Tribunal administratif de Martinique

Jugement du 28 juillet 2022 n° 2100739

28/07/2022

Irrecevabilité

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 10 décembre 2021, M. D A demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 15 octobre 2021 par laquelle le directeur du centre hospitalier François Dunan de Saint-Pierre-et-Miquelon l'a suspendu de ses fonctions, sans rémunération, à compter du 18 octobre 2021 et ce jusqu'à ce qu'il produise un justificatif de vaccination contre la maladie de la covid-19 ou un justificatif de contre-indication à la vaccination ;

2°) de mettre à la charge du centre hospitalier François Dunan de Saint-Pierre-et-Miquelon une somme de 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision attaquée de suspension de ses fonctions n'était pas justifiée par la situation sanitaire dans l'archipel au 15 octobre 2021 puisque aucun décès, cas grave ou cas de réanimation n'avait été relevé et que les nombreuses mesures de protection suffisaient à protéger la population ;

- les vaccins contre la maladie de la covid-19, qui sont encore en phase expérimentale et présentent des risques, n'ont fait l'objet d'aucune autorisation de mise sur le marché, en méconnaissance de l'article 3 du règlement (CE) n° 726/2004 du 31 mars 2004 ;

- l'obligation qui lui est faite de se vacciner sans son consentement constitue une atteinte à son intégrité physique constitutive d'une ingérence dans son droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme ;

- elle méconnait également les articles 9 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 2 de son premier protocole additionnel, ainsi que la convention d'Oviedo pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine signée le 4 avril 1997 ;

- la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a instauré, pour l'accès aux emplois publics, une discrimination entre citoyens fondée sur la détention ou la non-détention d'un certificat de vaccination qui est contraire à l'article 6 de la Déclaration des droits et du citoyen ;

- la décision attaquée le suspendant de ses fonctions est inégalitaire, discriminatoire et n'est pas motivée par des considérations sanitaires de lutte contre l'épidémie de covid-19.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 avril 2022, le centre hospitalier François Dunan de Saint-Pierre-et-Miquelon conclut au rejet de la requête et, en outre, à ce qu'il soit mis à la charge de M. A une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 12 avril 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 11 mai 2022.

En application de l'article R. 613-3 du code de justice administrative, le mémoire complémentaire de M. A, enregistré le 10 juin 2022, soit postérieurement à la clôture de l'instruction, n'a pas été communiqué.

En application de l'article R. 613-3 du code de justice administrative, le mémoire distinct aux fins de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité de M. A, enregistré le 11 juin 2022, soit postérieurement à la clôture de l'instruction, n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 et l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention d'Oviedo pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine signée le 4 avril 1997 ;

- le règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 établissant des procédures communautaires pour l'autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B,

- les conclusions de M. Lancelot, rapporteur public,

- et les observations de M. A.

Considérant ce qui suit :

1. M. D A, agent contractuel de la fonction publique hospitalière, exerce en qualité d'agent d'entretien qualifié au sein du centre hospitalier François Dunan de Saint-Pierre-et-Miquelon, en vertu d'un contrat à durée indéterminée. Par décision du 15 octobre 2021, le directeur de l'établissement hospitalier l'a suspendu de ses fonctions, sans rémunération, à compter du 18 octobre 2021 et ce jusqu'à ce qu'il produise un justificatif de vaccination contre la maladie de la covid-19 ou un justificatif de contre-indication à la vaccination. Dans la présente instance, M. A demande au tribunal administratif d'annuler cette décision.

Sur la légalité de la décision attaquée :

2. L'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire dispose : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans : / a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique ainsi que les hôpitaux des armées mentionnés à l'article L. 6147-7 du même code () ". L'article 13 de la même loi dispose : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : / 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement prévu au second alinéa du II de l'article 12. Avant la fin de validité de ce certificat, les personnes concernées présentent le justificatif prévu au premier alinéa du présent 1°. / () 2° Ne pas être soumises à cette obligation en présentant un certificat médical de contre-indication. Ce certificat peut, le cas échéant, comprendre une date de validité () ". L'article 14 de la même loi dispose : " I. - A. - A compter du lendemain de la publication de la présente loi et jusqu'au 14 septembre 2021 inclus, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12 ou le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret. / B. - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / () III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit. / La dernière phrase du deuxième alinéa du présent III est d'ordre public () ".

En ce qui concerne la question prioritaire de constitutionnalité :

3. L'article 61-1 de la Constitution dispose : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé () ". L'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé () ". L'article R. 771-3 du code de justice administrative dispose : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité ". ". L'article R. 771-4 du même code dispose : " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation, dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 et R. 612-1. ".

