Cour administrative d'appel de Paris

Arrêt du 6 mai 2022 n° 22PA01979

06/05/2022

Non renvoi

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B A a demandé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler la décision du 11 février 2021 par laquelle le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a rejeté sa réclamation tendant à la décharge des cotisations d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2017 à 2019, et de prononcer la décharge de ces impositions.

Par deux mémoires distincts, il a demandé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de transmettre au Conseil d'Etat les questions prioritaires de constitutionnalité relatives à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, d'une part, des articles 46 et 48 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie, d'autre part, de l'article 188 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

Par une ordonnance n° 2100121 QPC du 29 juin 2021, le président du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a refusé de transmettre au Conseil d'Etat ces questions prioritaires de constitutionnalité.

Par un jugement n° 2100121 du 31 janvier 2022, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 30 avril 2022, M. A, représenté par Me Pierre-Henri Cuenot (PHC Avocat), demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie du

31 janvier 2022 ;

2°) de prononcer la décharge sollicitée devant ce tribunal ;

3°) de mettre à la charge de la Nouvelle-Calédonie la somme de 450 000 F CFP sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'administration fiscale a commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant qu'il avait en Nouvelle-Calédonie le centre de sa vie personnelle alors qu'il ne peut y exercer l'intégralité de ses droits civiques dès lors qu'il ne fait pas partie du corps électoral aux élections provinciales ;

- elle a également commis une erreur de droit, l'article 46 du code des impôts ne lui étant pas applicable faute pour lui d'avoir pu consentir à l'impôt en contrariété avec l'article 14 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen ;

- les dispositions de l'article 48 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie ne lui sont pas applicables pour le même motif ; il en est de même de l'article 136 qui fixe le barème de l'impôt.

Par deux mémoires distincts enregistrés le 30 avril 2022 sous les n°s 22PA01981 et 22PA01982, M. A, représenté par Me Cuenot, demande à la Cour de transmettre au Conseil d'Etat les questions prioritaires de constitutionnalités relatives à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, d'une part, des articles 46 et 48 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie, d'autre part, de l'article 188 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

Il soutient que :

- les dispositions de ces articles sont applicables au litige ;

- elles n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution ;

- les questions posées présentent un caractère sérieux dès lors que les dispositions en cause portent atteinte au principe du consentement à l'impôt établi par l'article 14 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, lequel ne peut comporter aucune dérogation.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- l'accord sur la Nouvelle-Calédonie signé à Nouméa le 5 mai 1998 ;

- la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 ;

- le code des impôts de la Nouvelle-Calédonie ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. D'une part, aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " () Les présidents des formations de jugement des cours peuvent (), par ordonnance, rejeter (), après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire les requêtes d'appel manifestement dépourvues de fondement () " ;

2. D'autre part, aux termes de l'article 46 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie dans sa rédaction applicable au litige : " Il est établi un impôt annuel unique sur le revenu des personnes physiques, désigné sous le nom d'impôt sur le revenu. Cet impôt frappe le revenu net global du contribuable déterminé conformément aux dispositions des articles 128 à 131. () ". Aux termes de l'article 47 de ce code : " Les personnes qui ont en Nouvelle-Calédonie leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus, sauf dispositions contraires des conventions ou accords relatifs aux doubles impositions. / Celles dont le domicile fiscal est situé hors de Nouvelle-Calédonie sont passibles de cet impôt en raison de leurs seuls revenus de source territoriale ". Et aux termes de l'article 48 du même code : " Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en Nouvelle-Calédonie : a) les personnes qui ont en Nouvelle-Calédonie leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ; b) celles qui exercent en Nouvelle-Calédonie une activité professionnelle salariée ou non, à moins qu'elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire ; c) celles qui ont en Nouvelle-Calédonie le centre de leurs intérêts économiques. Pour les personnes mariées ou liées par un pacte civil de solidarité, le domicile fiscal s'apprécie uniquement en fonction de la situation personnelle de chacun des conjoints ou partenaires au regard des critères énumérés ci-dessus ". Ces conditions posées au a, b et c de l'article 48 sont alternatives et permettent chacune de déterminer la domiciliation fiscale en Nouvelle-Calédonie. Pour l'application de ces dispositions, le foyer s'entend du lieu où le contribuable habite normalement et a le centre de ses intérêts familiaux, ou le centre de sa vie personnelle s'il est célibataire.

