Cour administrative d'appel de Versailles

Arrêt du 10 mai 2022 n° 20VE00876

10/05/2022

Irrecevabilité

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Total Marketing Services a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution de la taxe sur le chiffre d'affaires des entreprises exploitant une installation soumise à quotas d'émission de gaz à effet de serre à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2012, pour un montant total de 22 527 199 euros.

Par un jugement n° 1510784 du 16 mars 2017, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 17VE01520 du 18 avril 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le ministre de l'action et des comptes publics contre ce jugement et mis à la charge de l'État le versement de la somme de 1 500 euros à la société Total Marketing Services en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une décision n° 431806 du 10 mars 2020, le Conseil d'État a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 18 avril 2019 et renvoyé l'affaire à cette cour.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 15 mai 2017 et les 17 avril et 24 mai 2018, et après cassation, les 12 janvier 2021 et 25 janvier 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 16 mars 2017 ;

2°) d'ordonner le remboursement par la société Total Marketing Services de la taxe sur le chiffre d'affaires des entreprises exploitant une installation soumise à quotas d'émission de gaz à effet de serre à laquelle cette société a été assujettie au titre de l'année 2012, pour un montant de 22 527 199 euros.

Il soutient que :

- le simple fait que les entreprises sous " ETS " (Emission Trade Scheme) soient soumises à une taxation sur le chiffre d'affaires ne suffit pas à établir que le principe communautaire de gratuité dans l'allocation des quotas d'émission de gaz à effet de serre ait été méconnu ; s'il existe un lien entre cette taxe et l'allocation de quotas, cette taxe reste assise sur le chiffre d'affaires des entreprises et non sur le nombre des quotas délivrés gratuitement, le mécanisme de plafonnement mis en place venant simplement corriger les effets d'une taxation en limitant la contribution des petits allocataires ;

- l'objectif de cette taxe était de ne pas alourdir le déficit budgétaire et de respecter le droit communautaire en ne modifiant pas la répartition des quotas déjà alloués et en ne revenant pas sur le choix fait par la France d'allouer ces quotas gratuitement ;

- eu égard au faible nombre de contribuables ayant bénéficié du mécanisme de plafonnement et à l'impact non significatif de ce dispositif sur le montant global de la taxe, celui-ci ne constitue pas le principal critère de calcul de la taxe en litige et, par suite, cette taxe ne peut être regardée comme une charge grevant l'affectation des quotas, en méconnaissance de l'article 10 de la directive du 13 octobre 2003 ;

- l'analyse et le chiffrage effectués par la société s'avèrent erronés pour ce qui concerne l'incidence du plafonnement sur le rendement de la taxe ;

- le mécanisme du plafonnement ne constitue pas une atteinte au principe d'égalité garanti par les articles 14 et 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 23 octobre 2017 et les 4 mai et 26 décembre 2018, et après cassation les 3 juillet 2020 et 17 mars 2021, la société Total Marketing Services, représentée par Me Meier, conclut, dans le dernier état de ses écritures :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à titre subsidiaire, au renvoi à la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle de savoir si la directive 2003/87/CE s'oppose à l'instauration d'une imposition à laquelle sont uniquement assujettis les attributaires de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans le cadre du PNAQ II et assise soit sur leur chiffre d'affaires soit, en application d'une règle de plafonnement, sur le nombre de quotas attribués, et dans l'attente qu'il soit statué sur cette question, au sursis à statuer ;

3°) à ce qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge de l'État au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la taxe sur le chiffre d'affaires des entreprises exploitant une installation soumise à quotas d'émission de gaz à effet de serre, instaurée par l'article 18 de la loi du 28 décembre 2011, est non conforme au principe de gratuité de l'attribution de ces quotas garanti par la directive 2003/87/CE, et au plan national d'affectation des quotas d'émission de gaz à effet de serre pour la période de 2008-2012 (PNAQ II) dans la mesure où l'assiette de la taxe est liée au nombre de quotas alloués et où le mécanisme de plafonnement de la taxe sur le chiffre d'affaires a pour effet d'instituer une charge prélevée au titre de l'affectation des quotas ;

