Cour d'Appel de Rennes

Arrêt du 26 avril 2022 n° 19/07953

26/04/2022

Non renvoi

3ème Chambre Commerciale

 

ARRÊT N°256

 

N° RG 19/07953 - N° Portalis DBVL-V-B7D-QKB4

 

Mme [E] [J]

 

M. [Y] [D]

 

C/

 

SA ACORE - CABINET [N]

 

Copie exécutoire délivrée

 

le :

 

à : Me GICQUEL

 

Me CHUPIN

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D'APPEL DE RENNES

 

ARRÊT DU 26 AVRIL 2022

 

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

 

Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,

 

Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère, rapporteur

 

Assesseur : Monsieur Dominique GARET, Conseiller,

 

GREFFIER :

 

Madame Frédérique HABARE, lors des débats et lors du prononcé

 

DÉBATS :

 

A l'audience publique du 01 Mars 2022

 

ARRÊT :

 

Contradictoire, prononcé publiquement le 26 Avril 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

 

APPELANTS / DEFENDEURS A LA QUESTION PRIORITAIRE :

 

Madame [E] [J]

 

née le 15 Juin 1982 à [Localité 5] (59)

 

Le Ménaty

 

[Localité 2]

 

Représentée par Me Vincent GICQUEL de la SCP GICQUEL - DESPREZ, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VANNES

 

Monsieur [Y] [D]

 

né le 26 Septembre 1973 à [Localité 4] (59)

 

Le Ménaty

 

[Localité 2]

 

Représenté par Me Vincent GICQUEL de la SCP GICQUEL - DESPREZ, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VANNES

 

INTIMÉE / DEMANDERESSE A LA QUESTION PRIORITAIRE :

 

La société ACORE SA exerçant sous l'enseigne CABINET [N], immatriculée au RCS sous le n°398 837 195 agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au siège

 

[Adresse 3]

 

[Localité 1]

 

Représentée par Me Vincent CHUPIN de la SELARL PUBLI-JURIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES

 

FAITS ET PROCÉDURE :

 

La société Acore intervient comme intermédiaire immobilier, principalement dans la transmission d'entreprises et, plus spécifiquement d'entreprises de transport sanitaire.

 

Le 23 juin 2016, la société Acore a été contactée par M. [D] et Mme [J], son épouse, qui avaient pour projet de vendre leur groupe de transport sanitaire qu'ils détenaient directement ou à travers la société holding Umat. La société Acore a évalué le groupe à la somme de 1.057.000 euros.

 

Par mandat exclusif n° 4330 du 25 juillet 2016, M. et Mme [D], tant en leur nom qu'au nom de la société Umat, ont confié à la société Acore la vente de 100% des parts sociales de cinq sociétés de transport sanitaire, pour un prix total de 1.100.000 euros frais d'agence inclus, incluant la commission de la société Acore.

 

Le groupe Douillard a fait une proposition d'achat dans les premiers jours de septembre 2016, mais après quelques entretiens, la négociation a échoué.

 

La société Acore a alors présenté le groupe Ludinvest à ses mandants.

 

Le 26 janvier 2017, après plusieurs entretiens téléphoniques, la société Ludinvest a formulé une offre d'achat à 1.000.000 euros nets vendeur sur la base des chiffres d'affaire et bilans 2016, sans conditions de financement bancaire.

 

Le 8 février 2017 M. et Mme [D] ont révoqué le mandat de vente.

 

Estimant avoir subi un préjudice du fait de la rupture de ce mandat, la société Acore a assigné la société Umat et M. et Mme [D] en paiement de dommages-intérêts.

 

Par jugement du 4 novembre 2019, le tribunal de commerce de Nantes a :

 

- Constaté le désistement d'instance de la société Acore à l'encontre de la société Umat,

 

- Condamné solidairement M. et Mme [D] à régler à la société Acore (Cabinet [N]) la somme de 74.000 euros à titre de dommages-intérêts,

 

- Condamné solidairement M. et Mme [D] à régler à la société Acore la somme de 4.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

 

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement,

 

- Débouter M. et Mme [D] de toutes leurs demandes,

 

- Condamné solidairement M. et Mme [D] aux dépens.

 

M. et Mme [D] ont interjeté appel le10 décembre 2019.

 

Par acte séparé, la société Acore a demandé la transmission à la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité.

