Cour administrative d'appel de Marseille

Ordonnance du 1er juillet 2022 n° 22MA00036

01/07/2022

Non renvoi

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A B a demandé au tribunal administratif de Nice de le décharger, en droits et pénalités, des cotisations d'impôt sur le revenu, de la taxe sur les plus-values immobilières prévue à l'article 1609 nonies G du code général des impôts et des prélèvements sociaux auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2015 à raison de la plus-value réalisée à l'occasion de la cession d'un bien immobilier situé à Nice.

Par jugement n° 2001821 du 3 décembre 2021, le tribunal administratif de Nice, après avoir décidé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 57 A du livre des procédures fiscales, a rejeté cette demande de décharge.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 5 janvier 2022, sous le n° 22MA00036, M. B demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 3 décembre 2021 du tribunal administratif de Nice ;

2°) de prononcer la décharge demandée ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire distinct, enregistré le 7 janvier 2022, sous le n° 22MA00036, M. B, représenté par Me Ramon, demande à la Cour, à l'appui de sa requête enregistrée le 5 janvier 2022, tendant à l'annulation du jugement précité du 3 décembre 2021, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 57 A du livre des procédures fiscales créées par l'article 14, III de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007.

M. B soutient que :

- c'est à tort que par le jugement du 3 décembre 2021, le tribunal administratif de Nice a refusé de transmettre la question posée ;

- il entend se référer au document intitulé " question prioritaire de constitutionnalité ", qui est joint au présent mémoire ;

- les dispositions de l'article L. 57 A du livre des procédures fiscales créées par le III de l'article 14 de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007, sont contraires à la Constitution, en particulier au principe d'égalité devant la loi fiscale qui découle de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et à celui d'égalité devant les charges publiques ;

- ces dispositions sont applicables au présent litige et n'ont jamais été déclarées conformes à la Constitution ;

- la question soulevée présente un caractère sérieux :

- à cet égard, en tant qu'elles limitent le bénéfice d'une réponse aux observations du contribuable sur la proposition de rectification dans un délai de soixante jours, aux petites et moyennes entreprises (PME), à l'exclusion des particuliers, ces dispositions méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques ;

- l'objectif poursuivi qui engendre une rupture d'égalité ne repose pas sur un motif d'intérêt général et la différence de traitement entre contribuables n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels ; à cet égard, une entreprise de petite taille bénéficie d'une garantie supplémentaire par rapport au contribuable, personne physique, ce qui entraîne une différence de traitement injustifiée ;

- la doctrine administrative référencée BOI-CF-IOR-10-50 n° 570 et n° 580 du 4 mars 2020 étend le champ d'application de ces dispositions aux sociétés civiles immobilières (SCI) qui bénéficient des mêmes garanties que celles visées en matière de vérification de comptabilité, c'est-à-dire les SCI qui ont opté pour l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés ;

- il entend critiquer l'absence de " délai raisonnable " imparti à l'administration pour répondre aux observations d'un particulier alors même qu'un tel délai est expressément prévu pour les entreprises ne dépassant pas un certain seuil de chiffre d'affaires.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 janvier 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la Cour de ne pas faire droit à la transmission demandée.

Il fait valoir que :

- la question posée ne présente pas un caractère sérieux ;

- à cet égard, la situation d'une PME soumise à une vérification de comptabilité n'est pas objectivement comparable à celle d'un particulier qui fait l'objet d'un contrôle sur pièces ;

- les dispositions en litige ne portent atteinte à aucun droit ou principe garantis constitutionnellement.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 notamment ses articles 6 et 13 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;

- le livre des procédures fiscales et notamment l'article L. 57 A ;

- la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 ;

- la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. La société civile immobilière (SCI) Lielas Onze, dont M. B détient 99 % des parts, a cédé le 10 juin 2015 un appartement sis à Nice au 80 avenue du Bois de Cythère qu'elle avait acquis en décembre 2009. La société a considéré que la plus-value correspondant à la quote-part de son associé était exonérée d'imposition au regard des dispositions prévues au 1° du II de l'article 150 U du code général des impôts. L'administration fiscale a toutefois remis en cause l'exonération de la plus-value en considérant que l'immeuble concerné mis à la disposition de l'intéressé à titre gratuit ne constituait pas la résidence principale de M. B. A l'occasion de l'appel, interjeté par ce dernier, contre le jugement par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande de décharge en droits et pénalités des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de taxe sur les plus-values immobilières ainsi que de prélèvements sociaux mis à sa charge en conséquence de cette plus-value immobilière, M. B conteste le refus opposé par les premiers juges à sa demande de transmission de la question de la conformité, à la Constitution, des dispositions du 1er alinéa de l'article L. 57 A du livre des procédures fiscales.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ". En vertu des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée, la juridiction, saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstance, et qu'elle n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article R. 771-12 du code de justice administrative : " Lorsque, en application du dernier alinéa de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, l'une des parties entend contester, à l'appui d'un appel formé contre la décision qui règle tout ou partie du litige, le refus de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité opposé par le premier juge, il lui appartient, à peine d'irrecevabilité, de présenter cette contestation avant l'expiration du délai d'appel dans un mémoire distinct et motivé, accompagné d'une copie de la décision de refus de transmission () ". En application de l'article R. 771-9 de ce code, le refus de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité opposé par le premier juge ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours formé contre la décision qui règle tout ou partie du litige. Enfin, l'article R. 771-7 du même code prévoit que : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

4. Aux termes de l'article L. 57 A du livre des procédures fiscales, dans sa version applicable au présent litige, issue de l'article 14 de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 : " I.- En cas de vérification de comptabilité ou d'examen de comptabilité d'une entreprise ou d'un contribuable exerçant une activité industrielle ou commerciale dont le chiffre d'affaires est inférieur à 1 526 000 € s'il s'agit d'entreprises dont le commerce principal est de vendre des marchandises, objets, fournitures et denrées à emporter ou à consommer sur place ou de fournir le logement, ou à 460 000 € s'il s'agit d'autres entreprises ou d'un contribuable se livrant à une activité non commerciale dont le chiffre d'affaires ou le montant annuel des recettes brutes est inférieur à 460 000 €, l'administration répond dans un délai de soixante jours à compter de la réception des observations du contribuable faisant suite à la proposition de rectification mentionnée au premier alinéa de l'article L. 57. Le défaut de notification d'une réponse dans ce délai équivaut à une acceptation des observations du contribuable / () ".