4. En l'espèce, M. A conteste dans sa requête l'obligation vaccinale instituée par l'article 12 cité précédemment de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion sanitaire. Il soutient qu'en instaurant, pour l'accès aux emplois publics, une discrimination entre citoyens fondée sur la détention ou la non-détention d'un certificat de vaccination, le Législateur a méconnu le principe constitutionnel d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Toutefois, un tel moyen, qui s'analyse en une question prioritaire de constitutionnalité, n'a pas été présenté dans un mémoire distinct, en méconnaissance des dispositions citées précédemment des articles 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et R. 771-3 du code de justice administrative. La question prioritaire de constitutionnalisée ainsi soulevée par M. A n'a pas été régularisée par le dépôt d'un mémoire distinct avant la clôture de l'instruction, qui a été fixée à la date du 11 mai 2022 par une ordonnance du 12 avril 2022. Ce moyen est dès lors irrecevable. Il doit, par suite, être écarté à ce titre.

En ce qui concerne les autres moyens de légalité :

5. En premier lieu, d'une part, il ressort des énonciations de la décision en litige que celle-ci a été prise sur le fondement des dispositions mentionnées au point 2 ci-dessus. Cette mesure de suspension sans rémunération, expressément prévue par le III. de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 et que l'autorité hiérarchique est tenue de mettre en œuvre lorsqu'elle constate que l'agent public concerné ne peut plus exercer son activité en application du I. de l'article, s'analyse comme une mesure prise dans l'intérêt de la santé publique, destinée à lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 dans un objectif de maîtrise de la situation sanitaire. D'autre part, il est constant que M. A exerce ses fonctions d'agent d'entretien qualifié au sein du centre hospitalier François Dunan de Saint-Pierre-et-Miquelon et relève ainsi des personnels listés au I. de l'article 13 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire qui sont soumis à l'obligation vaccinale instituée par l'article 12 de la même loi. Enfin, il ressort des pièces du dossier, notamment des motifs de l'ordonnance n° 2100740 du juge des référés du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon du 13 décembre 2021, que le requérant ne conteste pas utilement, que l'archipel était confronté, à la date de la décision attaquée, à une recrudescence de la pandémie de covid-19 caractérisée par une hausse du nombre de cas positifs recensés par les autorités sanitaires. Dans ces conditions, compte-tenu des capacités limitées de place en réanimation disponible au sein du centre hospitalier François Dunan de Saint-Pierre-et-Miquelon, les cas les plus graves relevant d'évacuations sanitaires vers les hôpitaux canadiens, sous réserve des mesures plus restrictives susceptibles d'être prises par les autorités canadiennes, M. A n'est pas fondé à soutenir la mesure de suspension litigieuse n'est pas justifiée au regard de la situation constatée sur l'archipel à la date où elle a été édictée. Le moyen soulevé à ce titre doit, par suite, être écarté.

6. En deuxième lieu, l'article 3 du règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 établissant des procédures communautaires pour l'autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments dispose : " 1. Aucun médicament figurant à l'annexe ne peut être mis sur le marché dans la Communauté sans qu'une autorisation de mise sur le marché n'ait été délivrée par la Communauté conformément au présent règlement () ".

7. L'ensemble des vaccins contre la covid-19 qui sont administrés en France ont fait l'objet, contrairement à ce que soutient M. A, d'une autorisation de mise sur le marché conditionnelle de l'Agence européenne du médicament, qui procède à un contrôle strict des vaccins afin de garantir que ces derniers répondent aux normes européennes en matière de sécurité, d'efficacité et de qualité et soient fabriqués et contrôlés dans des installations agréées et certifiées. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 cité précédemment du règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 n'est pas fondé. Il doit, par suite, être écarté.

8. En troisième lieu, compte-tenu de l'autorisation de mise sur le marché conditionnelle de l'Agence européenne du médicament dont bénéficie chacun des vaccins contre la covid-19 administrés en France et du contrôle strict des vaccins exercé par l'Agence, afin de garantir que ces derniers répondent aux normes européennes en matière de sécurité, d'efficacité et de qualité et soient fabriqués et contrôlés dans des installations agréées et certifiées, ainsi qu'il a été dit au point précédent, ceux-ci ne sauraient être regardés comme des médicaments expérimentaux au sens de l'article L. 5121-1-1 du code de la santé publique, contrairement à ce que soutient le requérant. Est par suite inopérant le moyen tiré de ce qu'en imposant une vaccination par des médicaments expérimentaux, la loi du 5 août 2021 porteraient atteinte au droit à l'intégrité physique, à la dignité de la personne humaine, au droit à la sécurité et à la vie et au droit de disposer de son corps garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que la convention d'Oviedo du 4 avril 1997 pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine. Le moyen soulevé à ce titre doit, par conséquent, être écarté.

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

10. Le droit à l'intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée au sens des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, telles que la Cour européenne des droits de l'homme les interprète. Une vaccination obligatoire constitue une ingérence dans ce droit, qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l'article 8 et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l'objectif poursuivi. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter.

