Tribunal administratif d'Orléans

Jugement du 26 juillet 2022 n° 2201627

26/07/2022

Autre

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, respectivement enregistrés les 12 mai et 29 juin 2022, la société à responsabilité limitée (SARL) Biologie Servier, représentée par Me Salomé, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 2 mai 2022 par laquelle la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités du Centre-Val de Loire a refusé d'homologuer le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi de l'entreprise ;

2°) d'enjoindre à la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de réexaminer la demande d'homologation de son document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi dans un délai de quinze jours ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision attaquée est entachée d'un vice de procédure dès lors que la DREETS n'a évoqué la question de l'obligation de recherche d'un repreneur que postérieurement à la clôture de la procédure d'information-consultation et après que le secrétaire du comité social et économique (CSE) a lui-même soulevé cette prétendue irrégularité ; cette absence d'observation a exercé une influence sur le sens de la décision puisqu'il l'a mise dans l'impossibilité de procéder à la régularisation de son dossier ;

- en considérant que les dispositions des articles L. 1233-57-9 et R. 1233-15 du code du travail étaient applicables à son projet de déménagement, la DREETS a entaché sa décision d'une erreur de droit, dès lors que ces dispositions n'ont pas vocation à s'appliquer en cas de fermeture ou de transfert d'une entreprise dans son entier, mais seulement en cas de projet de fermeture d'un établissement, lequel s'entend, en vertu de l'article R. 1233-15, du seul établissement doté d'un CSE d'établissement ; or, en ce qui la concerne, elle dispose uniquement d'un CSE au niveau de l'entreprise et n'a pas de CSE d'établissements puisqu'elle ne compte pas plusieurs établissements ;

- elle est fondée à exciper de l'illégalité des dispositions du troisième alinéa de l'article R. 1233-15 du code du travail, issues du décret n° 2015-1378, modifié par le décret n° 2017-1819, lesquelles constituent le fondement juridique de la décision attaquée :

* ces dispositions ont été adoptées en violation directe de la loi Florange dont elles ont dénaturé l'esprit, dès lors que l'hypothèse du transfert d'un établissement en dehors de sa zone d'emploi ne constitue pas une fermeture pour des raisons économiques ayant pour conséquence un projet de licenciement collectif ; en outre, une telle décision, qui relève de la gestion de l'entreprise, ne poursuit pas l'objectif de cesser une activité mais celui de déplacer géographiquement cette activité en maintenant les emplois existants ;

* les dispositions litigieuses méconnaissent le champ d'application de la loi, le pouvoir réglementaire, qui était seulement habilité à déterminer les modalités d'application de cette loi, ayant excédé sa compétence en étendant son champ d'application en ajoutant les hypothèses de transfert d'activité à celles de fermetures d'établissement ;

* les dispositions litigieuses portent à la liberté d'entreprendre, protégée par le Conseil constitutionnel au titre de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, une atteinte qui n'est ni proportionnée ni adaptée aux objectifs poursuivis par le législateur, en ce qu'elles contraignent l'entreprise souhaitant opérer le transfert géographique d'un établissement à proposer son activité à la vente, alors même qu'un tel transfert n'entraine aucune suppression de poste ni un quelconque arrêt d'activité sur le territoire national ;

- la décision attaquée se trouve privée de base légale en raison de l'inconventionnalité des dispositions de la loi Florange codifiées à l'article L. 1233-57-9 du code du travail qui, en ce qu'elles imposent de rechercher un repreneur indifféremment de l'objet de la fermeture d'un établissement, portent atteinte à la liberté d'entreprise protégée par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la Cour de justice de l'Union européenne ; cette atteinte n'est ni proportionnée ni nécessaire eu égard aux objectifs poursuivis.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juin 2022, la préfète de la région Centre-Val de Loire conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- l'administration peut se fonder pour refuser l'homologation du document unilatéral sur une irrégularité de procédure ou une insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi n'ayant pas fait l'objet d'observations préalables de sa part ;

