Cour d'Appel de Paris

Arrêt du 28 juin 2022 n° 19/10267

28/06/2022

Non renvoi

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D'APPEL DE PARIS

 

Pôle 4 - Chambre 13

 

ARRÊT DU 08 JUIN 2022

 

(n° , 15 pages)

 

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/10267 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B76SK

 

Décisions déférées à la Cour :

 

Jugement du 06 mai 2019 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 17/15684

 

+ Question prioritaire de constitutionnalité

 

APPELANTES ET DEMANDERESSES A LA QPC

 

Institution BTP PREVOYANCE

 

[Adresse 3]

 

[Localité 4]

 

(appelante dans le RG N°19/12101 et intimée dans le RG N°19/10267)

 

et

 

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA VENDÉE

 

[Adresse 2]

 

[Localité 6]

 

Représentées et assistées de Me Antoine MARGER de la SCP SOCIETE CIVILE PROFESSIONNELLE D'AVOCAT MARGER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0463

 

(appelante dans les RG N°19/12101 et 19/12104 et intimé dans le RG N°19/10267)

 

APPELANTE ET DÉFENDERESSE A LA QPC

 

L'AGRASC, Agence de Gestion et de Recouvrement des Avoirs Saisies et Confisqués

 

[Adresse 7]

 

[Localité 4]

 

Représentée et assistée de Me Xavier NORMAND BODARD de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0141

 

(appelante dans le RG N°19/10267)

 

INTIMÉES ET DÉFENDERESSE A LA QPC

 

L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

 

[Adresse 8]

 

[Localité 5]

 

Représentée par Me Fabienne DELECROIX de l'ASSOCIATION DELECROIX GUBLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R229, substitué par Me Jennyfer BRONSARD de l'ASSOCIATION DELECROIX GUBLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R229

 

(intimé dans les RG N°19/12101 et 19/10267)

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR D'APPEL DE PARIS

 

[Adresse 1]

 

[Localité 4]

 

L'affaire a été communiquée au ministère public, qui a fait connaître son avis en date du 1er avril 2022, sous la plume de Mme [M].

 

COMPOSITION DE LA COUR :

 

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 avril 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre, chargée du rapport.

 

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

 

Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre

 

Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

 

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

 

Greffière lors des débats : Mme Séphora LOUIS-FERDINAND

 

ARRÊT :

 

- Contradictoire

 

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile de la prorogation du délibéré initialement prévu au 8 juin 2022 au 28 juin 2022.

 

- signé par Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre pour Nicole COCHET, Première présidente de chambre empêchée et par Sarah-Lisa GILBERT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

 

* * * * *

 

La BTP Prévoyance, institution de prévoyance sociale à régime spécial de la sécurité sociale et la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Vendée ont été victimes d'abus de confiance et d'escroquerie de la part de Mme [J] épouse [B] et à l'issue d'une information judiciaire, le tribunal correctionnel des Sables d'Olonne l'a, par jugement contradictoire du 6 avril 2017, condamnée à payer les sommes de :

 

- 335 722,82 euros à la BTP Prévoyance au titre de son préjudice matériel,

 

- 2 000 euros à la CPAM de la Vendée en réparation de son préjudice de désorganisation,

 

- 64 693,54 euros à la CPAM de la Vendée en réparation de son préjudice matériel.

 

Le tribunal a, en outre, ordonné la confiscation des biens dont un immeuble situé aux [Localité 9] et dit qu'elle devra servir à l'indemnisation des parties civiles sur le fondement de l'article 706-164 du code de procédure pénale.

 

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 avril 2017, la BTP Prévoyance demandait au greffe du tribunal correctionnel une copie exécutoire du jugement rendu. Elle réitérait sa demande les 19 mai, 10 juillet, 2 août, 14 et 20 septembre 2017.

 

Un certificat de non appel a été établi le 7 septembre 2017.

 

Le 5 octobre 2017, la BTP Prévoyance a saisi l'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (l'AGRASC), établissement public administratif, d'une demande en paiement.

 

Mais, par courrier électronique du 16 octobre suivant, l'AGRASC a refusé en opposant la forclusion de la demande, les dispositions de l'article 706-164 du code de procédure pénale prévoyant un délai de forclusion de 2 mois à compter du jour où la décision a acquis un caractère définitif sans possibilité de relevé de forclusion.

 

Par acte du 14 novembre 2017, la BTP Prévoyance a fait assigner l'AGRASC et l'agent judiciaire de l'Etat devant le tribunal de grande instance de Paris. Par actes des 1er et 4 décembre 2017, elle a également appelé Mme [J] épouse [B], M. [B] et la CPAM de Vendée à la cause.

 

Par ordonnance du 5 juin 2018, le juge de la mise en état a rejeté la demande de transmission à la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la BTP Prévoyance et la CPAM de Vendée.

 

Par jugement du 6 mai 2019, le tribunal a :

 

- relevé la BTP Prévoyance et la CPAM de Vendée de la forclusion résultant de l'expiration du délai prévu par l'article 706-164 du code de procédure pénale,

 

- constaté que l'AGRASC est déjà saisie des demandes de la BTP Prévoyance suivant lettre du 5 octobre 2017,

 

- dit que le délai de deux mois dont la CPAM de la Vendée dispose désormais pour saisir l'AGRASC court à compter de la date de sa décision,

 

- débouté la BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée de leurs demandes à l'encontre de l'agent judiciaire de l'Etat,

 

- condamné l'AGRASC aux dépens,

 

- condamné l'AGRASC à payer à la BTP Prévoyance et à la CPAM de la Vendée une somme de 3 500 euros, chacune, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

 

- ordonné l'exécution par provision du jugement,

 

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

 

Par déclaration du 14 mai 2019, l'AGRASC a interjeté appel de cette décision. La BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée ont également interjeté appel de ce jugement par déclarations séparées du 13 juin 2019 à l'encontre de l'agent judiciaire de l'Etat. Les trois procédures ont été jointes.

