Cour d'Appel de Paris

Arrêt du 24 juin 2022 n° 19/09517

24/06/2022

Non renvoi

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D'APPEL DE PARIS

 

Pôle 6 - Chambre 13

 

ARRÊT DU 24 Juin 2022

 

(n° , 9 pages)

 

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 19/09517 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAVZW

 

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Juillet 2019 par le Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY RG n° 19/02657

 

APPELANTE

 

Association [5]

 

[Adresse 3]

 

[Localité 4]

 

représentée par Me Manuel DAMBRIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C1894 substitué par Me Tristan AUBRY-INFERNOSO, avocat au barreau de PARIS

 

INTIMEE

 

URSSAF - LANGUEDOC ROUSSILLON

 

[Adresse 2]

 

[Localité 1]

 

représentée par Mme [N] [T] en vertu d'un pouvoir spécial

 

COMPOSITION DE LA COUR :

 

L'affaire a été débattue le 31 Mars 2022, en audience publique et double rapporteur, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Laurence LE QUELLEC, Présidente de chambre, et Monsieur Raoul CARBONARO, Président de chambre, chargés du rapport.

 

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

 

Madame Laurence LE QUELLEC, Présidente de chambre

 

Monsieur Raoul CARBONARO, Président de chambre

 

Monsieur Gilles REVELLES, Conseiller

 

Greffier : Madame Alice BLOYET, lors des débats

 

ARRET :

 

- CONTRADICTOIRE

 

- prononcé

 

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

 

-signé par Madame Laurence LE QUELLEC, Présidente de chambre et par Madame Alice BLOYET, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

 

A la suite du non-paiement de cotisations pour les mois de juillet et août 2018, l'URSSAF de l'Hérault, aux droits de laquelle se trouve l'URSSAF de Languedoc Roussillon, a émis deux mises en demeure, la première le 3 septembre 2018 d'avoir à payer la somme de 15 365 euros correspondant à 14 606 euros de cotisations et 759 euros de majorations de retard au titre du mois de juillet 2018 et la deuxième le 3 octobre 2018 d'avoir à payer la somme de 3 084 euros correspondant à 2 932 euros de cotisations et 152 euros de majorations de retard au titre du mois d'août 2018. Elle a ensuite émis une contrainte pour la somme de 18 449 euros dont 17 538 euros de cotisations et 911 euros de majorations de retard, le 19 février 2019, signifiée le 22 février 2019. Le 1er mars 2019, le [5] en a formé opposition devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny. Par écrit distinct du 4 avril 2019, le [5] a posé une question prioritaire de constitutionnalité.

 

Par jugement du 12 juillet 2019 rendu sous le numéro de RG 19/02657, le tribunal a :

 

-déclaré recevable la question prioritaire de constitutionnalité formée par l'Association [5] sur le fondement de l'article 126-2 du code de procédure civile ;

 

-dit que la question posée est dénuée de caractère sérieux ;

 

-débouté en conséquence l'Association [5] de sa demande de transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle soumet ;

 

-dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer ;

 

-dit que le service du contentieux social du tribunal de grande instance de Bobigny et dessaisi du moyen tiré de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'Association [5] dans le cadre de l'instance n°19/01061.

 

Le jugement a été notifié par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception remise à une date indéterminée à l'Association [5] et précisant que la décision de refus de transmission ne pouvait être contestée qu'à l'occasion d'un recours formé contre une décision tranchant tout ou partie le litige.

 

Par jugement du 2 septembre 2019 rendu en premier ressort, le pôle social du tribunal de grande instance a :

 

-rejeté l'exception d'incompétence soulevée par l'URSSAF de Languedoc Roussillon ;

 

-déclaré recevable l'opposition formée par l'Association [5] à l'encontre de la contrainte délivrée à la requête de l'URSSAF de Languedoc Roussillon datée du 19 février 2019, signifiée le 22 février 2019 à l'Association [5] pour un montant correspondant à 18 449 euros dont 17 538 euros de cotisations et 911 euros de majorations de retard au titre des mois de juillet et août 2018 ;

 

-débouté l'Association [5] de sa demande d'annulation de la contrainte délivrée à la requête de l'URSSAF de Languedoc Roussillon datée du 19 février 2019, signifiée le 22 février 2019 à l'Association [5] pour un montant correspondant à 18 449 euros dont 17 538 euros de cotisations et 911 euros de majorations de retard au titre des mois de juillet et août 2018 ;

 

-validé la contrainte délivrée à l'encontre de l'Association [5] à la requête de l'URSSAF de Provence Alpes Côte d'Azur datée du 19 février 2019, signifiée le 22 février 2019 à l'Association [5] à hauteur de 18 449 euros dont 17 538 euros de cotisations et 911 euros de majorations de retard au titre des mois de juillet et août 2018 ;

