Cour administrative d'appel de Lyon

Arrêt du 21 juin 2022 n° 20LY01230

21/06/2022

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La SARL Promialp a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge, à concurrence de la somme totale de 121 147 euros, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er octobre 2010 au 30 septembre 2013 et des majorations correspondantes.

Par un jugement n° 1504042 du 29 juin 2017, le tribunal administratif de Grenoble a, à l'article 1er, prononcé la décharge de ces impositions à concurrence de la somme de 85 777 euros au titre de la période du 1er octobre 2011 au 30 septembre 2012 et des intérêts de retard y afférents et, à l'article 2, rejeté le surplus de la demande.

Procédure initiale devant la Cour

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 7 septembre 2017, le 17 septembre 2018, le 25 octobre 2018 et le 29 novembre 2018, la SARL Promialp, représentée par Me Tournoud, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;

2°) de prononcer la décharge des impositions demeurant à sa charge, à concurrence des sommes de 25 060 euros et 10 912 euros, et des majorations correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- s'agissant de la vente de terrains à bâtir à Gières, le bénéfice du régime de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge, tel que prévu par l'article 268 du code général des impôts, n'est pas subordonné à la condition que le bien ait eu la qualité de terrain à bâtir lors de son acquisition mais uniquement à celle que l'opération n'ait pas ouvert droit à déduction de la taxe ; en tout état de cause, le terrain acquis, qui bénéficiait d'une autorisation de lotir, devait être assimilé à un terrain à bâtir ;

- s'agissant des ventes de terrains à bâtir situés à Claix, la taxe sur la valeur ajoutée a été régulièrement déclarée pour le montant légalement dû, et les clients n'étant pas assujettis et ne bénéficiant d'aucun droit à déduction, il n'existait aucun risque de perte fiscale ;

- s'agissant de la vente d'une maison à Saint-Ismier, l'imposition est atteinte par la prescription.

Par des mémoires, enregistrés le 16 février 2018, le 17 octobre 2018 et le 9 novembre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, demande à la cour d'annuler les articles 1er et 3 du jugement du 29 juin 2017 du tribunal administratif de Grenoble et de remettre à la charge de la SARL Promialp la somme de 85 777 euros correspondant aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée réclamés au titre de la période du 1er octobre 2011 au 30 septembre 2012 ainsi que les majorations correspondantes.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par la SARL Promialp ne sont pas fondés ;

- en ce qui concerne l'appel incident, la SARL Promialp ne pouvait bénéficier du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge en application de l'article 268 du code général des impôts à raison de la cession de terrains à bâtir résultent de la division et du lotissement d'un terrain bâti, dès lors que la mise en œuvre de ce régime, dérogatoire à la règle selon laquelle la taxe est calculée sur le prix total, suppose nécessairement que le bien revendu ait une qualification juridique identique au bien acquis, sans avoir fait l'objet de transformation ;

Par un arrêt n° 17LY03359 du 20 décembre 2018, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté, à l'article 1er, l'appel formé par la SARL Promialp et, à l'article 2, l'appel incident formé par le ministre contre ce jugement.

Procédure devant le Conseil d'État

Par une décision n° 428234 du 27 mars 2020, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par le ministre de l'action et des comptes publics à l'encontre de l'article 2 de l'arrêt du 20 décembre 2018 et d'un pourvoi incident de la SARL Promialp à l'encontre de l'article 1er de cet arrêt, a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi incident de la SARL Promialp relatif aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée afférente à la vente de deux terrains à bâtir situés sur le territoire de la commune de Claix, a annulé l'article 2 de l'arrêt et a renvoyé l'affaire devant la même cour dans cette mesure.

Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'État

Par des mémoires, enregistrés le 14 avril 2020, le 3 juillet 2020 et le 16 juillet 2020, la SARL Promialp, représentée par Me Tournoud, demande à la cour :

1°) à titre principal, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle afin de savoir si les articles 12 et 392 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 doivent être interprétés comme excluant l'application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons de terrains à bâtir lorsque ces terrains, libres de toute construction au moment de leur acquisition par l'assujetti ont fait l'objet d'une division parcellaire entre leur acquisition et leur revente et lorsque ces terrains ont été acquis avec une construction existante en vue de la démolition de cette dernière et d'une revente en tant que terrains à bâtir dans une opération unique et de sursoir à statuer jusqu'à ce que cette Cour se soit prononcée ;