 

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 31 janvier 2022, l'AGRASC demande à la cour de :

 

- la dire et juger recevable et bien fondée en son appel,

 

- dire la BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée irrecevables en leur demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité,

 

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement,

 

statuant à nouveau,

 

- dire et juger la BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée mal fondées en toutes leurs demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre,

 

- les en débouter,

 

- les condamner à lui payer la somme de 5 000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

 

- les condamner en tous les dépens.

 

Dans leurs dernières conclusions notifiées et déposées le 14 février 2022, l'institution BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée demandent à la cour de :

 

- confirmer le jugement en ce qu'il les a relevées de la forclusion, dit que l'AGRASC était déjà saisie de la demande de la BTP Prévoyance, a fixé, s'agissant de la CPAM, le point de départ du délai de forclusion de deux mois au jour de la décision,

 

- infirmer le jugement en ce qu'il les a déboutées de leurs demandes à l'encontre de l'agent judiciaire de l'Etat,

 

statuant de nouveau,

 

si le relevé de forclusion est confirmé,

 

- condamner l'Etat à verser à la BTP Prévoyance la somme de 30 000 euros et à la CPAM de la Vendée la somme de 5 500 euros au titre de leur préjudice financier correspondant à la charge d'intérêts sur trois ans,

 

- si le relevé de forclusion est infirmé,

 

- juger que l'Etat a commis une faute lourde en communiquant le jugement et le certificat de non appel dans un délai excessif et que cette faute lourde est la cause exclusive des préjudices subis, - condamner l'Etat à verser à la BTP Prévoyance la somme de 365 722, 82 euros et à la CPAM la somme de 70 194 euros correspondant à leur créance indemnitaire augmentée de la charge d'intérêts sur trois ans,

 

en tout état de cause,

 

- condamner l'Etat à leur verser, chacune, la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la première instance,

 

- condamner la partie succombante aux entiers dépens,

 

- condamner l'Etat à leur verser, à chacune, la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

 

- condamner l'AGRASC à leur verser, à chacune, la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

 

- condamner l'AGRASC et l'Etat français aux entiers dépens.

 

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 26 janvier 2022, l'agent judiciaire de l'Etat demande à la cour de :

 

- confirmer le jugement dans toutes ses dispositions,

 

- condamner la BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée à lui payer chacune la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

 

- les condamner aux entiers dépens d'appel.

 

Selon avis notifié le 31 août 2020, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement.

 

La BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée ont déposé une question prioritaire de constitutionnalité la veille de la clôture de l'instruction initialement prévue le 15 février 2022 par mémoire saisissant la cour, le conseiller de la mise en état a clôturé la mise en état le 5 avril 2022 en renvoyant l'examen de la question prioritaire de constitutionnalité à la cour.

 

Selon mémoire notifié et déposé au greffe le 14 février 2022, la BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée demande à la cour de :

 

- dire et juger le dépôt de leur question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de l'article 706-164 du code de procédure pénale pour violation des articles4, 5, 6, 16 de la déclaration des droits de l'homme et 34 et 64 de la constitution recevable et bien fondé,

 

- constater que la question soulevée est applicable au litige en ce que la question soulevée a une incidence directe sur les réponses qui devront être apportées par la cour aux demandes soumises à son appréciation,

 

- constater que la question soulevée porte sur une disposition qui n'a pas déjà été déclarée conforme à la constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel dans des circonstances identiques,

 

à titre principal,

 

- transmettre directement à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

 

« Les dispositions de l'article 706-164 du code de procédure pénale, en ce qu'elles enferment le droit pour la partie civile de saisir l'AGRASC, en vue de la réparation de son dommage et en exécution d'une décision de justice, dans un délai de deux mois, sous peine de forclusion, sans prévoir de possibilité d'en être relevé ni prévoir que le juge judiciaire informe les parties civiles du délai et des modalités de saisine de cet agence, permettant ainsi à un établissement public administratif de faire échec à l'exécution d'une décision judiciaire et d'empêcher la réparation du dommage, portent-elles atteinte aux droits et libertés que la constitution garantit, et plus exactement au droit à un recours, au principe de clarté et d'intelligibilité de la loi, à l'indépendance de l'autorité judiciaire et à la séparation des pouvoirs ainsi qu'au principe de responsabilité, garantis par les articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et 34 et 64 de la Constitution ' »

 

à titre subsidiaire,

 

- transmettre à la formation collégiale de la cour afin qu'il soit statué sur la nécessité de la transmettre à la Cour de cassation question prioritaire de constitutionnalité, formulée dans les mêmes termes,

 

- surseoir à statuer sur les autres demandes dans l'attente des suites qui seront données à cette question prioritaire de constitutionnalité.

 

Selon conclusions notifiées et déposées au greffe le 10 mars 2022, l'AGRASC demande à la cour de :

 

- constater l'absence de tout sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité dont la BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée demandent la transmission à la Cour de cassation,

 

- rejeter en conséquence cette demande.

 

Selon conclusions notifiées et déposées au greffe le 11 mars 2022, l'agent judiciaire de l'Etat demande à la cour de statuer ce que de droit sur la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité.

