Cour d'Appel de Saint-Denis-de-La Réunion

Ordonnance du 28 juin 2022 n° 22/00240

28/06/2022

Irrecevabilité

COUR D'APPEL

 

DE SAINT-DENIS

 

Chambre civile TGI

 

N° RG 22/00240 - N° Portalis DBWB-V-B7G-FVGA

 

Monsieur [M] [N]

 

[Adresse 2]

 

[Adresse 2]

 

Représentant : Me Eloïse ITEVA, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

 

APPELANT

 

Caisse CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE FRANCE (CARMF)

 

[Adresse 1]

 

[Adresse 1]

 

Représentant : Me Patrice SANDRIN, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

 

INTIME

 

ORDONNANCE SUR INCIDENT N°

 

DU 28 Juin 2022

 

Nous, Patrick CHEVRIER, Président de chambre ;

 

Assisté de Véronique FONTAINE, Greffier,

 

FAITS ET PROCÉDURE

 

Par trois actes en date du 20 août 2021, la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF) a signifié à Monsieur [M] [N] trois commandements aux fins de saisie vente :

 

1 - Commandement portant la référence 3712332/FTU/CV pour avoir paiement en principal de la créance d'une somme de 32.928,31 euros en exécution d'un jugement du pôle social du tribunal judicaire de Saint-Denis de la Réunion prononcé le 3 juillet 2019 et d'un arrêt le confirmant rendu le 23 février 2021 par la chambre sociale de la présente cour d'appel ;

 

2 - Commandement portant la référence 3712338/FTU/CV pour avoir paiement en principal de la créance d'une somme de 34.732,59 euros en exécution d'un jugement du pôle social du tribunal judicaire de Saint-Denis de la Réunion prononcé le 3 mars 2021 ;

 

3 - Commandement portant la référence 3708347/FTU/CV pour avoir paiement en principal de la créance d'une somme de 33.266,95 euros en exécution d'un jugement du pôle social du tribunal judicaire de Saint-Denis prononcé le 2 septembre 2020 et d'une contrainte du 19 septembre 2019.

 

Par assignation en date du 9 septembre 2021, Monsieur [M] [N] a saisi le juge de l'exécution près le tribunal judiciaire de Saint-Denis aux fins de mainlevée de ces trois commandements en assignant la CARMF.

 

Puis, par conclusions et par mémoire distinct, Monsieur [N] a soulevé devant le juge de l'exécution une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

 

Par jugement en date du 25 novembre 2021, le juge de l'exécution a statué notamment en ces termes :

 

Rejette la demande de transmission à la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité (jugeant qu'elle était dépourvue de sérieux) ;

 

Valide lesdits commandements aux fins de saisie-vente ;

 

Déboute Monsieur [M] [N] de ses contestations et demandes.

 

Monsieur [M] [N] a interjeté appel de la décision par déclaration au greffe de la cour déposée le 8 décembre 2021. L'affaire a été enregistrée sous les références RG/21-2076.

 

Puis, par conclusions N° 1 déposées par RPVA le 30 décembre 2021, dans l'instance d'appel 21-2076, le Conseil de l'appelant demande à la cour d'appel de :

 

" Vu le code des procédures civiles d'exécution,

 

Vu le code de procédure civile,

 

Vu, en, général, toutes dispositions applicables au présent litige,

 

Vu les pièces versées aux débats,

 

Vu le jugement entrepris,

 

Vu la question prioritaire de constitutionnalité soulevée,

 

JUGER l'appel recevable

 

REFORMER le jugement rendu par le Juge de l'Exécution de Saint-Denis le 25.11.2021 (RG 21/02297), notifié par RAR du même jour, en ce qu'il :

 

Rejette la demande de transmission à la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité (jugeant qu'elle est dépourvue de sérieux)

 

Valide lesdits commandements aux fins de saisie-vente

 

Déboute Monsieur [M] [N] de ses contestations et demandes

 

Condamne Monsieur [M] [N] aux dépens y compris les frais liés aux trois commandements

 

Condamne Monsieur [M] [N] à verser à la Caisse Autonome de Retraite des Médecins de France une somme de 1.000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile

 

Et, statuant à nouveau :

 

Vu la question prioritaire de constitutionnalité soulevée :

 

Transmettre à la Cour de Cassation pour renvoi au Conseil Constitutionnel la question suivante : les dispositions de l'article L 122-1 du code de sécurité social français portent-elles atteinte aux droits et libertés garantis par les articles 1er et 6 de la Déclaration des Droits de L'Homme et du Citoyen du 26 Aout 1789, intégrée au bloc constitutionnel, au point 9 du Préambule de la Constitution de 1946 et aux articles 1 et 2 de la Constitution de la République française

 

Sursoir à statuer jusqu'à décision définitive sur la question prioritaire de constitutionnalité.

