Tribunal administratif de Marseille

Ordonnance du 23 août 2022 n° 2102897

23/08/2022

Non renvoi

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 28 octobre 2021, M. B A, représenté par Me Toumi, demande au Tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution et divers autres textes, de l'article L. 322-9 du code de l'environnement.

Cette demande, présentée par mémoire distinct, est faite à l'appui de la requête enregistrée le 1er avril 2021 au greffe du tribunal administratif de Marseille sous le n° 2102897 par laquelle M. A entend contester la décision du 14 janvier 2021 de la directrice du Conservatoire du Littoral et des espaces lacustres rejetant sa demande tendant à ce qu'elle retire la délibération du 21 novembre 2013 du conseil d'administration du Conservatoire portant classement du domaine de Taxil, situé sur le territoire de la commune des Saintes-Maries-de-la-Mer, dans son domaine propre, ensemble l'annulation de la délibération du 21 novembre 2013.

M. A soutient que :

- l'article L. 322-9 du code de l'environnement est applicable au litige car c'est en application de cet article que les parcelles en litige ont été classées dans le domaine public ;

- ni l'article L. 322-9 du code de l'environnement ni les dispositions législatives par lesquelles il a été édicté n'ont été déclarées conformes à la Constitution ;

- la question en litige a un caractère sérieux du fait du caractère éminemment dérogatoire du mode de classement confié au Conservatoire du littoral, de l'absence de contrepartie, de garanties et de contrôle, de l'absence de tout mécanisme de publicité, d'information ou de réclamation, et de la novation unilatérale d'un contrat de bail en cours ;

- sont méconnus le statut d'ordre public du fermage devant être consacré comme principe fondamental reconnu par les lois de la République, les articles 4, 13 et 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les articles 13 et 8 de cette convention.

Par un mémoire en défense enregistré le 19 novembre 2021, le Conservatoire du Littoral et des espaces lacustres, représenté par Me Leconte et Me Briec, conclut au rejet de la demande, en tout état de cause à ce que le juge statue immédiatement dans le cadre du recours au fond contre la decision de rejet du 28 janvier 2021 et à ce que la somme de 3 000 euros à la charge de M. A en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

 

Vu :

- la Constitution ;

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- le décret n° 2010-148 du 16 février 2010 portant application de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la

 

Constitution ;

- le code de l'environnement ;

- le code general de la propriété des personnes publiques ;

- le code rural ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".

2. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". L'article 23-2 de la même ordonnance ajoute que : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ".

 

Sur l'applicabilité de la disposition contestée au litige :

3. Aux termes de l'alinéa 1 de l'article L. 322-9 du code de l'environnement tel qu'issu de la loi du 27 février 2002 : " Le domaine relevant du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres comprend les biens immobiliers acquis ainsi que ceux qui lui sont affectés, attribués, confiés ou remis en gestion par l'Etat. Le domaine propre du Conservatoire est constitué des terrains dont il est devenu propriétaire et qu'il décide de conserver afin d'assurer sa mission définie à l'article L. 322-1. Le domaine relevant du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres est du domaine public à l'exception des terrains acquis non classés dans le domaine propre. Dans la limite de la vocation et de la fragilité de chaque espace, ce domaine est ouvert au public () ".

4. Si l'article L. 322-9 est bien " applicable à la procédure " ayant conduit à l'incorporation des parcelles exploitées par M. A au domaine public du Conservatoire, cette incorporation s'est produite lors de l'adoption par le Conservatoire de la délibération du 21 novembre 2013, prise sur le fondement de l'article L. 322-9, publiée le 1er janvier 2017 sur le site internet officiel du Conservatoire, librement accessible. Du fait du caractère spécifique de telles délibérations, qui ne sont ni des décisions réglementaires ni des décisions administratives individuelles, ainsi que l'a reconnu le Conseil d'Etat, elles ne sont contestables que dans le délai de recours contentieux de deux mois et n'ouvrent pas droit à un recours par la voie de l'exception d'illégalité au-delà du même délai. En l'espèce, dans le délai ouvert le 1er janvier 2017 et expiré le 1er mars 2017, aucun recours n'a été présenté. Par suite, les conclusions invoquant l'inconstitutionnalité de l'article L. 322-9 du code de l'environnement dont a fait application la délibération du 21 novembre 2013 sont tardives et irrecevables. En outre, l'objet réel de la question prioritaire de constitutionnalité est de contester les modalités de classement des biens acquis par le Conservatoire dans son domaine public, or celles-ci sont, en tout état de cause, fixées par les articles R. 322-6, R. 322-7, R. 322-8 et R. 322-28 du même code, qui ne sont pas des articles législatifs.