2°) à titre subsidiaire, de confirmer le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 29 juin 2017, en tant qu'il a prononcé la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er octobre 2011 au 30 septembre 2012 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la proposition de rectification et la réponse aux observations du contribuable sont insuffisamment motivées ;

- la décision n° 428234 du Conseil d'Etat du 27 mars 2020 ne concerne pas les lots 2, 3 et 6 du lotissement créé, lesquels n'étaient pas bâtis à la date de l'acquisition ;

- ces lots, qui ont été créés après la délivrance d'un permis d'aménager, constituaient dès l'origine des terrains à bâtir ;

- l'exclusion du régime de taxation sur la marge est contraire à la volonté du législateur, au principe de fonctionnement de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge et au principe d'égalité devant les charges publiques ;

- les lots 1, 4 et 5 du lotissement n'ont été acquis que de manière marginale et périphérique comme terrains d'assiette d'un immeuble bâti et doivent être regardés comme terrain à bâtir pour 98 % de leur superficie, d'agissant du lot n° 1, et 90 % pour les lots 4 et 5 ;

- le bénéfice du régime de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge, tel que prévu par l'article 268 du code général des impôts, n'est pas subordonné à la condition que le bien ait eu la qualité de terrain à bâtir lors de son acquisition mais uniquement à celle que l'opération n'ait pas ouvert droit à déduction de la taxe ;

- l'article 392 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 n'introduit pas de distinction entre bâtiments et terrains à bâtir, et ne subordonne pas le bénéfice du régime à une condition d'identité juridique entre le bien acquis et le bien revendu ;

- cette condition porte atteinte au principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée, dès lors que l'opération en cause constitue une opération unique ;

- elle méconnaît l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi ;

- l'opération d'achat initiale, réalisée auprès d'un particulier, étant située en dehors du champ de la taxe, la condition d'identité juridique ne peut être appliquée ;

- il y a lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle relative à la conformité au droit de l'Union du critère d'identité juridique du bien objet de la revente.

Par des mémoires, enregistrés le 5 juin 2020 et le 14 août 2020, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 3 du jugement du 29 juin 2017 du tribunal administratif de Grenoble et de remettre à la charge de la SARL Promialp la somme de 85 777 euros correspondant aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée réclamés au titre de la période du 1er octobre 2011 au 30 septembre 2012 ainsi que la somme de 6 519 euros correspondant aux intérêts de retard y afférents ;

2°) de rejeter les conclusions de la SARL Promialp.

Il soutient que :

- la proposition de rectification et la réponse aux observations du contribuable sont suffisamment motivées ;

- la SARL Promialp ne pouvait bénéficier du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge en application de l'article 268 du code général des impôts à raison de la cession des terrains en cause, dès lors que la mise en œuvre de ce régime, dérogatoire à la règle selon laquelle la taxe est calculée sur le prix total, suppose nécessairement que le bien revendu ait une qualification juridique identique au bien acquis, sans avoir fait l'objet de transformation ;

- les lots dont la SARL Promialp fait état n'existant pas avant la cession, il ne saurait en être tenu compte pour l'examen du respect des conditions susmentionnées ;

- la circonstance que la société ait obtenu un permis d'aménager est sans incidence sur l'application de l'article 268 du code général des impôts, dès lors que la société a acquis un terrain bâti et qu'elle a revendu des terrains à bâtir ;

- ni l'article 268 ni aucune disposition ne subordonne l'application du régime de taxation sur la marge à la condition que le bien ait été acquis auprès d'un assujetti ;

- l'absence de soumission de l'opération d'achat à la taxe sur la valeur ajoutée se justifie, non par le fait que le bien a été acquis auprès d'un non-assujetti, mais parce que le bien acquis était un immeuble achevé depuis plus de cinq ans ;

- les terrains à bâtir issus de la division du terrain d'assiette du bien initial après démolition du bâtiment implanté constituent des biens neufs ; dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée, en l'absence d'identité des biens vendus et du bien acheté, ne peut qu'être écarté ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi est inopérant ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 14 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen ne peut être invoqué qu'à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Evrard, présidente-assesseure,

