Tribunal administratif de Nancy

Jugement du 25 août 2022 n° 2103376

25/08/2022

Non renvoi

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 18 novembre 2021, Mme B A, représentée par Me Sgro, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 17 septembre 2021 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Lunéville l'a suspendue de ses fonctions sans traitement, jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination ;

2°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Lunéville la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision litigieuse est entachée d'un vice de forme faute de comporter la signature du directeur du centre hospitalier de Lunéville, en méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la décision litigieuse est illégale en ce que la requérante n'a pas été informée préalablement des conséquences qu'emporterait la décision de suspension de ses fonctions ;

- la décision est constitutive d'une sanction disciplinaire entachée d'un vice de procédure l'ayant privée d'une garantie faute d'avoir eu droit à la communication de l'intégralité de son dossier et de se faire assister d'un défenseur de son choix.

Par un mémoire distinct enregistré le 30 novembre 2021, Mme A demande au tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la constitution des dispositions des articles 12, 13 et 14 de la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire.

Elle soutient que :

- les conditions de la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité sont en l'espèce remplies dès lors que les dispositions sont applicables au litige, qu'elles n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel et que cette question prioritaire de constitutionalité présente un caractère sérieux ;

- ces dispositions portent atteinte au droit à la santé garanti par le onzième alinéa du préambule de la constitution du 27 octobre 1946 ;

- ces dispositions portent atteinte au principe d'égalité garanti par les articles 1er et 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi qu'à l'article 1er de la constitution du 4 octobre 1958 ;

- ces dispositions portent atteinte à l'inviolabilité du corps humain et au principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation ;

- ces dispositions portent atteinte à la liberté individuelle et au respect de la vie privée garantis par l'article 4 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Par un mémoire, enregistré le 2 février 2022 le centre hospitalier de Lunéville, représenté par Me Muller-Pistré, conclut au rejet de la demande de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionalité.

Par une ordonnance du 1er juin 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er juillet 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n°86-33 du 9 janvier 1986 ;

- la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n°2021-1059 du 7 août 2021 ;

- le décret n°2021-699 du 1er juin 2021 ;

- l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la santé publique ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marti, président-rapporteur ;

- les conclusions de Mme Milin-Rance, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Sgro, représentant Mme A.

Considérant ce qui suit :

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

1. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

2. D'une part, Mme A soutient que les dispositions des articles 12, 13 et 14 de la loi n°2021-1040 sont contraires au droit à la santé, au principe d'égalité, à l'inviolabilité du corps humain, au principe de sauvegarde la dignité humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation, et au respect de la vie privée. Toutefois, par une décision n°457879 du 28 janvier 2022, le Conseil d'Etat a rejeté la demande de transmission au Conseil constitutionnel de cette question prioritaire de constitutionnalité. Il a été retenu d'une part, que la question prioritaire de constitutionnalité, en ce qu'elle met en cause l'article 14 de la loi n°2021-1040 est dépourvue de caractère sérieux et, d'autre part, que les dispositions de l'article 12 de cette même loi sont justifiées par une exigence de santé publique et ne portent pas atteinte à l'exigence constitutionnelle de protection de la santé garantie par le Préambule de la Constitution de 1946, à l'inviolabilité du corps humain et au principe constitutionnel de respect de la dignité de la personne humaine. Les dispositions de l'article 13 de cette même loi ne font, quant à elles, que préciser les conditions d'application de l'article 12, lequel n'a pas fait l'objet d'une transmission au Conseil constitutionnel. Par suite, la question soulevée est dépourvue de caractère sérieux.

3. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil d'Etat pour transmission au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme A.

Sur les conclusions d'annulation :

4. Mme A, sage-femme titulaire au sein du service gynécologie-obstétrique du centre hospitalier de Lunéville, a été suspendue de ses fonctions sans traitement à compter du 23 septembre 2021 jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination, par une décision du 17 septembre 2021, notifiée le lendemain, du directeur du centre hospitalier de Lunéville. Par la présente requête, Mme A demande l'annulation de cette décision.

5. Aux termes de l'article 12 de la loi susvisée du 5 août 2021 : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans : / a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique () ". Aux termes de l'article 13 de cette même loi : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : / 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12 () ". Enfin, l'article 14 de cette loi précise : " B. - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret. / () / III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit () ".

6. Mme A soutient que la décision du 17 septembre 2021 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Lunéville l'a suspendue de ses fonctions sans traitement, jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination, est irrégulière car elle n'a pas bénéficié des garanties de la procédure légale, notamment du droit d'être informée des conséquences qu'emporterait la décision de suspension, en méconnaissance des articles 12, 13 et 14 de la loi n°2021-1040 du 5 août 2021. Il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que Mme A aurait été informée des conséquences sur sa situation administrative du non-respect de l'obligation de vaccination, ni des moyens lui permettant de régulariser sa situation. Dans ces conditions, le centre hospitalier de Lunéville, en ne procédant pas aux formalités qui lui incombe avant de prendre une décision de suspension, a méconnu les dispositions de l'article 14 de la loi du 5 août 2021.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que Mme A est fondée à demander l'annulation de la décision du 17 septembre 2021 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Lunéville l'a suspendue de ses fonctions.

Sur les frais du litige :

8. Il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Lunéville une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil d'Etat pour transmission au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme A.

Article 2 : La décision du 17 septembre 2021 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Lunéville a suspendu Mme A de ses fonctions est annulée.

Article 3 : Le centre hospitalier de Lunéville versera la somme de 1 500 euros à Mme A en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à Mme B A et au centre hospitalier de Lunéville.

Délibéré après l'audience du 7 juillet 2022, à laquelle siégeaient :

M. Marti, président,

M. Boulangé, premier conseiller,

Mme Marini, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 août 2022.

Le président-rapporteur,

D. Marti

L'assesseur le plus ancien,

P. Boulangé

Le greffier,

F. Richard

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C