 

-condamné l'Association [5] au paiement des frais de signification de la contrainte d'un montant de 72,58 euros ;

 

-condamné l'Association [5] à payer à l'URSSAF de Languedoc Roussillon la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

 

-condamné l'Association [5] à une amende civile de 1 000 euros ;

 

-condamné l'Association [5] aux dépens ;

 

-débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

 

Le jugement a été notifié par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception remise le 3 septembre 2019 au [5] qui en a interjeté appel ainsi que du jugement rendu sur la question prioritaire de constitutionnalité par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception adressée 19 septembre 2019.

 

Par mémoire écrit distinct parvenu à la cour le 11 février 2021 visé et développé oralement à l'audience par son avocat, le [5] demande à la cour de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

 

« Les dispositions de l'article L. 2135-10 du Code du travail, en ce qu'elles prévoient de mettre à la charge des entreprises privées une taxe destinée au financement des syndicats, méconnaissent-elles les droits et libertés garantis par la Constitution et, en particulier, par l'article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 et l'alinéa 7 du préambule de la Constitution de 1946 ' ».

 

Le [5] expose être assujetti aux contributions à l'URSSAF, parmi lesquelles la contribution patronale au dialogue social, intégrée depuis 2015 au calcul des cotisations URSSAF ; que dans la mesure où il conteste le bienfondé de l'existence de cette cotisation, les dispositions législatives qui l'encadrent sont bien applicables au présent litige ; que les dispositions de l'article L.2135-10 du Code du travail n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution ; que l'article L.2135-9 du Code du travail a créé un fonds paritaire participant au financement des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d'employeurs ; qu'aux termes de l'article L.2135-10 du Code du travail « les ressources du fond paritaire sont constituées par : une contribution des employeurs mentionnés à l'article L.2111-1 du présent code » ; qu'il est donc clairement énoncé que les entreprises privées sont dans l'obligation de financer les organisations syndicales et les organisations professionnelles ; qu'au regard des principes constitutionnellement protégés, cette dernière disposition soulève des questions sérieuses à deux égards ; que d'une part, elle crée une rupture d'égalité devant les charges publiques entre les entreprises privées et les entreprises publiques, dont rien ne justifie qu'elles participent inéquitablement au dialogue social ; que d'autre part, l'institution d'une contribution obligatoire au dialogue social établit une obligation de participation syndicale qui est incompatible avec le principe constitutionnel de la liberté syndicale, qui a pour corollaire la liberté de ne pas adhérer à un syndicat ; que de manière constante, le Conseil constitutionnel a estimé que le principe d'égalité devant les charges publiques ne faisait pas obstacle à ce que des situations différentes fassent l'objet de solutions différentes ; que d'après celui-ci, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives, en fondant son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il propose ; qu'au cas présent, le dialogue social intéresse tout autant les entreprises privées que les entreprises publiques ; qu'en effet, le syndicalisme dans le domaine public existe largement ; qu'il affiche même une bien meilleure santé que dans le domaine privé (20% de syndicalisation, contre seulement 11% dans le privé) ; qu'en outre, les associations qui représentent les salariés du public et ceux du privé sont les mêmes (ex : CGT, FO, CGC') ; qu'elles devraient donc être financées de manière équivalente par tous les employeurs concernés, que ce soit ceux du privé ou ceux du public ; que cependant, seuls les employeurs du privé versent la taxe sur le dialogue social ; que l'article L. 2135-9 du Code du travail a mis en place un mécanisme de fonds paritaire, apportant une contribution au financement des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d'employeurs ; que si la création de ce dispositif n'est pas problématique en elle-même, en revanche, le financement de ce fonds pose une difficulté majeure ; qu'en effet, l'article L. 2135-10 du Code du travail prévoit que les ressources du fonds paritaire seront constituées, notamment, par une contribution des employeurs représentant entre 0,02% et 0,014% de la masse salariale ; que par décret, le taux a été fixé à 0,016% ; qu'ainsi, on prive les entreprises de leur liberté, constitutionnellement protégée, de ne pas adhérer à un syndicat.

 

Par conclusions écrites visées et développées oralement à l'audience par son représentant, l'URSSAF de Languedoc Roussillon demande à la cour de dire irrecevable la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'Association [5].

