Cour administrative d'appel de Versailles

Décision du 12 juillet 2022 n° 21VE01455

12/07/2022

Irrecevabilité

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C B a demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu auxquelles son foyer fiscal a été assujetti au titre de l'année 2012, ainsi que de son obligation de paiement de ces suppléments d'impôt.

Par un jugement n° 2006528 du 26 mars 2021, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 mai 2021, Mme B, représentée par Me Charpentier-Stoloff, avocat, demande à la cour :

1° d'annuler le jugement attaqué ;

2° de prononcer la décharge des impositions en litige ;

3° de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens de l'instance.

Elle soutient que :

-la procédure d'imposition est irrégulière dès lors qu'en méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, elle n'a pas été destinataire de la proposition de rectification du 18 novembre 2015, alors que l'administration fiscale avait connaissance de son adresse ;

-le principe du contradictoire et de la loyauté des débats ainsi que l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ont été méconnus dès lors que, suite à sa demande d'explications, seule la proposition de rectification du 18 novembre 2015 lui a été communiquée, mais pas l'ensemble des pièces de la procédure d'imposition ;

- l'administration fiscale n'a pas respecté l'instruction BOI-CF-IOR-10-30 n° 160 en méconnaissance de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales ;

-la mise à sa charge de la pénalité de 40 % méconnaît l'article 6 § 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- le tribunal administratif de Versailles ne pouvait rejeter sa demande de décharge de la majoration de 10 % pour paiement tardif au motif que cette majoration n'aurait pas été contestée dans la réclamation du 1er février 2018 alors que sa demande tendant à la décharge des impositions litigieuses tendait nécessairement aussi à la décharge de cette majoration ; en outre, la proposition de rectification lui a été communiquée le jour de la date limite de paiement et un mois après sa demande d'information auprès de l'administration fiscale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 décembre 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les conclusions de Mme B ne sont recevables qu'à hauteur de la somme de 74 095 euros, dès lors que la majoration de 10 %, qui est une pénalité de recouvrement, n'a pas fait l'objet d'une réclamation préalable auprès du comptable public ;

- les moyens soulevés par Mme B ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 10 juin 2022, l'instruction a été fixée au 27 juin 2022, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pham, première conseillère,

- et les conclusions de M. Met, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C B était mariée à M. A, dont elle est divorcée depuis le 18 septembre 2014. Ce foyer fiscal a fait l'objet d'un contrôle sur pièces au titre de l'année 2012 à l'issue duquel une proposition de rectification du 18 novembre 2015, notifiée à M. A seulement, a rehaussé leur revenu global imposable à l'impôt sur le revenu, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, d'une somme de 120 473 euros, et mis à la charge de ce foyer fiscal des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu assorties d'intérêt de retard, ainsi que de la majoration pour manquement délibéré. Par courrier du 2 novembre 2016, Mme B, qui a été informée de cette dette fiscale par le biais de son compte personnel sur le site " impôts.gouv.fr ", a interrogé l'administration fiscale sur sa qualité de redevable de cette somme, en faisant valoir qu'elle s'était acquittée de l'intégralité de la cotisation d'impôt sur le revenu mise à sa charge au titre de l'année 2015 et en sollicitant une explication sur ce point. Par lettre du 15 novembre 2016, le service lui a communiqué la proposition de rectification du 18 novembre 2015. Mme B relève appel du jugement n° 2006528 du 26 mars 2021 du tribunal administratif de Versailles en tant qu'il a rejeté sa demande de décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu auxquelles son foyer fiscal a été assujetti au titre de l'année 2012.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. D'une part, aux termes de l'article 6 du code général des impôts : " 1. Sauf application des dispositions des 4 et 5, les personnes mariées sont soumises à une imposition commune pour les revenus perçus par chacune d'elles () ; cette imposition est établie au nom de l'époux, précédé de la mention "Monsieur ou Madame". () ". L'article 156 de ce même code dispose : " L'impôt sur le revenu est établi d'après le montant total du revenu net annuel dont dispose chaque foyer fiscal. () ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 54 A du livre des procédures fiscales : " Sous réserve des dispositions des articles L. 9 et L. 54, chacun des époux a qualité pour suivre les procédures relatives à l'impôt dû à raison de l'ensemble des revenus du foyer. Les déclarations, les réponses, les actes de procédure faits par l'un des conjoints ou notifiés à l'un d'eux sont opposables de plein droit à l'autre. " L'article L. 57 de ce même livre dispose : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation () ".

