Tribunal administratif de Guadeloupe

Jugement du 5 juillet 2022 n° 2200025

05/07/2022

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 4 janvier 2022, Mme A, représentée par Me Ezelin, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 29 octobre 2021 par laquelle l'Établissement public de santé mentale de la Guadeloupe l'a suspendue de ses fonctions à compter du 8 novembre 2021 sans traitement jusqu'à la production par ses soins d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination ou de rétablissement de la Covid-19 ;

2°) de mettre à la charge du l'Établissement public de santé mentale de la Guadeloupe la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme A soutient que :

- elle est entachée d'un défaut de base légale, en ce qu'elle est fondée sur un texte qui n'instaure aucune obligation vaccinale ;

- elle est entachée de vices de procédure tirés de ce qu'elle a été prise sans mise en demeure préalable, alors qu'elle s'apparente à une sanction, ni de convocation à un entretien visant à lui permettre de régulariser sa situation ;

- la décision porte atteinte à sa situation financière et lui cause un préjudice grave et immédiat ;

- elle a été privée de garanties ;

- la décision a également été prise au terme d'une procédure irrégulière dès lors qu'elle ne lui a pas été notifiée ;

- la décision porte atteinte au droit de grève, qui a une valeur constitutionnelle ;

- elle était en situation de grève à compter du 7 novembre 2021.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mars 2022, l'Établissement public de santé mentale de la Guadeloupe, représenté par Me Albina-Collidor, conclut au rejet de la requête et à ce que Mme A lui verse une somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;

- le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B,

- les conclusions de M. Sabatier-Raffin, rapporteur public,

- et les observations de Me Ezelin, représentant Mme A et de Me Baltus du cabinet Albina-Collidor, représentant l'Établissement public de santé mentale de la Guadeloupe.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A, infirmière, demande au tribunal d'annuler la décision du 29 octobre 2021 par laquelle l'Établissement public de santé mentale de la Guadeloupe l'a suspendu de ses fonctions à compter du 8 novembre 2021 sans traitement jusqu'à la production par ses soins d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination ou de rétablissement de la Covid-19.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

2. Aux termes de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 visée ci-dessus, relative à la gestion de la crise sanitaire : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : 1° Les personnes exerçant leur activité dans : a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique ainsi que les hôpitaux des armées mentionnés à l'article L. 6147-7 du même code () ". L'article 13 de la même loi dispose : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement prévu au second alinéa du II de l'article 12. () 2° Ne pas être soumises à cette obligation en présentant un certificat médical de contre-indication () ". Selon l'article 14 de cette loi : " I. - () B - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret. () III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I (). Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit () ". Enfin, selon le II de l'article 16 de cette loi : " La méconnaissance, par l'employeur, de l'obligation de contrôler le respect de l'obligation vaccinale mentionnée au I de l'article 12 de la présente loi est punie de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe. () Si une telle violation est verbalisée à plus de trois reprises dans un délai de trente jours, les faits sont punis d'un an d'emprisonnement et de 9 000 € d'amende. () ".

3. Toute personne exerçant son activité à l'Etablissement public de santé mentale de la Guadeloupe entre dans le champ de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire et est soumise à une obligation vaccinale contre la Covid-19 et ce quel que soit l'emplacement des locaux en question et que cette personne ait ou non des activités de soins et soit ou non en contact avec des personnes malades ou des professionnels de santé et également quelle que soient les modalités selon lesquelles elle exerce son activité, fût-ce en télétravail, sa quotité de travail, son service d'affectation et les éventuelles décharges dont elle peut bénéficier. Par suite, Mme A ne saurait utilement invoquer le défaut d'exercice de fonctions entrant dans le champ d'application de la loi du 5 août 2021, dès lors que Mme A exerce bien son activité au sein d'un des établissements mentionnés par l'article 12 de la loi du 5 août 2021.