 

Selon conclusions notifiées et déposées le 1er avril 2022, le ministère public est d'avis de :

 

- déclarer la question prioritaire de constitutionnalité irrecevable en ce qu'elle ne présente pas de caractère sérieux,

 

- ordonner qu'il n'y a pas lieu en conséquence de transmettre ladite question à la Cour de cassation.

 

La clôture de l'instruction de l'affaire a été ordonnée le 5 avril 2022.

 

SUR CE,

 

Sur la question prioritaire de constitutionnalité

 

La BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée font valoir que :

 

- toute partie peut soulever une question prioritaire de constitutionnalité dès lors que ce moyen vient au soutien de ses prétentions,

 

- le juge de la mise en état a excédé ses pouvoirs en anticipant sur la décision de relevé de forclusion qui sera rendue plusieurs mois après,

 

- l'article 706-164 du code de procédure pénale est applicable au litige et n'a pas été déclaré conforme à la Constitution,

 

- la question a un caractère sérieux dès lors que les dispositions critiquées portent sur des atteintes :

 

- au droit à recours effectif,

 

- au principe de clarté et d'intelligibilité de la loi pénale,

 

- au principe d'indépendance de l'autorité judiciaire et à la séparation des pouvoirs,

 

- au principe de responsabilité,

 

garantis par les articles 4, 5, 6 et 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et les articles 34 et 64 de la constitution,

 

- l'absence de dispositions permettant d'obtenir un relevé de forclusion porte atteinte au droit à un recours effectif, comparant à cet égard les conditions de saisine de l'AGRASC à celles de la commission d'indemnisation des victimes d'infractions,

 

- le texte est lacunaire en ce qu'il ne contient pas les indications ' pourtant essentielles à la saisine de l'AGRASC ' contenues dans la circulaire d'application du 3 février 2011 relative à la présentation de cet établissement public administratif et de ses missions,

 

- il ne prévoit pas non plus que le juge judiciaire qui ordonne l'indemnisation de la partie civile sur le produit de la vente des biens confisqués l'informe du délai et des modalités de la saisine de l'AGRASC et, précisément, du fait que l'absence de copie exécutoire n'empêcherait pas cette saisine,

 

- il est contraire à la pratique judiciaire de ne pas pouvoir demander, lorsqu'on a été légitimement empêché, de demander à être relevé de sa forclusion,

 

- l'article 706-164 du code de procédure pénale est inconstitutionnel en ce qu'il empêche la victime d'obtenir réparation de son dommage,

 

- en rejetant, aux motifs d'une forclusion définitive et insusceptible de recours, une demande d'indemnisation ordonnée par un tribunal correctionnel, l'AGRASC, établissement public administratif, vient empiéter sur les fonctions du juge judiciaire en empêchant l'exécution d'une décision de justice passée en force de chose jugée.

 

L'AGRASC répond que :

 

- le juge de la mise en état a simplement constaté qu'un recours était possible et qu'il avait été engagé, ce qui ne signifiait pas pour autant que ce recours serait obligatoirement accueilli,

 

- le caractère sérieux de la demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ne dépend pas de la décision qui sera rendue sur le fond par la cour,

 

- une question prioritaire de constitutionnalité ne peut faire l'objet d'une transmission si elle porte en réalité sur l'interprétation faite par une partie d'une décision qu'elle conteste,

 

- la question est dépourvue de tout caractère sérieux en ce que :

 

> l'AGRASC n'est pas une juridiction et aucun recours n'est formé devant elle, au sens de l'article 112-3 du code pénal, sa saisine constituant uniquement une voie d'indemnisation spécifique d'une partie civile, pour le recouvrement des dommages et intérêts qui lui ont été alloués, sachant que toutes les autres voies d'exécution restent ouvertes,

 

> ni l'absence d'information par le juge pénal de la partie civile sur le délai et les modalités de la saisine de l'AGRASC ni le délai d'obtention du certificat de non-appel ne sauraient constituer une atteinte au principe de clarté et d'intelligibilité de l'article 706-164 du code de procédure pénale,

 

> l'AGRASC n'est pas une caisse de garantie et n'est en aucun cas responsable du dommage causé aux parties civiles,

 

> elle n'a aucun pouvoir d'appréciation sur la forclusion, laquelle n'empêche aucunement la partie civile d'obtenir réparation de son dommage à l'encontre de l'auteur de l'infraction, contre lequel peuvent être mises en 'uvre les voies d'exécution nécessaires et habituelles et ne fait donc pas échec à la décision judiciaire rendue.

 

L' agent judiciaire de l'Etat s'en rapporte à justice.

 

Le ministère public est d'avis que la question ne revêt pas un caractère sérieux puisque la saisine de l'AGRASC ne constitue pas une voie de recours, le texte ne manque pas d'intelligibilité et la décision de l'AGRASC n'emporte pas impossibilité définitive d'être indemnisé du préjudice subi.

 

L'ordonnance du juge de la mise en état du 5 juin 2018 n'ayant pas autorité de la chose jugée, la BTP Prévoyance et la caisse primaire d'assurance maladie de la Vendée sont recevables à déposer en appel une nouvelle fois la question prioritaire de constitutionnalité soumise au juge de la mise en état.

 

En application de l'article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

 

En application de l'article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

 

La BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée ont déposé leur moyen tiré de ce que l'article 706-164 du code de procédure civile porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution par un écrit distinct et motivé le 14 février 2022 et celui-ci est recevable.