4. En premier lieu, par les dispositions précitées, le législateur a entendu donner à chacun des époux qualité pour suivre les procédures relatives à l'imposition commune due à raison de l'ensemble des revenus du foyer, quand bien même les intéressés seraient, à la date de ces procédures, séparés ou divorcés. Il s'ensuit que la proposition de rectification du 18 novembre 2015, qui a été adressée à M. A seul, est opposable à Mme B, nonobstant la circonstance que les intéressés ont divorcé en 2014 et que l'administration fiscale connaissait la nouvelle adresse de celle-ci. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales doit être écarté.

5. En deuxième lieu, Mme B soutient que le principe du contradictoire et de la loyauté des débats ainsi que l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ont été méconnus dès lors que, suite à sa demande d'explications, seule la proposition de rectification du 18 novembre 2015 lui a été communiquée, mais pas l'ensemble des pièces de la procédure d'imposition. Toutefois, il ne résulte d'aucun texte, ni du principe du contradictoire que l'administration était tenue de lui communiquer les pièces de la procédure après la mise en recouvrement des impositions litigieuses. Le moyen doit en conséquence être écarté.

6. En troisième lieu, Mme B n'est pas fondée à se prévaloir de l'instruction BOI-CF-IOR-10-30 du 27 février 2014 n° 160, dès lors que cette instruction, relative à la procédure d'imposition, n'est pas au nombre des interprétations de la loi fiscale dont les contribuables peuvent utilement se prévaloir en application des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

Sur le bien-fondé des pénalités :

7. En premier lieu, aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. () ". Si Mme B invoque la violation de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen aux termes duquel : " La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ", ce moyen n'est pas recevable, dès lors que Mme B n'a pas présenté un mémoire séparé portant la mention " question prioritaire de constitutionnalité ".

8. En deuxième lieu, aux termes du paragraphe 2 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. " Lorsqu'elle assortit des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu d'une majoration tendant à réprimer le comportement d'un contribuable, l'administration est tenue de respecter le principe de personnalité des peines, lequel s'oppose à ce qu'une sanction fiscale soit directement appliquée à une personne qui n'a pas pris part aux agissements que cette pénalité réprime. Ce principe doit, toutefois, être concilié avec le régime de l'imposition commune prévu à l'article 6 du code général des impôts et avec les modalités de calcul de cette imposition fixées par l'article 156 du même code. Ainsi, lorsqu'un seul des époux a pris part à des agissements fautifs, les sanctions fiscales en résultant doivent être regardées comme ayant été prononcées uniquement à son encontre, même si elles majorent, au titre du revenu concerné par ces agissements, l'impôt qui est dû, par le foyer fiscal formé par les deux époux, sur l'ensemble de leurs revenus. Il s'ensuit que la mise à la charge de Mme B de la pénalité de 40 % pour manquement délibéré prévue au a. de l'article 1729 du code général des impôts ne méconnaît pas les dispositions du paragraphe 2 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que la sanction fiscale n'a pas été prononcée à son encontre, même si elle est redevable des sommes dues par le foyer fiscal. Doit également être écarté comme inopérant le moyen tiré de ce que Mme B n'a pas participé à la tentative d'escroquerie dont son ex-époux a été reconnu coupable de complicité.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article 1730 du code général des impôts : " 1. Donne lieu à l'application d'une majoration de 10 % tout retard dans le paiement des sommes dues au titre de l'impôt sur le revenu, des contributions sociales recouvrées comme en matière d'impôt sur le revenu, de la taxe d'habitation, des taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties, des impositions recouvrées comme les impositions précitées et de l'impôt sur la fortune immobilière. ". Aux termes de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales, la contestation d'une telle majoration, qui est une majoration de recouvrement, doit préalablement être adressée à l'administration dont dépend le comptable qui exerce les poursuites. Mme B n'ayant pas exercé une telle réclamation préalable, ses conclusions tendant à la décharge de cette majoration doivent, ainsi que le fait valoir le ministre en défense, être rejetées comme irrecevables.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées, ainsi que ses conclusions tendant au remboursement des dépens, qui sont en tout état de cause sans objet.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme B est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C B et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 5 juillet 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Dorion, présidente assesseure,

Mme Pham, première conseillère,

M. Bouazar, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2022.

La rapporteure,

C. PHAM La présidente,

O. DORION

La greffière,

C. FAJARDIE

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

Le greffier,

N° 21VE01445

Code publication

C