- le mécanisme de plafonnement a eu, dans les faits, une incidence significative sur le produit total de l'imposition représentant plus de 20 millions d'euros soit 17,24 % du montant total de la taxe perçue par l'État ;

- il existe des incohérences dans les méthodes présentées par le ministre, notamment sur le nombre de redevables ;

- l'article 18 de la loi du 28 décembre 2011, qui revient à remettre en cause le choix de la France d'attribuer les quotas d'émission de gaz à effet de serre à titre gratuit dans le cadre du PNAQ II, soulève, à tout le moins, une difficulté sérieuse d'interprétation du droit de l'Union européenne au regard de la directive 2003/87/CE, qui nécessite un renvoi préjudiciel ;

- cet article est contraire au principe d'égalité prévu par les articles 14 et 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales entre redevables de la taxe ayant des chiffres d'affaires égaux.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 ;

- le code de l'environnement ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011, notamment son article 18 ;

- le décret n° 2007-979 du 15 mai 2007 ;

- l'arrêt C-566/11, C-567/11, C-580/11, C-591/11, C-620/11 et C-640/11 du 17 octobre 2013 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A,

- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,

- et les observations de Me Meier, avocat de la société Total Marketing Services.

Considérant ce qui suit :

1. La société Total Marketing Services s'est acquittée au titre de l'année 2012 d'une taxe sur le chiffre d'affaires des entreprises exploitant une installation soumise à quotas d'émission de gaz à effet de serre, instituée pour cette seule année par l'article 18 de la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, pour un montant de 22 527 199 euros. Par jugement du 16 mars 2017, le tribunal administratif de Montreuil a accordé la restitution de cette taxe sollicitée par la société Total Marketing Services. Par un arrêt n° 17VE01520 du 18 avril 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le ministre de l'économie et des finances contre ce jugement. Par une décision n° 431806 du 10 mars 2020, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour, où elle a été enregistrée sous le n° 20VE00876.

Sur le moyen retenu par le tribunal administratif :

2. Pour faire droit à la restitution de la taxe sollicitée par la société Total Marketing Services, le tribunal administratif de Montreuil a considéré que la taxe dont s'est acquittée cette dernière constituait un prélèvement effectué au titre de l'allocation de quotas, en méconnaissance du caractère gratuit de cette allocation, prévu par les dispositions du PNAQ II, interprétées conformément à la jurisprudence précitée de la Cour de justice de l'Union européenne, en raison de son champ d'application et de la corrélation entre le montant de la taxe et le nombre de quotas reçus dès lors qu'est prévu un mécanisme de plafonnement par lequel le montant exigible ne peut excéder le résultat du produit du nombre total des quotas d'émission de gaz à effet de serre alloué par 6,18 euros. Il s'est également fondé sur les travaux parlementaires pour retenir que l'objet de la taxe en litige est de faire payer par certaines entreprises, allocataires de quotas délivrés à titre gratuit en application du PNAQ II, l'acquisition par l'État de quotas destinés à abonder la réserve créée pour les nouveaux entrants.

3. D'une part, en vertu de l'article L. 229-7 du code de l'environnement dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige, qui transpose la directive du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté, un quota d'émission constitue une unité de compte représentative de l'émission de l'équivalent d'une tonne de dioxyde de carbone. Pour une période déterminée, et pour chaque installation bénéficiant de l'autorisation d'émettre des gaz à effet de serre, l'État affecte à l'exploitant un certain nombre de quotas d'émission et, chaque année durant cette période, lui en délivre une partie. A l'issue de chacune de ces années, l'exploitant restitue à l'État, sous peine de sanctions, un nombre de quotas égal au total de ses émissions. Le I de l'article L. 229-8 du même code, également dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige, prévoit que les quotas d'émission sont affectés par l'État, à compter du 1er janvier 2008, dans le cadre de plans quinquennaux. Le plan national d'affectation des quotas d'émission de gaz à effet de serre établi pour la période 2008-2012, pour l'exécution duquel l'intégralité de ces quotas devait être allouée à titre gratuit, a été approuvé par décret du 15 mai 2007.