5. Par mémoire distinct, M. B conteste le refus de transmission par le tribunal administratif de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité au principe d'égalité devant la loi et devant les charges publiques des dispositions précitées du I de l'article L. 57 A du livre des procédures fiscales, en tant qu'elles limitent le bénéfice d'une réponse par l'administration aux observations du contribuable sur la proposition de rectification dans un délai de soixante jours, aux petites et moyennes entreprises, à l'exclusion des particuliers.

6. Aucune décision du Conseil constitutionnel n'a déclaré les dispositions précitées au point 4 conformes à la Constitution dans ses motifs ou son dispositif. En outre, une disposition législative ne peut être utilement contestée par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité en tant qu'elle exclut de son bénéfice une catégorie de personnes que si, dans le litige principal, le requérant est effectivement victime de la discrimination qu'il dénonce. En l'espèce, M. B ne pouvant bénéficier des dispositions précitées, dès lors qu'il a fait l'objet un contrôle sur pièces et non d'une vérification ou examen de comptabilité, est recevable, dans cette mesure, à contester par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité les dispositions citées ci-dessus au point 4. Par suite, il convient d'examiner si la question posée par M. B n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

7. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " La loi () doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Le principe d'égalité devant les charges publiques ne fait pas obstacle à ce que des situations différentes fassent l'objet d'un traitement différent, sous réserve que le législateur se fonde sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose et qu'il ne fasse pas peser sur les contribuables une charge excessive au regard de leurs capacités contributives.

8. L'article L. 57 du livre des procédures fiscales porte sur l'obligation pour l'administration de motiver la proposition de rectification, de manière à permettre au contribuable de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation, ainsi que le rejet des observations du contribuable. Il prévoit également que le délai imparti au contribuable pour répondre à une proposition de rectification, fixé à trente jours par l'article L. 11 de ce livre, peut, sur sa demande, être prorogé de trente jours. L'article L. 57 A du même livre, objet de la présente contestation, prévoit un délai spécifique de réponse aux observations du contribuable en cas de vérification de comptabilité ou d'examen de comptabilité d'entreprises ou de contribuables exerçant une activité industrielle ou commerciale ou une activité non commerciale dont le chiffre d'affaires ou les recettes n'excède pas certains seuils.

9. D'une part, si M. B invoque l'absence de délai fixé à l'administration, dans les autres cas - en particulier le sien - que ceux prévus par les dispositions précitées de l'article L. 57 A du livre des procédures fiscales, pour répondre aux observations du contribuable, il ne saurait toutefois se plaindre d'une absence totale de délai dès lors que l'administration est tenue par le délai dans lequel elle doit mettre les impositions en recouvrement. D'autre part, ainsi que le fait valoir l'administration en défense, il résulte du rapport n°445 de la Commission des finances, de l'économie générale et du plan, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 novembre 2007, qu'en adoptant l'article L. 57 A du livre de procédures fiscales, le législateur a entendu améliorer les modalités de vérification de comptabilité des petites et moyennes entreprises (PME), tenant mieux compte de leurs conditions de gestion et de leurs difficultés économiques. La situation d'une PME dont le chiffre d'affaires n'excède pas un certain seuil suivant la nature de son activité et faisant l'objet d'une vérification de comptabilité n'étant pas objectivement comparable à celle d'un particulier faisant l'objet d'un simple contrôle sur pièces, comme c'est le cas de M. B, cette différence de traitement, qui est en rapport direct avec l'objet de la loi, n'est pas, par elle-même, contraire au principe d'égalité devant la loi. Elle repose en outre sur des critères objectifs et rationnels en fonction de l'objectif poursuivi et ne fait, en tout état de cause, pas peser sur les contribuables une charge excessive au regard de leurs capacités contributives, de sorte que M. B ne saurait davantage se prévaloir d'une rupture d'égalité devant les charges publiques.

10. Si, par mesure de tempérament, le délai de soixante jours s'applique également en cas de vérification d'une société civile immobilière de gestion ou encore d'une entreprise agricole dont le montant des recettes brutes n'excède pas 730 000 euros aux termes de l'instruction fiscale référencée BOI-CF-IOR-10-50 n° 570 et n° 580 du 4 mars 2020, laquelle est au demeurant postérieure à l'imposition en litige, un tel constat n'est pas de nature à établir, par lui-même, qu'en édictant un délai de réponse qui s'impose à l'administration pour certaines catégories de contribuables, le législateur aurait introduit une différence de traitement qui n'est pas en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

11. Si M. B entend critiquer l'absence de " délai raisonnable " imparti à l'administration pour répondre aux observations formulées par un particulier faisant l'objet d'un contrôle sur pièces alors même qu'un tel délai est expressément prévu pour les entreprises ne dépassant pas un certain seuil de chiffre d'affaires, il n'assortit ce moyen d'aucune précision utile en s'abstenant d'indiquer quel article de la Constitution ou quel principe de valeur constitutionnelle serait de ce fait méconnu.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil d'Etat.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A B et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.

Fait à Marseille, le 1er juillet 2022.

2 QPC

Code publication

C