- l'obligation de recherche d'un repreneur définie aux articles L. 1233-57-9 et R. 1233-15 du code du travail s'applique à la société Biologie Servier dès lors que le projet qu'elle envisage se traduit par un transfert d'établissement en dehors de sa zone d'emploi qui a pour conséquence la mise en œuvre d'un PSE emportant un projet de licenciement collectif ;

- le moyen tiré de l'exception d'illégalité de l'alinéa 3 de l'article R. 1233-15 du code du travail est inopérant dès lors que la décision de refus d'homologation du document unilatéral contestée n'est pas fondée sur ces dispositions mais sur celles des articles L. 1233-57-1, L. 1233-57-3 et L. 1233-57-9 du code du travail ; en tout état de cause, ces dispositions ne sont pas illégales ;

- le moyen tiré de l'atteinte à l'article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne est inopérant dès lors que l'article L. 1233-57-9 du code du travail ne vise pas à mettre en œuvre du droit de l'Union européenne au sens de l'article 51, paragraphe 1 de la Charte, et notamment pas la directive 98/59/CE du 20 juillet 1998 ; en tout état de cause, le moyen n'est pas fondé dès lors que les dispositions de l'article L. 1233-57-9 du code du travail, qui se bornent à définir le champ d'application de la procédure de recherche de repreneur ne comportent, en elles-mêmes, aucune mesure contraire à l'article 16 de la Charte.

Un mémoire présenté par la préfète de la région Centre-Val de Loire a été enregistré le 19 juillet 2022, postérieurement à la clôture d'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 2014-384 du 29 mars 2014 ;

- le décret n° 2015-1378 du 30 octobre 2015 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C ;

- les conclusions de M. Viéville, rapporteur public ;

- et les observations de Me Salomé, représentant la société Biologie Servier et de Mme B et de M. A, représentant la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités du Centre-Val de Loire.

Une note en délibéré, présentée pour la société Biologie Servier, a été enregistrée le 22 juillet 2022.

Une note en délibéré, présenté par la préfète de la région Centre-Val de Loire, a été enregistrée le 25 juillet 2022.

Considérant ce qui suit :

1. Le groupe Servier, dont le siège est basé à Suresnes, est un laboratoire pharmaceutique français qui exerce des activités de recherche et de développement, de production chimique (fabrication de principes actifs) et pharmaceutique, de promotion et de commercialisation de médicaments. L'activité de recherche développement, qui a pour mission de développer des traitements et des solutions de santé innovants à destination des patients, s'organise en France autour de cinq sociétés réparties sur cinq sites à savoir, le laboratoire de Croissy, le laboratoire de Suresnes, le laboratoire d'Orléans (TES), le laboratoire de Gidy (société Biologie Servier) et le site tertiaire dit de " Surval " à Suresnes (IRIS et ADIR). En 2016, le groupe Servier a annoncé un projet de création d'un institut de recherche sur le site de Paris-Saclay, consistant à regrouper dès février 2023 sur ce site unique, à la fois la recherche et les activités de développement en France et à ouvrir un incubateur de start-up.

2. La société à responsabilité limitée (SARL) Biologie Servier qui, au 30 avril 2022, employait soixante-quinze salariés, exerce, pour sa part, des activités de pharmacodynamie, de biologie et de toxicologie. Elle est implantée sur le site de Gidy qui héberge également une autre société du groupe Servier, à savoir la société " Les Laboratoires Servier Industrie " (LSI), laquelle emploie huit cent vingt salariés pour fabriquer des médicaments du groupe. Le projet de réorganisation ci-dessus décrit implique, en ce qui concerne la société Biologie Servier, le regroupement de la totalité de ses activités sur le site de Paris-Saclay et, par suite, la modification de cinquante-neuf contrats de travail en application des dispositions de l'article L. 1222-6 du code du travail, la création de deux postes et l'application de huit clauses dites de mobilité " Saclay ". Toutefois, la société Biologie Servier, anticipant le refus de la modification de leur contrat de travail par au moins dix de ses salariés sur une période de trente jours, a engagé une procédure de licenciement pour motif économique et de plan de sauvegarde de l'emploi sur le fondement des articles L. 1233-21 et suivants du code du travail.