 

L'article 23-2 de l'ordonnance précitée énonce que :

 

La juridiction transmet sans délai la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies:

 

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

 

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

 

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

 

L'article 706-164 du code de procédure pénale dispose que :

 

Toute personne qui, s'étant constituée partie civile, a bénéficié d'une décision définitive lui accordant des dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait d'une infraction pénale ainsi que des frais en application des articles 375 ou 475-1 et qui n'a pas obtenu d'indemnisation ou de réparation en application des articles 706-3 ou 706-14, ou une aide au recouvrement en application de l'article 706-15-1, peut obtenir de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués que ces sommes lui soient payées par prélèvement sur les fonds ou sur la valeur liquidative des biens de son débiteur dont la confiscation a été décidée par une décision définitive et dont l'agence est dépositaire en application des articles 706-160 ou 707-1.

 

Cette demande de paiement doit, à peine de forclusion, être adressée par lettre recommandée à l'agence dans un délai de deux mois à compter du jour où la décision mentionnée au premier alinéa du présent article a acquis un caractère définitif.

 

La disposition dont l'inconstitutionnalité est évoquée est applicable au litige.

 

Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

 

Le Conseil constitutionnel n'a pas été saisi de la constitutionnalité du litige, en sorte que la question est nouvelle.

 

La BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée soulèvent plusieurs moyens d'inconstitutionnalité pour justifier le caractère sérieux de leur question prioritaire de constitutionnalité qu'il convient d'examiner tour à tour :

 

- sur l'atteinte au droit à un recours effectif

 

Il ressort de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 27 août 1789 qui dispose que 'Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution' tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel qu' 'il ne doit pas être porté d'atteintes au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.'

 

La BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée ne peuvent se prévaloir d'une atteinte à leur droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction en faisant valoir que l'article 706-164 du code de procédure pénale emporte une limite excessive à son droit au recours en enfermant le droit de saisir l'AGRASC dans un délai extrêmement bref à peine de forclusion et en n'imposant pas au juge judiciaire qui ordonne la confiscation des biens de l'informer du délai et des modalités de saisine de l'AGRASC et du fait que l'absence de copie exécutoire n'empêcherait pas cette saisine, comme le prévoit la circulaire du 3 février 2011 relative à la présentation de l'AGRASC et de ses missions, alors que l'AGRASC, établissement public administratif, ne peut être qualifiée de juridiction.

 

Mais la BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée critiquent aussi l'absence de possibilité pour la partie civile qui a été placée dans l'impossibilité d'agir, de contester la décision de rejet de l'AGRASC devant une juridiction en sollicitant un relevé de forclusion.

 

Cependant, la jurisprudence de la Cour de cassation tant en matière civile que pénale considère que même en cas d'absence de disposition légale prévoyant la possibilité d'un relevé de forclusion, un tel relevé peut être ordonné en cas d'impossibilité d'agir dans le délai, de sorte que la disposition critiquée ne porte pas atteinte au droit à un recours effectif devant une juridiction.

 

- sur l'atteinte au principe de clarté et d'intelligibilité de la loi pénale

 

L'intelligibilité du droit est un objectif à valeur constitutionnelle, découlant des articles 4, 5 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 27 août 1789 qui a pour but de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi.

 

Il ressort par ailleurs de l'article 34 de la Constitution que les formules légales doivent être précises et non équivoques.

 

La BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée soutiennent que les conditions de saisine de l'AGRASC ne sont pas assez détaillées par la loi, en ce qu'elle ne reprennent pas les informations, contenues dans la circulaire du 3 février 2011 qui sont pourtant déterminantes puisqu'elles permettraient à la partie civile qui est, comme il est d'usage, dans l'attente de la copie exécutoire de son jugement pour en solliciter l'exécution, de savoir que cette copie n'est pas nécessaire et qu'elle peut sans délai présenter sa demande, à charge pour l'AGRASC de se rapprocher de la juridiction qui a rendu la décision.

 

Cette argumentation est dénuée de tout caractère sérieux, puisque l'article 706-164 du code de procédure pénale précise de manière claire et non équivoque le délai dans lequel le mécanisme d'indemnisation qu'il prévoit peut être mis en 'uvre et quel est le point de départ de ce délai, ainsi que, de manière parfaitement intelligible, la forme que doit prendre la demande d'indemnisation, par lettre recommandée adressée à l'AGRASC dans ledit délai et ce, sans imposer la production de pièces justificatives.

 

De même, l'argumentation selon laquelle le principe de clarté et d'intelligibilité de la loi est remis en cause par le fait que les parties civiles n'ont jamais été mises en mesure, dans le délai de deux mois, instauré par les dispositions de l'article 706-164 du code de procédure pénale, de s'assurer de ce que le jugement était devenu définitif puisqu'elles n'ont pas obtenu le certificat de non-appel avant le 7 septembre 2017, est dénuée de toute portée.

 

Enfin, le reproche fait à l'article précité de ne pas prévoir que le juge judiciaire qui ordonne l'indemnisation de la partie civile sur le produit de la vente des biens confisqués l'informe du délai et des modalités de la saisine de l'AGRASC ne peut pas sérieusement être considéré comme de nature à porter atteinte au principe de clarté et d'intelligibilité de la loi pénale.

 

- sur l'atteinte au principe de responsabilité

 

Le Conseil constitutionnel a déduit de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ' une exigence constitutionnelle (') dont il résulte que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui parla faute duquel il est arrivé à le réparer'. (Cons. const. 9 novembre 1999, décision n° 99-419 DC, § 90).

