Cour administrative d'appel de Bordeaux

Arrêt du 21 juin 2022 n° 20BX04021

21/06/2022

Non renvoi

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SASU Soproma a demandé au tribunal administratif de la Martinique de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 1586 quater, I bis du code général des impôts, dans sa version issue de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 en ce qu'elle méconnaîtrait le principe d'égalité devant la loi et le principe d'égalité devant les charges publiques et de prononcer la réduction, à hauteur d'un montant total de 1 764 euros, de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de la taxe pour frais de chambres de commerce et d'industrie auxquelles elle a été assujettie au titre de son exercice clos en 2018.

Par un jugement n° 2000050 du 15 octobre 2020, le tribunal administratif de la Martinique a jugé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SASU Soproma et a rejeté sa requête en réduction des impositions auxquelles elle a été assujettie.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 décembre 2020, et un mémoire distinct enregistré le 11 février 2021, la SASU Soproma représentée par Me Zapf, demande à la cour :

1°) à titre principal, de surseoir à statuer en transmettant au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 1586 quater, I bis du code général des impôts, dans sa version issue de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, qui méconnaîtrait le principe d'égalité devant la loi et le principe d'égalité devant les charges publiques ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique du 15 octobre 2020 et de prononcer la réduction, à hauteur d'un montant total de 1 764 euros, de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de la taxe pour frais de chambres de commerce et d'industrie auxquelles elle a été assujettie au titre de son exercice clos en 2018 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa question prioritaire de constitutionnalité doit être transmise au Conseil d'Etat ; les dispositions qu'elle critique sont applicables au présent litige ; elles n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ; la question qu'elle pose n'est pas dépourvue de caractère sérieux ; les dispositions critiquées génèrent une rupture d'égalité devant la loi et devant les charges publiques entre, d'une part, les sociétés détenues par des personnes physiques ayant opté pour l'impôt sur les sociétés ou détenues à hauteur de moins de 95 % de leur capital par une ou plusieurs sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés, qui se voient appliquer un taux d'imposition de 0,30 % et, d'autre part, les sociétés détenues à hauteur de plus de 95 % de leur capital par une société soumise à l'impôt sur les sociétés, qui se voient appliquer un taux d'imposition de 1,5 % ; ainsi, le seul mode de détention de la société conditionne l'application du taux retenu pour son imposition à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, lequel peut aboutir à une multiplication par cinq de la cotisation mise à sa charge ; les travaux préparatoires à l'adoption des dispositions critiquées confirment d'ailleurs cette situation et permettent de relativiser l'utilité du dispositif de consolidation prévu par ces dispositions ; en outre, ce dispositif de consolidation conduit à soumettre à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises des sociétés qui, réalisant un chiffre d'affaires individuel compris entre 152 500 euros et 500 000 euros, n'auraient pas été assujetties à cet impôt en l'absence d'un tel dispositif ; enfin, les dispositions critiquées créent une rupture d'égalité entre, d'une part, les sociétés en participation, qui ne sont pas soumises à ce dispositif de consolidation, faute de disposer d'un capital social, et, d'autre part, les autres sociétés de personnes, qui le sont ; ces inégalités de traitement sont accentuées par le fait que les dispositions critiquées ne prévoient aucun mécanisme de neutralisation des refacturations intragroupe, ce qui peut aboutir, dans certains cas, à des doubles impositions ; ces différences de traitement ne sont aucunement justifiées par des critères précis et rationnels en lien avec l'objet de ces dispositions, le régime d'intégration fiscale étant dépourvu de lien avec ces dernières ; en effet, l'objectif de rendement budgétaire, qui a été déterminant dans le choix du législateur, comme en témoignent les travaux préparatoires à l'adoption du texte critiqué, ne saurait suffire à justifier ces différences ; l'objectif de lutte contre les montages optimisant poursuivi, en outre, par le législateur lors de l'instauration de ce mécanisme ne permet pas non plus de justifier de telles différences de traitement, alors d'ailleurs que d'autres dispositions, à savoir celles du III de l'article 1586 quater du code général des impôts, ont été adoptées dans ce but ; en outre, les groupes créés, tels celui auquel elle appartient, antérieurement à l'entrée en vigueur des dispositions précitées ne peuvent être regardés comme procédant d'un tel montage ;