11. L'article 12 de la loi du 5 août 2021 a défini le champ de l'obligation de vaccination contre la covid-19 en retenant, notamment, un critère géographique pour y inclure les personnes exerçant leur activité dans un certain nombre d'établissements, principalement les établissements de santé et des établissements sociaux et médico-sociaux, ainsi qu'un critère professionnel pour y inclure les professionnels de santé afin, à la fois, de protéger les personnes accueillies par ces établissements qui présentent une vulnérabilité particulière au virus de la covid-19 et d'éviter la propagation du virus par les professionnels de la santé dans l'exercice de leur activité qui, par nature, peut les conduire à soigner des personnes vulnérables ou ayant de telles personnes dans leur entourage. Le fait que l'obligation de vaccination concerne aussi des personnels qui ne sont pas en contact direct avec les malades est sans incidence dès lors qu'ils entretiennent nécessairement, eu égard à leur lieu de travail, des interactions avec des professionnels de santé en contact avec ces derniers. Il s'ensuit que, eu égard à l'objectif de santé publique poursuivi et alors même qu'aucune dérogation personnelle à l'obligation de vaccination n'est prévue en dehors des cas de contre-indication, l'obligation vaccinale pesant sur le personnel exerçant dans un établissement de santé, auquel appartient M. A, ne saurait être regardée comme incohérente et disproportionnée au regard de l'objectif de santé publique poursuivi. Dans ces conditions, M. A n'est pas fondé à soutenir que son droit à l'intégrité physique garanti par l'article 8 cité précédemment de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales aurait été méconnu. Le moyen qu'il soulève sur ce point doit, par suite, être écarté.

12. En cinquième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent, M. A n'est pas fondé à soutenir que l'obligation vaccinale pesant sur le personnel exerçant dans les établissements de santé méconnaîtrait son droit du patient de donner son consentement libre et éclairé aux soins médicaux qui lui sont prodigués garanti par l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le moyen soulevé sur ce point doit, par suite, être écarté.

13. En sixième lieu, si M. A invoque dans ses écritures le bénéfice de l'article 2 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relatif au droit à l'instruction, il n'expose toutefois pas les raisons pour lesquelles ces stipulations internationales auraient, selon lui, été méconnues. Le moyen soulevé à ce titre n'est dès lors pas assorti des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé. Il doit, par suite, être écarté à ce titre.

14. En septième lieu, aux termes de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". Aux termes de l'article 14 de la convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ". Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle affecte la jouissance d'un droit ou d'une liberté sans être assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi.

15. Il résulte de ce qui a été dit précédemment au point 11. que l'article 12 de la loi du 5 août 2021 a défini le champ de l'obligation de vaccination contre la covid-19 en retenant, notamment, un critère géographique pour y inclure les personnes exerçant leur activité dans un certain nombre d'établissements, principalement les établissements de santé et des établissements sociaux et médico-sociaux, ainsi qu'un critère professionnel pour y inclure les professionnels de santé. Le législateur a ainsi entendu à la fois protéger les personnes accueillies par ces établissements qui présentent une vulnérabilité particulière au virus de la covid-19 et éviter la propagation du virus par les professionnels de la santé dans l'exercice de leur activité qui, par nature, peut les conduire à soigner des personnes vulnérables ou ayant de telles personnes dans leur entourage. Ces dispositions ne créent dès lors aucune discrimination prohibée par les stipulations citées précédemment des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention. Le moyen soulevé sur ce point doit, par suite, être écarté.

16. En huitième lieu, l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, applicable aux agents contractuels de la fonction publique en vertu du II. de l'article 32 de la même loi, dispose dans sa version applicable au litige : " () Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille ou de grossesse, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race () ".

17. De manière générale, il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction. Cette responsabilité doit, dès lors qu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes. S'il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

18. En l'espèce, pour tenter de caractériser la discrimination dont il estime avoir été victime, M. A se borne à soutenir que la décision attaquée de suspension de fonctions dont il a fait l'objet, prise sur le fondement de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, n'est pas motivée par des considérations sanitaires de lutte contre l'épidémie de covid-19, sans toutefois indiquer les motifs sur lesquels, selon lui, cette mesure de suspension reposerait. Dans ces conditions, le requérant ne peut être regardé comme apportant des éléments de faits susceptibles de laisser présumer l'existence d'une situation de discrimination. Le moyen qu'il soulève sur ce point n'est dès lors pas fondé. Il doit, par suite, être écarté.

19. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à contester la légalité de la décision attaquée du directeur du centre hospitalier François Dunan de Saint-Pierre-et-Miquelon du 15 octobre 2021 prononçant sa suspension de fonctions. Sa requête doit, par suite, être rejetée.

Sur les frais liés au litige :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier François Dunan de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. A au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A la somme demandée par le centre hospitalier François Dunan de Saint-Pierre-et-Miquelon au même titre.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du centre hospitalier François Dunan de Saint-Pierre-et-Miquelon présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. D A et au centre hospitalier François Dunan de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Délibéré après l'audience du 6 juillet 2022, à laquelle siégeaient :

M. Wallerich, président,

M. de Palmaert, premier conseiller,

M. Phulpin, conseiller.

Rendue publique par mise à disposition au greffe le 28 juillet 2022.

Le rapporteur,

V. B

Le président,

M. CLa greffière,

S. Demontreux

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C