3. M. A, qui réside depuis plusieurs années en Nouvelle-Calédonie où il a le centre de ses intérêts familiaux, a contesté les impositions mises à sa charge au titre de l'impôt sur le revenu des années 2017 à 2019 au seul motif qu'il ne satisfait pas aux conditions posées à l'article 188 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie pour être inscrit sur la liste électorale spéciale à l'élection du congrès et des assemblées de province et ne peut, de ce fait, exercer l'intégralité de ses droits civiques en Nouvelle-Calédonie. Il relève appel du jugement n° 2100121 du 31 janvier 2022 par lequel le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande en décharge de ces impositions. Par deux mémoires distincts, il demande à la Cour de transmettre au Conseil d'Etat les questions prioritaires de constitutionnalités relatives à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, d'une part, des articles 46 et 48 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie, d'autre part, de l'article 188 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

Sur les questions prioritaires de constitutionnalité :

4. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".

5. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ".

6. D'une part, les questions prioritaires de constitutionnalité devant être posées par des mémoires distincts, mais dans le cadre de la requête principale, il y a lieu de radier des registres du greffe de la Cour les requêtes enregistrées sous les n°s 22PA01981 et 22PA01982 pour les joindre à la requête n° 22PA01979.

7. D'autre part, M. A soutient que les dispositions des articles 46 et 48 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie en tant qu'elles permettent d'assujettir à l'impôt sur le revenu des personnes physiques ayant leur domicile fiscal en Nouvelle-Calédonie mais qui ne peuvent toutefois pas voter aux élections provinciales et ne peuvent ainsi consentir à l'impôt voté par le congrès de la Nouvelle-Calédonie, méconnaissent le principe du consentement à l'impôt prévu à l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et que les dispositions de l'article 188 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie qui déterminent le corps électoral permettant d'élire le congrès de la Nouvelle-Calédonie méconnaissent le même principe du consentement à l'impôt. Toutefois, comme l'a relevé à bon droit le président du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie dans l'ordonnance susvisée, les dispositions des articles 46 et 48 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie, qui se bornent à instituer un impôt annuel unique sur le revenu des personnes physiques dont sont passibles les personnes qui ont en Nouvelle-Calédonie leur domicile fiscal, ledit domicile étant déterminé sur la base de critères objectifs totalement indépendant de l'inscription du résident sur les listes électorales, de même que les dispositions du I de l'article 136 du même code qui déterminent le barème de l'impôt, ne portent pas, par elles-mêmes, atteinte au principe du consentement à l'impôt énoncé à l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Par ailleurs, les impositions contestées par M. A ne résultent pas de l'article 188 de la loi organique du 19 mars 1999, qui a pour seul objet de mettre en œuvre l'article 77 de la Constitution en fixant les règles particulières de composition du corps électoral amené à participer aux élections du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie et ne peut, dès lors, être regardé comme étant applicable au présent litige fiscal. Il suit de là que les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par M. A sont dépourvues de caractère sérieux et qu'il n'y a dès lors pas lieu de les transmettre au Conseil d'Etat.

Sur la requête n° 22PA01979 :

8. A l'appui de sa requête d'appel, M. A reprend les moyens qu'il invoquait en première instance, tirés de ce qu'il ne peut être regardé comme ayant le centre de sa vie personnelle en Nouvelle-Calédonie dès lors qu'il ne peut y exercer l'intégralité de ses droits civiques, et de ce que les articles 46, 48 et 136 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie ne lui sont pas applicables pour le même motif, faute pour lui d'avoir pu consentir à l'impôt en contrariété avec l'article 14 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen. Par un jugement précisément motivé, le tribunal a écarté l'argumentation développée par M. A à l'appui de chacun de ces moyens. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges, d'écarter les moyens ainsi renouvelés devant la Cour par le requérant, qui ne présente aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l'argumentation qu'il avait développée devant le tribunal.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la requête d'appel de M. A ne peut qu'être regardée comme manifestement dépourvue de fondement. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation du jugement et de décharge des impositions contestées doivent, en application de l'article R. 222-1 précité du code de justice administrative, être rejetées, ensemble, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

ORDONNE :

Article 1er : Les requêtes n° 22PA01981 et 22PA01982 sont radiées des registres du greffe de la Cour pour être jointes à la requête n° 22PA01979.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat les questions prioritaires de constitutionnalités posées par M. A.

Article 3 : La requête n° 22PA01979 de M. A est rejetée.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B A.

Copie en sera adressée au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

Fait à Paris 6 mai 2022.

Le président de la 2ème chambre

de la Cour administrative d'appel de Paris,

Isabelle BROTONS

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°s 22PA01979, 22PA01981,22PA0198