Tribunal administratif de Guadeloupe

Jugement du 5 juillet 2022 n° 2200080

05/07/2022

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 12 janvier 2022, Mme A, représentée par Me Ezelin, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 12 novembre 2021 par laquelle le Centre hospitalier Louis Daniel Beauperthuy l'a suspendu de ses fonctions à compter du 29 novembre 2021 sans traitement jusqu'à la production par ses soins d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination ou de rétablissement de la Covid-19 ;

2°) de mettre à la charge du Centre hospitalier Louis Daniel Beauperthuy la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme A soutient que :

- la décision attaquée porte atteinte à sa situation financière et lui cause un préjudice grave et immédiat ;

- la décision porte atteinte au droit de grève, qui a une valeur constitutionnelle ;

- la décision est entachée d'une erreur de droit dès lors qu'elle est placée en grève et se trouve dans l'impossibilité d'exercer effectivement son activité ;

- elle bénéficiait d'un report de l'obligation vaccinale jusqu'au 31 décembre 2021, en application du communiqué de presse du gouvernement en date du 26 novembre 2021 ; la mesure est discriminatoire par rapport aux soignants de la Martinique.

Par une ordonnance du 11 mars 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 29 avril 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;

- le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C,

- les conclusions de M. Sabatier-Raffin, rapporteur public,

- et les observations de Me Ezelin, représentant Mme A.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A, infirmière, demande au tribunal d'annuler la décision du 12 novembre 2021 par laquelle le Centre hospitalier Louis Daniel Beauperthuy l'a suspendu de ses fonctions à compter du 29 novembre 2021 sans traitement jusqu'à la production par ses soins d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination ou de rétablissement de la Covid-19.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

2. Aux termes de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 visée ci-dessus, relative à la gestion de la crise sanitaire : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : 1° Les personnes exerçant leur activité dans : a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique ainsi que les hôpitaux des armées mentionnés à l'article L. 6147-7 du même code () ". L'article 13 de la même loi dispose : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement prévu au second alinéa du II de l'article 12. () 2° Ne pas être soumises à cette obligation en présentant un certificat médical de contre-indication () ". Selon l'article 14 de cette loi : " I. - () B - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret. () III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I (). Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit () ". Enfin, selon le II de l'article 16 de cette loi : " La méconnaissance, par l'employeur, de l'obligation de contrôler le respect de l'obligation vaccinale mentionnée au I de l'article 12 de la présente loi est punie de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe. () Si une telle violation est verbalisée à plus de trois reprises dans un délai de trente jours, les faits sont punis d'un an d'emprisonnement et de 9 000 € d'amende. () ".

3. Il résulte des dispositions sus-rappelées de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire que l'employeur doit prendre une mesure de suspension de fonction sans rémunération, expressément prévue par le III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, lorsqu'il constate que l'agent public concerné ne peut plus exercer son activité en application du I de cet article, laquelle s'analyse non pas comme une sanction mais comme une mesure prise dans l'intérêt de la santé publique, destinée à lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 dans un objectif de maîtrise de la situation sanitaire.

4. Ainsi, l'agent public qui refuse de se conformer à l'obligation vaccinale instituée par l'article 12 de la loi du 5 août 2021, et qui ne se trouve pas dans les exceptions prévues par celui-ci, se place lui-même dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Dès lors, l'autorité hiérarchique doit interrompre le versement de son traitement en l'absence de service fait.

5. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.

6. L'employeur de l'agent concerné étant ainsi en situation de compétence liée pour prononcer la suspension d'un agent public exerçant dans l'un des établissements mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique qui ne produit pas de justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination ou de certificat de rétablissement, les moyens, soulevés par Mme A et tiré de ce que la décision porterait atteinte à sa situation financière ou plus généralement à sa situation personnelle, est manifestement inopérant et doit être écarté.

7. Si Mme A soutient que la décision attaquée méconnait le droit constitutionnel de grève, Mme A met ainsi en cause la constitutionnalité de la loi du 5 août 2021 qui fonde cette décision et soulève des moyens inopérants devant le juge administratif lorsqu'il n'est pas saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité. En tout état de cause, les restrictions imposées, qui n'ont nullement pour effet de suspendre ou de porter atteinte à des principes constitutionnels ou des libertés fondamentales, ne sont pas disproportionnées par rapport à l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la protection de la santé. Par suite, les moyens tirés de ce que ces dispositions méconnaissent de tels droits et principes doivent être écartés.

8. Mme A qui n'établit pas s'être déclarée gréviste, ne saurait se prévaloir d'une atteinte à son droit de grève.

9. S'il résulte des termes du communiqué de presse du gouvernement en date du 26 novembre 2021, que la finalisation des échanges pour les soignants, les salariés des établissements de santé et médico-sociaux et aides à domicile est fixée au 31 décembre 2021, ce dernier est postérieur à la date de la décision attaquée. Par ailleurs, cette échéance est similaire à celle s'appliquant en Martinique. Dès lors, ce communiqué de presse est sans incidence sur la légalité de la décision de suspension et Mme A n'est pas fondée à se prévaloir de l'existence d'une discrimination.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation de la décision du 12 novembre 2021 ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

11. Aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

12. Les dispositions précitées font obstacle à ce que soit mise à la charge du Centre hospitalier Louis Daniel Beauperthuy, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande Mme A au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A est rejetée.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme B A et au Centre hospitalier Louis Daniel Beauperthuy.

Copie pour information en sera délivrée à l'Agence régionale de santé de la Guadeloupe.

Délibéré après l'audience du 21 juin 2022, à laquelle siégeaient :

M. Guiserix, président,

Mme Pater, première conseillère,

M. Lubrani, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2022.

L'assesseure la plus ancienne,

signé

B. PATERLe président-rapporteur,

signé

O. C

La greffière,

signé

A. CETOL

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière en chef

Signé

M-L Corneille

Code publication

C