Tribunal administratif de Nancy

Jugement du 25 août 2022 n° 2103754

25/08/2022

Non renvoi

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, respectivement enregistrés le 23 décembre 2021 et le 24 février 2022, Mme B D, représentée par Me Sgro, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 20 septembre 2021 par laquelle le directeur par intérim du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy l'a suspendue de ses fonctions sans traitement, jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination ;

2°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Nancy la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision litigieuse est entachée d'un vice de forme faute de comporter la signature du directeur du CHRU, en méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la décision litigieuse est insuffisamment motivée en méconnaissance des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elle est entachée d'erreur de droit dès lors qu'elle a toujours présenté le résultat d'un examen de dépistage de la covid-19 ou d'un autotest réalisé moins de 72 heures avant l'accès à l'établissement ;

- la décision est constitutive d'une sanction disciplinaire entachée d'un vice de procédure l'ayant privée d'une garantie faute d'avoir eu droit à la communication de l'intégralité de son dossier et de se faire assister d'un défenseur de son choix. ;

- elle n'a pas été informée des conséquences qu'emportait l'interdiction d'exercer son emploi.

Par des mémoires en défense enregistrés les 21 février et 13 juin 2022, le centre hospitalier régional universitaire de Nancy, représenté par Me Marrion, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de Mme D d'une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le centre hospitalier expose qu'il était en situation de compétence liée et qu'il était par conséquent tenu de prendre la décision de suspension des fonctions de Mme D.

Par un mémoire distinct enregistré le 24 février 2022, Mme D demande au tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la constitution des dispositions des articles 12, 13 et 14 de la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire.

Elle soutient que :

- les conditions de la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité sont en l'espèce remplies dès lors que les dispositions sont applicables au litige, qu'elles n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel et que cette question prioritaire de constitutionalité présente un caractère sérieux ;

- ces dispositions portent atteinte au droit à la santé garanti par le onzième alinéa du préambule de la constitution du 27 octobre 1946 ;

- ces dispositions portent atteinte au principe d'égalité garanti par les articles 1er et 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi qu'à l'article 1er de la constitution du 4 octobre 1958 ;

- ces dispositions portent atteinte à l'inviolabilité du corps humain et au principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation ;

- ces dispositions portent atteinte à la liberté individuelle et au respect de la vie privée garantis par l'article 4 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Par un mémoire, enregistré le 8 mars 2022 le centre hospitalier régional universitaire de Nancy, représenté par Me Marrion, conclut au rejet de la demande de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionalité.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n°86-33 du 9 janvier 1986 ;

- la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n°2021-1059 du 7 août 2021 ;

- le décret n°2021-699 du 1er juin 2021 ;

- l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la santé publique ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marti, président-rapporteur ;

- les conclusions de Mme Milin-Rance, rapporteure publique ;

- les observations de Me Sgro, représentant Mme D, et celles de Me Marrion, représentant le CHRU de Nancy.

Considérant ce qui suit :

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

1. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

2. D'une part, Mme D soutient que les dispositions des articles 12, 13 et 14 de la loi n°2021-1040 sont contraires au droit à la santé, au principe d'égalité, à l'inviolabilité du corps humain, au principe de sauvegarde la dignité humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation, et au respect de la vie privée. Toutefois, par une décision n°457879 du 28 janvier 2022, le Conseil d'Etat a rejeté la demande de transmission au Conseil constitutionnel de cette question prioritaire de constitutionnalité. Il a été retenu d'une part, que la question prioritaire de constitutionnalité, en ce qu'elle met en cause l'article 14 de la loi n°2021-1040 est dépourvue de caractère sérieux et, d'autre part, que les dispositions de l'article 12 de cette même loi sont justifiées par une exigence de santé publique et ne portent pas atteinte à l'exigence constitutionnelle de protection de la santé garantie par le Préambule de la Constitution de 1946, à l'inviolabilité du corps humain et au principe constitutionnel de respect de la dignité de la personne humaine. Les dispositions de l'article 13 de cette même loi du 5 août 2021 ne font, quant à elles, que préciser les conditions d'application de l'article 12, lequel n'a pas fait l'objet d'une transmission au Conseil constitutionnel. Par suite, la question soulevée est dépourvue de caractère sérieux.

3. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil d'Etat pour transmission au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme D.

Sur les conclusions d'annulation :

4. Mme D, agent des services hospitaliers exerçant ses fonctions au sein du centre hospitalier régional universitaire de Nancy, a été suspendue de ses fonctions sans traitement à compter du 20 septembre 2021, jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination, par une décision du même jour du chef du département ressources humaines et affaires sociales du CHRU de Nancy. Par la présente requête, Mme D demande l'annulation de cette décision.

