Tribunal administratif de Montreuil

Jugement du 18 juillet 2022 n° 2204739

18/07/2022

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 25 mars 2022, l'établissement public Voies Navigables de France (VNF) demande au tribunal :

1°) de condamner la Sarl Acrotère au paiement d'une amende de 150 euros en application de l'article L. 2123-9 du code général de la propriété des personnes publiques ;

2°) d'enjoindre à la Sarl Acrotère de libérer le domaine public fluvial dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

3°) d'ordonner, en cas d'inexécution, que VNF sera autorisé à procéder au déplacement d'office du bateau , au besoin avec le concours de la force publique, et ce, aux frais et risques de la société contrevenante ;

4°) de condamner la Sarl Acrotère au paiement de la somme de 250 euros correspondant aux frais d'établissement du procès-verbal de grande voirie, de sa notification et de la notification du jugement à intervenir par voie d'huissier, en application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le bateau , appartenant à la Sarl Acrotère, stationne sans autorisation sur le domaine fluvial géré par VNF sur le territoire de la commune de

L'Île-Saint-Denis ;

- cette situation, qui constitue un empêchement au sens de l'article L. 2132-9 du code général de la propriété des personnes publiques, a fait l'objet d'un procès-verbal de contravention de grande voirie en date du 4 février 2022, ainsi que d'une notification à l'intéressée le 15 février suivant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 avril 2022, la Sarl Acrotère conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- le procès-verbal du 4 février 2022 est nul pour n'avoir pas été dressé à l'encontre de la société Acrotère ;

- le procès-verbal est également nul pour porter sur des faits, en l'espèce le stationnement sans autorisation, qui sont hors de la compétence de la personne habilitée ;

- l'agent ayant procédé à la notification n'avait pas reçu compétence pour ce faire ;

- la requête est irrecevable faute que soit établi que son signataire était compétent pour l'introduire ;

- les dispositions de l'article L. 2132-9 du code général des la propriété des personnes publiques ne sont en l'espèce pas applicables ;

- la société, venant aux droits de M. de Léotard, est titulaire d'un double emplacement ayant permis de faire stationner deux péniches, et , s'étant simplement substitué à .

Par un mémoire distinct, enregistré le 28 avril 2022, la société défenseuse demande au tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 2132-9 du code général de la propriété des personnes publiques, applicables au litige, ainsi que la portée effective que l'interprétation jurisprudentielle constante leur confère.

Elle soutient que ces dispositions et leur interprétation sont entachées d'une méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence, telle qu'elle résulte de l'article 34 de la Constitution, en méconnaissance des articles 8 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution,

- l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958,

- le code général de la propriété des personnes publiques,

- le code des transports,

- le code de justice administrative.

Vu, en application de l'article R. 222-13 du code de justice administrative, la décision par laquelle le président du tribunal administratif a désigné M. C pour statuer sur les litiges relevant de cet article.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C,

- les conclusions de M. Marchand, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par un procès-verbal de contravention de grande voirie, établi le 4 février 2022, un agent assermenté de l'établissement public Voies navigables de France a constaté le stationnement sans droit ni titre sur le domaine public fluvial, sur le territoire de la commune de L'Île-Saint-Denis, du bateau appartenant à la Sarl Acrotère. L'établissement public Voies navigables de France demande au tribunal de condamner la Sarl Acrotère à payer une amende de 150 euros de lui enjoindre de libérer le domaine public fluvial dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.

Sur les conclusions du défendeur tendant à la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".

3. Aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 visée ci-dessus : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. () ".

4. Eu égard à l'objet des mesures susceptibles d'être ordonnées sur le fondement de l'article L. 2132-9 du code général de la propriété des personnes publiques, destinées à assurer le retrait de tous les obstacles de nature à porter atteinte à l'intégrité du domaine public fluvial ou à entraver la navigation dans les conditions de sécurité requises, et compte tenu des garanties dont le prononcé de ces mesures est assorti, le moyen tiré de ce que, faute d'avoir défini avec une précision suffisante l'ensemble des empêchements visés par ces dispositions, le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions de nature à porter atteinte au droit à une juridiction légalement créée et impartiale ne peut qu'être écarté.

5. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité, dépourvue de caractère sérieux, posée par la Sarl Acrotère.

Sur les conclusions de la requête :

En ce qui concerne la régularité de la procédure :

6. En premier lieu, la Sarl Acrotère soutient que le procès-verbal du 4 février 2022 est nul pour avoir été dressé à l'encontre d'un tiers, M. A D. Il résulte toutefois de l'examen de ce procès-verbal, que s'il mentionne à tort, dans un paragraphe conclusif, cette personne, il n'en relève pas moins, dans le paragraphe précédent, que l'infraction résulte de l'occupation sans titre du domaine public fluvial par le bateau " " dont le propriétaire est la

Sarl Acrotère. La mention de M. A D ne peut ainsi qu'être regardée comme une erreur de plume alors, en tout état de cause, que le fait qu'une personne mentionnée dans le procès-verbal n'aurait pas été indiquée comme auteur de l'infraction n'interdit pas à l'administration de la mettre en cause en lui notifiant ledit procès-verbal. Le moyen ne peut, par suite, qu'être écarté.

7. En deuxième lieu, la Sarl Acrotère soutient que le procès-verbal serait irrégulier dès lors qu'il ne porterait pas uniquement sur la constatation de faits matériels, mais se prononce également sur la situation administrative du bateau au regard des droits de stationnement, ce qui aurait excédé la compétence de son signataire. Toutefois, cette circonstance, si elle conduit à ne donner de force probante qu'aux seules mentions du

procès-verbal portant sur de pures constatations matérielles, demeure sans influence sur la régularité du procès-verbal.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 774-2 du code de justice administrative : " Dans les dix jours qui suivent la rédaction d'un procès-verbal de contravention, le préfet fait faire au contrevenant notification de la copie du procès-verbal. / () La notification est faite dans la forme administrative, mais elle peut également être effectuée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. / La notification indique à la personne poursuivie qu'elle est tenue, si elle veut fournir des défenses écrites, de les déposer dans le délai de quinzaine à partir de la notification qui lui est faite. / Il est dressé acte de la notification ; cet acte doit être adressé au tribunal administratif et y être enregistré comme les requêtes introductives d'instance ".

9. La Sarl Acrotère soutient que le procès-verbal lui aurait été notifié par une autorité incompétente. Toutefois Mme E B, autorité ayant procédé à la notification, bénéficiait pour ce faire d'une délégation de signature consentie par décision du directeur territorial Bassin de la Seine du 1er février 2022, lequel bénéficiait lui-même d'une délégation de signature du directeur général de VNF du 2 octobre 2019, ces deux délégations ayant été publiées au bulletin officiel des actifs de VNF, respectivement les 2 octobre 2019 (bulletin n° 59) et 8 février 2022 (bulletin n° 7), étant en outre précisé que le mécanisme de subdélégation est en la matière expressément autorisé par les dispositions de l'article L. 4313-3 du code des transports.

10. En quatrième et dernier lieu, si la SARL soutient que la requête de VNF serait irrecevable, faute pour son signataire de justifier de sa compétence, cette fin de non-recevoir pourra être écartée dès lors que M. F disposait d'une délégation de signature à l'effet de signer, en cas d'absence ou d'empêchement d'un certain nombre d'autorités dont il n'est pas établi qu'elles n'auraient pas été absentes ou empêchées, tout acte en matière de répression des contraventions de grande voirie, y compris devant le juge, octroyée par la décision précitée du 1er février 2022, sans qu'il y ait lieu de s'interroger sur le point de savoir si la présente procédure pouvait être engagée sur le fondement de la délégation de signature relative aux actions en justice.

En ce qui concerne l'action publique :

11. D'une part, aux termes de l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous ". D'autre part, aux termes de l'article L. 2132-9 du même code : " Les riverains, les mariniers et autres personnes sont tenus de faire enlever les pierres, terres, bois, pieux, débris de bateaux et autres empêchements qui, de leur fait ou du fait de personnes ou de choses à leur charge, se trouveraient sur le domaine public fluvial. Le contrevenant est passible d'une amende de 150 à 12 000 euros, de la confiscation de l'objet constituant l'obstacle et du remboursement des frais d'enlèvement d'office par l'autorité administrative compétente ". Enfin, lorsque le juge administratif est saisi d'un procès-verbal de contravention de grande voirie, il ne peut légalement décharger le contrevenant de l'obligation de réparer les atteintes portées au domaine public qu'au cas où le contrevenant produit des éléments de nature à établir que le dommage est imputable, de façon exclusive, à un cas de force majeure ou à un fait de l'administration assimilable à un cas de force majeure.