 

Il a reconnu à la victime le droit constitutionnel d'obtenir réparation du dommage trouvant son origine dans le comportement fautif d'un tiers.

 

La BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée prétendent que les dispositions critiquées compromettent l'exercice de ce droit constitutionnel puisqu'en prévoyant, aux termes d'une formule qui n'est pas suffisamment claire et non équivoque, un délai de forclusion extrêmement bref dont il est impossible d'être relevé, l'article 706-164 du code de procédure pénale peut empêcher la partie civile d'obtenir réparation de son dommage alors même qu'une décision de justice a expressément ordonné que la confiscation des biens devra servir à son indemnisation sur le fondement de ce texte.

 

La cour n'ayant par retenu comme sérieux les arguments de la BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée relatifs à une atteinte au droit à un recours effectif à une juridiction et au principe d'intelligibilité de la loi, l'impossibilité de bénéficier des dispositions de l'article 706-164 du code de procédure lorsque l'Agrasc n'est pas saisie dans le délai prévu à peine de forclusion ne prive pas les parties civiles de leur créance et ne constitue pas, en conséquence, une atteinte au principe de responsabilité.

 

- sur l'atteinte à l'indépendance de l'autorité judiciaire et à la séparation des pouvoirs

 

La BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée font valoir qu'en violant le principe de la séparation des pouvoirs garanti par l'article 16 de la Constitution, les dispositions critiquées portent atteinte au principe de l'indépendance de l'autorité judiciaire consacré par l'article 64 de la Constitution en ce qu'en rejetant, aux motifs d'une forclusion définitive et insusceptible de recours, une demande d'indemnisation ordonnée par un tribunal correctionnel, l'AGRASC, établissement public administratif, vient empiéter sur les fonctions du juge judiciaire en empêchant l'exécution d'une décision de justice passée en force de chose jugée.

 

Toutefois, l'AGRASC qui n'a aucun pouvoir d'appréciation n'a fait qu'appliquer la loi en opposant la forclusion sans se prononcer sur son caractère définitif et insusceptible de recours et cette seule décision ne fait pas échec à l'exécution de la décision judiciaire rendue contre laquelle peuvent être exercées les voies d'exécution habituelles de sorte que ce moyen n'est pas de nature à donner un caractère sérieux à la question prioritaire de constitutionnalité que la BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée souhaitent voir transmise à la Cour de cassation.

 

Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de transmettre à la Cour de cassation la demande de question prioritaire de constitutionnalité, celle-ci n'étant pas sérieuse.

 

Sur l'application du délai prévu par l'article 706-164 du code de procédure pénale

 

Le tribunal a relevé la BTP Prévoyance et la CPAM de Vendée de la forclusion de leur demande à l'encontre de l'AGRASC aux motifs que :

 

- au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme sur le fondement du principe du droit au recours effectif prévu par l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il convenait d'analyser si les requérants se trouvaient lésés dans l'exercice de ce droit par l'application de manière concrète de l'article 706-164 du code de procédure pénale à leur demande en paiement,

 

- s'il est incontestable que la saisine de l'AGRASC est intervenue plus de deux mois après la date où la décision a pris un caractère définitif, la notification du jugement n'est intervenue que le 20 septembre 2017 accompagnée du certificat de non appel établissant son caractère définitif,

 

- si la saisine de l'AGRASC n'est pas conditionnée par la production de la copie de la décision ou la preuve de son caractère définitif, c'est bien la notification de la décision qui a fait connaître la décision à la BTP Prévoyance non présente à l'audience, de sorte que la forclusion opposée par l'AGRASC, sans recours possible, alors même que le délai de saisine avait expiré antérieurement à la connaissance par les requérants de leurs droits constituerait une atteinte manifestement excessive à leur droit à une protection effective par les tribunaux,

 

- aucun texte n'interdit la création prétorienne d'une possibilité de relevé de forclusion, laquelle ne porte pas une atteinte démesurée aux objectifs de sécurité juridique et de bonne administration poursuivis par le législateur via l'instauration d'un délai de forclusion,

 

- refuser une telle possibilité reviendrait à priver la BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée de toute protection effective et concrète à l'encontre d'une application mécanique et disproportionnée du délai préfix énoncé par la loi, le principe d'interprétation stricte de la loi pénale ne pouvant y faire obstacle puisqu'il n'a vocation qu'à s'appliquer aux dispositions répressives édictées par le législateur,

 

- dès lors, l'article 706-164 du code de procédure pénale ne saurait enlever au juge la faculté de relever la partie civile de la forclusion résultant de l'expiration du délai si celle-ci, sans qu'il y ait eu faute de sa part, n'a pas eu connaissance du jugement et de son caractère définitif en temps utile pour exercer son recours ou si elle s'est trouvée dans l'impossibilité d'agir.

 

- la BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée n'ont pas eu connaissance du jugement en temps utile pour saisir l'AGRASC sans faute de leur part et doivent être relevées de la forclusion.