4. D'autre part, le I de l'article 18 de la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 a institué, au titre de la seule année 2012 et afin de permettre à l'État de financer l'achat de quotas d'émission pour les nouveaux arrivants sur le marché, une taxe due par les personnes exploitant ces installations émettant des gaz à effet de serre, lorsqu'elles ont reçu, en exécution du plan national d'affectation, au moins 60 000 quotas. Aux termes du II du même article, cette taxe " est perçue à un taux fixé par arrêté conjoint des ministres chargés de l'économie et du budget dans des limites comprises entre 0,03 % et 0,07 % du montant total, hors taxe sur la valeur ajoutée, des livraisons de biens et services effectuées en 2011 " par les personnes redevables. Aux termes du III du même article, le montant de la taxe, qui est exigible le 1er janvier 2012, ne peut excéder, pour chaque redevable " le résultat du produit du nombre total des quotas d'émission de gaz à effet de serre alloué au titre de la période allant du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2012, pour l'ensemble des installations exploitées, par 6,18 euros ".

5. Enfin, aux termes de l'article 10 de la directive du 13 octobre 2003 : " Pour la période de cinq ans qui débute le 1er janvier 2008, les États membres allocationnent au moins 90 % des quotas à titre gratuit ". Il résulte de cet article, tel qu'interprété en particulier par l'arrêt C-566/11, C-567/11, C-580/11, C-591/11, C-620/11 et C-640/11 du 17 octobre 2013 de la Cour de justice de l'Union européenne, que les quotas d'émission affectés gratuitement doivent l'être sans aucune contrepartie, qu'il s'agisse du paiement direct d'un prix ou du prélèvement ultérieur d'une charge. En revanche, il ne fait pas obstacle à l'adoption de mesures susceptibles d'influer sur les implications économiques de l'utilisation des quotas, à la condition de ne pas porter atteinte à l'objectif, que poursuit l'institution du système d'échange, d'une réduction des émissions de gaz à effet de serre dans des conditions économiquement efficaces et performantes.

6. Les dispositions de l'article 18 de la loi du 28 décembre 2011, qui assoient la taxe sur le seul chiffre d'affaires des redevables, affectataires de plus de 60 000 quotas d'émission, n'ont pas eu pour objet d'instituer une charge prélevée au titre de l'affectation des quotas. Le mécanisme de plafonnement, institué par le III de cet article, qui se borne à modérer le montant de la taxe, n'a pas davantage un tel objet. Il ne saurait, toutefois, sans méconnaître les objectifs de l'article 10 de la directive, avoir un tel effet, compte tenu d'une part, de la proportion des redevables de la taxe pour lesquels ce mécanisme de plafonnement a, dans les faits, trouvé à s'appliquer, d'autre part, de son incidence effective sur le montant de la taxe due par chacun d'entre eux et, enfin, de son incidence sur le produit total de l'imposition.

7. Pour démontrer, à l'aune de ces critères, que le mécanisme de plafonnement prévu au III de l'article 18 de la loi du 28 décembre 2011 n'a pas eu pour effet de créer une charge grevant l'affectation des quotas, le ministre se fonde sur les résultats de deux méthodes d'analyses des données à sa disposition. S'il reconnaît que la première méthode présente des anomalies affectant la liste des redevables, l'ayant conduit à mettre en œuvre une seconde méthode, celle-ci, qui au demeurant aboutit à des résultats sensiblement proches, et basée sur la reconstitution du rendement théorique de la taxe, chiffre à 2,08 % la part des redevables de la taxe ayant bénéficié du plafonnement de celle-ci, pour une minoration moyenne de 42,60 % de la taxe due par chacun d'eux et une incidence sur le rendement de la taxe acquittée, évaluée à 122 749 729 euros, de 5,16 %. Pour sa part, la société Total Marketing Services a, à partir de l'arrêté du 31 mai 2007 fixant la liste des exploitants auxquels ont été attribués des quotas d'émission de CO2, et de ses arrêtés modificatifs, listé les sociétés relevant du champ d'application de la taxe en litige, en raison de l'allocation gratuite de plus de 60 000 quotas dans le cadre du PNAQ II, et recherché pour chacune le montant du chiffre d'affaires réalisé au titre de l'exercice 2011. Il ressort de ces données que la part des redevables de la taxe ayant effectivement bénéficié du mécanisme de plafonnement s'établit, selon elle, à 2,15 %, pour un montant écrêté de taxe de 20 567 604 euros, soit une incidence sur le rendement de la taxe perçue, évaluée par la société à 119 295 936 euros, de 17,24 %, pour une réduction moyenne d'environ 41 % du montant de taxe due par redevable bénéficiaire du mécanisme de plafonnement, et jusqu'à une réduction de taxe de 90 % dans le cas le plus favorable.

