Tribunal administratif d'Amiens

Jugement du 7 juillet 2022 n° 1904164

07/07/2022

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 26 décembre 2019, 4 avril et 6 juin 2022, Mme C B, représentée par Me Cochereau demande au tribunal :

1°) de prononcer l'annulation des arrêtés de débets émis à son encontre les 21 et 24 octobre 2019 par la direction des finances publiques de l'Oise ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme B soutient que sa responsabilité personnelle et pécuniaire ne saurait être recherchée en raison :

- des vices de forme entachant les actes de sa nomination en l'absence de visa de l'assemblée délibérante portant ou non attribution d'une indemnité de responsabilité, d'avis conforme du comptable public à sa nomination, de publicité suffisante et de diligences des mandataires lors de ses absences ayant conduit à une accumulation des retards impossibles à résorber l'obligeant à travailler pendant des arrêts de travail ;

- de l'absence de diligences et de contrôles du comptable public ;

- du défaut de respect des formalités d'installation et de cessation des fonctions ;

- du fait qu'elle n'a jamais été indemnisée pour l'exercice de ses fonctions de régisseur.

Par des mémoires en défense enregistrés les 12 mai 2021 et 3 mai 2022, le directeur et la directrice départementale des finances publiques de l'Oise concluent au rejet de la requête.

Il soutiennent que les moyens de la requérante ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense enregistrés les 10 novembre 2021, 4 mai et 17 juin 2022, la commune de Caisnes, représentée par Me Porcher, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ;

- le décret n° 2008-227 du 5 mars 2008 ;

- l'arrêté du 28 mai 1993 modifié relatif aux taux de l'indemnité de responsabilité susceptible d'être allouée aux régisseurs d'avances et aux régisseurs de recettes relevant des organismes publics et montant du cautionnement imposé à ces agents ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Truy, conseiller honoraire ;

- les conclusions de Mme Redondo, rapporteure publique ;

- les observations de Me Cochereau et de M. A, élève avocat ;

- et les observations de Me Porcher.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C B a été recrutée en 2015 en qualité d'agent contractuel de la commune de Caisnes puis nommée au grade d'adjoint administratif territorial en qualité de stagiaire à compter du 1er octobre 2017 par arrêté du même jour. Par arrêté du 30 octobre 2015, elle a été nommée régisseur des régies de recettes pour l'encaissement des produits liés aux repas, voyages et animations organisées par la commune à l'occasion des fêtes et cérémonies ainsi que des produits liés à la location de la salle municipale et ses frais annexes. Par arrêté du 14 janvier 2019, en raison des faits qui lui sont reprochés, la commune de Caisnes a suspendu Mme B de ses fonctions du 14 janvier au 14 mai 2019 avant de la révoquer, par arrêté du 14 mai 2019. A la suite des opérations de contrôle des deux régies précitées, deux ordres de reversement, d'un montant total de 2 778,70 euros, ont été émis le 13 septembre 2019 à l'encontre de Mme B. A défaut de règlement et de demande de sursis, deux arrêtés de débets en date des 21 et 24 octobre 2019, d'un montant respectif de 1 200 et 1 579 euros, ont été émis. Mme B demande au tribunal d'en prononcer l'annulation.

2. Aux termes de l'article 60 de la loi du 23 février 1963, modifiée portant loi de finances pour 1963 : " I- Outre la responsabilité attachée à leur qualité d'agent public, les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes, du paiement des dépenses, de la garde et de la conservation des fonds et valeurs appartenant ou confiés aux différentes personnes morales de droit public dotées d'un comptable public () X - Les régisseurs, chargés pour le compte des comptables publics d'opérations d'encaissement et de paiement, sont soumis aux règles, obligations et responsabilité des comptables publics dans les conditions et limites fixées par l'un des décrets prévus au paragraphe XII ci-après.() XII - Les modalités d'application du présent article sont fixées soit par le décret portant règlement général sur la comptabilité publique, soit par décrets contresignés par le ministre des finances.".