12. En premier lieu, la Sarl Acrotère ne peut utilement soulever dans l'instance un moyen tiré de l'inconstitutionnalité de l'article L. 2132-9 du code général des la propriété des personnes publiques, étant rappelé, comme dit au point 5 du jugement, que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par mémoire distinct fait l'objet d'un refus de transmission au Conseil d'Etat.

13. En second lieu, il ressort du procès-verbal de contravention de grande voirie, dressé le 4 février 2022, que le bateau " " appartenant à la Sarl Acrotère occupe sans droit ni titre le domaine public fluvial, au de Seine, rive gauche, sur le territoire de la commune de l'Île-Saint-Denis.

14. Si la Sarl Acrotère soutient qu'elle vient aux droits de M. de Léotard et qu'en cette qualité, elle est titulaire d'un double emplacement ayant permis de faire stationner deux péniches, et , le bateau s'étant simplement substitué à , elle ne l'établit toutefois par aucun justificatif. Il s'ensuit que le procès-verbal, qui fait foi jusqu'à preuve du contraire, établit les faits litigieux, lesquels constituent la contravention de grande voirie prévue et réprimée par les dispositions précitées du code général de la propriété des personnes publiques. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner la Sarl Acrotère à une amende de 150 euros.

En ce qui concerne l'action domaniale :

15. Lorsqu'il qualifie de contravention de grande voirie des faits d'occupation irrégulière d'une dépendance du domaine public, il appartient au juge administratif, saisi d'un procès-verbal accompagné ou non de conclusions de l'administration tendant à l'évacuation de cette dépendance, d'enjoindre au contrevenant de libérer sans délai le domaine public et, s'il l'estime nécessaire et au besoin d'office, de prononcer une astreinte.

16. Eu égard à ce qui a été dit aux points précédents, il y a lieu d'enjoindre à la

Sarl Acrotère de faire procéder à l'enlèvement du bateau litigieux et de faire cesser l'occupation irrégulière sans délai, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la notification du présent jugement. Il sera loisible à l'établissement public Voies navigables de France, à défaut d'exécution volontaire, de faire procéder d'office à cet enlèvement, aux frais du propriétaire et d'obtenir l'exécution de cette décision juridictionnelle en sollicitant, en tant que de besoin, le concours de la force publique, sans qu'il soit nécessaire de l'y autoriser spécialement.

Sur les frais exposés pour l'établissement du procès-verbal et ceux résultant de la notification du jugement à intervenir :

17. Les frais d'établissement du procès-verbal de contravention et de notification du présent jugement ne sont pas au nombre des frais mentionnés aux articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative. Par suite, les conclusions de l'établissement public

Voies navigables de France tendant à l'application des dispositions précitées doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La question prioritaire de constitutionnalité de la Sarl Acrotère n'est pas transmise au Conseil d'Etat.

Article 2 : La Sarl Acrotère est condamnée à payer une amende de

150 euros en application des dispositions de l'article L. 2132-9 du code général de la propriété des personnes publiques.

Article 3 : Il est enjoint à la Sarl Acrotère, si elle ne l'a pas déjà fait, de procéder sans délai à l'enlèvement de son bateau " " hors du domaine public fluvial, sous astreinte de 50 euros par jour à l'issue d'un délai de quinze jours à compter de la date de notification du présent jugement.

Article 4 : Les conclusions de l'établissement public Voies Navigables de France tendant à l'application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent jugement sera adressé à l'établissement public

Voies Navigables de France, pour notification à la Sarl Acrotère dans les conditions prévues à l'article L. 774-6 du code de justice administrative.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juillet 2022.

Le magistrat désigné,

Signé

G. C Le greffier,

Signé

I. Serveaux

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Saint-Denis en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

D