 

Les dernières conclusions de de M. et Mme [D] sont en date du 28 février 2022. Les dernières conclusions de la société Acore sont en date du 1er mars 2022. L'avis du ministère public est en date du 28 février 2022.

 

Pour permettre aux parties de répondre à l'avis du ministère public, elles ont été autorisées le 1er mars 2022 à faire valoir leurs observations en réponse pour le 15 mars 2022 au plus tard.

 

La société Acore a fait valoir ses observations par note du 10 mars 2022.

 

M. et Mme [D] ont fait valoir leurs observations le 11 mars 2022.

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS :

 

La société Acore demande à la cour de :

 

Transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité concernant l'article 6-I alinéa 5 de la loi n°70-9 du 2 janvier 1970 dans les termes suivants :

 

« L'article 6-I alinéa 5 de la loi n°70-9 du 2 janvier 1970 porte-t-il à la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle, ainsi qu'à l'exigence constitutionnelle de responsabilité civile, une atteinte contraire à la Constitution, en interdisant toute rémunération ou indemnisation de l'agent immobilier titulaire d'un mandat exclusif d'entremise, notamment lorsqu'il stipule une clause pénale et un engagement du mandant à accepter et signer toute offre aux conditions du mandat ' »

 

« L'article 6-I alinéa 5 de la loi n°70-9 du 2 janvier 1970 porte-t-il à la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle, ainsi qu'à l'exigence constitutionnelle de responsabilité civile, une atteinte contraire à la Constitution, en conditionnant la rémunération ou l'indemnisation de l'agent immobilier titulaire d'un mandat exclusif d'entremise, à la vente de l'immeuble que ce soit avec ou sans son concours ' »

 

« En l'absence d'encadrement et de protection de la liberté d'entreprendre, de la liberté contractuelle, et de l'exigence constitutionnelle de responsabilité civile, l'article 6-I alinéa 5 de la loi n°70-9 du 2 janvier 1970 porte-t-il à une atteinte contraire à la Constitution, en renvoyant au pouvoir règlementaire le pouvoir d'interdire la rémunération ou l'indemnisation de l'agent immobilier en l'absence de vente ' »

 

« L'article 6-I alinéa 5 de la loi n°70-9 du 2 janvier 1970, dans sa portée résultant de l'interprétation de la Cour de cassation, porte-t-il à la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle, ainsi qu'à l'exigence constitutionnelle de responsabilité civile, une atteinte contraire à la Constitution, en interdisant l'indemnisation de l'agent immobilier dont le mandant à modifier les conditions du contrat d'entremise, ou à refuser de vendre aux conditions du contrat, après parfaite exécution du mandat ' ».

 

M. et Mme [D] demandent à la cour de :

 

- Donner acte à M. et Mme [D] n`ont pas de moyen opposant à la transmission sollicitée par la société Acore,

 

- Condamner la société Acore à payer à M. et Mme [D] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu`aux dépens de l'incident.

 

Le ministère public est d'avis de ne pas transmettre la question pour défaut de caractère sérieux.

 

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.

 

DISCUSSION :

 

I ) La rédaction du texte visé par la question :

 

La question vise l'article 6-I alinéa 5 de la loi n°70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce, dite loi Hoguet.

 

A la date de la signature du mandat litigieux, 25 juillet 2016, ce texte était ainsi rédigé :

 

Article 6 de la Loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce, rédaction en vigueur du 1er juillet 2014 au 1er octobre 2016 :

 

I-Les conventions conclues avec les personnes visées à l'article 1er ci-dessus et relatives aux opérations qu'il mentionne en ses 1° à 6°, doivent être rédigées par écrit et préciser conformément aux dispositions d'un décret en Conseil d'Etat :

 

Les conditions dans lesquelles ces personnes sont autorisées à recevoir, verser ou remettre des sommes d'argent, biens, effets ou valeurs à l'occasion de l'opération dont il s'agit ; Les modalités de la reddition de compte ; Les conditions de détermination de la rémunération, ainsi que l'indication de la partie qui en aura la charge.

 

Les moyens employés par ces personnes et, le cas échéant, par le réseau auquel elles appartiennent pour diffuser auprès du public les annonces commerciales afférentes aux opérations mentionnées au 1° du même article 1er.