3. La procédure d'information et de consultation du comité social et économique a démarré le 25 novembre 2021 par une première réunion au cours de laquelle la désignation d'un expert a été demandée. Le 16 décembre suivant, la société Biologie Servier et l'unique organisation syndicale représentative, à savoir la CFDT, ont signé un accord de méthode portant la durée de la procédure d'information consultation à quatre mois. Sept réunions du comité social et économique ont été organisées en parallèle de huit réunions de négociations. En l'absence de conclusion d'un accord majoritaire, la société Biologie Servier a élaboré un document unilatéral qui a fait l'objet de discussions avec le comité social et économique, notamment sur les mesures du plan de sauvegarde de l'emploi. Le 1er mars 2022, la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités du Centre-Val de Loire a adressé un courrier d'observations à la société. Lors de l'établissement de l'ordre du jour de la dernière réunion, le secrétaire du comité social et économique a évoqué, pour la première fois, la question de la recherche d'un repreneur mais la société Biologie Servier a répondu qu'elle n'était pas soumise à cette obligation. A l'issue de cette dernière réunion extraordinaire du comité social et économique, qui s'est tenue le 29 mars 2022, ce dernier a refusé de rendre un avis. Dès lors, conformément à l'article L. 1233-30 du code du travail, la procédure d'information consultation a régulièrement pris fin et le 15 avril 2022, la société Biologie Servier a déposé sur le portail dédié de l'administration du travail, une demande d'homologation du document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi. Par une décision du 2 mai 2022, la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités a refusé l'homologation sollicitée. C'est la décision attaquée par la requête ci-dessus analysée.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne le cadre du litige :

4. D'une part, aux termes de l'article L. 1233-57-1 du code du travail : " L'accord collectif majoritaire mentionné à l'article L. 1233-24-1 ou le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4 sont transmis à l'autorité administrative pour validation de l'accord ou homologation du document. ". Aux termes de l'article L. 1233-24-1 du même code : " Dans les entreprises de cinquante salariés et plus, un accord collectif peut déterminer le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi mentionné aux articles L. 1233-61 à L. 1233-63 ainsi que les modalités de consultation du comité social et économique et de mise en œuvre des licenciements. Cet accord est signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations reconnues représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants, ou par le conseil d'entreprise dans les conditions prévues à l'article L. 2321-9. L'administration est informée sans délai de l'ouverture d'une négociation en vue de l'accord précité. ". Aux termes de l'article L. 1233-24-2 du code du travail : " L'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1 porte sur le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi mentionné aux articles L. 1233-61 à L. 1233-63. Il peut également porter sur : 1° Les modalités d'information et de consultation du comité social et économique, en particulier les conditions dans lesquelles ces modalités peuvent être aménagées en cas de projet de transfert d'une ou de plusieurs entités économiques prévu à l'article L. 1233-61, nécessaire à la sauvegarde d'une partie des emplois ; 2° La pondération et le périmètre d'application des critères d'ordre des licenciements mentionnés à l'article L. 1233-5 ; 3° Le calendrier des licenciements ; 4° Le nombre de suppressions d'emploi et les catégories professionnelles concernées ; 5° Les modalités de mise en œuvre des mesures de formation, d'adaptation et de reclassement prévues à l'article L. 1233-4. ". Aux termes de l'article L. 1233-24-4 du même code : " A défaut d'accord mentionné à l'article L. 1233-24-1, un document élaboré par l'employeur après la dernière réunion du comité social et économique fixe le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi et précise les éléments prévus aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, dans le cadre des dispositions légales et conventionnelles en vigueur. ". Aux termes de l'article L. 1233-57-3 du même code : " En l'absence d'accord collectif ou en cas d'accord ne portant pas sur l'ensemble des points mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, l'autorité administrative homologue le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, après avoir vérifié la conformité de son contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles relatives aux éléments mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, la régularité de la procédure d'information et de consultation du comité social et économique, le respect, le cas échéant, des obligations prévues aux articles L. 1233-57-9 à L. 1233-57-16, L. 1233-57-19 et L. 1233-57-20 et le respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 en fonction des critères suivants : 1° Les moyens dont disposent l'entreprise, l'unité économique et sociale et le groupe ; 2° Les mesures d'accompagnement prévues au regard de l'importance du projet de licenciement ; 3° Les efforts de formation et d'adaptation tels que mentionnés aux articles L. 1233-4 et L. 6321-1. () ".

