Cour administrative d'appel de Lyon

Décision du 6 juillet 2022 20LY03490

06/07/2022

Irrecevabilité

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La SARL Les Aravis a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2014 et des majorations correspondantes.

Par un jugement n° 1723605 du 1er octobre 2019, le tribunal administratif de Lyon a fait droit à sa demande.

Procédure initiale devant la Cour

Par une requête, enregistrée le 22 janvier 2020, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de remettre à la charge de la SARL Les Aravis ces impositions et pénalités, à hauteur de la somme totale de 97 270 euros.

Il soutient que la société ne pouvait bénéficier du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge en application de l'article 268 du code général des impôts à raison de la cession de terrains à bâtir qu'elle avait acquis comme maison à usage d'habitation avec terrain d'assiette, dès lors que la mise en œuvre de ce régime, dérogatoire à la règle selon laquelle la taxe est calculée sur le prix total, suppose nécessairement que le bien revendu ait une qualification juridique identique au bien acquis, sans avoir fait l'objet de transformation.

Par une ordonnance n° 20LY00311 du 25 février 2020, le premier vice-président de la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté la requête.

Procédure devant le Conseil d'État

Par une décision n° 440137 du 30 novembre 2020, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par le ministre de l'action et des comptes publics, a annulé l'ordonnance du 25 février 2020 du premier vice-président de la cour administrative d'appel de Lyon et a renvoyé l'affaire devant la même cour.

Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'État

Par un mémoire, enregistré le 5 janvier 2021, la SARL Les Aravis, représentée par Me Lagneaux, demande à la cour :

1°) à titre principal, de transmettre au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 268 du code général des impôts et de surseoir à statuer dans l'attente de la réponse de ce dernier ;

2°) à titre subsidiaire, de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2014 et des majorations correspondantes à hauteur de la somme de 97 270 euros ;

3°) de prononcer la restitution des sommes versées assorties des intérêts moratoires ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'interprétation donnée par le Conseil d'Etat de l'article 268 du code général des impôts est inconstitutionnelle ;

- cet article méconnaît le principe de consentement à l'impôt prévu par l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, est entaché d'incompétence négative, méconnaît les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques prévus par les articles 6 et 13 de la Déclaration ainsi que le principe de la garantie des droits prévu à l'article 16 de la Déclaration.

Par un mémoire, enregistré le 5 mars 2021, le ministre de l'action et des comptes publics conclut aux mêmes fins que dans sa requête par les mêmes moyens.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Evrard, présidente-assesseure,

- et les conclusions de Mme Vinet, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Les Aravis, qui exerce une activité de marchand de biens, a acquis le 21 février 2012 auprès d'un particulier une maison d'habitation et un terrain attenant situé à Saint-Laurent (Haute-Savoie), et, après avoir obtenu le 20 juin 2012 un permis d'aménager en vue d'y réaliser un lotissement de quatre lots, a vendu ces lots comme terrains à bâtir par des actes des 27 septembre 2013, 7 novembre 2013, 20 décembre 2013 et 11 avril 2014. La société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle un rappel de taxe sur la valeur ajoutée lui a été notifié au titre de la période du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2014, selon la procédure contradictoire, procédant de la remise en cause du bénéfice du régime de la taxation sur la marge sous lequel elle avait placé les opérations de cession des parcelles en cause. Par un jugement du 1er octobre 2019, le tribunal administratif de Lyon a accordé à la SARL Les Aravis la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés à la suite de ce contrôle. Par une ordonnance du 25 février 2020, le premier vice-président de la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par le ministre de l'action et des comptes publics à l'encontre de ce jugement. Par une décision du 30 novembre 2020 n° 440137, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi en cassation contre cet arrêt par le ministre de l'action et des comptes publics, a annulé cette ordonnance et a renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Lyon pour qu'elle y statue de nouveau.