 

En outre, lorsqu'une convention comporte une clause d'exclusivité, elle précise les actions que le mandataire s'engage à réaliser pour exécuter la prestation qui lui a été confiée ainsi que les modalités selon lesquelles il rend compte au mandant des actions effectuées pour son compte, selon une périodicité déterminée par les parties.

 

Les dispositions de l'article 1325 du code civil leur sont applicables.

 

Aucun bien, effet, valeur, somme d'argent, représentatif d'honoraires, de frais de recherche, de démarche, de publicité ou d'entremise quelconque, n'est dû aux personnes indiquées à l'article 1er ou ne peut être exigé ou accepté par elles, avant qu'une des opérations visées audit article ait été effectivement conclue et constatée dans un seul acte écrit contenant l'engagement des parties.

 

Toutefois, lorsqu'un mandat est assorti d'une clause d'exclusivité ou d'une clause pénale ou lorsqu'il comporte une clause aux termes de laquelle des honoraires sont dus par le mandant, même si l'opération est conclue sans les soins de l'intermédiaire, cette clause recevra application dans les conditions qui seront fixées par décret. La somme versée par le mandant en application de cette clause ne peut excéder un montant fixé par décret en Conseil d'Etat.

 

Lorsque le mandant agit dans le cadre de ses activités professionnelles, tout ou partie des sommes d'argent visées ci-dessus qui sont à sa charge peuvent être exigées par les personnes visées à l'article 1er avant qu'une opération visée au même article n'ait été effectivement conclue et constatée. La clause prévue à cet effet est appliquée dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

 

La convention conclue entre la personne qui se livre à l'activité mentionnée au 7° de l'article 1er et le propriétaire du bien inscrit sur la liste ou le fichier, ou le titulaire de droits sur ce bien, comporte une clause d'exclusivité d'une durée limitée aux termes de laquelle ce dernier s'engage, d'une part, à ne pas confier la location ou la vente de son bien à une autre personne exerçant une activité mentionnée à l'article 1er et, d'autre part, à ne pas publier d'annonce par voie de presse.

 

II-Entre la personne qui se livre à l'activité mentionnée au 7° de l'article 1er et son client, une convention est établie par écrit. Cette convention dont, conformément à l'article 1325 du code civil, un original est remis au client précise les caractéristiques du bien recherché, l'ensemble des obligations professionnelles qui incombent au professionnel mentionné au présent alinéa, la nature de la prestation promise au client et le montant de la rémunération incombant à ce dernier. Elle précise également les conditions de remboursement de tout ou partie de la rémunération lorsque la prestation fournie au client n'est pas conforme à la nature promise dans ladite convention.

 

Les conditions et les modalités d'application de la mesure de remboursement partiel ou total prévue au premier alinéa du présent II sont définies par décret.

 

Aucune somme d'argent ou rémunération de quelque nature que ce soit n'est due à une personne qui se livre à l'activité mentionnée au 7° de l'article 1er ou ne peut être exigée par elle, préalablement à la parfaite exécution de son obligation de fournir effectivement des listes ou des fichiers, que cette exécution soit instantanée ou successive.

 

Ces dispositions légales ont été modifiées par l'Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 - art. 6 :

 

Article 6 de la Loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce (Rédaction en vigueur depuis le 1er octobre 2016 :

 

I-Les conventions conclues avec les personnes visées à l'article 1er ci-dessus et relatives aux opérations qu'il mentionne en ses 1° à 6°, doivent être rédigées par écrit et préciser conformément aux dispositions d'un décret en Conseil d'Etat :

 

Les conditions dans lesquelles ces personnes sont autorisées à recevoir, verser ou remettre des sommes d'argent, biens, effets ou valeurs à l'occasion de l'opération dont il s'agit ;

 

Les modalités de la reddition de compte ;

 

Les conditions de détermination de la rémunération, ainsi que l'indication de la partie qui en aura la charge.

 

Les moyens employés par ces personnes et, le cas échéant, par le réseau auquel elles appartiennent pour diffuser auprès du public les annonces commerciales afférentes aux opérations mentionnées au 1° du même article 1er.

 

En outre, lorsqu'une convention comporte une clause d'exclusivité, elle précise les actions que le mandataire s'engage à réaliser pour exécuter la prestation qui lui a été confiée ainsi que les modalités selon lesquelles il rend compte au mandant des actions effectuées pour son compte, selon une périodicité déterminée par les parties.