5. D'autre part, il résulte de la combinaison des articles L. 1233-21, L. 1233-30 et L. 1233-24-2 du code du travail que des modalités particulières d'information et de consultation du comité social et économique sur un plan de sauvegarde de l'emploi, peuvent être fixées, soit par un accord collectif pris sur le fondement de l'article L. 1233-21 du code du travail et ayant spécifiquement cet objet - dit " accord de méthode " - soit par l'accord qui fixe le plan de sauvegarde de l'emploi lui-même.

En ce qui concerne la légalité externe :

6. Aux termes de l'article L. 1233-57 du code du travail : " L'autorité administrative peut présenter toute proposition pour compléter ou modifier le plan de sauvegarde de l'emploi, en tenant compte de la situation économique de l'entreprise () ". Aux termes de l'article L. 1233-57-5 du même code : " Toute demande tendant, avant transmission de la demande de validation ou d'homologation, à ce qu'il soit enjoint à l'employeur de fournir les éléments d'information relatifs à la procédure en cours ou de se conformer à une règle de procédure prévue par les textes législatifs, les conventions collectives ou un accord collectif est adressée à l'autorité administrative. Celle-ci se prononce dans un délai de cinq jours ". Enfin, aux termes de l'article L. 1233-57-6 de ce code : " L'administration peut, à tout moment en cours de procédure, faire toute observation ou proposition à l'employeur concernant le déroulement de la procédure ou les mesures sociales prévues à l'article L. 1233 32. () ".

7. S'il revient en principe à l'administration, en application de ces dispositions, de présenter toute observation ou proposition ou de formuler des injonctions de nature à éclairer l'employeur en cours de procédure sur la régularité de celle-ci et le caractère suffisant des mesures contenues dans le plan de sauvegarde de l'emploi, cette faculté ne fait pas obstacle à ce que le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités compétent se fonde, pour refuser une homologation, sur une irrégularité de la procédure d'information et de consultation, ou sur une insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi, sur laquelle il n'a préalablement adressé à l'employeur aucune proposition, observation ou injonction. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision de refus d'homologation du document unilatéral portant sur le plan de sauvegarde de l'emploi est intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors que le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités n'a évoqué l'obligation de recherche d'un repreneur que postérieurement à la clôture de la procédure d'information-consultation, et après que le secrétaire du comité social et économique a lui-même relevé cette prétendue irrégularité, empêchant ainsi toute possibilité de régularisation, ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne :

S'agissant de l'erreur de droit :