8. S'agissant d'une part, de la proportion des redevables de la taxe pour lesquels ce mécanisme de plafonnement a, dans les faits, trouvé à s'appliquer, l'administration a pu à bon droit, contrairement à ce que fait valoir la société Total Marketing Services, inclure, dans sa deuxième méthode de chiffrage, les exploitants d'aéronefs, tel Air France, ces derniers ayant été intégrés dans le système communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre par la directive européenne 2008/101/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 modifiant la directive 2003/87/CE, entrée en vigueur le 2 février 2009, et ayant bénéficié d'une dotation de quotas à titre gratuit au titre de l'année 2012, par arrêté du 12 décembre 2011. En tout état de cause, il est constant, ainsi qu'en conviennent les parties elles-mêmes, et sans dès lors qu'y fasse obstacle l'absence de production par l'administration des données analysées par elle, que les chiffrages auxquels elles ont procédé sur ce point convergent vers le constat d'une proportion très marginale de redevables de la taxe ayant effectivement bénéficié du mécanisme de plafonnement, laquelle s'établit à, à peine plus de 2 % de ceux-ci, soit une dizaine de contribuables seulement.

9. S'agissant d'autre part, de l'incidence effective du plafonnement sur le montant de la taxe due par chacun d'eux, c'est-à-dire l'effet d'écrêtement de ce dispositif sur la situation individuelle des redevables, elle s'établit, au vu des résultats là encore similaires des calculs des parties, à 41 % pour la société Total Marketing Services et 42,6 % pour l'administration fiscale, soit environ 42 %, ce qui constitue une minoration non négligeable.

10. S'agissant enfin, de l'incidence du plafonnement sur le rendement de la taxe, calculée d'après le rapport entre le produit total de l'imposition tel qu'il aurait dû être perçu en l'absence de plafonnement et le produit tel qu'il a été effectivement recouvré, elle a été évaluée par les parties à des taux sensiblement différents, soit 5,16 % par l'administration et 17,24 % par la société Total Marketing Services, représentant selon celle-ci une somme de plus de 20 millions d'euros. Il résulte toutefois de l'instruction ainsi que le fait valoir le ministre sans être contesté que l'écart entre ces deux résultats tient à la prise en compte, par la société, dans son calcul, du chiffre d'affaires du groupe Airbus, alors que les trois installations dotées de quotas gratuits, seules visées par l'annexe I de l'arrêté du 31 mai 2007, sont exploitées par la SAS Airbus Opérations, seule redevable de la taxe, et dont le chiffre d'affaires est plus de cinq fois inférieur à celui du groupe auquel elle appartient. Dans ces conditions, il y a lieu de retenir le taux de 5,16 % calculé par le ministre, lequel n'apparaît pas sous-évalué, contrairement à ce qu'il est soutenu, et justifie l'existence d'un impact marginal et non significatif de ce dispositif sur le montant global de la taxe.

11. Par suite, si pour les redevables qui ont bénéficié du plafonnement de la taxe, la réduction de taxe payée a été significative, ce mécanisme n'a été appliqué que sur une proportion très marginale de redevables, avec une conséquence mineure sur le montant global de la taxe perçue. Dès lors, le mécanisme de plafonnement, qui au demeurant se borne à modérer le montant de la taxe, n'a pas eu pour effet d'instituer un prélèvement effectué a posteriori au titre de l'allocation des quotas, en méconnaissance du caractère gratuit de cette allocation, garanti par l'article 10 de la directive du 13 octobre 2003 et par le point 7.2 du PNAQ II.