 

L'AGRASC reproche au tribunal de :

 

- ne pas avoir répondu à son argumentation qui rappelait qu'à supposer un relevé de forclusion possible, la jurisprudence exige que celui qui y prétend n'ait commis ni faute, ni négligence et qu'il ait été dans l'impossibilité d'agir, ce qui n'était pas le cas en l'espèce,

 

- avoir méconnu les principes applicables à un éventuel relevé de forclusion,

 

- ne pas avoir opéré de distinction entre la BTP Prévoyance qui a agi à son égard le 5 octobre 2017 et la CPAM qui ne s'est manifestée qu'à l'occasion de la procédure,

 

A l'appui de sa demande de rejet du relevé de forclusion sollicité, elle fait valoir que :

 

- la jurisprudence de la CEDH sur laquelle le tribunal s'est fondé concerne l'exercice d'une voie

 

de recours par des personnes qui n'étaient pas partie à l'instance, ce qui n'est pas le cas en l'espèce,

 

- informées de la date à laquelle serait rendu le jugement, la BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée pouvaient parfaitement en connaître les termes, indépendamment de toute 'notification', laquelle n'avait pas lieu d'être à leur égard,

 

- en tout état de cause, si cette interprétation de ladite jurisprudence était retenue, cela signifierait

 

que l'ensemble des cas dans lesquels la loi française prévoit qu'une voie de recours doit être exercée dans un délai qui court à compter du prononcé de la décision seraient contraires à la convention européenne,

 

- ayant connaissance de la date à laquelle le jugement devait être rendu, la BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée étaient parfaitement en mesure de savoir, par une simple démarche au greffe, si le jugement était définitif ou pas et de déterminer le délai d'expiration de la saisine de l'AGRASC, sachant qu'à ce stade, elle n'avaient aucune pièce à produire,

 

- la BTP Prévoyance ne peut soutenir qu'elle n'aurait eu connaissance de la mesure de confiscation des biens qu'à réception du jugement alors qu'elle avait connaissance des saisies pénales ordonnées le jour même de la mise en examen de Mme [B], qui étaient susceptibles de conduire à une confiscation et devait s'en préoccuper lorsqu'elle s'est rapprochée du greffe, lequel l'aurait averti du prononcé de la confiscation des biens mentionnée sur sa note d'audience,

 

- la CPAM de la Vendée était en mesure d'effectuer les mêmes démarches mais ne s'est pas manifestée avant d'être assignée en intervention forcée par la BTP Prévoyance et de se joindre à ses demandes,

 

- elles ont commis une faute ou tout le moins une négligence, alors qu'elles n'étaient nullement dans l'impossibilité d'agir.

 

La BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée sollicitent la confirmation du jugement ayant prononcé un relevé de forclusion aux motifs que :

 

- le principe selon lequel celui qui s'est trouvé dans l'impossibilité d'agir peut échapper aux conséquences de l'expiration du délai prévu pour agir est considéré comme un principe général du droit par la Cour de cassation et il s'en évince que le relevé de forclusion est ouvert à celui qui n'a commis aucune faute ou négligence,

 

- à la lumière de la jurisprudence 'européenne', le droit à un recours effectif n'est pas assuré lorsqu'il lui est porté une atteinte à sa substance même par l'instauration légale d'une limitation excessive,

 

- les premiers juges ont, à juste titre, considéré l'application du délai de forclusion prévu à l'article 706-164 du code de procédure pénale dans leur cas, de manière 'mécanique et disproportionnée' et ' déraisonnable' et prononcé un relevé de forclusion,

 

- elles n'ont commis aucune faute et ont été diligentes, le conseil de la BTP Prévoyance ayant pris le soin, s'il ne s'est pas présenté à l'audience de délibéré du 6 avril 2016, de s'informer auprès du greffe qui lui a fait part de la teneur de la décision et de solliciter la délivrance de la copie exécutoire et d'un certificat de non appel pour saisir l'AGRASC,

 

- si les textes n'exigent effectivement pas la production d'une copie du jugement pour saisir l'AGRASC, il leur appartenait de rapporter la preuve de leur intérêt à la saisir et la preuve de ce que le jugement était devenu définitif, conditions de recevabilité des demandes auprès de l'AGRASC,

 

- seule une notification effectuée par la juridiction permet de connaître la décision de la juridiction, ses motifs et d'ainsi d'exercer utilement un recours,

 

- la faute provient du greffe qui n'a jamais répondu aux multiples courriers et a adressé copie du jugement et certificat de non-appel postérieurement à la fin du délai de forclusion.

 

Les premiers juges ont considéré à bon droit que le respect du droit à un recours effectif devant un tribunal indépendant et impartial prévu à l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit s'apprécier in concreto à la situation de la BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée qui se sont vu opposer par l'AGRASC la forclusion prévue à l'article 706-164 du code de procédure pénale à leur demande en paiement de leur créance.

 

Il ressort du jugement du tribunal correctionnel du 6 avril 2017 que la CPAM de la Vendée était comparante, que la BTP Prévoyance était représentée par un avocat et qu'à l'issue des débats, le tribunal avait informé les parties présentes ou régulièrement représentées que le jugement serait prononcé le 6 avril 2017.

 

En application de l'article 498 du code de procédure pénale, le jugement est contradictoire à l'égard de ces deux parties civiles et n'avait donc pas à leur être signifié.

 

Il en est de même pour Mme [B] qui avait comparu.

 

Il appartenait aux parties civiles de se rapprocher du greffe, comme la BTP Prévoyance reconnaît expressément l'avoir fait avec succès et comme il est d'usage, pour connaître le contenu du délibéré prononcé le 6 avril 2017 dont la note d'audience produite aux débats mentionne la confiscation des biens saisis, laquelle permet aux parties civiles de saisir l'AGRASC.