- et les conclusions de Mme Vinet, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Promialp, qui exerce l'activité de marchand de biens et de lotisseur, a procédé à la cession de sept parcelles situées sur le territoire de la commune de Gières (Isère), dont six terrains à bâtir, résultant de la division d'une parcelle unique sur laquelle était édifié, à la date de l'acquisition, un immeuble d'habitation que la société a fait démolir préalablement à la division et à la vente. Elle a, dans les déclarations de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elle a souscrites, estimé pouvoir faire application aux opérations de cession du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge. En outre, par actes des 17 janvier 2011 et 24 avril 2012, la SARL Promialp a cédé deux terrains à bâtir situés sur le territoire de la commune de Claix (Isère) issus de la division d'un unique terrain à bâtir qu'elle avait acquis en 2009 sans que cette acquisition ne soit soumise à la taxe sur la valeur ajoutée. Les actes de vente relatifs à ces opérations mentionnaient une taxe sur la valeur ajoutée calculée sur la totalité du prix de vente. Estimant toutefois que le régime de la taxation sur la marge était applicable à ces opérations, la société n'a reversé au Trésor que la fraction de la taxe mentionnée dans les actes qui correspondait à l'application du régime de la marge. La SARL Promialp a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er octobre 2010 au 31 décembre 2013, à l'issue de laquelle des rappels de taxe sur la valeur ajoutée ont été mis à sa charge, procédant notamment, d'une part, de la remise en cause du régime de la taxation sur la marge appliqué à la cession de ces terrains à bâtir situés à Gières et, d'autre part, de la mise en recouvrement de la différence entre la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée dans les actes de cession des terrains à bâtir situés à Claix et celle qui avait été reversée au Trésor par la société. Par un jugement du 29 juin 2017, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit aux conclusions en décharge de la société relative au premier de ces deux chefs de rectification mais a rejeté ses conclusions relatives au second. Par un arrêt du 20 décembre 2018, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté, d'une part, l'appel formé par la société contre le jugement, en tant qu'il a rejeté ses conclusions relatives aux opérations de cession des terrains situés à Claix et, d'autre part, l'appel incident formé par le ministre contre ce même jugement, en tant qu'il a accordé à la société la décharge des impositions relatives à la cession des terrains situés à Gières. Par une décision du 27 mars 2020 n° 428234, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi présenté par le ministre de l'action et des comptes publics à l'encontre de l'article 2 de l'arrêt du 20 décembre 2018 et d'un pourvoi incident de la SARL Promialp à l'encontre de l'article 1er de cet arrêt, a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi incident de la SARL Promialp relatif aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée afférente à la vente de deux terrains à bâtir situés sur le territoire de la commune de Claix, a annulé l'article 2 de l'arrêt par lequel la Cour a rejeté l'appel incident formé par le ministre contre le jugement en tant qu'il a accordé à la société la décharge des impositions relatives à la cession des terrains situés à Gières et a renvoyé l'affaire devant la même cour dans cette mesure.

2. Le I de l'article 257 du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige, issue de l'article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, prévoit que les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles, lesquelles comprennent les livraisons à titre onéreux de terrains à bâtir, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. En vertu du 2 du b de l'article 266 du même code, l'assiette de la taxe est en principe constituée par le prix de cession.

3. L'article 392 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose toutefois que : " Les États membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition, la base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d'achat ". L'article 268 du code général des impôts, pris pour la transposition de ces dispositions, prévoit, dans sa rédaction également issue de l'article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, que : " S'agissant de la livraison d'un terrain à bâtir (), si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d'imposition est constituée par la différence entre : / 1° D'une part, le prix exprimé et les charges qui s'y ajoutent ; / 2° D'autre part, selon le cas : / - soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du terrain() ; / - soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu'il a effectués. ".

4. Il résulte des dispositions précitées de l'article 268 du code général des impôts, lues à la lumière de celles de la directive dont elles ont pour objet d'assurer la transposition, que les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elles prévoient s'appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s'appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti, notamment quand le bâtiment qui y était édifié a fait l'objet d'une démolition de la part de l'acheteur-revendeur ou quand le bien acquis a fait l'objet d'une division parcellaire en vue d'en céder séparément des parties ne constituant pas le terrain d'assiette du bâtiment.

5. D'une part, aux termes de l'article 12 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 : " 1. Les Etats membres peuvent considérer comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, une opération relevant des activités visées à l'article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, et notamment une seule des opérations suivantes : () / b) la livraison d'un terrain à bâtir (). Aux fins du paragraphe 1. point b), sont considérés comme " terrains à bâtir " les terrains nus ou aménagés, définis comme tels par les Etats membres ". Aux termes de l'article 135 de cette directive : " 1. Les États membres exonèrent les opérations suivantes : () k) les livraisons de biens immeubles non bâtis autres que celles des terrains à bâtir visés à l'article 12, paragraphe 1, point b) () ".