3. En outre, aux termes de l'article 1er du décret du 5 mars 2008 relatif à la responsabilité personnelle et pécuniaire des régisseurs : " Les régisseurs chargés pour le compte des comptables publics d'opérations d'encaissement (régisseurs de recettes) ou de paiement (régisseurs d'avances) sont personnellement et pécuniairement responsables de la garde et de la conservation des fonds et valeurs qu'ils recueillent ou qui leur sont avancés par les comptables publics, du maniement des fonds et des mouvements de comptes de disponibilités, de la conservation des pièces justificatives ainsi que de la tenue de la comptabilité des opérations./ La responsabilité pécuniaire des régisseurs s'étend à toutes les opérations de la régie depuis la date de leur installation jusqu'à la date de cessation des fonctions ". Aux termes de l'article 2 de ce décret : " Les régisseurs de recettes sont personnellement et pécuniairement responsables de l'encaissement des recettes dont ils ont la charge. / Ils sont également responsables des contrôles qu'ils sont tenus d'exercer en matière de recettes dans les mêmes conditions que celles qui sont prévues pour les comptables publics par l'article 12 du décret du 29 décembre 1962 modifié ". L'article 4 du même décret énonce que la responsabilité d'un régisseur se trouve engagée dès lors qu'un déficit en monnaie ou en valeurs a été constaté, qu'une dépense a été irrégulièrement payée ou que, par la faute du régisseur de recettes n'a pas été encaissée ou une indemnité a dû être versée par l'organisme public à un tiers ou à un autre organisme public. L'article 5 dudit décret précise que l'autorité administrative compétente pour mettre en débet le comptable public assignataire constate au bénéfice du régisseur l'existence de circonstances constitutives de la force majeure, sur saisine de celui-ci, de l'ordonnateur ou du comptable public assignataire, par arrêté ou décision. Par ailleurs, en vertu de son article 7, la responsabilité pécuniaire du régisseur est mise en jeu au cours d'une procédure amiable par l'émission d'un ordre de versement. Aux termes de l'article 8 du même décret : " L'ordre de versement est émis, après avis du comptable public assignataire, par l'ordonnateur de l'organisme public auprès duquel le régisseur est placé. ". Enfin, l'article 12 de ce décret prévoit que le régisseur mis en débet peut demander au ministre chargé du budget la remise gracieuse des sommes mises à sa charge, intérêts compris. Et, aux termes de l'article 13 du même décret : " I. ' Le ministre chargé du budget statue sur la demande en remise gracieuse, après avis de l'ordonnateur de l'organisme public intéressé et du comptable public assignataire. / II.- Dans le cas où la somme allouée en remise est supportée par un organisme public autre que l'Etat, le ministre, après avis de l'organisme intéressé, ne peut accorder une remise supérieure à celle acceptée par celui-ci. ".

4. Il résulte des dispositions précitées que la responsabilité pécuniaire d'un régisseur est personnellement engagée, depuis la date de son installation jusqu'à la date de cessation des fonctions, même en l'absence de faute, dès qu'un déficit en deniers ou en valeurs a été objectivement constaté, seules des circonstances constitutives d'un cas de force majeure étant susceptibles de l'exonérer de cette responsabilité.

5. En premier lieu, Mme B demande l'annulation des arrêtés de débets émis à son encontre sur le motif du défaut de transmission au représentant de l'Etat des arrêtés du 30 octobre 2015 la nommant régisseur. Toutefois le défaut de transmission au représentant de l'Etat d'un acte soumis à cette obligation est, en tant que tel, sans incidence sur la légalité de l'acte concerné.

6. En deuxième lieu, Mme B conteste la légalité de ces mêmes actes en ce qu'ils méconnaitraient les termes de l'instruction codificatrice n° 06-031 A-B-M du 21 août 2016 et les dispositions du code général des collectivités territoriales relatives aux régies de recettes. Il résulte cependant de ces arrêtés qu'ils n'ont été pris qu'au vu de l'avis conforme du trésorier principal de Noyon, qu'ils ont été notifiés à l'intéressée elle-même et sa suppléante et que le conseil municipal s'est précisément prononcé les 27 juin 2008 et 23 mai 2014 sur les conditions de création des produits inhérents à l'organisation des fêtes et cérémonies et ceux de la location de la salle municipale.

7. En troisième lieu, ces mêmes assemblées délibérantes se sont, à l'occasion de ces mêmes délibérations, effectivement prononcées sur le principe de l'attribution d'une indemnité de responsabilité dont il est établi que Mme B a bénéficié au moins à deux reprises quand, en tout état de cause, la possibilité de percevoir une indemnité de responsabilité n'a d'autre objet que de couvrir les frais d'assurance obligatoire et non d'assurer une rémunération du régisseur en fonction des résultats de la régie et ne peut dépasser le montant fixé par l'arrêté du 28 mai 1993 susvisé en fonction du montant moyen des recettes encaissées mensuellement.

