Cour administrative d'appel de Bordeaux

Ordonnance du 29 juin 2022 n° 22BX01622

29/06/2022

Non renvoi

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société XYLO FINANCE a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de prononcer la restitution de la somme de 236 644 euros correspondant au crédit d'impôt pour des investissements productifs outre-mer réalisés au titre de l'année 2019 et de transmettre au conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, de légalité, de nécessité et de proportionnalité des peines du 3° du VIII de l'article 244 quater W du code général des impôts dans sa version applicable au litige.

Par jugement du 20 avril 2022, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 juin 2022, la société Xylo Finance, représentée par le cabinet Fidal, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe et de juger que la question prioritaire de constitutionnalité est recevable en tant notamment qu'elle n'est pas dépourvue de caractère sérieux ;

2°) de transmettre cette question prioritaire de constitutionnalité au conseil d'Etat ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les dispositions du 3. du VIII de l'article 244 quater W du code général des impôts (CGI), sont entachées d'inconstitutionnalité et méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et les charges publiques protégés par les articles 6 et 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi que celui de légalité, de nécessité et de proportionnalité des peines garanti à l'article 8 de la même déclaration en prévoyant que le crédit d'impôt attaché aux investissements productifs réalisés dans un département d'outre-mer bénéficie aux entreprises ayant respecté l'obligation de dépôt de leurs comptes annuels selon les modalités prévues aux articles L 232-21 et L 232-23 du code de commerce ; le non-respect de la même formalité demeure sans incidence sur le bénéfice d'avantages fiscaux proches prévus par les articles 244 quater E, 44 quindicies et 44 octies A du CGI ; contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, dans aucune décision le conseil d'Etat n'a eu à se prononcer sur l'éventuelle discrimination dont sont l' objet les contribuables soumis à l'obligation de dépôt de leurs comptes annuels au regard de la nature des investissements qu'ils effectuent et le tribunal a méconnu son office ; le tribunal a omis de se prononcer sur le caractère sérieux de la question et a fait une inexacte application de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 modifiée du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative, notamment ses articles R. 222-1, R. 771-8 et R. 771-12.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article R. 771-12 du code de justice administrative " Lorsque, en application du dernier alinéa de l'article portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, l'une des parties entend contester, à l'appui d'un appel formé contre la décision qui règle tout ou partie du litige, le refus de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité opposé par le premier juge, il lui appartient, à peine d'irrecevabilité, de présenter cette contestation avant l'expiration du délai d'appel dans un mémoire distinct et motivé, accompagné d'une copie de la décision de refus de transmission. ".

2. La société Xylo France, en application de l'article R. 771-12 précité du code de justice administrative, conteste le refus opposé par le tribunal administratif de la Guadeloupe à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat portant sur la conformité aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, de légalité, de nécessité et de proportionnalité des peines du 3° du VIII de l'article 244 quater W du code général des impôts dans sa version applicable au litige.

3. Aux termes d'une part, de l'article R. 771-8 du code de justice administrative: " L'application des dispositions de la présente section ne fait pas obstacle à l'usage des pouvoirs que () les présidents de formation de jugementdes cours tiennent des dispositions de l'article R. 222-1 ". Aux termes de l'article R. 222-1 du code : " 7° () Les présidentsdes formations de jugement des cours peuvent, en outre, par ordonnance, rejeteraprès l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire, les requêtes manifestement dépourvues de fondement ".

4. Aux termes d'autre part, de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé () ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé () ". L'article 23-2 du même texte dispose : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / () 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux () ".

5. Il résulte des dispositions combinées précitées que le juge administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

6. En vertu de l'article 244 quater W du code général des impôts, les entreprises imposées d'après leur bénéfice réel ou exonérées sous certaines conditions, exerçant une activité agricole ou une activité industrielle, commerciale ou artisanale relevant de l'article 34 de ce code, peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt à raison des investissements productifs neufs qu'elles réalisent dans un département d'outre-mer pour l'exercice d'une activité relevant d'un secteur éligible. Le 3 du VIII de cet article dispose : " Le crédit d'impôt prévu au présent article est subordonné au respect par les entreprises exploitantes et par les organismes mentionnés au 4 du I de leurs obligations fiscales et sociales et de l'obligation de dépôt de leurs comptes annuels selon les modalités prévues aux articles L. 232-21 à L. 232-23 du code de commerce à la date de réalisation de l'investissement. () "

7. La société Xylo France soutient que les dispositions du 3. du VIII de l'article 244 quater W du code général des impôts (CGI), sont entachées d'inconstitutionnalité et méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et les charges publiques protégés par les articles 6 et 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi que celui de légalité, de nécessité et de proportionnalité des peintes garanti à l'article 8 de la même déclaration en prévoyant que le crédit d'impôt attaché aux investissements productifs réalisés dans un département d'outre-mer bénéficie aux entreprises ayant respecté l'obligation de dépôt de leurs comptes annuels selon les modalités prévues aux articles L 232-21 et L 232-23 du code de commerce.

8. En premier lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". Cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

9. En subordonnant l'octroi de la réduction d'impôt prévue à l'article 244 quater W du code général des impôts au respect, par les entreprises réalisant l'investissement et, le cas échéant, les organismes mentionnés au 1 du I de l'article 244 quater X, de l'obligation de dépôt de leurs comptes annuels selon les modalités prévues aux articles L. 232-21 à L. 232-23 du code de commerce à la date de réalisation de l'investissement, le législateur a entendu imposer le respect de cette obligation aux seuls entreprises et organismes entrant dans le champ d'application de ces dispositions du code de commerce. Le législateur, qui s'est fixé comme objectif de renforcer la transparence des opérations de défiscalisation, s'est ainsi fondé sur un critère objectif et rationnel au regard du but poursuivi. S'il en résulte une différence de traitement entre les entreprises et organismes réalisant l'investissement selon qu'ils sont ou non soumis à l'obligation de dépôt des comptes annuels, celle-ci, qui résulte du champ d'application des dispositions du code de commerce, est justifiée par une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi. Par suite, ne présentent pas un caractère sérieux les griefs tirés de ce que les dispositions contestées subordonneraient le bénéfice de la réduction d'impôt à une obligation de dépôt de comptes annuels dans des conditions méconnaissant les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques.

10. En deuxième lieu, ces dispositions, qui ne poursuivent aucune visée répressive, n'instituent ni une incrimination, ni une peine, ni une sanction. Dès lors, le grief tiré de ce qu'elles méconnaîtraient les principes issus de l'article 8 de la Déclaration de 1789 ne peut qu'être regardé comme dépourvu de sérieux.

11. La question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui en outre ne présente pas de caractère nouveau, est dès lors dépourvue de caractère sérieux, ainsi que l'a jugé le tribunal.

12. Il résulte de ce qui précède que la contestation par la société Xylo France du refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité opposée par le tribunal administratif, qui n'a pas méconnu son office et est manifestement dépourvue de fondement et doit être rejetée selon la procédure prévue par les dispositions précitées du dernier alinéa de l'article R. 222-1 du code de justice administrative.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la société Xylo France contestant le refus de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité opposé par le tribunal administratif de la Guadeloupe est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Xylo France.

Fait à Bordeaux, le 29 juin 2022.

La présidente de la 4ème chambre,

Evelyne Balzamo

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

No 22BX0162

Code publication

C