Sur le défaut de caractère sérieux de la question :

5. L'article L 322-9 du code de l'environnement se borne à définir la nature juridique du domaine du Conservatoire, qui est un établissement public administratif de l'Etat dont les articles L. 322-1 et L. 322-3 du code de l'environnement définissent les missions, qui consistent à mener, après avis et en partenariat, une politique foncière de sauvegarde du littoral. A cet effet, il peut procéder à toutes opérations foncières et l'article L. 322-9 vient simplement préciser que son domaine propre devient du domaine public lorsqu'il décide par délibération de son conseil d'administration de le conserver en vue d'assurer sa mission de sauvegarde. Aucune prérogative exorbitante ne lui est ainsi conférée. L'incorporation au domaine public des parcelles respecte ainsi le code général de la propriété des personnes publiques, notamment son article L. 2111-1. Au demeurant, le pouvoir de classement et les modalités d'intervention à ce titre du Conservatoire ressortissent uniquement de dispositions réglementaires du code de l'environnement constituées par les articles R. 322-6, R. 322-7, R. 322-8 et R. 322-28 de ce code.

6. Le moyen tiré de ce que l'article L. 322-9 du code de l'environnement devrait prévoir spécifiquement que les parcelles intégrant le domaine propre du Conservatoire soient libres d'occupant, que le contrat arrive à échéance, qu'un préavis soit prévu ou un accord de l'occupant, du préfet ou du juge de l'expropriation doit être écarté, cet article prévoyant la situation, dans le cas d'un bien occupé, que le Conservatoire propose en priorité une convention à l'exploitant déjà en place lors de l'incorporation dans le domaine public.

7. Si M. A soutient que l'incorporation au domaine public des biens du domaine propre du Conservatoire ne serait assortie d'aucune contrepartie pour les personnes affectées par cette incorporation, ainsi dépourvues des attributs attachés au fermage, l'article L. 411-32 du code rural dont il se prévaut ne prévoit un mécanisme de résiliation que pour les parcelles situées en " Zone Urbaine ", ce qui n'est pas le cas de l'espèce. Le moyen est dès lors inopérant. En tout état de cause, l'appartenance d'un bien au domaine public ne prive pas son occupant d'un droit à indemnisation en vertu de l'article R. 2125-5 du code général de la propriété des personnes publiques. En outre, l'article L. 322-9 du code de l'environnement n'a pas pour objet de prononcer la résiliation de baux présents sur les parcelles occupées. C'est en raison des règles issues du code général de la propriété des personnes publiques que l'entrée d'une parcelle dans le domaine public entraîne l'extinction de toute obligation dont elle aurait été antérieurement le support. Le non-renouvellement du bail de l'exploitant ne résulte ainsi pas de l'article L. 322-9 du code de l'environnement mais des dispositions du code général de la propriété des personnes publiques qui prévoient que le régime juridique du domaine public conduit à une précarité de ses occupations.

8. Si M. A soutient que les dispositions de l'article L. 322-9 du code de l'environnement ne prévoient aucun mécanisme de garantie et de contrôle au motif que le contrôle administratif exercé par l'autorité compétente en application de l'article R. 322-28 du même code serait théorique et aboutirait à une absence de contrôle effectif, il ne l'établit pas par le moindre commencement de preuve. En outre, il critique ainsi la constitutionnalité de dispositions réglementaires.

9. M. A n'est pas davantage fondé à soulever l'absence de tout mécanisme de publicité attaché aux délibérations classant des biens dans le domaine propre du Conservatoire dès lors que la délibération de 2013 a été régulièrement publiée selon les prévisions de l'article L. 221-7 du code des relations entre le public et l'administration qui lui ouvraient un droit de recours. La décision de classement n'échappait pas ainsi à tout contrôle juridictionnel effectif.

10. Il suit de là que la question de constitutionnalité soulevée est dépourvue de caractère sérieux.

11. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question soulevée par M. A. Ses conclusions à fin de sursis à statuer ne peuvent par voie de conséquence qu'être rejetées.

12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A et ses conclusions tendant au sursis à statuer sur le fond du litige sont rejetées.

Article 2 : Les conclusions du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B A et au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres Littoral.

Fait à Marseille, le 23 août 2022.

Le président,

signé

J-M. LASO

La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône en ce qui le concerne et à tous commissaires à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Le greffier,