- l'article 1586 quater I, bis du code général des impôts méconnaît l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du premier protocole à cette convention ; le dispositif génère une rupture d'égalité entre les sociétés détenues par des personnes physiques ayant opté pour l'IS, les sociétés à l'IS détenues à moins de 95 % par d'autres sociétés, et les sociétés à 1'IS détenues par plusieurs autres sociétés à 1'IS dès lors que chacune d'entre elles ne détient pas au moins 95 % du capital ; ainsi, le seul mode de détention de la société conditionne le taux d'imposition à la CVAE qui peut aboutir à une multiplication par 5 de la charge fiscale ; le dispositif de consolidation du chiffre d'affaires institué par les dispositions attaquées conduit à soumettre à la CVAE des entreprises qui, réalisant un chiffre d'affaires individuel compris entre 152 500 euros et 500 000 euros, n'auraient pas été imposées à la CVAE en l'absence d'un tel dispositif.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 11 mars 2021 et le 16 juin 2021, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens soulevés par la SASU Soproma ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A B,

- et les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La SASU Soproma a été assujettie selon ses déclarations à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et à la taxe pour frais de chambres de commerce et d'industrie au titre de son exercice clos 2018, pour un montant total de 26 455 euros. Elle a présenté, le 14 mai 2019, une réclamation préalable afin d'obtenir la réduction de ces impositions, à hauteur de 1 764 euros. Cette réclamation a été rejetée par décision du 2 décembre 2019. La SASU Soproma relève appel du jugement du 15 octobre 2020 du tribunal administratif de la Martinique qui a rejeté sa demande tendant à la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et à la réduction, à hauteur d'un montant total de 1 764 euros, de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de la taxe pour frais de chambres de commerce et d'industrie auxquelles elle a été assujettie au titre de son exercice clos en 2018.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution: " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé () ".

3. La SASU Soproma demande, par un mémoire distinct, à la cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts, dans leur rédaction issue de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 portant loi de finances pour 2018 et de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Conseil d'Etat et, le cas échéant, de celle du Conseil constitutionnel.

4. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que la juridiction relevant du Conseil d'Etat, saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Le second alinéa de l'article 23-2 de la même ordonnance précise que : " En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat () ".

5. En vertu du I de l'article 1586 quater du code général des impôts, les entreprises redevables de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises bénéficient d'un dégrèvement dont le montant est égal à une fraction de cette cotisation. Cette fraction décroît en fonction de leur chiffre d'affaires, de sorte que, symétriquement, le taux effectif d'imposition à cette cotisation croît en fonction du chiffre d'affaires. Aux termes du I bis de cet article dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 : " Lorsqu'une entreprise, quels que soient son régime d'imposition des bénéfices, le lieu d'établissement, la composition du capital et le régime d'imposition des bénéfices des entreprises qui la détiennent, remplit les conditions de détention fixées au I de l'article 223 A pour être membre d'un groupe, le chiffre d'affaires à retenir pour l'application du I du présent article s'entend de la somme de son chiffre d'affaires et des chiffres d'affaires des entreprises qui remplissent les mêmes conditions pour être membres du même groupe. / Le premier alinéa du présent I bis s'applique, y compris lorsque les entreprises mentionnées à ce même premier alinéa ne sont pas membres d'un groupe mentionné aux articles 223 A ou 223 A bis () ". Aux termes du I de l'article 223 A du code général des impôts auquel renvoie l'article 1586 quater I bis. cité précédemment : " Une société, ci-après désignée par les mots : " société mère ", peut se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés ou d'établissements stables membres du groupe, ci-après désignés par les mots : "sociétés du groupe", ou de sociétés ou d'établissements stables, ci-après désignés par les mots : "sociétés intermédiaires", détenus à 95 % au moins par la société mère de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés du groupe ou de sociétés intermédiaires () ".