4. Il résulte des dispositions sus-rappelées de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire que l'employeur doit prendre une mesure de suspension de fonction sans rémunération, expressément prévue par le III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, lorsqu'il constate que l'agent public concerné ne peut plus exercer son activité en application du I de cet article, laquelle s'analyse non pas comme une sanction mais comme une mesure prise dans l'intérêt de la santé publique, destinée à lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 dans un objectif de maîtrise de la situation sanitaire.

5. Ainsi, l'agent public qui refuse de se conformer à l'obligation vaccinale instituée par l'article 12 de la loi du 5 août 2021, et qui ne se trouve pas dans les exceptions prévues par celui-ci, se place lui-même dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Dès lors, l'autorité hiérarchique doit interrompre le versement de son traitement en l'absence de service fait.

6. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.

7. L'employeur de l'agent concerné étant ainsi en situation de compétence liée pour prononcer la suspension d'un agent public exerçant dans l'un des établissements mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique qui ne produit pas de justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination ou de certificat de rétablissement, les moyens, soulevés par Mme A et tirés de ce que la décision émanerait d'une autorité incompétente, serait entachée d'un défaut de base légale, aurait été prise à la suite d'une procédure irrégulière, du fait le cas échéant d'un défaut d'information, d'une absence d'entretien préalable visant notamment à régulariser sa situation, ou de mise en demeure, porterait atteinte à sa situation financière ou plus généralement à sa situation personnelle, sont inopérants et doivent être écartés.

8. En tout état de cause, Mme A, qui a été destinataire comme l'ensemble du personnel de l'établissement des notes de service en date du 17 septembre 2021 et du 8 octobre 2021 et des notes d'information en date du 16 août 2021, du 3 septembre 2021, du 20 septembre 2021 et du 21 octobre 2021, ainsi que d'un courrier nominatif de mise en demeure le 22 octobre 2021, ne pouvait ignorer l'obligation vaccinale qui lui incombait résultant des dispositions de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021. Mme A n'a dès lors été privée d'aucune garantie.

9. Ainsi que cela résulte du régime juridique applicable aux actes administratifs, les moyens tirés de ce que la décision attaquée serait entachée d'un vice de procédure en raison des modalités de sa notification, n'aurait pas été suivie de formalités prévues par la loi, sont sans effet sur sa légalité.

10. Si Mme A soutient que la décision attaquée méconnait le droit constitutionnel de grève, Mme A met ainsi en cause la constitutionnalité de la loi du 5 août 2021 qui fonde cette décision et soulève des moyens inopérants devant le juge administratif lorsqu'il n'est pas saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité. En tout état de cause, les restrictions imposées, qui n'ont nullement pour effet de suspendre ou de porter atteinte à des principes constitutionnels ou des libertés fondamentales, ne sont pas disproportionnées par rapport à l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la protection de la santé. Par suite, les moyens tirés de ce que ces dispositions méconnaissent de tels droits et principes doivent être écartés.

11. Mme A ne peut valablement faire valoir avoir été en situation de gréviste à des dates postérieures à la décision attaquée. Par voie de conséquence, Mme A ne saurait se prévaloir d'une atteinte à son droit de grève.

12. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation de la décision du 29 octobre 2021 ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

13. Aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

14. Les dispositions précitées font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Établissement public de santé mentale de la Guadeloupe, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande Mme A au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions de l'Établissement public de santé mentale de la Guadeloupe.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'Établissement public de santé mentale de la Guadeloupe présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme A et à l'Établissement public de santé mentale de la Guadeloupe.

Copie pour information en sera délivrée à l'Agence régionale de santé de la Guadeloupe.

Délibéré après l'audience du 21 juin 2022, à laquelle siégeaient :

M. Guiserix, président,

Mme Pater, première conseillère,

M. Lubrani, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 202L'assesseure la plus ancienne,

signé

B. PATERLe président-rapporteur,

signé

O. B

La greffière,

signé

A. CETOL

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière en chef

Signé

M-L Corneille

Code publication

C