8. En quatrième lieu, en tout état de cause, l'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative que si cette dernière a été prise pour son application ou s'il en constitue la base, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. En l'espèce, les arrêtés de débets litigieux ne sont pas des actes pris pour l'application de l'acte de nomination de Mme B, qui n'en constitue pas non plus la base légale. Mme B ne peut donc utilement invoquer l'illégalité, par voie d'exception, de ses actes de nomination en qualité de régisseur. Au surplus, l'illégalité d'un acte individuel ne peut être invoquée par voie d'exception qu'à la condition qu'il ne soit pas devenu définitif. L'appréciation de cette condition de recevabilité de l'exception d'illégalité s'apprécie à la date à laquelle elle est soulevée. Or, en l'espèce, il ressort des pièces du dossier que de tels arrêtés sont bien devenus définitifs en ce que Mme B en a eu connaissance au moment de leur édiction, il y a plus de quatre ans.

9. En cinquième lieu, la circonstance que depuis la prise de fonction de Mme B aucune contrôle des régies n'aurait été effectué par le comptable public ne peut être regardée comme un événement extérieur, imprévisible et irrésistible constitutif d'un cas de force majeure

10. Si, en sixième lieu, la requérante conteste sa responsabilité, en faisant valoir qu'elle aurait alerté sa hiérarchie sur la difficulté de remplir sa mission du fait de sa charge de travail et l'absence de suppléant, elle ne l'établit pas et ces circonstances alléguées sont, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité des ordres de versement contestés et au demeurant ne sont pas constitutives d'un cas de force majeure au sens des dispositions précitées, le mécanisme de responsabilité pécuniaire instauré par ces dispositions ne reposant que sur le constat objectif de l'existence d'un déficit, et ne prenant pas en compte l'existence d'éventuels comportements fautifs, lesquels ne pourraient avoir une incidence que sur une éventuelle remise gracieuse accordée par le ministre au régisseur sur le fondement des articles 12 et 13 du décret du 5 mars 2008 relatif à la responsabilité personnelle et pécuniaire des régisseurs.

11. En septième lieu, si Mme B conteste que puissent lui être imputés les déficits constatés en l'absence de procès-verbal de remise de service et de son absence à l'occasion des opérations de contrôle, il ressort des procès-verbaux de vérification des régies de Caisnes que les chèques non encaissés et les espèces non déposées en litige ont été générés pendant la gestion de Mme B, alors que son exclusion de la fonction publique faisait obstacle à sa présence à ces mêmes contrôles en présence, outre le comptable public, du maire de la commune et la suppléante des régies. Ainsi la circonstance alléguée que seraient irrégulières les conditions de son installation demeure sans influence sur le montant du déficit constaté, lequel se rattache précisément à sa gestion, au même titre que le fait que la vérification des régies communales aurait été effectuée en dehors de sa présence quand aucune disposition législative ou réglementaire n'impose la présence du régisseur en fonctions lors des exercices contrôlés pendant les opérations de vérification.

12. Enfin, Mme B soutient que la procédure prévue par les dispositions de l'article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963, relative à la responsabilité des régisseurs, méconnaît les exigences constitutionnelles d'indépendance et d'impartialité. Toutefois, un tel moyen tiré de l'inconstitutionnalité de ces dispositions ne peut être utilement soulevé que dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité. Dès lors, Mme B n'est pas recevable à s'en prévaloir en dehors de ce cadre.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B n'est pas fondée à demander l'annulation des arrêtés de débets émis à son encontre ainsi que la décharge de l'obligation de payer les sommes visées. Par voie de conséquence, les conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme C B, à la directrice des finances publiques de l'Oise et à la commune de Caisnes.

Délibéré après l'audience du 23 juin 2022, à laquelle siégeaient :

M. Derlange, président,

M. Beaujard, conseiller,

M. Truy, conseiller honoraire.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juillet 2022.

Le rapporteur,

signé

G. TRUY

Le président,

signé

S. DERLANGE

La greffière,

signé

T. PETR

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C