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité ".". Aux termes de l'article R. 771-4 du même code : " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation, dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 et R. 612-1. ". Le moyen tiré de ce que l'article 268 du code général des impôts méconnaît le principe de consentement à l'impôt prévu par l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, est entaché d'incompétence négative, méconnaît le principe d'égalité devant la loi et le principe d'égalité devant les charges publiques prévus respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration ainsi que le principe de la garantie des droits prévu à l'article 16 de la Déclaration n'a pas été présenté par la SARL Les Aravis par mémoire distinct portant la mention : " question prioritaire de constitutionnalité " et doit, dès lors, être déclaré irrecevable.

3. En second lieu, le I de l'article 257 du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige, issue de l'article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, prévoit que les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles, lesquelles comprennent les livraisons à titre onéreux de terrains à bâtir, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. En vertu du 2 du b de l'article 266 du même code, l'assiette de la taxe est en principe constituée par le prix de cession.

4. L'article 392 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose toutefois que : " Les États membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition, la base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d'achat ". L'article 268 du code général des impôts, pris pour la transposition de ces dispositions, prévoit, dans sa rédaction également issue de l'article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, que : " S'agissant de la livraison d'un terrain à bâtir (), si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d'imposition est constituée par la différence entre : / 1° D'une part, le prix exprimé et les charges qui s'y ajoutent ; / 2° D'autre part, selon le cas : / - soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du terrain() ; / - soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu'il a effectués. ".

5. Il résulte des dispositions précitées de l'article 268 du code général des impôts, lues à la lumière de celles de la directive dont elles ont pour objet d'assurer la transposition, que les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elles prévoient s'appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s'appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti, notamment quand le bâtiment qui y était édifié a fait l'objet d'une démolition de la part de l'acheteur-revendeur ou quand le bien acquis a fait l'objet d'une division parcellaire en vue d'en céder séparément des parties ne constituant pas le terrain d'assiette du bâtiment.

6. D'une part, aux termes de l'article 12 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 : " 1. Les Etats membres peuvent considérer comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, une opération relevant des activités visées à l'article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, et notamment une seule des opérations suivantes : () / b) la livraison d'un terrain à bâtir (). Aux fins du paragraphe 1. point b), sont considérés comme " terrains à bâtir " les terrains nus ou aménagés, définis comme tels par les Etats membres ". Aux termes de l'article 135 de cette directive : " 1. Les États membres exonèrent les opérations suivantes : () k) les livraisons de biens immeubles non bâtis autres que celles des terrains à bâtir visés à l'article 12, paragraphe 1, point b) () ".

7. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que la définition de la notion de " terrain à bâtir " est limitée par la portée de la notion de " bâtiment ", définie de manière très large par le législateur de l'Union à l'article 12, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 comme incluant " toute construction incorporée au sol ". Eu égard au fait que la notion de " terrain à bâtir " englobe les terrains tant nus qu'aménagés, le critère déterminant aux fins de la distinction entre un terrain à bâtir et un terrain non bâti est celui de savoir si, au moment de la transaction, le terrain en cause est destiné à supporter un édifice. Aux fins de garantir le respect du principe de neutralité fiscale, il est nécessaire que tous les terrains non bâtis destinés à supporter un édifice et, partant, destinés à être bâtis soient couverts par la définition nationale de la notion de " terrains à bâtir ".

8. En outre, une opération de livraison d'un terrain supportant, à la date de cette livraison, un bâtiment ne peut être qualifiée de livraison d'un " terrain à bâtir ", même si l'intention des parties était que le bâtiment soit totalement ou partiellement démoli ou qu'il fasse l'objet d'une division parcellaire en vue d'en céder séparément des parties, sauf à ce que les opérations de démolition et de division parcellaire puissent être regardées comme formant avec l'opération de livraison du terrain une opération unique.

9. Enfin, il incombe au juge de l'impôt de déterminer, en tenant compte des définitions législatives nationales et de toutes les circonstances dans lesquelles se sont déroulées les opérations en cause au principal, si un terrain relève de la notion de " terrain à bâtir ".

