Tribunal administratif de Lille

Ordonnance du 2 août 2022 n° 2007951

02/08/2022

Non renvoi

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 1er août 2022, la société en nom collectif Stop Hôtel Villeneuve d'Ascq, représentée par Me Zapf, demande au tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant a` la réduction des cotisations primitives de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de taxe pour frais de chambres de commerce auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2019 à raison de son établissement sis 9, boulevard de Mons à Villeneuve d'Ascq, de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité´ relative a` la conformité´ aux droits et liberte´s garantis par la Constitution des dispositions du I bis de l'article 1586 quater du code ge´ne´ral des impo^ts, dans leur re´daction issue de l'article 15 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017.

Elle soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi fiscale et les charges publiques garantis respectivement par les articles 6 et 13 de la De´claration des droits de l'homme et du citoyen du 26 aou^t 1789.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code civil ;

- le code général des impôts ;

- la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

2. En vertu du I de l'article 1586 quater du code général des impôts, les entreprises redevables de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises bénéficient d'un dégrèvement dont le montant est égal à une fraction de cette cotisation. Cette fraction décroît en fonction de leur chiffre d'affaires, de sorte que, symétriquement, le taux effectif d'imposition à cette cotisation croît en fonction du chiffre d'affaires. Aux termes du I bis de cet article, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 : " Lorsqu'une entreprise, quels que soient son régime d'imposition des bénéfices, le lieu d'établissement, la composition du capital et le régime d'imposition des bénéfices des entreprises qui la détiennent, remplit les conditions de détention fixées au I de l'article 223 A pour être membre d'un groupe, le chiffre d'affaires à retenir pour l'application du I du présent article s'entend de la somme de son chiffre d'affaires et des chiffres d'affaires des entreprises qui remplissent les mêmes conditions pour être membres du même groupe. / Le premier alinéa du présent I bis s'applique, y compris lorsque les entreprises mentionnées à ce même premier alinéa ne sont pas membres d'un groupe mentionné aux articles 223 A ou 223 A bis. / Ledit premier alinéa n'est pas applicable lorsque la somme des chiffres d'affaires mentionnée au même premier alinéa est inférieure à 7 630 000 €. / () ". Aux termes du I de l'article 223 A du code général des impôts : " Une société, ci-après désignée par les mots : "société mère", peut se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés ou d'établissements stables membres du groupe, ci-après désignés par les mots : "sociétés du groupe", ou de sociétés ou d'établissements stables, ci-après désignés par les mots : "sociétés intermédiaires", détenus à 95 % au moins par la société mère de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés du groupe ou de sociétés intermédiaires. / () ".

3. La société Stop Hôtel Villeneuve d'Ascq soutient que les dispositions précitées du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts, dans leur rédaction issue de l'article 15 de la loi du 30 décembre 2017 susvisée, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, dès lors qu'elles instaurent une différence de traitement, au regard de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, entre, d'une part, les sociétés qui remplissent les conditions de détention fixées par le I de l'article 223 A du code général des impôts pour être membres d'un groupe fiscalement intégré et, d'autre part, les sociétés qui ne remplissent pas ces conditions.

4. En premier lieu, la société Stop Hôtel Villeneuve d'Ascq fait valoir que la différence de traitement entre les sociétés qui remplissent les conditions de détention fixées par le I de l'article 223 A du code général des impôts et celles qui ne les remplissent pas, les premières étant imposées à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises selon un taux effectif d'imposition tenant compte du chiffre d'affaires consolidé du groupe économique auquel elles appartiennent alors que les secondes sont imposées selon un taux effectif tenant compte de leur seul chiffre d'affaires propre et de ce fait moins élevé, n'est justifiée ni par une différence de situation entre ces sociétés au regard de l'objet de cette imposition, ni par un motif d'intérêt général.

5. Il résulte toutefois des travaux préparatoires à la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, de laquelle sont issues les dispositions contestées, qu'en les adoptant, le législateur a entendu faire obstacle à la réalisation d'opérations de restructuration aux fins de réduire le montant de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dû par l'ensemble des sociétés du groupe grâce à une répartition différente du chiffre d'affaires en son sein. La condition de détention de 95 % permet à ce titre de circonscrire le dispositif aux groupes au sein desquels des liens capitalistiques étroits facilitent le pilotage des restructurations. Le législateur a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général. La différence de traitement ainsi instituée par ces dispositions repose sur des critères objectifs et rationnels en lien avec l'objet du dégrèvement de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises prévu au I de l'article 1586 quater précité, dès lors que toutes les entreprises remplissant les conditions de détention requises pour être membres d'un groupe fiscalement intégré, susceptible d'être structuré en vue de réduire le montant total de la cotisation due par les sociétés du groupe, sont soumises aux mêmes règles de calcul de ce dégrèvement, qu'elles soient membres ou non d'un tel groupe au regard de l'impôt sur les sociétés. À cet égard, la circonstance que le législateur aurait, ainsi que le soutient la société requérante, également poursuivi des objectifs de rendement budgétaire et de lutte contre l'optimisation fiscale, n'est pas de nature à caractériser par elle-même une atteinte au principe d'égalité devant la loi. De même, la société requérante soutient que son groupe fiscal a été constitué de nombreuses années avant l'institution de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et qu'il ne peut donc lui être reproché d'avoir eu pour unique objectif d'optimiser sa situation au regard d'une imposition qui n'existait pas encore. Toutefois, en adoptant les dispositions critiquées, le législateur a entendu tenir compte de la situation particulière des groupes de sociétés, indépendamment de la date de leur constitution, au regard de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, pour leur appliquer les règles de droit commun pour la détermination, en fonction de leur chiffre d'affaires, du taux effectif d'imposition correspondant à leurs facultés contributives. En outre les dispositions contestées ne peuvent être regardées comme instituant une présomption de fraude ou d'évasion fiscale. Il en résulte que ces dispositions ne méconnaissent pas, sur ce point, le principe d'égalité devant les charges publiques.

