Cour d'Appel de Toulouse

Arrêt du 5 mai 2022 n° 22/00989

05/05/2022

Non renvoi

05/05/2022

 

ARRÊT N°22/223

 

N° RG 22/00989 - N° Portalis DBVI-V-B7G-OVIZ

 

SC - CG

 

Décision déférée du 20 Octobre 2021 - Juge aux affaires familiales de TOULOUSE - 16/26222

 

JL. ESTEBE

 

[W] [G]

 

C/

 

[B] [Z]

 

REJET

 

Grosse délivrée

 

le

 

à

 

REPUBLIQUE FRANCAISE

 

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

***

 

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

 

1ere Chambre Section 2

 

***

 

ARRÊT DU CINQ MAI DEUX MILLE VINGT DEUX

 

***

 

DEMANDEUR A LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

 

Monsieur [W] [G]

 

815, Route de Montastruc

 

31380 BAZUS

 

Représenté par Me Eric MARTY ETCHEVERRY, avocat au barreau de TOULOUSE

 

DEFENDERESSE A LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

 

Madame [B] [Z]

 

79, Avenue du Maréchal De Lattre de Tassigny

 

40130 CAPBRETON

 

Représentée par Me Christine VAYSSE-LACOSTE de la SCP VAYSSE-LACOSTE-AXISA, avocat au barreau de TOULOUSE

 

COMPOSITION DE LA COUR

 

Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 12 Avril 2022 en audience publique, devant la Cour composée de :

 

C. GUENGARD, président

 

C. PRIGENT-MAGERE, conseiller

 

V. CHARLES-MEUNIER, conseiller

 

qui en ont délibéré.

 

Greffier, lors des débats : M. TACHON

 

MINISTERE PUBLIC :

 

Représenté lors des débats par M. JARDIN, substitut général auquel l'affaire a été régulièrement communiquée le 24 mars 2022, qui a fait connaître son avis.

 

ARRET :

 

- CONTRADICTOIRE

 

- prononcé publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

 

- signé par C. GUENGARD, président, et par M. TACHON, greffier de chambre.

 

EXPOSE DU LITIGE:

 

Mme [B] [Z] et M. [W] [G] ont contracté mariage le 18 mars 1972, sous le régime de la séparation de biens.

 

Par ordonnance de non-conciliation en date du 31 mars 2011, le juge aux affaires familiales a accordé à M. [G] la jouissance du domicile conjugal à titre onéreux et a fixé une pension alimentaire à hauteur de 1 500 euros par mois à la charge de ce dernier.

 

Par jugement en date du 2 juillet 2014, le juge aux affaires familiales a prononcé le divorce des époux et a condamné M. [G] au paiement d'une prestation compensatoire d'un montant de 120 000 euros.

 

M. [G] et Mme [Z] n'ont pu partager amiablement leurs biens indivis. A la suite de l'établissement d'un procès-verbal de difficultés, Mme [Z] a assigné M. [G] aux fins de partage devant le juge aux affaires familiales de Toulouse.

 

Par jugement en date du 23 mai 2018, le juge aux affaires familiales de Toulouse a ordonné le partage de l'indivision, a désigné Maître [T], notaire à Toulouse, pour y procéder et, à défaut, a ordonné la licitation du bien immobilier situé à la Magdeleine sur Tarn.

 

Le bien immobilier n'a pas été licité en raison de l'absence d'acceptation par les parties du projet d'état liquidatif et de partage établi par le notaire. Le 25 juin 2020, le notaire établissait et transmettait un procès-verbal de difficultés au juge commis.

 

Le 3 novembre 2020, M. [G] a déposé un mémoire aux fins de question prioritaire de constitutionnalité en ce qui concerne l'interprétation jurisprudentielle des articles 214, 815-13 et 1537 du code civil, selon laquelle la Cour de cassation retient que les dépenses relatives à l'acquisition du logement familial, même en régime de séparation de biens, participent de l'exécution de l'obligation de contribuer aux charges du mariage.

 

Le 8 février 2021, le ministère public concluait au rejet de la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation, faute pour M. [G] d'établir que la disposition contestée s'applique bien au litige.

 

Par ordonnance en date du 12 février 2021, le juge de la mise en état a refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité en l'absence de caractère sérieux de cette dernière.

 

Par jugement contradictoire en date du 20 octobre 2021, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Toulouse a :

 

- rejeté la demande de M. [G] relative au montant de ses droits sur le bien indivis, et dit que les indivisaires ont des droits identiques sur ce bien,

 

- porté la somme de 11 488,49 euros au crédit du compte d'indivision de M. [G],

 

- dit que M. [G] est redevable envers l'indivision d'une indemnité d'occupation de 1 050 euros par mois à compter du 1er avril 2011,

 

- rejeté les autres demandes,

 

- condamné M. [G] aux dépens et dit que les autres frais du partage judiciaire seront supportés par les co-partageants proportionnellement à leurs parts,

 

- renvoyé les parties devant le notaire pour qu'il établisse un acte de partage conforme à son projet compte tenu du présent jugement.