 

Subsidiairement

 

Pour le cas où la Cour ne ferait pas droit à la précédente demande

 

Et en tout état de cause

 

JUGER chaque acte de commandement de payer aux fins de saisie-vente litigieux nul et de nul effet

 

En tout état de cause,

 

ORDONNER la mainlevée des trois commandements de payer

 

DEBOUTER l'intimée de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires à celles de l'appelant

 

CONDAMNER la CARMF à payer à l'ici appelant la somme de 1.500 Euros sur le fondement de l'article 700 du CPC

 

CONDAMNER la CARMF aux entiers dépens, y compris les frais liés aux trois commandements litigieux

 

Cette instance a été enregistrée sous les références RG/22-240.

 

Selon le requérant, l'article L 122-1 du code de sécurité sociale est contraire au bloc constitutionnel en ce qu'il :

 

- constitue une violation (totalement injustifiée et notamment injustifiée par l'intérêt public) du " principe de l'égalité " (sic) ;

 

- constitue une violation de la Constitution et notamment du point 9 du Préambule de la Constitution de 1946 qui dispose " Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. "

 

Au soutien de ses prétentions, Monsieur [N] expose qu'en imposant à certaines personnes morales de droit privé (et non à d'autres) les obligations qui découlent de l'article L 122-1 du CSS, l'Etat viole le principe d'égalité. Ce traitement discriminatoire n'est pas justifié. Ainsi, l'appelant plaide qu'il y a " violation du principe de l'égalité et du bloc constitutionnel " et notamment de la Constitution de la République française du 04 octobre 1958 en sa rédaction actuelle et notamment en ses articles 1er, 2,

 

- la Déclaration Universelle des Droits de l'homme et du Citoyen insérée dans le préambule de la Constitution de 1958, notamment en ses articles 1er et 6.

 

Invoquant en outre la violation du point 9 du Préambule de la Constitution, le requérant affirme qu'en imposant aux personnes morales de droit privé, qui sont des organismes de sécurité sociale, des obligations particulières compte tenu du monopole de fait (sécurité sociale) qui serait le leur, la violation de ces dispositions est patente. En effet, il faudrait que les personnes concernées par les obligations de l'article L 122-1 du CSS soient la propriété de la collectivité (soit, des établissements publics). Il est pourtant constaté que l'article L 122-1 CSS exclut les établissements publics du cadre de son application).

 

Selon le requérant, il est patent que les dispositions de l'article L. 122-1 du code de la sécurité sociale " portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ", selon la formulation de l'article 23-1 de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution.

 

Le procureur général près la cour d'appel a adressé son avis par mémoire déposé par RPVA le 29 mars 2022. Il demande de :

 

DECLARER IRRECEVABLE la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité présentée ;

 

Subsidiairement,

 

DIRE la question prioritaire de constitutionnalité dépourvue de caractère sérieux et n'y avoir lieu à sa transmission.

 

Le Ministère public, invoquant les dispositions de l'article 126-2 du code de procédure civil, souligne que la QUPC doit être présentée dans un écrit distinct et motivé. Or, la présente question prioritaire de constitutionnalité est contenue dans les

 

Au fond, subsidiairement, il considère que la question ne présente pas de caractère sérieux justifiant sa transmission.

 

La CARMF a déposé un mémoire par RPVA le 25 février 2022, aux termes duquel elle demande à la cour de :

 

Déclarer irrecevable la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité posée par Monsieur [N],

 

Condamner Monsieur [M] [N] aux dépens afférents à la procédure sur la QPC,

 

Rejeter la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le Docteur [N] dans la mesure où celle-ci n'est pas sérieuse,

 

Constater en conséquence qu'il n'y a pas lieu de la transmettre à la Cour de cassation,

 

Renvoyer l'affaire à une prochaine audience pour un examen au fond.

 

Selon l'intimée, en vertu de l'article 126-2 du code de procédure civile, le juge doit relever d'office l'irrecevabilité du moyen qui n'est pas présenté dans un écrit distinct et motivé, ce qui est le cas en l'espèce.

 

La CARMF rappelle subsidiairement que le régime d'assurance vieillesse des professions libérales relève d'une organisation autonome (article L. 840-1 du code de la sécurité sociale). Elle a été instituée par le décret n° 48.1179 du 19 juillet 1948 pour assurer la gestion de l'assurance vieillesse et invalidité décès des médecins conformément aux dispositions du Livre VI Titre IV du Code de la sécurité sociale (CSS). Elle est donc l'une des dix sections professionnelles de l'organisation autonome d'assurance vieillesse des professions libérales, tenant des dispositions de l'article L. 641-1 du CSS la personnalité juridique et l'autonomie financière depuis l'origine, sans nécessité d'autres conditions.

 

Selon l'intimée, les cotisations réclamées par la CARMF sont dues à titre obligatoire par les praticiens du fait même de l'exercice médical non salarié.

 

La CARMF affirme que le requérant ne démontre à aucun moment en quoi la rédaction de l'article L. 122-1 du code de la sécurité sociale serait contraire au principe d'égalité puisque cette obligation concerne tous les organismes de sécurité sociale. La distinction opérée par l'article L. 122-1 afin d'identifier les organismes de sécurité sociale qui n'ont pas l'obligation d'avoir un directeur ne peut pas être analysée comme étant une violation du principe d'égalité.

 

Sur le second moyen soulevé par Monsieur [N], la CARMF soutient que le Point 9 du Préambule à la Constitution de 1946 fait référence uniquement à un " bien ' ' ou à une " entreprise ' ', " dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait ' '. Or, la CARMF ne saurait être assimilée à une entreprise.

 

En outre, le Point 11 du même Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 prévoit que la Nation " garantit à tous, notamment à l'enfant, á la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé la sécurité matérielle le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ".

 

Conformément aux exigences constitutionnelles précitées, c'est le législateur qui a établi le principe affirmé à l'article L. 111-1 du CSS, selon lequel " l'organisation de la sécurité sociale est fondée sur le principe de solidarité nationale '', qui " garantit les travailleurs et leur famille contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain '' [...] par l'affiliation des intéressés et le rattachement de leurs ayants droit à un (ou (plusieurs) régime obligatoires. " En l'espèce, les dispositions contestées permettent ainsi d'assurer le service des allocations de vieillesse, tel qu'exigé par le Préambule de la Constitution de 1946 précité. Cette mission ne pouvant en aucun cas être assimilée à la gestion d'un bien ou à une entreprise, il ressort que le Point 9 du Préambule de la constitution de 1946 ne trouve pas application en matière de sécurité sociale.

 

L'affaire a été examinée à l'audience du 19 avril 2022.

 

MOTIFS

 

Il convient de se référer pour plus ample exposé à l'ensemble des conclusions et avis des parties régulièrement déposées et communiquées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

 

Sur la recevabilité de la QPC :

 

L'article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit que lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

 

Selon l'article 3-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, la juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

 

1°- La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

 

2°- Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

 

3°- La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

 

Selon les articles 23-1 et 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est présenté, à peine d'irrecevabilité, dans un écrit distinct et motivé.

 

L'article 126-2 du code de procédure civile, édicté en application des dispositions susvisées, prescrit que : A peine d'irrecevabilité, la partie qui soutient qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présente ce moyen dans un écrit distinct et motivé, y compris à l'occasion d'un recours contre une décision réglant tout ou partie du litige dans une instance ayant donné lieu à un refus de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité.

 

Le juge doit relever d'office l'irrecevabilité du moyen qui n'est pas présenté dans un écrit distinct et motivé.

 

Les autres observations des parties sur la question prioritaire de constitutionnalité doivent, si elles sont présentées par écrit, être contenues dans un écrit distinct et motivé. A défaut, elles ne peuvent être jointes à la décision transmettant la question à la Cour de cassation.

 

En l'espèce, la question prioritaire de constitutionnalité présentée par Monsieur [N] n'a pas fait l'objet d'un mémoire distinct puisqu'elle contenue dans ses conclusions d'appelant N° 1.

 

Elle est donc irrecevable.

 

PAR CES MOTIFS

 

Nous Patrick CHEVRIER, statuant publiquement, contradictoirement,

 

DECLARE IRRECEVABLE la question prioritaire de constitutionnalité enregistrée sous les références RG 22-240 ;

 

CONDAMNE Monsieur [M] [N] aux dépens de la présente instance.

 

La présente ordonnance a été signée par Le président et le greffier.

 

Le greffier

 

Véronique FONTAINE

 

Le président

 

Patrick CHEVRIER