8. Issus de la loi n° 2014-384 du 29 mars 2014 visant à reconquérir l'économie réelle, dite " loi Florange ", les articles L. 1233-57-9 à L. 1233-57-22 du code du travail mettent à la charge de l'employeur qui projette la fermeture d'un établissement une obligation d'information des salariés et de l'administration, ainsi qu'une obligation de recherche d'un repreneur pour cet établissement. En ce sens l'article L. 1233-57-9 du code du travail dispose : " Lorsqu'elle envisage la fermeture d'un établissement qui aurait pour conséquence un projet de licenciement collectif, l'entreprise mentionnée à l'article L. 1233-71 réunit et informe le comité social et économique, au plus tard à l'ouverture de la procédure d'information et de consultation prévue à l'article L. 1233-30. ". Les dispositions de l'article R. 1233-15 du même code précisent : " Est un établissement au sens de l'article L. 1233-57-9 une entité économique assujettie à l'obligation de constituer un comité social et économique d'établissement. / Constitue une fermeture au sens de l'article L. 1233-57-9 la cessation complète d'activité d'un établissement lorsqu'elle a pour conséquence la mise en œuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi emportant un projet de licenciement collectif au niveau de l'établissement ou de l'entreprise. / Constitue également une fermeture d'établissement la fusion de plusieurs établissements en dehors de la zone d'emploi où ils étaient implantés ou le transfert d'un établissement en dehors de sa zone d'emploi, lorsqu'ils ont pour conséquence la mise en œuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi emportant un projet de licenciement collectif. ".

9. L'entreprise doit rechercher un repreneur lorsqu'elle envisage la fermeture d'un de ses établissements qui aurait pour conséquence un projet de licenciement collectif. Sont concernées les entreprises soumises à l'obligation de proposer un congé de reclassement aux salariés licenciés pour motif économique, c'est-à-dire les entreprises ou groupe d'au moins mille salariés. L'établissement pour l'application de ces dispositions, comme pour l'application des dispositions de l'article L. 1233-57-8 du code du travail définissant l'autorité administrative compétente pour prendre la décision d'homologation ou de validation, se définit comme " une unité disposant d'une autonomie de gestion suffisante ".

10. Il ressort des pièces du dossier, et il n'est d'ailleurs aucunement contesté, que la société Biologie Servier, société à responsabilité limitée appartenant au groupe Servier, est une entreprise mentionnée à l'article L. 1233-71 du code du travail au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 1233-57-9 du même code. Il est constant que l'opération de regroupement des activités de recherche et développement au sein de l'institut de recherche et développement Servier de Paris-Saclay, dans lequel s'insère le document unilatéral comprenant le projet de licenciement collectif concernant la société Biologie Servier et dont l'homologation a été refusée, implique la mobilité géographique de tous les salariés de la société et se traduit par la modification pour motif économique des cinquante-neuf contrats de travail ne comportant pas de clause spécifique de mobilité. La société, dont le siège social est situé à Gidy, est placée sous la direction d'un gérant et exerce, en mode d'exploitation directe, par l'intermédiaire de l'ensemble des personnels du laboratoire, ses activités de recherche dans les domaines de la pharmacodynamie, de la biologie, de la toxicologie, de la tératogenèse ainsi que de toutes études de mutagenèse. Elle dispose par ailleurs d'un comité social et économique unique qui lui est propre. Par suite, compte tenu de l'ensemble de ces modalités de gestion et de représentation du personnel, l'entreprise Biologie Servier, qui dispose d'une autonomie de gestion suffisante, constitue en elle-même un établissement entrant dans le champ d'application des dispositions précitées du code du travail et était donc soumise, en cette qualité, à l'obligation de recherche d'un repreneur, sans qu'elle puisse utilement se prévaloir, pour s'y soustraire, de la double circonstance qu'elle n'est pas propriétaire des locaux qu'elle occupe sur le site de Gidy et qu'aucun de ses actifs n'est à céder. De même, est sans incidence sur la qualification d'établissement et sur la prétendue limitation de l'obligation de recherche d'un repreneur aux seuls établissements distincts d'une entreprise, dont se prévaut la société requérante, la circonstance que le législateur a entendu distinguer cette obligation de celle de revitalisation des bassins d'emploi, laquelle intervient a posteriori et prend la forme d'une convention entre l'entreprise et l'administration qui détermine les actions de création d'activités et d'emploi envisagées, ainsi que leurs modalités de financement.