 

Elle expose que l'association [5] entend contester non seulement la constitutionnalité des dispositions de l'article L.2135-10 du Code du Travail, mais plus largement celle de l'ensemble des articles L.2135-9 à L.2135-14 de ce même Code ; qu'ainsi c'est l'ensemble de la section III, chapitre V, titre III du Code du Travail relative « au financement mutualisé des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d'employeurs » qui est ici contesté ; que cela a, également, été l'appréciation retenue par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de Montpellier dans son jugement du 3 décembre 2018, dans le cadre de l'évocation de 9 instances, sur la même question prioritaire de constitutionnalité soumise par l'association [5] elle-même ; qu'il est de fait que la question posée par l'association [5] est plus générale en ce qu'elle remet en cause le principe même de la création du Fonds Paritaire en vue d'apporter une contribution au financement des organisations syndicales de salariés et des associations professionnelles d'employeurs ; que les dispositions de l'article L.2135-3 du Code du Travail, dans sa version issue de la Loi n° 2014-288 du 5 Mars 2014 relative « à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale », ont été jugées conformes à la Constitution dans une décision du Conseil Constitutionnel n° 2015.502 faisant suite à une QPC du 27 Novembre 2015 ; que de ce seul fait, la Cour devra rejeter la QPC déposée par l'Association [5] qui ne peut contester la constitutionnalité d'un article déjà validé par le Conseil Constitutionnel ; que, le Conseil Constitutionnel s'est déjà prononcé sur la faculté pour le législateur de prévoir un régime de cotisations dérogatoire en se fondant sur des différences de situation ; qu'il en va ainsi pour les entreprises soumises aux régimes spéciaux, comme pour les agents de droit public (décision n° 2013.300 QPC du 5 Avril 2013) ; que c'est sur ce même fondement que la Cour d'Appel de Paris a dit qu'il n'y avait pas lieu de transmettre à la Cour de Cassation la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité des dispositions de l'article L.242.1.2. du Code de la Sécurité Sociale. (CA Paris, 6,12, 12-02-2015, N° 14/051 79 - A0769NCH) ; que c'est également sur la base de ce raisonnement que le Conseil Constitutionnel vient de valider les dispositions de l'article L 380-2 du Code de la Sécurité Sociale relatives au financement de la protection universelle maladie (Cons. Const., décision n° 2018-735 OPC, du 27-09-2018) ; que les salariés du régime général ne sont pas dans une situation identique à celle des salariés des régimes spéciaux ou des agents de la fonction publique ; qu'à titre d'exemple, il sera rappelé que les agents de la fonction publique ne peuvent désigner de délégués syndicaux contrairement aux salariés de droit privé ; qu'il en résulte une différence de situation qui justifie, à elle seule, le fait que le législateur ait fait reposer le financement du paritarisme sur les seuls employeurs de droit privé ; que c'est ainsi que la Cour dira qu'il n'y a pas lieu de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité présentée par l'association [5] et confirmera ainsi le jugement rendu en première instance.

 

Par observations communiquées le 10 mars 2022, le ministère public est d'avis que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association [5] ne présente pas le caractère sérieux requis pour être transmise à la Cour de cassation.

 

Il expose que l'article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 dispose que : « pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses d'administration une contribution commune est indispensable, elle doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés » ; que le principe d'égalité devant les charges publiques posé par cet article n'interdit cependant pas au législateur de traiter de manière différenciée des situations juridiques différentes ; qu'il apprécie objectivement et rationnellement les facultés contributives pour chaque situation juridique distincte en fonction des buts qu'il se propose sans que cela puisse entraîner une rupture d'égalité devant les charges publiques ; que le Conseil Constitutionnel a confirmé cette faculté offerte au législateur et a pu préciser que la différence de traitement entre les personnes privées et les personnes morales de droit public ne contrevenait nullement au principe d'égalité devant les charges publiques car elles relèvent de situations juridiques distinctes ; qu'au demeurant, la contribution litigieuse ne constitue nullement un impôt puisqu'elle est destinée au financement des organisations représentatives de salariés et d'employeurs et qu'elle ne contribue pas à l'entretien de la force publique ni aux dépenses d'administration ; qu'il en résulte qu'il n'est pas loisible d'invoquer valablement en l'espèce l'article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 ; que le préambule de la Constitution de 1946 dispose notamment : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix » ; qu'en l'espèce, aucune adhésion obligatoire à un ou plusieurs syndicats n'est prévue par les dispositions de l'article L. 2135-10 du code du travail qui prévoient seulement le versement par les employeurs de droit privé d'une contribution au financement du fonds paritaire participant au financement des organisations syndicales dans leur ensemble ; qu'il n'en résulte donc aucune atteinte à la liberté syndicale.