6. En deuxième lieu, la société Stop Hôtel Villeneuve d'Ascq fait valoir qu'il existe une inégalité de traitement face aux exonérations de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dès lors que seules les entreprises dont le chiffre d'affaires excède 500 000 euros sont assujetties à la cotisation alors que les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à ce seuil ne sont pas imposables. Elle soutient que la différence de traitement étant uniquement fondée sur le mode de détention, le dispositif de consolidation du chiffre d'affaires, qui est institué par les dispositions attaquées, conduit à soumettre à cette imposition des entreprises qui réalisent un chiffre d'affaires individuel compris entre 152 500 euros et 500 000 euros et qui n'auraient pas été imposées en l'absence d'un tel dispositif. Toutefois, et alors d'ailleurs que le législateur a pris soin de circonscrire le dispositif critiqué aux sociétés membres des groupes économiques dont le chiffre d'affaires consolidé excède 7,63 millions d'euros, les effets de seuils induits par ce dispositif, qui peuvent conduire à ne pas appliquer un dégrèvement aux entreprises consolidées qui réalisent un chiffre d'affaires individuel compris entre 152 500 euros et 500 000 euros, ne sont pas manifestement disproportionnés et n'imposent pas au contribuable une charge excessive au regard de ses capacités contributives. Au demeurant, si les dispositions du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts ont pour objet de prévoir, pour les sociétés remplissant les conditions de détention pour être membres d'un groupe fiscalement intégré, des règles particulières de calcul du dégrèvement de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises prévu au I du même article, elles n'ont cependant aucune incidence sur l'appréciation du seuil d'assujettissement à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, fixé à l'article 1586 ter du code général des impôts, qui s'apprécie au regard du seul chiffre d'affaires réalisé par le contribuable, indépendamment de savoir s'il remplit ou non les conditions de détention fixées au I de l'article 223 A code général des impôts. La différence de traitement invoquée repose dès lors sur des critères objectifs et rationnels.

7. En troisième lieu, la société Stop Hôtel Villeneuve d'Ascq fait valoir que le dispositif contesté génère une rupture d'égalité de traitement à l'encontre des sociétés en participation, au motif que, contrairement aux autres sociétés de personnes qui font l'objet d'une consolidation sans même appartenir à un groupe d'intégration fiscale, le chiffre d'affaires de ces sociétés ne peut faire l'objet de cette consolidation avec celui des associés qui la détiennent. Toutefois, les sociétés en participation, dont les statuts doivent nécessairement, en application des dispositions combinées des articles 1834, 1835 et 1871-1 du code civil, déterminer un capital, ont la possibilité, comme toutes les sociétés de personnes, d'opter pour l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés en application du 3 de l'article 206 du code général des impôts. Elles ne sont dès lors pas exclues du champ du I de l'article 223 A du code général des impôts, qui vise l'ensemble des sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés. Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutient la société requérante, les dispositions contestées du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts ne définissent pas un traitement différent, au regard de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, entre les sociétés en participation et les autres formes de sociétés. La différence de traitement invoquée n'est dès lors pas établie. En revanche, si comme le fait valoir la société requérante, le chiffre d'affaires d'une société en participation ne peut pas être consolidé avec celui des associés qui la constituent, en ce qu'étant dépourvue de capital, elle n'est pas détenue par ses associés dans les conditions fixées au 1 de l'article 223 A du CGI, il résulte toutefois de cette constatation de fait et de droit qu'une telle société est placée dans une situation différente des autres sociétés.

8. En dernier lieu, les dispositions du I bis de l'article 1586 quater qui concernent le seul dégrèvement prévu au I du même article n'ont pas pour objet de définir l'assiette de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Dès lors, la circonstance que ces dispositions ne comportent pas de dispositif de neutralisation des refacturations intragroupes est en tout état de cause insusceptible de conduire à une situation de double imposition. La différence de traitement invoquée n'est dès lors pas établie.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Stop Hôtel Villeneuve d'Ascq est dépourvue de caractère sérieux. Il n'y a pas lieu, dès lors, de transmettre cette question au Conseil d'État.

ORDONNE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalite´ souleve´e par la société Stop Hôtel Villeneuve d'Ascq.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société en nom collectif Stop Hôtel Villeneuve d'Ascq et au directeur régional des finances publiques des Hauts-de-France et du département du Nord.

Fait à Lille, le 2 août 2022.

Le président,

Signé

O. LEMAIRE

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.

Pour expédition conforme,

La greffière,

Code publication

D