11. Il résulte de ce qui précède que la société Biologie Servier n'est pas fondée à soutenir que la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités du Centre-Val de Loire a commis une erreur de droit en refusant d'homologuer le document unilatéral en litige.

S'agissant de l'exception d'illégalité du troisième alinéa de l'article R. 1233-15 du code du travail :

12. La société Biologie Servier excipe de l'illégalité des dispositions du troisième alinéa de l'article R. 1233-15 du code du travail, issues du décret n° 2015-1378, modifié par le décret n° 2017-1819, en ce qu'elles assimilent à une fermeture d'établissement, l'hypothèse de la fusion de plusieurs établissements en dehors de la zone d'emploi où ils étaient implantés, ainsi que celle du transfert d'un établissement en dehors de sa zone d'emploi, dès lors que ces opérations s'accompagnent d'un plan de sauvegarde de l'emploi. Contrairement à ce que soutient en défense la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités du Centre-Val de Loire, ce moyen est opérant dès lors que les dispositions litigieuses, qui sont au demeurant expressément visées dans la décision attaquée, en constituent la base légale.

13. En premier lieu, la société requérante soutient que les dispositions du troisième alinéa de l'article R. 1233-15 du code du travail ont été adoptées en violation de la loi du 29 mars 2014 dite " loi Florange " dont elles ont dénaturé l'esprit. Elle fait valoir, à cet égard, que l'hypothèse du transfert d'un établissement en dehors de sa zone d'emploi ne saurait être regardé comme constituant une fermeture d'établissement pour des motifs économiques ayant pour conséquence un projet de licenciement collectif, puisqu'une telle décision, qui relève de la gestion même de l'entreprise, n'entraîne aucune cessation d'activité mais se borne à en déplacer géographiquement l'exercice, tout en maintenant la totalité des emplois existants. L'étude d'impact de cette loi montre, toutefois, que plusieurs " cas type " de fermetures de sites ont été identifiés recouvrant, outre la cessation d'exploitation pour insuffisance de rentabilité, la cessation pour transfert, les activités réalisées dans le site fermé n'étant pas, dans une telle hypothèse, abandonnées mais transférées vers d'autres sites en France ou à l'étranger, ainsi que la cessation pour réduction des capacités de production du secteur. Il ressort, de même, des travaux préparatoires de cette loi que le législateur, en instaurant l'obligation de recherche de repreneur, a eu la volonté de l'imposer dans tous les cas où le départ d'une entreprise, quelle qu'en soit la cause, entraine une atteinte à l'emploi au niveau d'une zone géographiquement définie. L'objectif poursuivi vise alors à prévenir et à limiter les effets négatifs de licenciements collectifs en offrant une opportunité de trouver une alternative à la fermeture et/ou en anticipant la reconversion de l'appareil de production, afin non seulement d'éviter des licenciements, mais également de maintenir un potentiel de croissance à long terme au sein du périmètre géographique concerné. Dans ces conditions, et alors que le législateur a entendu retenir une acception large de la notion de fermeture, englobant le cas des transferts géographiques d'activités, la société requérante n'est pas fondée à exciper de l'illégalité du troisième alinéa de l'article R. 1233-15 du code du travail à raison d'une dénaturation de la loi du 29 mars 2014.