5. Aux termes de l'article 12 de la loi susvisée du 5 août 2021 : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans : / a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique () ". Aux termes de l'article 13 de cette même loi : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : / 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12 () ". Enfin, l'article 14 de cette loi précise : " B. - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret. / () / III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit () ".

6. L'article 12 de la loi du 5 août 2021 a défini le champ de l'obligation de vaccination contre la covid-19 en retenant, notamment, un critère géographique pour y inclure les personnes exerçant leur activité dans un certain nombre d'établissements, principalement les établissements de santé et des établissements sociaux et médico-sociaux, ainsi qu'un critère professionnel pour y inclure les professionnels de santé. Le législateur a ainsi entendu à la fois protéger les personnes accueillies par ces établissements qui présentent une vulnérabilité particulière au virus de la covid-19 et éviter la propagation du virus par les professionnels de la santé dans l'exercice de leur activité qui, par nature, peut les conduire à soigner des personnes vulnérables ou ayant de telles personnes dans leur entourage.

7. En premier lieu, par une décision n°2021-DG42 du 6 septembre 2021, le directeur général du CHRU de Nancy, Bernard Dupont, a donné délégation de signature à M. A C, chef du département ressources humaines et affaires sociales, à l'effet de signer les mémoires en justice et les décisions administratives concernant l'ensemble des personnels contractuels, stagiaires et titulaires des catégories A, B et C relevant de la fonction publique hospitalière. Par suite, le moyen tiré du vice de forme dont serait entaché la décision contestée ne peut qu'être écarté.

8. En deuxième lieu, à l'appui de ses conclusions, Mme D fait valoir que la décision du 20 septembre 2021 par laquelle le directeur du CHRU de Nancy l'a suspendue de ses fonctions sans traitement, jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination, qui constitue une sanction, est insuffisamment motivée, en méconnaissance des dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration et est irrégulière car elle n'a pas bénéficié des garanties de la procédure disciplinaire ni de la procédure contradictoire en méconnaissance des articles 43 et suivants du décret n°86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat. Toutefois, en application du B de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, à compter du 15 septembre 2021, les personnes exerçant leur activité en particulier dans les établissements de santé ne peuvent plus exercer leur activité : " si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12 " Par suite, lorsque l'autorité administrative suspend le contrat de travail d'un agent public qui ne satisfait pas à cette obligation et interrompt, en conséquence, le versement de son traitement, elle ne prononce pas une sanction mais se borne à constater que l'agent ne remplit plus les conditions légales pour exercer son activité. Dès lors, les moyens ainsi soulevés par la requérante sont inopérants et doivent être écartés.

9. En troisième lieu, il ressort des dispositions précitées de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 qu'il appartient à l'agent public, soumis à l'obligation vaccinale, de présenter à son employeur les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. Il ressort également des pièces du dossier que la décision litigieuse a suspendu Mme D au motif qu'elle n'avait pas fourni de justificatif de vaccination ou de contre-indication. Si la requérante se borne exclusivement à faire état d'un résultat négatif à un dépistage à la covid-19 réalisé le 19 septembre 2021, elle ne justifie pour autant pas d'un schéma vaccinal complet nécessitant à minima l'administration d'une dose de vaccin. Cette mesure de suspension de fonctions sans rémunération, expressément prévue par le III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, s'analyse comme une mesure prise dans l'intérêt de la santé publique, destinée à lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 dans un objectif de maîtrise de la situation sanitaire que l'autorité hiérarchique est tenue de mettre en œuvre lorsqu'elle constate que l'agent public ne peut plus exercer son activité en application du I de cet article. Dans ces conditions, le directeur du CHRU de Nancy était fondé à suspendre Mme D de ses fonctions.

10. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision notifiée à Mme D était accompagnée d'un courrier l'informant des conséquences de l'interdiction d'exercer ses fonctions et des moyens de régulariser sa situation, répondant ainsi aux exigences des dispositions précitées du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021.

11. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation de la décision du 20 septembre 2021 par laquelle le directeur du CHRU de Nancy a suspendu Mme D de ses fonctions sans traitement, jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination doivent être rejetées.

Sur les frais du litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Nancy qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que Mme D demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme D, la somme demandée par le CHRU de Nancy au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme D

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D est rejeté.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme B D et au centre hospitalier régional universitaire de Nancy.

Délibéré après l'audience du 7 juillet 2022, à laquelle siégeaient :

M. Marti, président,

M. Boulangé, premier conseiller,

Mme Marini, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 août 2022.

Le président-rapporteur,

D. Marti

L'assesseur le plus ancien,

P. Boulangé

Le greffier,

F. Richard

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C