6. La société requérante soutient que les dispositions, rappelées au point précédent, du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts, en réservant un traitement différent, au regard de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, aux sociétés qui remplissent les conditions de détention fixées par le I de l'article 223 A du code général des impôts pour être membres d'un groupe fiscalement intégré et aux sociétés qui ne remplissent pas ou ne peuvent légalement remplir ces conditions, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, garantis respectivement par les articles 6 et 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

7. D'une part, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. D'autre part, en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant la loi et devant les charges publiques, respectivement garanties par l'article 6 et par l'article 13 de la déclaration de 1789.

8. La société appelante soutient l'existence d'une différence de traitement entre les sociétés qui remplissent les conditions de détention fixées par le I de l'article 223 A du code général des impôts et celles qui ne les remplissent pas, les premières étant imposées à la cotisation sur la valeur ajoutée selon un taux effectif d'imposition tenant compte du chiffre d'affaires consolidé du groupe économique auquel elles appartiennent, alors que les secondes sont imposées selon un taux effectif tenant compte de leur seul chiffre d'affaires propre et de ce fait moins élevé, dans des proportions qui peuvent parfois varier du simple au quintuple, cette inégalité de traitement étant accentuée par le fait que les dispositions critiquées ne prévoient aucun mécanisme de neutralisation des refacturations intragroupe. Elle ajoute que les dispositions critiquées créent une autre rupture d'égalité devant la loi et devant les charges publiques entre, d'une part, les sociétés en participation, qui ne sont pas soumises à ce dispositif de consolidation, faute de disposer d'un capital social, et, d'autre part, les autres sociétés de personnes, qui le sont, ce que l'administration admet d'ailleurs dans sa propre doctrine. Par ailleurs, elle fait valoir que le dispositif de consolidation du chiffre d'affaires institué par les dispositions critiquées conduit à soumettre à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises des sociétés qui, réalisant un chiffre d'affaires individuel compris entre 152 500 euros et 500 000 euros, n'auraient pas été assujetties à cet impôt en l'absence d'un tel dispositif. Elle fait observer que les travaux préparatoires à l'adoption du texte critiqué confirment d'ailleurs que le législateur avait conscience que ce mécanisme instaurerait une telle disparité de traitement et qu'ils permettent de relativiser l'utilité du dispositif de consolidation prévu par les dispositions critiquées. La SASU Soproma estime, enfin, que la différence de traitement entre sociétés qu'instaurent les dispositions critiquées n'est pas justifiée par une différence de situation entre ces sociétés au regard de l'objet de cette imposition, ni par un motif d'intérêt général, l'objectif de rendement budgétaire ne pouvant constituer, à lui seul, un tel motif, et l'objectif de lutte contre les montages optimisant ne permettant pas non plus de justifier de telles différences de traitement, alors d'ailleurs que d'autres dispositions, à savoir celles du III de l'article 1586 quater du code général des impôts, ont été adoptées dans ce but et que les groupes créés, tels celui auquel elle appartient, antérieurement à l'entrée en vigueur des dispositions précitées ne peuvent être regardés comme procédant d'un tel montage.