 

SUR CE :

 

- sur le recours à l'encontre du jugement ayant refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité

 

En application de l'article 126-7 du code de procédure civile, la décision de refus de transmission ne peut être contestée qu'à l'occasion d'un recours formé contre une décision tranchant tout ou partie le litige. Dès lors l'appel du jugement ayant refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité est sans objet. Toutefois, une nouvelle QPC a été présentée à l'occasion de l'appel du jugement rendu au fond. Il y a donc lieu de l'étudier dans ce cadre.

 

- sur la question prioritaire de constitutionnalité

 

La question n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. La décision citée par l'URSSAF de Languedoc Roussillon porte sur l'article L. 2135-13 du code du travail et plus spécifiquement sur l'égalité de traitement entre syndicats représentatifs.

 

Dès lors, la question posée est recevable.

 

Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation de dispositions constitutionnelles dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

 

- sur la rupture d'égalité devant les charges publiques

 

Si l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 n'interdit pas de faire supporter, pour un motif d'intérêt général, à certaines catégories de personnes des charges particulières, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

 

Le principe constitutionnel d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations distinctes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des motifs d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

 

En l'espèce, l'article L.2135-10 du code du travail, relatif aux financement mutualisé des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d'employeurs dispose que :

 

« I. - Les ressources du fonds paritaire sont constituées par :

 

1° Une contribution des employeurs mentionnés à l'article L. 2111-1 du présent code, assise sur les rémunérations versées aux salariés mentionnés au même article et comprises dans l'assiette des cotisations de sécurité sociale définie à l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et à l'article L. 741-10 du code rural et de la pêche maritime, dont le taux est fixé par un accord conclu entre les organisations représentatives des salariés et des employeurs au niveau national et interprofessionnel et agréé par le ministre chargé du travail ou, à défaut d'un tel accord ou de son agrément, par décret. Ce taux ne peut être ni supérieur à 0,02 % ni inférieur à 0,014 % ;

 

(...)

 

3° Une subvention de l'Etat ;(...)».

 

L'article L 2111-1 du code du travail énonce que :

 

« Les dispositions du présent livre sont applicables aux employeurs de droit privé ainsi qu'à leurs salariés.

 

Elles sont également applicables au personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé, sous réserve des dispositions particulières ayant le même objet résultant du statut qui régit ce personnel ».

 

Le fonds, défini à l'article L 2135-9 du même code et dans sa version issue de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014, apporte « une contribution au financement des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d'employeurs, au titre de leur participation à la conception, à la mise en 'uvre, à l'évaluation ou au suivi d'activités concourant au développement et à l'exercice des missions définies à l'article L. 2135-11, est créé par un accord conclu entre les organisations représentatives des salariés et des employeurs au niveau national et interprofessionnel. Cet accord détermine l'organisation et le fonctionnement du fonds conformément à la présente section ».

 

Les missions d'intérêt général des syndicats et organisations patronales concernent, selon l'article L 2135-11 du même code dans sa version applicable au litige :

 

« 1° La conception, la gestion, l'animation et l'évaluation des politiques menées paritairement au moyen de la contribution mentionnée au 1° du I de l'article L. 2135-10 et, le cas échéant, des participations volontaires versées en application du 2° du même I ;

 

2° La participation des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d'employeurs à la conception, à la mise en 'uvre et au suivi des politiques publiques relevant de la compétence de l'Etat, notamment par l'animation et la gestion d'organismes de recherche, la négociation, la consultation et la concertation, au moyen de la subvention mentionnée au 3° dudit I ;

 

3° La formation économique, sociale et syndicale des salariés appelés à exercer des fonctions syndicales ou des adhérents à une organisation syndicale de salariés amenés à intervenir en faveur des salariés, définie aux articles L. 2145-1 et L. 2145-2, notamment l'indemnisation des salariés bénéficiant de congés de formation, l'animation des activités des salariés exerçant des fonctions syndicales, leur information au titre des politiques mentionnées aux 1° et 2° du présent article ainsi que les formations communes mentionnées à l'article L. 2212-1, au moyen de la contribution prévue au 1° du I de l'article L. 2135-10 et de la subvention prévue au 3° du même I ; (...) ».