 

La BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée admettent que cette saisine n'imposait pas que soient produits la copie exécutoire du jugement et un certificat de non appel de sorte que rien n'empêchait qu'elle intervienne avant que le délai d'appel soit expiré et qu'une copie exécutoire du jugement leur soit adressée. Celles-ci ont même admis dans leur écrit séparé soulevant un moyen d'inconstitutionnalité que la circulaire du 3 février 2011 relative à la présentation de l'AGRASC et de ses missions le prévoyait expressément comme elle prévoyait que la juridiction devait adresser une copie de la décision à l'AGRASC.

 

Dès lors, les premiers juges ont effectué une mauvaise analyse des faits en considérant que la forclusion opposée par l'AGRASC, sans recours possible - sous-entendu devant un tribunal-, alors même que le délai de saisine avait expiré antérieurement à la connaissance par les requérants de leurs droits constituerait une atteinte manifestement excessive à leur droit à une protection effective par les tribunaux.

 

Par ailleurs, la BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée admettent que la jurisprudence applique le principe général du droit selon lequel un délai pour agir ne peut être opposé à l'encontre de celui qui était dans l'impossibilité d'agir, en l'absence de faute ou de négligence de sa part, permettant ainsi de saisir une juridiction en relevé de forclusion et ce, même en l'absence de disposition légale le prévoyant, comme en l'espèce et elles en revendiquent l'application.

 

En conséquence, aucune atteinte au respect de leur droit à un recours effectif devant une juridiction consacré par l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est établie par la BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée.

 

S'agissant de la demande de relevé de forclusion, la BTP Prévoyance qui, comme elle l'a reconnu a été informée de la teneur du jugement du tribunal correctionnel dont elle connaissait la date de délibéré s'est attachée dès le 10 avril 2017 inutilement à solliciter par lettres recommandées avec accusé de réception réitérées et ne justifie avoir sollicité un certificat de non-appel que par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 septembre 2017 soit plus de six mois après le délibéré. Elle ne peut justifier son impossibilité à saisir l'AGRASC dans le délai de forclusion par la nécessité, aux fins d'établir son intérêt à agir, de produire une copie exécutoire du jugement et un certificat de non appel, alors que la saisine pouvait intervenir avant même l'expiration du délai d'appel et ne prévoyait pas la production de pièces justificatives à peine d'irrecevabilité, de sorte que sa saisine pouvait être complétée dès l'obtention de la copie exécutoire du jugement.

 

De même, la CPAM de la Vendée qui est restée totalement inactive du 6 avril 2017 jusqu'à son assignation en décembre 2017, ne justifie pas plus, pour les mêmes raisons, de son impossibilité à agir.

 

Elles doivent donc être déboutées de leur demande en relevé de forclusion, en infirmation du jugement.

 

Sur la responsabilité de l'agent judiciaire de l'Etat

 

Le tribunal a jugé que :

 

- si les requérants critiquent le délai de la procédure d'instruction et de jugement, ils ne sollicitent aucune indemnisation à ce titre,

 

- sa décision portant relevé de forclusion, la demande subsidiaire tendant à ce que l'agent judiciaire de l'Etat prenne en charge le montant des condamnations prononcées par le tribunal correctionnel devient sans objet,

 

- sans avoir besoin d'examiner si le retard de notification de la décision correctionnelle et du certificat de non-appel serait susceptible de constituer une faute lourde ou un déni de justice, il apparaît que la demande portant sur les intérêts courant sur ces mêmes sommes n'est établie ni en son principe ni en son quantum de sorte qu'elle n'est pas susceptible de prospérer.

 

La BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée font valoir que :

 

- l'Etat a commis une faute en ne leur assurant pas le droit d'obtenir une décision de justice dans

 

un temps et des conditions raisonnables, le parquet ayant mis près de 4 ans à renvoyer Mme [B] devant la juridiction correctionnelle et 5 ans pour qu'elle soit condamnée alors que les faits d'escroquerie étaient particulièrement simples et reconnus par l'intéressée,

 

- le délai de communication du jugement condamnant Mme [B] et du certificat de non appel a été de près de 6 mois, ce qui les a empêchés de saisir dans le délai légal l'AGRASC,

 

- ces délais excessifs leur ont causé un préjudice,

 

- si le jugement est confirmé en ce qu'il a prononcé un relevé de forclusion, il n'en reste pas moins qu'elles ont été les victimes d'une procédure caractérisée par une série de dysfonctionnements du service public de la justice qui ont engendré pour elles un préjudice correspondant à la charge d'intérêts sur une période de trois ans,

 

- en l'absence de relevé de forclusion, elles doivent être indemnisées du préjudice résultant de la procédure anormalement longue ayant abouti à une perte de chance d'être indemnisée et ce, d'autant plus que les autres modes de recouvrement de leurs créances sont inenvisageables.

 

L'agent judiciaire de l'Etat répond que :

 

- la BTP Prévoyance se contente de se référer à quelques dates clés du déroulement de la procédure d'instruction pour conclure au caractère déraisonnable de la durée de la procédure menée, sans apporter la preuve d'une durée déraisonnable de traitement du dossier, ni l'existence d'un lien de causalité entre la durée alléguée de l'instruction et un quelconque préjudice,

 

- la saisine de l'AGRASC est indépendante de la notification de la décision de justice de sorte que la BTP Prévoyance ne peut tenir pour responsable le greffe de cette saisine tardive,

 

- s'il est regrettable que le jugement ait été transmis à la partie civile 5 mois après son prononcé, ce délai n'est pas constitutif d'une faute lourde et est sans incidence sur la faculté pour le parties civiles de saisir l'AGRASC,

 

- le délai critiqué comprend la période des vacations judiciaires estivales, de nature à étendre la

 

durée raisonnable de communication de la décision de justice,

 

- en l'absence de preuve d'une faute lourde de l'Etat, d'un préjudice réel et certain et d'un lien de causalité entre les deux, leurs demandes d'indemnisations ne sont ni justifiées ni fondées.

