Cour administrative d'appel de Toulouse

Arrêt du 21 juillet 2022 n° 21TL04803

21/07/2022

Irrecevabilité

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Appart'City a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la réduction des cotisations de contribution économique territoriale auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2017 et 2018.

Par un jugement n° 2000310 du 18 octobre 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 décembre 2021 sous le n° 21MA04803 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille et ensuite sous le n° 21TL04803 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, et un mémoire enregistré le 7 juin 2022, la société Appart'City, représentée par Me Davidian, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la réduction des cotisations de contribution économique territoriale auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2017 et 2018, à concurrence de 3 777 127 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- pour la détermination de la valeur ajoutée, conformément aux dispositions du 4 du I de l'article 1 586 sexies du code général des impôts et à leurs objectifs, elle peut déduire le produit des sous-locations des biens qu'elle propose à la sous-location pour une durée de plus de six mois, que la sous-location soit ou non effective pendant une telle durée ;

- ces dispositions, si elles sont interprétées comme imposant que la sous-location soit effective pendant une durée de six mois, portent atteinte au principe d'égalité devant la loi fiscale ;

- l'appréciation de cette durée de six mois s'effectue au niveau de l'immeuble et non pas au niveau de chaque appartement donné en sous-location ;

- ces dispositions, si elles sont interprétées comme signifiant que la durée de six mois s'apprécie au niveau de chaque appartement, portent atteinte à sa liberté de gestion commerciale ;

- selon la doctrine administrative, notamment le point n° 280 de celle portant la référence BOI-CVAE-BASE-20 du 23 septembre 2014, il suffit que les biens soient proposés à la sous-location pour être regardés comme des charges pouvant être déduites pour la détermination de la valeur ajoutée.

Par des mémoires, enregistrés le 11 mai 2022 et le 1er juillet 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Appart'City ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ainsi que son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de tourisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B,

- les conclusions de Mme Cherrier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Davidian, représentant la société Appart'City.

Considérant ce qui suit :

1. La société Appart'City exploite plus de cent résidences de tourisme classées, composées d'appartements qu'elle prend à bail auprès des propriétaires et propose, en sous-location, pour des séjours de courte durée à des clients, le plus souvent des salariés d'entreprises en déplacement ou des touristes. Après avoir été assujettie à des cotisations de contribution économique territoriale au titre des années 2016 et 2017 pour plusieurs résidences qu'elle exploite, elle a demandé à bénéficier, sur le fondement de l'article 1647 B sexies du code général des impôts, du plafonnement de cette contribution en fonction de la valeur ajoutée et, à ce titre, d'un dégrèvement d'un montant de 1 907 521 euros au titre de l'année 2016 et de 1 869 606 euros au titre de l'année 2017. Elle fait appel du jugement du 18 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à la réduction des cotisations de contribution économique territoriale auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2016 et 2017 à concurrence de ces montants.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 1647 B sexies du code général des impôts : " I. Sur demande du redevable effectuée dans le délai légal de réclamation prévu pour la cotisation foncière des entreprises, la contribution économique territoriale de chaque entreprise est plafonnée en fonction de sa valeur ajoutée. Cette valeur ajoutée est () b) Pour les autres contribuables, celle définie à l'article 1586 sexies () ". Le 1 du I de l'article 1586 quinquies du même code dispose que : " () la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est déterminée en fonction du chiffre d'affaires réalisé et de la valeur ajoutée produite au cours de l'année au titre de laquelle l'imposition est établie ou au cours du dernier exercice de douze mois clos au cours de la même année lorsque cet exercice ne coïncide pas avec l'année civile ". Aux termes du 4 du I de l'article 1586 sexies du même code : " La valeur ajoutée est égale à la différence entre : a) D'une part, le chiffre d'affaires () / b) Et, d'autre part : () - les services extérieurs diminués des rabais, remises et ristournes obtenus, à l'exception des loyers ou redevances afférents aux biens corporels pris en location ou en sous-location pour une durée de plus de six mois () ; toutefois, lorsque les biens pris en location par le redevable sont donnés en sous-location pour une durée de plus de six mois, les loyers sont retenus à concurrence du produit de cette sous-location () ".