9. Il résulte toutefois des travaux préparatoires à la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 de laquelle sont issues les dispositions contestées qu'en les adoptant, le législateur a entendu, quand bien même il aurait, dans le même temps, adopté d'autres dispositions dans le même but, faire obstacle à la réalisation d'opérations de restructuration aux fins de réduire le montant de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dû par l'ensemble des sociétés du groupe grâce à une répartition différente du chiffre d'affaires en son sein. La condition de détention de 95 % permet, à ce titre, de circonscrire le dispositif au groupe au sein desquels des liens capitalistiques étroits facilitent le pilotage des restructurations. Le législateur a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général. La différence de traitement ainsi instituée par ces dispositions, entre d'une part, les sociétés qui ne satisfont pas aux conditions de détention fixées par le I de l'article 223 A du code général des impôts pour être membres d'un groupe fiscalement intégré et, d'autre part, les sociétés qui ne satisfont pas ou ne peuvent légalement satisfaire à ces conditions, dont se prévaut la SASU Soproma, repose sur des critères objectifs et rationnels en lien avec l'objet du dégrèvement de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises prévu au I de l'article 1586 quater précité, dès lors que toutes les entreprises remplissant les conditions de détention requises pour être membres d'un groupe fiscalement intégré, susceptible d'être structuré en vue de réduire le montant total de la cotisation due par les sociétés du groupe, sont soumises aux mêmes règles de calcul de ce dégrèvement, qu'elles soient membres ou non d'un tel groupe au regard de l'impôt sur les sociétés. A cet égard, la circonstance que le législateur aurait, ainsi que le soutient la société, également poursuivi un objectif de rendement budgétaire et de lutte contre l'optimisation fiscale, n'est pas de nature à caractériser par elle-même une atteinte au principe d'égalité devant la loi. En outre, en adoptant les dispositions critiquées, le législateur a entendu tenir compte de la situation particulière des groupes de sociétés, indépendamment de la date de leur constitution, au regard de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises pour leur appliquer les règles de droit commun pour la détermination, en fonction de leur chiffre d'affaires, du taux effectif d'imposition correspondant à leurs facultés contributives. En se fondant, pour définir le champ d'application des règles en litige, sur le seuil de détention prévu par le I de l'article 223 A du code général des impôts, le législateur a retenu des critères objectifs et rationnels en fonction du but poursuivi. Enfin, les dispositions du I bis de l'article 1586 quater qui concernent le seul dégrèvement prévu au I du même article n'ont pas pour objet de définir l'assiette de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Dès lors, à supposer même qu'elles ne comporteraient pas de dispositif de neutralisation des refacturations intragroupes, une telle circonstance est en tout état de cause insusceptible de conduire à une situation de double imposition. La différence de traitement invoquée n'est donc pas établie. Par suite, les dispositions critiquées du I bis de l'article 1586 quater ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant la loi, ni le principe d'égalité devant les charges publiques.

10. Il résulte de ce qui précède, qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SASU Soproma.

Sur le bien-fondé des impositions litigieuses :

11. Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". Aux termes de l'article 14 de la convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ". Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle affecte la jouissance d'un droit ou d'une liberté sans être assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi.

12. Si à compter des impositions dues au titre de 2018, lorsqu'une entreprise assujettie à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises remplit les conditions de détention fixées à l'article 223 A, 1 du code général des impôts pour être membre d'un groupe, le chiffre d'affaires à retenir pour déterminer son taux effectif d'imposition à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises s'entend de la somme de son chiffre d'affaires et de celui des entreprises qui remplissent les mêmes conditions pour être membres du même groupe, il résulte des énonciations du point 9 du présent arrêt que ce dispositif de consolidation du chiffre d'affaires ne méconnaît pas pour les mêmes motifs, les stipulations conventionnelles précitées.

13. Il résulte de tout ce qui précède, que la SASU Soproma n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté ses demandes. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à ce que l'Etat soit condamné au versement d'une somme d'argent au titre des frais de justice ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SASU Soproma.

Article 2 : La requête de la SASU Soproma est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SASU Soproma et au ministre de ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal Sud-Ouest.

Délibéré après l'audience du 24 mai 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

M. Nicolas Normand, premier conseiller,

M. Michaël Kauffmann, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juin 2022.

Le rapporteur,

Nicolas B

La présidente,

Evelyne Balzamo

Le greffier,

Camille Péan

La République mande et ordonne au ministre de ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Code publication

C