10. D'autre part, aux termes de l'article 257 du code général des impôts, dans sa version applicable au litige : " 2. Sont considérés : 1° Comme terrains à bâtir, les terrains sur lesquels des constructions peuvent être autorisées en application d'un plan local d'urbanisme, d'un autre document d'urbanisme en tenant lieu, d'une carte communale ou de l'article L. 111-1-2 du code de l'urbanisme. ". Aux termes de l'article 261 du même code : " Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : / () / 5. (Opérations immobilières) : / 1° Les livraisons de terrains qui ne sont pas des terrains à bâtir au sens du 1° du 2 du I de l'article 257 ; / () ".

11. Il résulte de l'instruction que l'ensemble immobilier acquis par la SARL Les Aravis le 21 février 2012 était composé d'une maison à usage d'habitation et d'un terrain attenant. Cet ensemble immobilier, qui comportait une construction, ne présentait dès lors pas, à la date de l'acquisition, le caractère d'un terrain nu ou aménagé ainsi que l'exige notamment le b) du 1. de l'article 12 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006. Si la SARL Les Aravis fait valoir que son intention d'aménager un lotissement avait été retranscrite dans l'acte du 20 février 2012, qu'elle avait sollicité un permis de construire de nouvelles constructions sur le terrain dès le 22 juillet 2011, qu'elle s'est vue délivrer le permis d'aménager un lotissement le 20 juin 2012, que l'ensemble immobilier a été divisé par la suite en plusieurs lots et que la construction qui y était implantée était en mauvais état, la livraison des terrains à bâtir à laquelle la société a procédé, alors que le permis de construire avait été sollicité non par la société elle-même mais par un tiers, qu'elle n'a obtenu le permis d'aménager qu'après avoir acquis l'ensemble immobilier et que la maison d'habitation, qui était habitée jusqu'à la cession, n'était pas dans un état la rendant impropre à sa destination, était économiquement indépendante des prestations auxquelles la société a procédé et ne peut être regardée comme formant avec celles-ci une opération unique. Il en résulte que l'ensemble immobilier acquis par la SARL Les Aravis ne pouvait être regardé, à la date de l'achat, comme un terrain à bâtir au sens de l'article 268 du code général des impôts. Par suite, à défaut d'identité juridique entre le bien acquis et le bien revendu, l'opération de cession du bien en cause n'entrait pas dans le champ de l'article 268 du code général des impôts. Il s'ensuit que c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon a considéré que la SARL Les Aravis pouvait prétendre au bénéfice du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge à raison de la vente de quatre terrains à bâtir issus de la division du terrain d'assiette de l'ancien bâtiment et qu'il a prononcé la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre la période du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2014.

12. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SARL Les Aravis devant le tribunal administratif de Lyon et devant la cour.

13. Il résulte de l'instruction que, pour procéder aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige, l'administration s'est fondée sur les dispositions de l'article 268 et du 2 du b de l'article 266 du code général des impôts, et non sur sa propre doctrine. Par suite, la SARL Les Aravis ne peut utilement soutenir que la doctrine sur laquelle l'administration se serait fondée est illégale.

14. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a fait droit à la demande de la SARL Les Aravis, et à demander que les impositions et majorations soient remises à la charge de la société, à hauteur de la somme totale de 97 270 euros. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter les conclusions de la SARL Les Aravis tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1723605 du tribunal administratif de Lyon du 1er octobre 2019 est annulé.

Article 2 : Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui ont été réclamés à la SARL Les Aravis au titre de la période du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2014 et les majorations correspondantes, d'un montant de 97 270 euros, sont remis à sa charge.

Article 3 : La demande présentée par la SARL Les Aravis devant le tribunal administratif de Lyon ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la SARL Les Aravis.

Délibéré après l'audience du 2 juin 2022, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

Mme Evrard, présidente-assesseure,

Mme Lesieux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juillet 2022.

La rapporteure,

A. Evrard

Le président,

D. Pruvost

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

Code publication

C