Cour administrative d'appel de Paris

Ordonnance du 19 mai 2022 n° 22PA01575

19/05/2022

Autre

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par un déféré, enregistré le 10 février 2022, le préfet de la Seine-Saint-Denis a demandé au juge des référés du Tribunal administratif de Montreuil d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, la suspension de l'exécution de la décision implicite par laquelle le maire de la commune du Pré C a refusé de lui transmettre la délibération relative au temps de travail et fixant les cycles de travail de la commune et d'enjoindre audit maire, au titre de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de respecter les dispositions de l'article 47 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique et de lui transmettre les éléments requis dans un délai de quarante jours.

Par une ordonnance n° 2202233 du 21 mars 2022, le juge des référés du Tribunal administratif de Montreuil a ordonné que l'exécution de la décision de refus du maire du

Pré C soit suspendue jusqu'à ce que le tribunal se prononce au fond sur sa légalité et a fait injonction audit maire, dans un délai de quarante jours à compter de la notification de l'ordonnance, de veiller à l'adoption, à titre provisoire, de la délibération ou de tout élément sur le temps de travail des agents de la commune en application de l'article 47 de la loi du 6 août 2019 et de les transmettre au préfet de la Seine-Saint-Denis pour l'exercice du contrôle de légalité.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 5 avril 2022, la commune du Pré C, représentée par la SCP Lonqueue -Sagalovitsch - Eglie-Richters et Associés, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 2202233 du 21 mars 2022 du juge des référés du Tribunal administratif de Montreuil,

2°) à titre principal, de rejeter la demande du préfet de la Seine-Saint-Denis,

3°) à titre subsidiaire, d'assortir d'un délai raisonnable l'injonction prononcée,

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le magistrat ayant pris l'ordonnance attaquée était incompétent pour ce faire, le délai imparti pour statuer ayant expiré et ce magistrat n'ayant pas été régulièrement habilité,

- il n'est pas établi que la minute de l'ordonnance ait été signée,

- cette ordonnance est inintelligible eu égard aux incohérences dont elle est entachée ; la date d'audience indiquée n'étant pas toujours la même, mention étant faite d'une durée annuelle de 1607 heures puis 1067 heures,

- l'ordonnance est entachée d'une omission à statuer sur le moyen soulevé en défense et qui n'était pas inopérant tiré de ce que le délai fixé par loi n'avait pas expiré,

- la requête du préfet était irrecevable en raison de sa tardiveté, le courrier de la délégation spéciale devant être regardé comme emportant rejet de la demande du préfet et une réponse expresse ayant été faite par le maire pas son courrier du 2 février 2022, réponse qui s'est substituée à la prétendue décision implicite de rejet

- le premier juge a commis une erreur de droit en estimant qu'était écoulé le délai fixé par l'article 47 de la loi du 6 août 2019 et c'est au prix d'une erreur d'appréciation qu'il a considéré que la commune avait entendu se soustraire à l'obligation que lui faisais la loi,

- eu égard aux contraintes de la situation résultant de l'annulation des élections le juge des référés a commis une erreur d'appréciation en considérant que la commune avait négligé de prendre les dispositions nécessaires pour parvenir à l'adoption de cette délibération dans les délais impartis et qu'une telle négligence caractérisait un refus de se conformer à son obligation légale,

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 avril 2022, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour de rejeter la requête, de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance attaquée, et d'assortir d'astreintes l'injonction adressée à la commune.

Il soutient que sa demande était recevable et que les moyens de la requête sont infondés et que le refus réitéré de la commune d'appliquer la loi justifie d'assortir l'injonction qui lui est faite d'une astreinte forte.

Par un mémoire, enregistré le 11 mai 2022, la commune du Pré C soulève des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur la conformité des dispositions de l'article 47 de la loi n°2019-828 du 6 août 2019 portant transformation de la fonction publique avec l'article 72 alinéa 3 de la constitution du 4 octobre 1958 posant le principe de libre administration des collectivités territoriales et avec le principe de liberté contractuelle consacré par les articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789. Elle demande que ces questions soient transmises au Conseil d'Etat en soutenant que les dispositions en cause sont applicables au litige et que les questions sont nouvelles et sérieuses.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 ;

- le décret n° 2000-815 du 25 août 2000 ;

- le décret n° 2001-623 du 12 juillet 2001 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la Cour a désigné M. Bouleau, président honoraire, pour statuer sur les appels formés devant la Cour contre les ordonnances des juges des référés.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique tenue le en présence de Mme Breme, greffière d'audience :

- M. Bouleau, juge des référés, a présenté son rapport,

Ont été entendues :

- les observations de Me Lonqueue pour la commune du Pré C, qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens,

- les observations de Mme A B pour le préfet de la Seine-Saint-Denis, qui conclut aux mêmes fins que ses écritures par les mêmes moyens.

Considérant ce qui suit :

Sur le bienfondé de l'ordonnance attaquée

1. Aux termes de l'article de l'article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales : " Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé à leur publication ou affichage ou à leur notification aux intéressés ainsi qu'à leur transmission au représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement. " Aux termes de l'article L. 2131-2 du même code : " Sont soumis aux dispositions de l'article L. 2131-1 les actes suivants : () 3° Les actes à caractère réglementaire pris par les autorités communales dans tous les autres domaines qui relèvent de leur compétence en application de la loi () ".

