Tribunal administratif de Cergy-Pontoise

Ordonnance du 16 août 2022 n° 1910767

16/08/2022

Non renvoi

Vu la procédure suivante :

Par deux mémoires, enregistrés le 18 juin 2021 et le 30 septembre 2021, Mme B, représentée par Me Arvis, demande au tribunal, à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation du titre exécutoire d'un montant de 69 293,89 euros émis par le trésorier principal de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) et de prononcer la décharge de l'obligation de payer correspondante, de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du VI de l'article 25 septies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

Elle soutient que :

- les dispositions du VI de l'article 25 septies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 sont applicables au litige ;

- elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;

- la question posée est sérieuse, dès lors que les dispositions en cause instaurent un régime confiscatoire de la rémunération versée à un agent public par un autre employeur, qui est disproportionné ;

- elles portent atteinte au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dont le droit de disposer librement de son patrimoine, en l'occurrence la rémunération correspondant à la contrepartie d'un travail effectué, est un des attributs ;

- elles portent atteinte à la liberté d'entreprendre garantie par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- elles portent atteinte au droit au respect de la vie privée garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- elles méconnaissent le principe de proportionnalité des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- elles méconnaissent le principe de respect des droits de la défense, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juillet 2021, le centre hospitalier des Quatre Villes, représenté par Me Adeline-Delvolvé, demande au tribunal de rejeter la demande de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité posée.

Il fait valoir que :

- contrairement à ce qu'affirme la requérante, la question est dépourvue de caractère sérieux, la disposition législative en cause étant parfaitement proportionnée à l'illégalité commise par l'agent public qui perçoit des rémunérations en contrepartie d'activités interdites ;

- les dispositions du VI de l'article 25 septies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, qui n'instaurent pas une sanction, ne méconnaissent aucun des droits et libertés garantis par la Constitution.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juillet 2021, le comptable public de la trésorerie hospitalière des Hauts-de-Seine demande au tribunal de rejeter la demande de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité posée.

Il fait valoir que :

- la question posée est dépourvue de caractère sérieux ;

- les dispositions du VI de l'article 25 septies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ne méconnaissent aucun des droits et libertés garantis par la Constitution.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 ;

- le décret n° 2010-148 du 16 février 2010 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. D'une part, aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".

2. L'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, dispose que : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. () ". En vertu de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. / () ". Enfin, en vertu de l'article R. 771-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative, le vice-président du Tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

3. Il résulte de ces dispositions que le président d'une formation de jugement d'un tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

4. D'autre part, aux termes de l'article 25 septies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction issue de l'article 7 de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires : " I. - Le fonctionnaire consacre l'intégralité de son activité professionnelle aux tâches qui lui sont confiées. Il ne peut exercer, à titre professionnel, une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit, sous réserve des II à V du présent article. / () VI. - Sans préjudice de l'engagement de poursuites disciplinaires, la violation du présent article donne lieu au reversement des sommes perçues au titre des activités interdites, par voie de retenue sur le traitement. / () ".

5. En premier lieu, les dispositions précitées du VI de l'article 25 septies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 sont applicables au présent litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

6. En second lieu, Mme B, qui n'invoque pas le caractère inconstitutionnel de l'interdiction de cumul de rémunérations, soutient que l'obligation et les modalités de répétition de l'indu définies au VI précité de l'article 25 septies de la loi n° 83-634, qui permettent à l'administration d'obtenir d'un de ses agents qui a irrégulièrement cumulé des rémunérations, le remboursement des sommes indûment perçues, portent atteinte non seulement au droit de propriété, à la liberté d'entreprendre et au droit au respect de la vie privée, mais également, en tant qu'elles instituent une sanction unilatérale, au principe de nécessité des peines et au respect des droits de la défense, en méconnaissance des articles 2, 4, 8, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Toutefois, outre que les dispositions dont la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution est contestée sont sans incidence sur le droit au respect de la vie privée et familiale des fonctionnaires concernés, ceux-ci ne sont pas des entrepreneurs et ne peuvent de leur propre initiative exercer une activité privée, y compris en dehors de leurs heures de service. Ils ne sont donc pas légalement propriétaires des rémunérations perçues en contrepartie d'une telle activité. Par ailleurs, la mesure de reversement des sommes indûment perçues, ne pouvant, compte tenu de sa nature et de son objet, être regardée comme constituant une sanction, le moyen tiré de la méconnaissance des principes de nécessité des peines et de respect de droit de la défense doivent être écartés comme inopérants. Par suite, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée ne présente pas un caractère sérieux. Dès lors, il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité de Mme B.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A B.

Copie en sera adressée pour information au directeur du centre hospitalier des Quatre Villes et au comptable public de la trésorerie hospitalière des Hauts-de-Seine.

Fait à Cergy, le 16 août 2022.

La présidente de la 3ème chambre,

signé

C. Oriol

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.