 

Le ministère public s'associe à l'argumentation développée par l'agent judiciaire de l'Etat, y ajoutant que :

 

- une procédure de délinquance financière appelle nécessairement des investigations consciencieuses et les diligences accomplies par les enquêteurs ont conduit à une condamnation, - la BTP Prévoyance pouvait saisir l'AGRASC sans la copie de la décision et il est peu probable

 

qu'elle n'ait eu aucune connaissance de l'issue du procès avant le mois de septembre 2017, des

 

voies de recours étant susceptibles d'être exercées,

 

- les jurisprudences relatives au déni de justice citées font référence à des affaires dont la nature est éloignée de celle de l'espèce, en l'occurrence des décisions prud'homales,

 

- concernant le calcul du prétendu préjudice, la période retenue de 3 ans n'est pas recevable, la

 

décision ayant ouvert droit à indemnisation ayant été rendue en avril 2017 et le jugement du tribunal judiciaire de Paris le 6 mai 2019.

 

Il résulte des dispositions de l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire que l'Etat est tenu de réparer le dommagel causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice lorsque cette responsabilité est engagée par une faute lourde ou un déni de justice.

 

Le déni de justice s'entend non seulement comme le refus de répondre aux requêtes ou le fait de négliger les affaires en l'état d'être jugées mais aussi plus largement, comme tout manquement de l'Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l'individu qui comprend le droit pour le justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable.

 

Si au vu du jugement correctionnel du 6 avril 2017, les faits reprochés à la seule Mme [B], assistante d'un cabinet dentaire, qui a obtenu des remboursements de soins dentaires par abus de confiance et escroquerie sont simples et ont été reconnus par l'intéressée tout au long de la procédure pénale, les durées successives de la procédure pénale du dépôt de plainte le 27 septembre 2012 jusqu'à l'avis de fin d'information rendu par le juge d'instruction le 21 novembre 2014 ne sont pas excessifs. En revanche, le délai de plus d'un an et demi qui s'est écoulé avant que le procureur de la République prenne un réquisitoire de renvoi devant le tribunal correctionnel le 13 juin 2016 est excessif de huit mois.

 

En revanche, l'ordonnance de renvoi devant le tribunal, la saisine de ce dernier et le jugement de condamnation sont intervenus dans des délais raisonnables.

 

En conséquence, un déni de justice est établi en raison du seul délai excessif de procédure retenu.

 

Ce délai excessif ne peut être qualifié de faute lourde.

 

Mais la BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée ne justifient d'aucun lien de causalité entre ce déni de justice et leur préjudice lié à la forclusion de leur demande en paiement à l'encontre de l'AGRASC.

 

De même le délai de transmission de la copie exécutoire de la décision prononcée le 6 a avril 2017 que seule la BTP Prévoyance a sollicitée a été de cinq mois dont 3 apparaissent excessifs.

 

Ce délai déraisonnable à hauteur de 3 mois constitue un déni de justice à l'égard de la BTP Prévoyance seule mais non une faute lourde.

 

En revanche, aucune faute lourde ou déni de justice n'est établi s'agissant de l'établissement du certificat de non-appel établi le 6 septembre 2017 dont la CPAM de Vendée n'établit pas qu'elle l'ait demandé et la BTP Prévoyance ne justifie pas qu'elle l'a réclamé avant septembre 2017.

 

Le délai excessif à transmettre la copie exécutoire du jugement de condamnation n'est cependant pas en lien de causalité avec le préjudice allégué résultant de la forclusion puisque la saisine de l'AGRASC n'imposait pas de produite à l'appui de la requête cette copie exécutoire.

 

En conséquence, le jugement est confirmé, par substitution de motifs, en ce qu'il a débouté la BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée de leurs demandes à l'encontre de l' agent judiciaire de l'Etat.

 

Sur les dépens et les frais irrépétibles

 

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile sont infirmées.

 

Les dépens de première instance et d'appel doivent incomber à la BTP Prévoyance et la CPAM de la Vendée, partie perdante.

 

Elles sont également condamnées à payer à l'AGRASC la somme de 3 000 euros chacune et à l'agent judiciaire de l'Etat celle de 2 000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

 

PAR CES MOTIFS

 

La cour,

 

Déclare recevable le moyen tiré de ce que l'article 706-164 du code de procédure civile porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution,

 

Rejette la demande de transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité formée par l'institution de prévoyance BTP Prévoyance et la caisse primaire d'assurance maladie de la Vendée,

 

Infirme le jugement en toutes ses dispositions dont appel sauf en ce qu'il a débouté l'institution de prévoyance BTP Prévoyance et la caisse primaire d'assurance maladie de la Vendée de leurs demandes à l'encontre de l'agent judiciaire de l'Etat,

 

Statuant à nouveau, dans cette limite,

 

Déboute l'institution de prévoyance BTP Prévoyance et la caisse primaire d'assurance maladie de la Vendée de leur demande de relevé de forclusion,

 

Condamne l'institution de prévoyance BTP Prévoyance et la caisse primaire d'assurance maladie de la Vendée aux dépens,

 

Condamne l'institution de prévoyance BTP Prévoyance et la caisse primaire d'assurance maladie de la Vendée à payer à l'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués la somme de 3 000 euros chacune et à l'agent judiciaire de l'Etat celle de 2 000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

 

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE