Cour d'Appel d'Orléans

Arrêt du 28 juin 2022 n° 20/01483

28/06/2022

Irrecevabilité

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

 

CHAMBRE DES AFFAIRES DE SÉCURITÉ SOCIALE

 

GROSSE à :

 

URSSAF CENTRE VAL DE LOIRE

 

SCP MADRID CABEZO MADRID FOUSSEREAU MADRID

 

EXPÉDITION à :

 

SARL [7]

 

MINISTRE CHARGÉ DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

 

Pôle social du Tribunal judiciaire d'ORLEANS

 

ARRÊT du : 28 JUIN 2022

 

Minute n°313/2022

 

N° RG 20/01483 - N° Portalis DBVN-V-B7E-GF26

 

Décision de première instance : Pôle social du Tribunal judiciaire d'ORLEANS en date du 09 Juillet 2020

 

ENTRE

 

APPELANTE :

 

URSSAF CENTRE VAL DE LOIRE

 

[Adresse 2]

 

[Localité 5]

 

Représentée par M. [X] [B], en vertu d'un pouvoir spécial

 

D'UNE PART,

 

ET

 

INTIMÉE :

 

SARL [7]

 

[Adresse 3]

 

[Localité 4]

 

Représentée par Me Susana MADRID de la SCP MADRID CABEZO MADRID FOUSSEREAU MADRID, avocat au barreau d'ORLEANS

 

PARTIE AVISÉE :

 

MONSIEUR LE MINISTRE CHARGÉ DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

 

[Adresse 1]

 

[Localité 6]

 

Non comparant, ni représenté

 

D'AUTRE PART,

 

COMPOSITION DE LA COUR

 

Lors des débats et du délibéré :

 

Madame Sophie GRALL, Président de chambre,

 

Madame Carole CHEGARAY, Président de chambre,

 

Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller,

 

Greffier :

 

Monsieur Alexis DOUET, Greffier lors des débats et du prononcé de l'arrêt.

 

DÉBATS :

 

A l'audience publique le 22 MARS 2022.

 

ARRÊT :

 

- Contradictoire, en dernier ressort.

 

- Prononcé le 28 JUIN 2022, par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

 

- signé par Madame Sophie GRALL, Président de chambre, et Monsieur Alexis DOUET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

* * * * *

 

La SARL [7] est affiliée en tant qu'employeur auprès de l'URSSAF Centre Val de Loire depuis le 15 janvier 2007. Elle exerce son activité dans le domaine de l'aide à domicile.

 

Dans le cadre d'un contrôle comptable d'assiette pour la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2017, l'URSSAF Centre Val de Loire lui a adressé une lettre d'observations du 30 janvier 2019 portant notamment sur le 'versement transport' et faisant à cet égard les constatations suivantes : 'la contribution au versement transport est due pour les employeurs dont l'effectif des salariés est supérieur à 9 puis 11 salariés à compter du 1er janvier 2016. En l'espèce, le seuil de 9 salariés a été dépassé en 2009. Ainsi l'employeur a bénéficié de 3 années d'exonération de cette contribution (de 2010 à 2012) puis 3 ans avec un abattement progressif (de 2013 à 2015). A compter du 1er janvier 2016, l'employeur est assujetti à cette contribution. D'après l'étude des déclarations Urssaf, il apparaît que l'employeur n'a pas cotisé à cette contribution à tort. Il convient de régulariser la situation'.

 

La société [7] a fait part à l'URSSAF Centre Val de Loire de sa réponse par courrier du 27 février 2019, faisant valoir qu' 'en tant que structure d'aide à domicile habilitée au titre de l'aide sociale, l'assiette des heures exonérées pour les rémunérations versées aux aides à domicile qui interviennent auprès du public fragile ne sont pas soumises à cette cotisation'.

 

Par courrier du 20 mars 2019, l'URSSAF Centre Val de Loire a maintenu le redressement du chef contesté du 'versement transport' pour un montant de 15 579 euros et a adressé à la société [7] une mise en demeure du 7 mai 2019 pour un montant total de 17 260 euros (incluant les majorations de retard).

 

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 14 mai 2019, la société [7] a saisi la commission de recours amiable de la contestation de ce chef de redressement, laquelle, par décision du 25 juillet 2019 notifiée le 31 juillet 2019, a fait sienne l'argumentation de l'URSSAF et rejeté le recours de la société [7].

 

La société [7] a formé un recours contentieux devant le Pôle social du tribunal de grande instance d'Orléans devenu le tribunal judiciaire à compter du 1er janvier 2020.

 

Par jugement du 9 juillet 2020 notifié le 15 juillet 2020, le Pôle social du tribunal judiciaire d'Orléans a:

 

- débouté l'URSSAF Centre Val de Loire de ses demandes,

 

- infirmé la décision de la commission de recours amiable du 25 juillet 2019,

 

- dit que la mise en demeure du 7 mai 2019 sera de nul effet,

 

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile,

 

- condamné l'URSSAF Centre Val de Loire aux dépens.

 

Suivant déclaration enregistrée eu greffe le 4 août 2020, l'URSSAF Centre Val de Loire a interjeté appel de ce jugement.

 

Dans ses conclusions visées par le greffe le 22 mars 2022 et soutenues oralement à l'audience du même jour, l'URSSAF Centre Val de Loire demande à la Cour de:

 

A titre principal,

 

- débouter la requérante de l'ensemble de ses demandes.

 

- valider la procédure de redressement de l'URSSAF Centre Val de Loire à l'encontre de la SARL [7].

 

- valider la mise en demeure du 7 mai 2019.

 

- confirmer la décision rendue par la commission de recours amiable le 31 juillet 2019.

 

A titre reconventionnel,

 

- condamner la requérante au paiement de l'intégralité du contrôle, soit la somme de 14 260 euros restant due sur le redressement contrôle (cotisations sociales et majorations de retard).

 

Dans ses conclusions visées par le greffe le 22 mars 2022 et soutenues oralement à l'audience du même jour, la SARL [7] à domicile demande à la Cour de:

 

Vu l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789,

 

Vu la jurisprudence du Conseil constitutionnel ci-dessus mentionnée,

 

Vu la jurisprudence de la CJUE ci-dessus mentionnée,

 

Vu l'article L. 2333-64 du Code général des collectivités territoriales,

 

Vu l'article D. 2333-87 du Code général des collectivités territoriales,

 

Vu l'article L. 241-10 III du Code de la sécurité sociale,

 

Vu le jugement rendu par le Pôle social près le tribunal judiciaire d'Orléans le 9 juillet 2020,

 

Vu les pièces communiquées,

 

- déclarer l'appel formé par l'URSSAF Centre Val de Loire irrecevable et en tout cas mal fondé.

 

Par conséquent,

 

- confirmer l'intégralité des dispositions du jugement rendu par le pôle social près le tribunal judiciaire d'Orléans le 9 juillet 2020.

 

- condamner l'URSSAF Centre Val de Loire à verser à la SARL [7] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés.

 

- condamner l'URSSAF Centre Val de Loire aux entiers dépens.

 

En application de l'article 455 du Code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

 

SUR CE, LA COUR:

 

L'article L. 2333-64 du Code général des collectivités territoriales dispose:

 

'I. - En dehors de la région d'Ile-de-France, les personnes physiques ou morales, publiques ou privées, à l'exception des fondations et associations reconnues d'utilité publique à but non lucratif dont l'activité est de caractère social, peuvent être assujetties à un versement destiné au financement des transports en commun lorsqu'elles emploient au moins onze salariés (à compter du 1er janvier 2016, neuf salariés auparavant):

 

1°) Dans une commune ou une communauté urbaine dont la population est supérieure à 10 000 habitants ou, dans les deux cas, lorsque la population est inférieure à 10 000 habitants et que le territoire comprend une ou plusieurs communes classées communes touristiques au sens de l'article L. 133-11 du code du tourisme;

 

2°) Dans le ressort d'un établissement public de coopération intercommunale compétent pour l'organisation de la mobilité, lorsque la population de l'ensemble des communes membres de l'établissement atteint le seuil indiqué;

 

3°) Dans le ressort d'une métropole ou de la métropole de [Localité 8], sous réserve des dispositions prévues à l'article L. 5722-7-1.

 

Les employeurs qui, en raison de l'accroissement de leur effectif, atteignent onze salariés sont dispensés pendant trois ans du paiement du versement. Le montant du versement est réduit de 75 %, 50 % et 25 %, respectivement chacune des trois années suivant la dernière année de dispense'.

 

Il n'est pas contesté que la société [7] a dépassé le seuil des salariés requis en 2009 et que depuis le 1er janvier 2016, elle relève des dispositions précitées relatives à la contribution dite versement transport.

 

L'article L. 241-10 III du Code de la sécurité sociale prévoit par ailleurs que:

 

'Sont exonérées notamment de cotisations patronales de sécurité sociale, à l'exception de celles dues au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles, les rémunérations versées aux aides à domicile employées sous contrat à durée indéterminée ou sous contrat à durée déterminée pour remplacer les salariés absents ou dont le contrat de travail est suspendu dans les conditions prévues à l'article L. 1242-2 du code du travail, par les structures suivantes:

 

1°) les associations et entreprises déclarées dans les conditions fixées à l'article L. 7232-1-1 du même code pour l'exercice des activités concernant la garde d'enfant ou l'assistance aux personnes âgées ou handicapées;

 

2°) les centres communaux ou intercommunaux d'action sociale;

 

3°) les organismes habilités au titre de l'aide sociale ou ayant passé convention avec un organisme de sécurité sociale'.