14. En deuxième lieu, la société requérante soutient que le troisième alinéa de l'article R. 1233-15 du code du travail méconnaît le champ d'application de la loi, le pouvoir réglementaire, qui était seulement habilité à déterminer les modalités d'application de cette loi, ayant excédé sa compétence en étendant son champ d'application en ajoutant aux hypothèses de fermetures d'établissement, celles de transferts d'activité. Il ressort, à cet égard, des mentions figurant à l'appui du décret n° 2015-1378 du 30 octobre 2015 relatif à l'obligation de rechercher un repreneur en cas de projet de fermeture d'un établissement, dont sont issues les dispositions litigieuses, que ce texte a pour objet d'organiser la procédure applicable et, en particulier, de préciser les modalités selon lesquelles les entreprises concernées mettent en œuvre la recherche de repreneur, afin de trouver une solution alternative au projet de fermeture du site et en informent l'autorité administrative, les élus concernés et les instances représentatives du personnel. Par suite, et pour les mêmes motifs que ceux développés au paragraphe 13 du présent jugement, le pouvoir réglementaire n'a pas davantage excédé sa compétence en assimilant les transferts d'activités en dehors de la zone d'emploi aux fermetures d'établissement.

15. En dernier lieu, la société Biologie Servier soutient que les dispositions litigieuses portent à la liberté d'entreprendre, protégée par le Conseil constitutionnel au titre de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, une atteinte qui n'est ni proportionnée ni adaptée aux objectifs poursuivis par le législateur, en ce qu'elles contraignent l'entreprise souhaitant opérer le transfert géographique d'un établissement, à proposer son activité à la vente, alors même qu'un tel transfert n'entraine aucune suppression de poste ni un quelconque arrêt d'activité sur le territoire national.

16. Toutefois, ce moyen ne peut qu'être écarté dès lors que, d'une part, et ainsi qu'il vient d'être dit, ces dispositions réglementaires ne méconnaissent pas les dispositions de la loi du 29 mars 2014 et que, d'autre part, il n'appartient pas au juge administratif, en dehors d'une question prioritaire de constitutionnalité, de se prononcer sur un moyen tiré de la non-conformité de dispositions législatives à la Constitution. En tout état de cause, les dispositions de la loi dite " loi Florange " ont été soumises au Conseil constitutionnel qui, par sa décision n° 2014-692 DC du 27 mars 2014, a déclaré conformes les dispositions relatives à l'information du comité social et économique après avoir considéré qu'elles ne portaient pas atteinte à la liberté d'entreprendre.

S'agissant de l'exception d'inconventionnalité de l'article L. 1233-57-9 du code du travail :

17. La société BS fait valoir que la décision attaquée se trouve privée de base légale en raison de l'inconventionnalité des dispositions de la loi du 29 mars 2014 dite " loi Florange " codifiées à l'article L. 1233-57-9 du code du travail qui, en ce qu'elles imposent de rechercher un repreneur indifféremment de l'objet de la fermeture d'un établissement, portent à la liberté d'entreprise protégée par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la Cour de justice de l'Union européenne, une atteinte qui n'est ni proportionnée ni nécessaire eu égard aux objectifs poursuivis.

18. Toutefois, la liberté d'entreprise, garantie par l'article 16 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ne peut être utilement invoquée, conformément à l'article 51 de la charte, que si les dispositions contestées mettent en œuvre le droit de l'Union. Les dispositions en cause ne mettant pas en œuvre le droit de l'Union européenne, le moyen tiré de la méconnaissance de la liberté d'entreprise ne peut qu'être écarté comme inopérant.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la société Biologie Servier n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 2 mai 2022 par laquelle la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités du Centre-Val de Loire a refusé d'homologuer le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi de l'entreprise.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

20. Le présent jugement, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par la société Biologie Servier, n'implique pas qu'il soit enjoint à la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités du Centre-Val de Loire de réexaminer la demande d'homologation de son document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi.

Sur les frais liés au litige :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme dont la société requérante sollicite le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Biologie Servier est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société Biologie Servier et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Copie en sera adressée, pour information, à la préfète de la région Centre-Val de Loire (direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités Centre-Val de Loire).

Délibéré après l'audience du 22 juillet 2022, à laquelle siégeaient :

M. Quillévéré, président,

Mme Rouault-Chalier, présidente,

M. Joos, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 juillet 2022.

La rapporteure,

Patricia CLe président,

Guy QUILLEVERE

La greffière

Nadine REUBRECHT

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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