12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle tirée de la compatibilité avec la directive 2003/87/CE de l'instauration de la taxe appliquée aux entreprises exploitant une installation ayant reçu au moins 60 000 quotas d'émission de gaz à effet de serre, assise sur le chiffre d'affaires de chaque exploitant mais pouvant être plafonnée en fonction du nombre de quotas attribués, que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a retenu que la taxe en litige constitue un prélèvement effectué au titre de l'allocation de quotas, en méconnaissance du caractère gratuit de cette allocation tel qu'il est interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, pour prononcer la restitution de la taxe en litige.

13. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Total Marketing Services en première instance et en appel.

Sur les autres moyens :

14. En premier lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 8 à 12 de l'arrêt, la taxe instaurée par le I de l'article 18 de la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 ne porte pas atteinte au caractère intangible de l'attribution des quotas garanti par l'article 9 de la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003.

15. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". Aux termes de l'article 14 de cette convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ". Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi.

16. Les dispositions de l'article 18 de la loi du 28 décembre 2011 ont été instaurées afin de ne pas alourdir le déficit budgétaire alors que l'État était tenu d'acquérir des quotas supplémentaires pour les nouveaux entrants et de respecter à la fois la répartition des quotas alloués et le principe de gratuité rappelé au point 5 de l'arrêt tel qu'il a été mis en œuvre dans le cadre du PNAQ II. Si la société Total Marketing Services fait valoir que pour un même chiffre d'affaires le montant de la taxe due pourra être différent, cette différence de traitement, qui s'apprécie au regard du montant à payer, soit après application du mécanisme de plafonnement, tend seulement à limiter la charge fiscale résultant de l'assiette de la taxe, défavorable aux sociétés ayant reçu le moins de quotas. A cet égard, le mécanisme de plafonnement vise à limiter les effets d'une taxation strictement proportionnelle au chiffre d'affaires, pour éviter aux opérateurs disposant de faibles droits à émettre et n'ayant donc que faiblement grevé le stock de quotas gratuits de contribuer trop fortement à la recette visant à reconstituer ce stock. Dans ces conditions, au regard du critère objectif correspondant au nombre de quotas alloués, le dispositif du plafonnement est en rapport avec le but de la loi de financer l'allocation de nouveaux entrants sur le marché d'émission de carbone dans le respect des engagements européens de la France. Par suite, la différence de traitement fiscal réservé aux redevables de la taxe sur le chiffre d'affaires des entreprises exploitant une installation soumise à quotas d'émission de gaz à effet de serre trouve sa justification dans une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi et ne méconnaît donc pas le principe d'égalité garanti par les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combinées avec celles de l'article 1er du protocole n° 1 additionnel à cette convention. Le moyen doit, dès lors, être écarté.

17. En dernier lieu, si la société Total Marketing Services conteste la constitutionnalité des dispositions de l'article 18 de la loi du 28 décembre 2011 au regard du principe d'égalité devant les charges publiques garanti par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, elle n'a toutefois pas saisi la cour d'une question prioritaire de constitutionnalité dans les formes et conditions prévues par les dispositions de l'article R.* 771-3 du code de justice administrative. Par suite, ce moyen ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté comme irrecevable.

18. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, tribunal administratif de Montreuil a prononcé la restitution à la société Total Marketing Services de la taxe sur le chiffre d'affaires des entreprises exploitant une installation soumise à quotas d'émission de gaz à effet de serre à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2012, pour un montant total de 22 527 199 euros. Par suite, il y a lieu de remettre ce montant de taxe à la charge de la société Total Marketing Services.

Sur les conclusions présentées en appel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme dont la société Total Marketing Services demande le paiement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1510784 du tribunal administratif de Montreuil du 16 mars 2017 est annulé.

Article 2 : La somme de 22 527 199 euros est remise à la charge de la société Total Marketing Services au titre de la taxe sur le chiffre d'affaires des entreprises exploitant une installation soumise à quotas d'émission de gaz à effet de serre.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Total Marketing Services sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Total Marketing Services et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l'audience du 12 avril 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Danielian, présidente,

Mme Bonfils, première conseillère,

Mme Deroc, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 mai 2022.

I. La rapporteure,

M.-G. ALa présidente,

I. DanielianLa présidente,

II. I. DanielianLa greffière,

A. Audrain Foulon

La greffière,

A. Audrain FoulonLa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,