en rabat d'arrêt, ils ont dû se contenter d'un courriel de leur conseil les informant de ce que la requête en rabat d'arrêt, ne serait pas instruite par M. le président de la troisième chambre civile ;

 

-qu'ils ne peuvent se contenter d'une telle réponse ;

 

-que si aucun texte spécifique n'existe concernant la procédure de rabat d'arrêt, force est de constater qu'il y a lieu d'en déduire que la procédure en requête en rabat d'arrêt consiste bien en un pourvoi ou en la suite d'un même pourvoi et devrait en suivre les formes ;

 

-que l'absence de réponse écrite et officielle à leur requête en rabat d'arrêt porte atteinte à leurs droits procéduraux ;

 

-que leur question prioritaire de constitutionnalité revêt un caractère d'intérêt général dès lors que tous les citoyens justiciables utilisant la requête en rabat d'arrêt ne sont pas tous égaux devant la loi, puisque certains n'obtiennent pas de réponse à leur recours.

 

Les époux [N]-[F], représentés par leur conseil, soutiennent leurs conclusions déposées lors de l'audience, demandant à la présente juridiction de :

 

Vu l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique n02009-1523 du 10 décembre 2009,

 

-déclarer irrecevable la question prioritaire de constitutionnalité posée par M. et Mme [V],

 

-refuser de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité posée par les époux [V] à la Cour de cassation pour que cette dernière la renvoie au Conseil constitutionnel,

 

-débouter M. et Mme [V] de toutes leurs demandes, fins et prétentions,

 

-condamner solidairement M. et Mme [V] à payer M. et Mme [N] la somme de 5.000 euros chacun au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

 

-condamner solidairement M. et Mme [V] au paiement des dépens

 

Les époux [N]-[F] font valoir :

 

- que la requête est irrecevable en ce qu'elle ne vise pas à juger inconstitutionnelle une disposition légale mais plutôt à remettre en cause un usage de la Cour de cassation, la procédure de rabat d'arrêt ne résultant d'aucun texte ;

 

- que la requête est encore irrecevable car elle ne précise par à quel droit et quelle liberté serait méconnue par l'article L. 411-1 du code de l'organisation judiciaire ;

 

- que la requête est encore irrecevable en la forme car la demande initiale ne reprenait pas dans son dispositif la question posée et demandait sa transmission directement au Conseil Constitutionnel et non pas à la Cour de cassation ;

 

- que la question est dépourvue de tout caractère sérieux .

 

Dans son avis en date du 9 juin 2022, M. le Procureur général relève qu'en la forme, la question prioritaire doit être déclarée irrecevable en ce qu'elle porte non pas sur une disposition législative mais sur un usage imposé par la Cour de cassation.

 

Au fond, il estime la demande non fondée.

 

SUR CE :

 

L'article 126-3 du code de procédure civile énonce que :

 

Le juge qui statue sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité est celui qui connaît de l'instance au cours de laquelle cette question est soulevée, sous réserve des alinéas qui suivent.

 

Le magistrat chargé de la mise en état, ainsi que le magistrat de la cour d'appel chargé d'instruire l'affaire, statue par ordonnance sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant lui. Lorsque la question le justifie, il peut également renvoyer l'affaire devant la formation de jugement, le cas échéant sans clore l'instruction, pour qu'elle statue sur la transmission de la question. Cette décision de renvoi est une mesure d'administration judiciaire.

 

Le président de la formation de jugement du tribunal paritaire des baux ruraux, du tribunal des affaires de sécurité sociale, du tribunal du contentieux de l'incapacité et de la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail statuent sur la transmission de la question

 

L'article 23-1 de l'ordonnance n° 058-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre dispose par ailleurs que :

 

« Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu 'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

 

Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ».

 

Il ressort de cette disposition qu'est irrecevable une question prioritaire de constitutionnalité qui ne tend pas à démontrer qu'une disposition législative porterait atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

 

En l'espèce, la disposition législative critiquée n'est autre en l'espèce que l'article L.411-1 du code de l'organisation judiciaire lequel dispose qu'il y a pour toute la République, une Cour de cassation

 

Les requérants établissent en l'espèce un lien difficilement compréhensible entre ce texte et le reproche fait à la Cour de cassation de ne pas avoir répondu officiellement à leur requête en rabat d'arrêt et de ne pas avoir suivi concernant cette demande les règles concernant le pourvoi en cassation, soutenant à cet égard que la procédure de rabat est en quelque sorte le prolongement de la procédure du pourvoi et doit en suivre les formes.

 

A supposer toutefois que leurs griefs puissent être fondés, il ne peut être que constaté que le texte législatif que les époux [V] visent dans leur question prioritaire de constitutionnalité, et qui ne fait que définir la Cour de cassation comme l'unique juridiction suprême ne porte lui-même nullement en germe l'injustice qu'ils prétendent avoir subi du fait que leur requête en rabat d'arrêt n'aurait pas été suivie d'une décision suffisamment formalisée .

 

Il convient de rappeler que la procédure de rabat d'arrêt ne repose pas sur des textes, ce dont les époux [V] conviennent eux-mêmes, mais sur une création prétorienne et il ne peut être que conclu que, sous couvert du texte législatif très général concernant la Cour de cassation, la question prioritaire de constitutionnalité vise en l'espèce à critiquer les conditions de la procédure en rabat d'arrêt telle qu'elle a été mise en place par la Cour de cassation.

 

Il convient d'en conclure que la référence aux dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'organisation judiciaire est purement artificielle et que la question soulevée ne vise en réalité aucun texte législatif.

 

De surcroît, la présente juridiction ne peut que constater que les époux [V] ne visent dans leur question prioritaire de constitutionnalité aucun droit ou liberté garanti expressément par la Constitution et qui serait méconnu par les dispositions de l'article L. 411-1 du code de procédure civile.

 

Il s'ensuit qu'il convient pour ce double motif de déclarer irrecevable la question prioritaire de constitutionnalité et de dire n'y avoir lieu à transmission de la question .

 

Il convient de réserver l'application de l'article 700 du code de procédure civile en fin de cause.

 

PAR CES MOTIFS

 

Déclarons la question prioritaire de constitutionnalité irrecevable et disons n'y avoir lieu à transmission ;

 

Réservons l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en fin de cause ;

 

Précisons conformément aux dispositions de l'article 126-7 du code de procédure civile que la présente décision ne peut être contestée qu'à l'occasion d'un recours formé contre une décision tranchant tout ou partie du litige ;

 

Renvoyons l'affaire à l'audience du jeudi 17 novembre 2022 - 14 h 00 - salle bleue.

 

Le greffier,Le président,

 

I. CapiezV. Dellelis