 

Les syndicats bénéficiaires sont définis à l'article L 2135-12 du code du travail qui dispose ainsi, dans sa rédaction applicable au litige, que :

 

« Bénéficient des crédits du fonds paritaire au titre de l'exercice des missions mentionnées à l'article L. 2135-11 :

 

1° Les organisations de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel, leurs organisations territoriales, les organisations professionnelles d'employeurs représentatives au niveau national et multi-professionnel ainsi que celles qui sont représentatives au niveau de la branche, au titre de l'exercice de la mission mentionnée au 1° du même article L. 2135-11 ;

 

2° Les organisations de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel, les organisations syndicales de salariés dont la vocation statutaire revêt un caractère national et interprofessionnel qui recueillent plus de 3 % des suffrages exprimés lors des élections prévues au 3° de l'article L. 2122-9 et les organisations professionnelles d'employeurs représentatives au niveau national et multi-professionnel mentionnées à l'article L. 2152-2, au titre de l'exercice de la mission mentionnée au 2° de l'article L. 2135-11 ;

 

3° Les organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel et celles dont la vocation statutaire revêt un caractère national et interprofessionnel et qui recueillent plus de 3 % des suffrages exprimés lors des élections prévues au 3° de l'article L. 2122-9, au titre de l'exercice de la mission mentionnée au 3° de l'article L. 2135-11 ».

 

La différence de traitement ainsi instituée entre les employeurs privés et les employeurs publics résulte :

 

- de l'exercice de missions de service public, notamment la gestion des organismes de sécurité sociale, exercées paritairement par les syndicats de salariés du secteur privé et les organisations d'employeurs considérés comme représentatifs au vu des élections professionnelles organisées dans ce secteur ;

 

- de l'orientation des financements privés pour l'exercice de ces missions de service public, à l'exclusion de financements étatiques directs et la formation nécessaire à l'action syndicale dans le secteur privé ;

 

- de l'exclusion des financements privés pour la participation des syndicats aux politiques publiques de l'Etat ;

 

- du financement par l'Etat de la formation syndicale pour le secteur public.

 

Le rapport de M. [P] [V], au nom de la commission des affaires sociales de l'Assemblée Nationale sur le projet de loi rappelle très clairement le « fléchage » des crédits ainsi institué par la loi.

 

Les charges imposées aux employeurs de droit privé financent donc exclusivement des missions dans des organismes à la gestion desquels les employeurs publics et leurs salariés ne participent pas et des actions de formation au profit de salariés du secteur privé pour des actions au seul bénéfice des salariés d'employeurs de droit privé.

 

L'Association [5] ne justifie donc pas d'une identité de situations entre les employeurs privés et les employeurs publics qui justifierait qu'elles soient soumises à un régime contributif identique. Il n'en résulte pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques et le traitement différencié qui en résulte est bien en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

 

- sur la protection de la liberté syndicale

 

Les sixième et huitième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 disposent : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix' - Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises » ;

 

Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

 

Il est ainsi loisible au législateur, pour fixer les conditions de mise en 'uvre du droit des employeurs du secteur privé et des salariés de participer par l'intermédiaire de leurs délégués aux missions de service public définies à l'article L 2135-11 du code du travail de définir des critères de représentativité des organisations syndicales. La disposition contestée tend à assurer que ces missions soient exercées paritairement par des organisations dont la représentativité repose notamment sur le résultat des élections professionnelles. Le législateur a également entendu éviter la dispersion de la représentation syndicale. La liberté d'adhérer au syndicat de son choix, prévue par le sixième alinéa du Préambule de 1946, n'impose pas que tous les syndicats soient reconnus comme étant représentatifs indépendamment de leur audience. ( cf. Décision n° 2010-42 QPC du 7 octobre 2010)

 

La contribution versée ne constitue pas une adhésion forcée, dès lors qu'elle n'a pour vocation exclusive que de donner des ressources aux organisations reconnues représentatives aux termes des élections professionnelles pour exercer une mission de service public, qu'elles soient patronales ou de salariés. Elle laisse donc toute liberté à chacun d'adhérer à une organisation de son choix. Elle ne viole pas le principe de la liberté syndicale.

 

Les moyens soulevés ne sont donc pas sérieux.

 

Il n'y a donc pas lieu de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité posée par la société. Il n'est donc pas sursis à l'examen de l'appel de la société à l'encontre du jugement déféré au fond.

 

PAR CES MOTIFS :

 

La COUR,

 

STATUANT contradictoirement, après avoir recueilli l'avis de M. le Procureur Général, par arrêt mis à disposition au greffe, susceptible de recours uniquement avec la décision tranchant tout ou partie du litige,

 

DECLARE sans objet l'appel du jugement rendu le 12 juillet 2019 par le tribunal de grande instance de Bobigny sous la référence de RG n° 19/02657 ;

 

DECLARE recevable la question prioritaire de constitutionnalité déposée par l'Association [5] ;

 

DIT n'y avoir lieu de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité posée le 11 février 2021 par l'Association [5] ;

 

DIT, en conséquence, n'y avoir lieu de surseoir à statuer sur le fond.

 

La greffière,La présidente,