 

Par déclaration électronique en date du 9 décembre 2021, M. [G] a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :

 

- rejeté la demande de M. [G] relative au montant de ses droits sur le bien indivis, et dit que les indivisaires ont des droits identiques sur ce bien,

 

- porté la somme de 11 488,49 euros au crédit du compte d'indivision de M. [G],

 

- dit que M. [G] est redevable envers l'indivision d'une indemnité d'occupation de 1 050 euros par mois à compter du 1er avril 2011,

 

- rejeté les autres demandes,

 

- condamné M. [G] aux dépens et dit que les autres frais du partage judiciaire seront supportés par les co-partageants proportionnellement à leurs parts,

 

- renvoyé les parties devant le notaire pour qu'il établisse un acte de partage conforme à son projet compte-tenu du présent jugement.

 

Dans un mémoire déposé le 9 mars 2022 et dans son dernier mémoire en réponse en date du 1er avril 2022, M. [G] demande à la cour d'appel, au visa des articles 23-1 et suivants de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel et sur les articles 126-1 et suivants du code de procédure civile de :

 

- Constater que l'ensemble des dispositions légales sont réunies et notamment que la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux,

 

- Renvoyer la présente question prioritaire de constitutionnalité par devant la Cour de cassation:

 

La portée que confère la jurisprudence constante de la Cour de cassation aux articles 214, 1537, 815-13 du code civil qui permet de neutraliser la créance d'indivision d'un des époux marié sous le régime de la séparation de bien s'agissant du logement de la famille indivis acquis des deniers de celui-ci par la simple référence non chiffrée à la participation aux charges du mariage entraînant une situation plus défavorable à l'apporteur de deniers que s'il était marié sans contrat, faute d'application de la théorie des récompenses, n'est pas contraire aux droits et libertés que la constitution garantit s'agissant de :

 

*l'intelligibilité et de l'accessibilité de la loi, ainsi que de la normativité de la loi,

 

*de la liberté du mariage,

 

*du respect des contrats légalement conclus et des situations légalement acquises,

 

*du droit de propriété,

 

*du droit à une procédure juste et équitable,

 

*de l'égalité devant la loi,

 

et ce, alors même que l'objectif d'intérêt général de la protection du conjoint est assuré par la prestation compensatoire en amont de la liquidation du régime matrimonial.

 

Par avis en date du 24 mars 2022, le ministère public dit n'y avoir lieu à transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité de M. [G].

 

Par conclusions en date du 11 avril 2022 Mme [Z] demande à la cour de :

 

rejeter la demande de renvoi devant la Cour de cassation présentée par M. [G] sa question prioritaire de constitutionalité, comme étant dépourvue de sérieux, fantaisistes et le débat de constitutionalité étant artificiel,

 

condamner M. [G] au paiement de la somme de 1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

 

condamner le même aux entiers dépens.

 

MOTIFS DE LA DECISION

 

La question prioritaire de constitutionnalité a pour objet, selon les termes de l'article 61-1 de la constitution, de permettre à une partie à l'occasion d'une instance en cours, de solliciter que soit vérifié par le Conseil Constitutionnel si une disposition législative porte ou non atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ; tout justiciable a également le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition.

 

Aux termes des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

 

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

 

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

 

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

 

En l'espèce, M. [G] a fait appel de la décision du juge aux affaires familiales relative au montant des droits indivis sur le logement familial et soulève à nouveau devant la cour l'inconstitutionnalité de l'interprétation jurisprudentielle des articles 214, 815-13 et 1537, du code civil selon laquelle la Cour de cassation retient que les dépenses relatives à l'acquisition du logement familial, même en régime de séparation de biens, participent de I'exécution de l'obligation de contribuer aux charges du mariage.

 

Cette demande avait été rejetée par le juge de la mise en état et, aux termes des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige.

 

M. [G] argue de l'inconstitutionnalité de la jurisprudence de la Cour de cassation en faisant référence, tant à l'acquisition indivise du logement de la famille dans le cas d'époux séparés de biens, qu'à l'impossibilité de faire valoir une créance à l'égard de l'indivision à ce titre. S'il ne détaille pas plus avant cette jurisprudence, il y a lieu de considérer qu'elle concerne l'hypothèse du remboursement de l'emprunt du logement familial effectué par un époux séparé de biens durant le temps du mariage, dépense considérée comme participant aux charges du mariage.

 

Par la présente demande, M. [G] entend contester l'appréciation portée par le premier juge, faisant valoir qu'il a procédé, au prix d'un excès de pouvoir, à une analyse des moyens soulevés à l'appui de cette demande de transmission.

 

Pour autant, les dispositions de l'article 23-2 précité imposent que soit apprécié le caractère sérieux de la question posée pour justifier la transmission de cette dernière à la Cour de cassation, de sorte qu'il appartient d'examiner, à la lumière de cette exigence, les moyens développés par M. [G].

 

Il argue de l'inconstitutionalité de cette jurisprudence au regard des principes suivants :

 

- La méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution, de sorte que la question sur ce fondement ne présente pas de caractère sérieux.

 

- la normativité de la Loi : Ce faisant, il reproche à la Cour de cassation de développer une jurisprudence en écartant des textes clairs et précis sans toutefois clairement énoncer quel serait le texte ou les textes dont les termes clairs seraient ainsi bafoués. La jurisprudence développée par la Cour de cassation vise à coordonner les textes issus du régime de l'indivision à savoir les dispositions des articles 815-13 et suivants du code civil avec celles de l'article 214 du même code concernant le régime primaire et celles de l'article 1537 du code civil applicable au régime de séparation de biens que les époux ont pu librement choisir. Cet argument ne relève donc pas d'une question sérieuse.

 

- La liberté du mariage et du respect des contrats légalement conclus et des situations légalement acquises :

 

M. [G] fait valoir que l'atteinte à la liberté de se marier est caractérisée par l'absence suffisante de protection offerte, dans le cadre d'un contrat de séparation de biens, au conjoint qui finance seul le logement indivis de la famille.

 

Or, la liberté du mariage constitue la liberté de contracter ou de ne pas contracter mariage, de choisir son conjoint et son régime matrimonial. Cette liberté peut cependant être limitée par l'édiction de règles protectrices des époux et à ce titre, le régime primaire dont l'article 214 du code civil est issu, vise à assurer une obligation patrimoniale minimale des époux en l'absence de convention matrimoniale.

 

L'article 1537 du code civil, qui fait l'objet de l'interprétation jurisprudentielle contestée, ne fait que transposer au régime de la séparation de biens l'obligation de contribution aux charges du mariage tout en affirmant le respect des conventions librement conclues par les époux à ce titre dans le choix du régime de séparation de biens qui a été le leur.

 

Ressortant de l'expression de la volonté des époux, il ne peut donc être considéré que la jurisprudence invoquée pose sérieusement la question de l'atteinte à la liberté du mariage.

 

- Le droit de propriété :

 

Les époux qui achètent un bien en indivision en acquièrent la propriété, indépendamment de ses modalités de financement. Le seul élément retenu par la jurisprudence pour déterminer la quote-part de la propriété d'un bien entre les indivisaires est l'acte d'acquisition du bien. En l'espèce, M. [G] ne conteste pas la répartition des droits indivis mais le montant du financement de chacun retenu dans le cadre de la liquidation sur le logement familial. La jurisprudence contestée et la demande au fond de M. [G] sont donc toutes deux relatives aux créances entre époux résultant du financement du logement familial et non pas à la quote-part de chacun des époux sur le bien, de sorte qu'il ne peut être argué de la méconnaissance du droit de propriété et la question sur ce fondement ne présente aucun caractère sérieux.

 

- Le droit à une procédure juste et équitable et l'égalité devant la loi :

 

Selon l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, la loi est l'expression de la volonté générale et tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. En l'espèce, l'interprétation jurisprudentielle des articles 214, 815-13 et 1537 du code civil selon laquelle les dépenses relatives à I'acquisition du logement familial, même en régime de séparation de biens, participent de l'exécution de l'obligation de contribuer au charges du mariage, porte sur une règle de fond et ne crée pas un déséquilibre entre les parties qui peuvent chacune faire valoir leurs arguments devant un juge.

 

Il n'y a pas de traitement différent selon les justiciables étant rappelé qu'il appartient à la jurisprudence de tenir compte, en l'espèce, d'un contrat librement conclu entre les parties quant aux conséquences financières de leur union.

 

La demande de M. [G] de transmettre à la Cour de cassation la question articulée dans son mémoire quant aux dispositions des articles 214, 1537 et 815-13 du code civil est donc dépourvue de caractère sérieux et sera rejetée.

 

M. [G] sera condamné aux dépens sans qu'aucune raison d'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

 

.

 

PAR CES MOTIFS

 

La cour,

 

Rejette la demande aux fins de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité posée par M. [W] [G],

 

Rappelle que la présente décision n'est susceptible de contestation qu'à l'occasion d'un recours d'une décision réglant tout ou partie du litige,

 

Rejette toute demande plus ample ou contraire,

 

Dit que la présente décision sera notifiée par les soins du secrétaire greffier de cette cour aux parties et au ministère public conformément aux dispositions de l'article 126-7 du code de procédure civile,

 

Condamne M. [W] [G] aux dépens.

 

LE GREFFIER,LE PRESIDENT,

 

M. TACHONC. GUENGARD.