 

Il est constant que les exonérations de cotisations ou contributions sont d'interprétation stricte. L'article L. 241-10 III précité vise dans sa rédaction applicable au litige les cotisations patronales de sécurité sociale, soit les cotisations d'assurances sociales (maladie, maternité, invalidité, vieillesse) et d'allocations familiales. La contribution patronale versement transport de l'article L. 2333-64 du Code général des collectivités territoriales -qui n'a pas la nature d'une cotisation patronale de sécurité sociale- n'est donc pas concernée par l'exonération des cotisations au titre de l'aide à domicile.

 

La société [7] relève que les fondations et associations d'utilité publique à but non lucratif dont l'activité est de caractère social sont exonérées de la contribution versement transport aux termes de l'article L. 2333-64 du Code général des collectivités territoriales. Elle soutient qu'exerçant une activité à caractère social (aide à domicile, aide à la personne), elle n'est pas redevable de cette contribution dont elle a toujours été exonérée depuis sa création et que la lui réclamer opère une rupture d'égalité entre elle-même dont le rôle social est incontestable et d'autres structures associatives qui oeuvrent dans le même domaine et qui bénéficient de l'exonération du versement transport, et ce dans un secteur très fragile, pénalisant les sociétés sérieuses dont l'activité persiste, gage de sérieux; que de surcroît, l'obligation du versement transport est nécessairement un facteur de concurrence déloyale entre les entreprises et les associations dans le secteur de l'aide à la personne, les secondes étant dès lors plus compétitives sur le marché que les premières, et ce en violation du principe d'égalité de traitement consacré par les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

 

La société [7] ajoute que dans le cadre d'un précédent contrôle de l'URSSAF Centre Val de Loire intervenu en 2012, au titre des années 2010 et 2011, le contrôleur lui avait indiqué qu'elle était en parfaite conformité avec la loi et ne l'a pas avisée de l'assujettissement à cette contribution.

 

Il s'avère que la SARL [7], nonobstant le caractère social de son activité et la reconnaissance de la qualité de ses services d'aide à domicile et d'aide à la personne, reste une société commerciale à but lucratif, quand bien même elle aurait un résultat comptable tout juste créditeur.

 

Il importe de relever que la société [7] qui considère que son assujettissement à la contribution versement transport porte atteinte au principe d'égalité devant l'impôt garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 n'a pas présenté ce moyen dans un écrit distinct et motivé, comme exigé à peine d'irrecevabilité par l'article 126-2 du Code de procédure civile relatif à la question prioritaire de constitutionnalité.

 

S'agissant du contrôle de conventionnalité au regard du principe d'égalité de traitement consacré par les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, s'il ressort en effet de l'article L. 2333-64 du Code général des collectivités territoriales que la contribution patronale versement transport n'est pas applicable aux 'fondations et associations reconnues d'utilité publique à but non lucratif dont l'activité est de caractère social', il apparaît que cette différence de traitement qui favorise les structures à but non lucratif par rapport aux entreprises à but lucratif dans le secteur de l'aide à la personne est fondée sur un critère objectif et rationnel au regard du but poursuivi par le législateur, de sorte que la disposition légale critiquée par l'intimée au regard de la concurrence déloyale doit s'appliquer.

 

Enfin, lors du précédent contrôle en 2012 au titre des années 2010 et 2011, la lettre d'observations de l'URSSAF Centre Val de Loire fait état de ce que 'restent dues les cotisations salariales de sécurité sociale, la contribution solidarité autonomie, la CSG et la CRDS, le FNAL et le versement transport le cas échéant', de sorte que la société [7] ne peut utilement soutenir qu'elle n'a pas été avisée par l'URSSAF de l'assujettissement à la contribution versement transport, étant en outre rappelé qu'il n'incombe pas à l'URSSAF de prendre l'initiative d'une information individuelle d'un cotisant sur ses droits éventuels.

 

En conséquence, il convient d'infirmer le jugement entrepris qui a considéré que la société [7] n'était pas redevable du versement transport et, statuant à nouveau, de déclarer fondé le redressement opéré par l'URSSAF Centre Val de Loire et de condamner la société [7] au paiement de la somme de 14 260 euros en résultant.

 

La société [7], qui succombe, supportera la charge des dépens de première instance et d'appel et sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile.

 

PAR CES MOTIFS :

 

Infirme le jugement du 9 juillet 2020 du Pôle social du tribunal judiciaire d'Orléans en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile;

 

Statuant à nouveau;

 

Dit que le redressement opéré par l'URSSAF Centre Val de Loire à l'encontre de la SARL [7] ayant donné lieu à la mise en demeure du 7 mai 2019 est fondé;

 

Condamne en conséquence la SARL [7] à payer à l'URSSAF Centre Val de Loire la somme de 14 260 euros restant due au titre du dit redressement (cotisations et majorations de retard incluses);

 

Déboute la SARL [7] de sa demande formée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

 

Condamne la SARL [7] aux dépens de première instance et d'appel.

 

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,