6. En premier lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que la définition de la notion de " terrain à bâtir " est limitée par la portée de la notion de " bâtiment ", définie de manière très large par le législateur de l'Union à l'article 12, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 comme incluant " toute construction incorporée au sol ". En deuxième lieu, eu égard au fait que la notion de " terrain à bâtir " englobe les terrains tant nus qu'aménagés, le critère déterminant aux fins de la distinction entre un terrain à bâtir et un terrain non bâti est celui de savoir si, au moment de la transaction, le terrain en cause est destiné à supporter un édifice. En troisième lieu, aux fins de garantir le respect du principe de neutralité fiscale, il est nécessaire que tous les terrains non bâtis destinés à supporter un édifice et, partant, destinés à être bâtis soient couverts par la définition nationale de la notion de " terrains à bâtir ".

7. En outre, une opération de livraison d'un terrain supportant, à la date de cette livraison, un bâtiment ne peut être qualifiée de livraison d'un " terrain à bâtir ", même si l'intention des parties était que le bâtiment soit totalement ou partiellement démoli, sauf à ce que l'opération de démolition puisse être regardée comme formant avec l'opération de livraison du terrain une opération unique. Une telle opération a été reconnue dans le cas où le vendeur est chargé de la démolition du bâtiment existant et que celle-ci a déjà débuté à la date de livraison du bien.

8. Enfin, il incombe au juge de l'impôt de déterminer, en tenant compte des définitions législatives nationales et de toutes les circonstances dans lesquelles se sont déroulées les opérations en cause au principal, si un terrain relève de la notion de " terrain à bâtir ".

9. D'autre part, aux termes de l'article 257 du code général des impôts, dans sa version applicable au litige : " 2. Sont considérés : 1° Comme terrains à bâtir, les terrains sur lesquels des constructions peuvent être autorisées en application d'un plan local d'urbanisme, d'un autre document d'urbanisme en tenant lieu, d'une carte communale ou de l'article L. 111-1-2 du code de l'urbanisme. ". Aux termes de l'article 261 du même code : " Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : / () / 5. (Opérations immobilières) : / 1° Les livraisons de terrains qui ne sont pas des terrains à bâtir au sens du 1° du 2 du I de l'article 257 ; / () ".

10. Il résulte de l'instruction que l'ensemble immobilier acquis par la SARL Promialp le 22 novembre 2010 était constitué, à la date de l'acquisition, d'une maison à usage d'habitation et d'un terrain attenant. Cet ensemble immobilier était ainsi constitutif d'un terrain bâti et non d'un terrain nu ou aménagé ainsi que l'exige le b) du 1. l'article 12 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006. Il est par ailleurs constant que la construction implantée sur ce terrain a été démolie par l'acquéreur après la livraison du bien. La double circonstance qu'un permis d'aménager a été délivré à ce même acquéreur le 4 novembre 2010, soit préalablement à l'acquisition de l'ensemble immobilier en cause, et que le terrain a été divisé par la suite en plusieurs lots ne permet pas de considérer que ce terrain, qui était bâti, constituait, à la date de l'acquisition, un terrain destiné à supporter un édifice. Si la SARL Promialp a fait l'acquisition de ce terrain dans l'intention de réaliser des opérations de cession de terrains à bâtir, la livraison de ces terrains est, dans les conditions qui viennent d'être rappelées, économiquement indépendante des prestations de démolition et de division parcellaire et ne forme pas, avec celles-ci, une opération unique. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la SARL Promialp, ni l'intention du législateur, ni " les principes fondamentaux du fonctionnement général de la taxe sur la valeur ajoutée " n'imposent qu'un terrain bâti doive être systématiquement traité comme un terrain à bâtir. Ces principes n'impliquent pas davantage que la condition d'identité juridique du terrain acquis et du terrain revendu ne s'applique qu'aux seuls achats réalisés auprès d'assujettis agissant en tant que tels, à l'exception des terrains vendus par des particuliers. Il en résulte que le terrain bâti acquis par la SARL Promialp ne peut être regardé comme un terrain à bâtir au sens de l'article 268 du code général des impôts. Il s'ensuit que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a considéré que la SARL Promialp pouvait prétendre au bénéfice du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge à raison de la vente de six terrains à bâtir et qu'il a prononcé la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er octobre 2011 au 30 septembre 2012.

11. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SARL Promialp devant le tribunal administratif de Grenoble et devant la cour.

12. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. ". Aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. L'administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la proposition, prorogé, le cas échéant, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de cet article. ". Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile. En revanche, sa régularité ne dépend pas du bien-fondé de ses motifs.

13. Il résulte de l'instruction que la proposition de rectification du 16 avril 2014 adressée à la SARL Promialp mentionne l'impôt concerné, l'année d'imposition et la base imposable, et expose, après avoir décrit les différentes étapes factuelles de l'opération effectuée par la société à Gières, les motifs de droit pour lesquels la société ne pouvait considérer que la vente de six terrains à bâtir résultant de cette opération était taxable selon le régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge. A cet égard, la proposition de rectification indique que si la base d'imposition de la cession d'un immeuble est constituée, en application du b du 2 de l'article 266 du code général des impôts, du prix de cession augmenté des charges qui s'y ajoutent, cette base peut, par exception, être réduite à la différence entre le prix exprimé et les charges qui s'y ajoutent, d'une part, et les sommes que le cédant a versées, d'autre part, en cas de livraison d'un terrain à bâtir. Elle expose également les raisons pour lesquelles ce régime dérogatoire ne s'applique qu'aux livraisons d'immeubles acquis et revendus en gardant la même qualification, soit quand le terrain à bâtir n'a pas été acquis précédemment comme terrain ayant le caractère d'immeuble bâti, ce qui résulte du texte même de l'article 268 du code général des impôts ainsi que de l'articulation de ce texte et de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006. Elle précise que les notions de terrains à bâtir et de terrains bâtis sont exclusives l'une de l'autre et explicite en outre les cas dans lesquels il est possible d'identifier un terrain à bâtir. Enfin, la proposition de rectification expose les motifs pour lesquels il a été considéré que l'ensemble immobilier en cause devait être qualifié de terrain bâti lors de son acquisition, indique qu'en conséquence le régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge n'était pas applicable lors de la cession des six terrains à bâtir qui en sont issus et expose les modalités de calcul de la taxe rappelée. Dans de telles conditions, et alors même que la proposition de rectification ne cite pas l'article 392 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006, les précisions que comporte ce document étaient suffisantes pour éclairer la SARL Promialp et lui permettre de discuter utilement le bien-fondé du redressement envisagé, ce qu'elle a d'ailleurs fait en adressant au service le 13 juin 2014 ses observations, auxquelles il a été répondu le 16 juillet suivant. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la proposition de rectification ne peut, par suite, qu'être écarté.

14. En deuxième lieu, aux termes du dernier alinéa de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée. " L'exigence de motivation qui s'impose à l'administration dans ses relations avec le contribuable vérifié en application du dernier alinéa de cet article s'apprécie au regard de l'argumentation de celui-ci. En tout état de cause, l'administration n'est tenue de motiver sa réponse aux observations du contribuable que sur les éléments relatifs au bien-fondé des impositions qui lui ont été notifiées. Ainsi, lorsque le contribuable vérifié ne présente pas d'observations concernant une rectification ou que ses observations ne permettent pas d'en critiquer utilement le bien-fondé, dès lors qu'elles se bornent à contester la régularité de la procédure d'imposition, l'absence de réponse de l'administration sur ce point ne le prive pas de la garantie instaurée par l'article L. 57 du livre des procédures fiscales.