2. Aux termes de l'article L. 2131-6 du même code : " Le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. / () Lorsque le représentant de l'Etat dans le département défère un acte au tribunal administratif, il en informe sans délai l'autorité communale et lui communique toutes précisions sur les illégalités invoquées à l'encontre de l'acte concerné. / Le représentant de l'Etat peut assortir son recours d'une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l'un des moyens invoqués paraît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte attaqué ".

3. Aux termes de l'article 47 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction

publique : " I. Les collectivités territoriales et les établissements publics mentionnés au

premier alinéa de l'article 2 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions

statutaires relatives à la fonction publique territoriale ayant maintenu un régime de travail

mis en place antérieurement à la publication de la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 relative à

la résorption de l'emploi précaire et à la modernisation du recrutement dans la fonction

publique ainsi qu'au temps de travail dans la fonction publique territoriale disposent d'un

délai d'un an à compter du renouvellement de leurs assemblées délibérantes pour définir,

dans les conditions fixées à l'article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée, les

règles relatives au temps de travail de leurs agents. Ces règles entrent en application au plus

tard le 1er janvier suivant leur définition. / Le délai mentionné au premier alinéa du présent I

commence à courir : 1° En ce qui concerne les collectivités territoriales d'une même

catégorie, leurs groupements et les établissements publics qui y sont rattachés, à la date du

prochain renouvellement général des assemblées délibérantes des collectivités territoriales de

cette catégorie () ".

4. Il résulte des termes mêmes des dispositions précitées de l'article 47 de la loi du

6 août 2019 de transformation de la fonction publique que le délai dans lequel le régime du temps de travail des agents des communes devait impérativement être mis en conformité était déterminé par le prochain renouvellement général des conseils municipaux. Les élections municipales ayant eu lieu les 15 mars et 28 juin 2020, des dispositions définissant le temps de travail des agents conformément aux exigences de la loi devaient en conséquence être entrées en vigueur au plus tard le 1er janvier 2022. Pesait ainsi sur toute commune, dès cette date, une stricte obligation de se conformer à la norme déterminée par la loi.

5. Toutefois, après que par un jugement du 3 décembre 2020 le Tribunal administratif de Montreuil eut annulé les élections du Pré C, une annulation définitive de ces élections municipales est intervenue le 12 octobre 2021. Une délégation spéciale, qui n'avait pas compétence pour prendre des mesures réglementaires déterminant le régime du temps de travail des agents de la commune, avait alors été désignée et de nouvelles élections avaient dû être organisées les 5 et 15 décembre 2021. Le nouveau conseil municipal n'a pu être installé que le 17 décembre 2021.

6. Dans ces conditions il ne saurait résulter de l'obligation générale susrappelée que dès le 10 février 2022, date à laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis a saisi le tribunal administratif de Montreuil d'une demande de suspension d'une décision expressément désignée comme " la décision implicite de refus du maire de transmission de la délibération relative au temps de travail et fixant les cycles de travail de la commune ", que ce refus de transmettre cette décision inexistante aurait eu pour effet de révéler un refus délibéré de la commune de mettre en œuvre les mesures nécessaires pour assurer le respect de la loi. Il ressort au demeurant des pièces du dossier que le maire a, en réponse à un courrier du préfet en date du 10 janvier 2022, indiqué que la question serait rapidement débattue au sein du comité social et que le conseil municipal délibèrerait avant la fin du semestre.

7. Il suit de ce qui précède que la commune du Pré C est fondée à soutenir que la demande du préfet de la Seine-Saint-Denis ne pouvait être accueillie dès lors que n'était caractérisée aucune décision de la commune qui aurait été susceptible d'être déférée et de faire l'objet d'une demande de suspension en application des dispositions de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales.

8. Il y a lieu en conséquence, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité de l'ordonnance attaquée, d'annuler ladite ordonnance et de rejeter la demande du préfet de la Seine-Saint-Denis. Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins de prononcé d'une astreinte présentée par le préfet de la Seine-Saint-Denis devant la Cour.

Sur les questions prioritaires de constitutionnalité

9. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les questions de constitutionnalité soulevées par la commune du Pré C.

Sut l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

10. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros à la commune du Pré C au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

Article 1 : L'ordonnance n° 2202233 du 21 mars 2022 du juge des référés du Tribunal administratif de Montreuil est annulée et la demande de suspension présentée par le préfet de la Seine-Saint-Denis est rejetée.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à la transmission de questions prioritaires de constitutionnalité.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins d'astreinte présentées par le préfet de la Seine-Saint-Denis.

Article 4 : l'Etat versera une somme de 2 000 euros à la commune du Pré C au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée au préfet de la Seine-Saint-Denis et à la commune du Pré C.

Copie en sera adressée au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Fait à Paris, le 19 mai 2022.

Le président honoraire, La greffière,

M. D

La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et de relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en

ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.