3. Il ressort clairement de ces dispositions que, pour la détermination de la valeur ajoutée servant au plafonnement de la contribution économique territoriale, le locataire intermédiaire peut déduire les loyers afférents aux biens pris en location et donnés en sous-location, dans la limite du produit de cette sous-location, à la condition que ces biens aient été sous-loués pour une durée de plus de six mois. Pour apprécier si cette condition est satisfaite lorsqu'un même bien fait l'objet de plusieurs sous-locations au cours de l'année ou l'exercice de référence, il y a lieu de retenir la durée globale de sous-location de ce bien et non la durée propre à chaque sous-location. Il ne ressort donc pas de ces dispositions, même interprétées à la lumière des travaux parlementaires dont se prévaut la société Appart'City, que la durée de six mois devrait inclure les périodes où les biens, bien que proposés à la sous-location, n'ont pas été effectivement sous-loués. La circonstance que le produit des sous-locations excède la charge des locations et qu'ainsi, la déduction serait inférieure au montant des sous-locations perçues est, par elle-même, sans incidence sur le bien-fondé des impositions contestées.

4. En outre, il résulte des dispositions précédemment citées du code général des impôts que la durée doit s'apprécier pour chaque bien qui, par contrat, a été donné en sous-location. Ainsi, les circonstances invoquées par la société Appart'City selon lesquelles les choix des clients sont davantage déterminés par la résidence que par les appartements eux-mêmes et la résidence, pour laquelle elle doit tenir un compte d'exploitation distinct en application des dispositions de l'article L. 321-2 du code du tourisme, est l'unité de gestion pertinente de son activité, sont sans incidence sur le bien-fondé des impositions contestées. En l'espèce, il est constant que les biens en cause, pris en location et donnés en sous-location, sont en règle générale des appartements situés à l'intérieur de résidences de tourisme et il ne résulte pas de l'instruction que ce sont les résidences elles-mêmes qui, par contrat, sont données en sous-location. La durée de sous-location ne doit ainsi pas s'apprécier au niveau de chaque résidence.

5. Les pièces produites par la société, constituées du tableau récapitulatif des " taux d'occupation " des résidences et des extractions de son logiciel d'exploitation portant sur des données agrégées au niveau de chaque résidence, ne permettent pas de déterminer les biens, en l'espèce en règle générale les appartements, donnés en sous-location pendant une durée supérieure à six mois. Par suite, la société Appart'City n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration a estimé que les dispositions précédemment citées du code général des impôts faisaient obstacle à ce que les charges de location, à concurrence du produit des sous-locations des appartements en cause, soient déduites du chiffre d'affaires pour la détermination de la valeur ajoutée constatée à la clôture des exercices 2016 et 2017.

6. En second lieu, aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé () ". L'article R. 771-3 du code de justice administrative dispose que : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention de la question : " question prioritaire de constitutionnalité " ". Aux termes de l'article R. 771-4 du même code : " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 et R. 612-1 ".

7. En estimant que les impositions contestées, dès lors qu'elles apprécient la durée de six mois au niveau de chaque appartement et n'incluent que les périodes où ils ont été effectivement sous-loués, méconnaissent respectivement l'exercice de la liberté de commerce et d'industrie, qui est une composante de la liberté d'entreprendre, et le principe de l'égalité devant l'impôt, la société Appart'City doit être regardée comme soutenant que les dispositions du 4 de l'article 1586 sexies du code général des impôts, qui fondent les impositions contestées, méconnaissent ces droits et libertés garantis par la Constitution. La société n'ayant pas présenté ces moyens par un mémoire distinct, ils sont donc irrecevables. En tout état de cause, la société ne peut utilement se prévaloir du principe général d'égalité, qui est un principe général du droit, pour contester une imposition légalement établie.

En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale :

8. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, applicable en l'espèce : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente () ".

9. Le présent litige porte sur la réduction de cotisations primitives de contribution économique territoriale et, ainsi, en l'absence de rehaussement, la société Appart'City ne peut utilement se prévaloir de ces dispositions du livre des procédures fiscales. En outre, au surplus, les énonciations du point 280 de la doctrine administrative portant la référence BOI-CVAE-BASE-20 du 23 septembre 2014 ne comportent aucune interprétation différente de la loi dont il a été fait application ci-dessus. Il en va de même, en tout état de cause, pour la réponse ministérielle du 20 novembre 2009 à une question posée en séance publique.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Appart'City n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme à verser à la société Appart'City au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Appart'City est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Appart'City et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Pyrénées.

Délibéré après l'audience du 6 juillet 2022, où siégeaient :

- M. Barthez, président,

- Mme Fabien, présidente assesseure,

- Mme Restino, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juillet 2022.

Le président-rapporteur,

A. BL'assesseure la plus ancienne,

M. A

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C