15. Il résulte de l'instruction que, dans les observations qu'elle a formulées le 13 juin 2014 à la suite de la notification de la proposition de rectification du 16 avril 2014, la SARL Promialp a indiqué, d'une part, que la jurisprudence n'avait pas confirmé à cette date la doctrine selon laquelle un terrain acquis en l'état d'un terrain bâti ne pouvait bénéficier du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge, que l'article 268 ne subordonnait le bénéfice de ce régime qu'à la seule condition que la cession n'ait pas ouvert droit à déduction de la taxe grevant l'opération et que, la remise en cause du régime de taxation sur la marge ne reposant selon elle sur aucune base légale, elle refusait le redressement correspondant, et, d'autre part, elle a invoqué, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, le bénéfice de l'instruction publiée le 12 septembre 2012 sous la référence BOI-TVA-IMM-10-10-10-40 n° 1 et 10, selon laquelle une division parcellaire peut permettre de distinguer les emprises libres de construction et l'instruction publiée le 12 septembre 2012 sous la référence BOI-TVA-IMM-10-10-10-20 n° 120 selon laquelle l'immeuble dont l'état le rend impropre à un quelconque usage doit être assimilé à un terrain à bâtir. Dans la réponse qu'elle a apportée à ces observations le 16 juillet 2014, l'administration expose les motifs pour lesquels le bien en litige devait être regardé comme un terrain bâti exclu du régime de taxation sur la marge, en indiquant notamment que l'intention du redevable, et, en particulier, la circonstance qu'il entende revendre le bien après division parcellaire et démolition, était sans incidence sur la qualification du bien au moment de la vente. Elle indique en outre les motifs pour lesquels la société n'entrait pas dans le champ de l'instruction BOI-TVA-IMM-10-10-10-40, et, notamment, la circonstance que l'acte de vente ne faisait aucune distinction entre partie bâtie et non bâtie, et qu'elle ne pouvait se prévaloir de l'instruction BOI-TVA-IMM-10-10-10-20, en l'absence de preuve que l'immeuble bâti était en état de ruine au sens de cette doctrine. Ce faisant, et alors même que l'administration ne cite pas l'article 392 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006, l'administration doit être regardée comme ayant exposé avec une précision suffisante les motifs pour lesquels elle a estimé devoir maintenir les rectifications. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la réponse aux observations du contribuable ne peut, par suite, qu'être écarté.

16. En troisième lieu, la SARL Promialp soutient qu'en subordonnant le bénéfice du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge à l'identité de qualification juridique entre le bien acquis et le bien vendu, l'article 268 du code général des impôts tel qu'interprété aux points 4 à 10 méconnaît le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée. Toutefois, si, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, le principe de neutralité fiscale de la taxe sur la valeur ajoutée s'oppose, d'une part, à ce que des livraisons de biens semblables, qui se trouvent en concurrence les uns avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la taxe sur la valeur ajoutée ainsi que, d'autre part, à ce que les opérateurs économiques qui effectuent les mêmes opérations soient traités différemment en matière de perception de la taxe sur la valeur ajoutée, l'article 392 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 n'ouvre la possibilité d'asseoir la taxe sur la valeur ajoutée sur la différence entre le prix de vente et le prix d'achat, lorsque l'assujetti n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition, que dans la seule hypothèse de la livraison d'un terrain à bâtir acquis comme tel en vue de sa revente. La différence de traitement, invoquée par la SARL Promialp, entre l'opérateur qui procède à la revente d'un terrain à bâtir acquis à l'identique et celui qui procède à la cession d'un terrain à bâtir après des opérations de démolition et de reconstruction et de redécoupage parcellaire résulte ainsi directement de l'article 392 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 que l'article 268 a eu pour objet de transposer. Enfin, la seule circonstance que l'acquisition de l'ensemble immobilier en litige n'a pas ouvert droit à SARL Promialp à la déduction de la taxe correspondante ne saurait lui garantir que la taxe ne soit appliquée que sur la seule marge lors de la revente.

17. En dernier lieu, en dehors des cas et conditions où il est saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution, il n'appartient pas au juge de l'impôt de se prononcer sur un moyen tiré de la non-conformité de la loi à une norme de valeur constitutionnelle. La SARL Promialp ne peut ainsi utilement soutenir que l'article 268 du code général des impôts méconnaît le principe d'égalité devant les charges publiques ou l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi.

18. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a prononcé la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui ont été réclamés à la SARL Promialp au titre de la période du 1er octobre 2011 au 30 septembre 2012 et des majorations correspondantes, et à demander que ces rappels soient remis à la charge de la société à hauteur de 85 777 euros en droits et 6 519 euros de pénalités.

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, quelque somme que ce soit au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 29 juin 2017 est annulé.

Article 2 : Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée de 85 777 euros réclamés au titre de la période du 1er octobre 2011 au 30 septembre 2012 ainsi que la somme de 6 519 euros correspondant aux majorations y afférentes sont remis à la charge la SARL Promialp.

Article 3 : La demande présentée par la SARL Promialp devant le tribunal administratif de Grenoble ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la SARL Promialp.

Délibéré après l'audience du 19 mai 2022, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

Mme Evrard, présidente-assesseure,

Mme Caraës, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juin 2022.

La rapporteure,

A. Evrard

Le président,

D. Pruvost

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

Code publication

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