 

Les dispositions de l'article 1325 du code civil leur sont applicables.

 

Aucun bien, effet, valeur, somme d'argent, représentatif d'honoraires, de frais de recherche, de démarche, de publicité ou d'entremise quelconque, n'est dû aux personnes indiquées à l'article 1er ou ne peut être exigé ou accepté par elles, avant qu'une des opérations visées audit article ait été effectivement conclue et constatée dans un seul acte écrit contenant l'engagement des parties.

 

Toutefois, lorsqu'un mandat est assorti d'une clause d'exclusivité ou d'une clause pénale ou lorsqu'il comporte une clause aux termes de laquelle des honoraires sont dus par le mandant, même si l'opération est conclue sans les soins de l'intermédiaire, cette clause recevra application dans les conditions qui seront fixées par décret. La somme versée par le mandant en application de cette clause ne peut excéder un montant fixé par décret en Conseil d'Etat.

 

Lorsque le mandant agit dans le cadre de ses activités professionnelles, tout ou partie des sommes d'argent visées ci-dessus qui sont à sa charge peuvent être exigées par les personnes visées à l'article 1er avant qu'une opération visée au même article n'ait été effectivement conclue et constatée. La clause prévue à cet effet est appliquée dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

 

La convention conclue entre la personne qui se livre à l'activité mentionnée au 7° de l'article 1er et le propriétaire du bien inscrit sur la liste ou le fichier, ou le titulaire de droits sur ce bien, comporte une clause d'exclusivité d'une durée limitée aux termes de laquelle ce dernier s'engage, d'une part, à ne pas confier la location ou la vente de son bien à une autre personne exerçant une activité mentionnée à l'article 1er et, d'autre part, à ne pas publier d'annonce par voie de presse.

 

II-Entre la personne qui se livre à l'activité mentionnée au 7° de l'article 1er et son client, une convention est établie par écrit. Cette convention dont, conformément à l'article 1325 du code civil, un original est remis au client précise les caractéristiques du bien recherché, l'ensemble des obligations professionnelles qui incombent au professionnel mentionné au présent alinéa, la nature de la prestation promise au client et le montant de la rémunération incombant à ce dernier. Elle précise également les conditions de remboursement de tout ou partie de la rémunération lorsque la prestation fournie au client n'est pas conforme à la nature promise dans ladite convention.

 

Les conditions et les modalités d'application de la mesure de remboursement partiel ou total prévue au premier alinéa du présent II sont définies par décret.

 

Aucune somme d'argent ou rémunération de quelque nature que ce soit n'est due à une personne qui se livre à l'activité mentionnée au 7° de l'article 1er ou ne peut être exigée par elle, préalablement à la parfaite exécution de son obligation de fournir effectivement des listes ou des fichiers, que cette exécution soit instantanée ou successive.

 

La question prioritaire de constitutionnalité porte sur l'article 6-I alinéa 5, soit l'alinéa suivant, non modifié en 2016 :

 

Aucun bien, effet, valeur, somme d'argent, représentatif d'honoraires, de frais de recherche, de démarche, de publicité ou d'entremise quelconque, n'est dû aux personnes indiquées à l'article 1er ou ne peut être exigé ou accepté par elles, avant qu'une des opérations visées audit article ait été effectivement conclue et constatée dans un seul acte écrit contenant l'engagement des parties.

 

Ccntrairement à ce qu'invoque le troisième alinéa de la question qui est soumise à la cour, ces dispositions ne renvoient pas au pouvoir réglementaires pour qu'il en fixe les conditions de mise en oeuvre. Il n'y aura pas lieu non plus de transmettre une question au juge administratif.

 

II) L'applicabilité de la règle de droit au litige ou à la procédure :

 

Pour être recevable, une QPC doit viser une disposition légale applicable au litige.

 

Le premier juge a relevé que les époux [D] soutenaient que la société Acore n'était pas en droit de percevoir sa commission, par application de la loi Hoguet, puisque la vente n'avait pas eu lieu. Il a ensuite retenu que la demanderesse ne réclamait cependant pas sa commission, mais une indemnité conforme à la clause pénale figurant au contrat.

 

Le tribunal n'a donc pas fait application des dispositions visées par la question prioritaire de constitutionnalité.

 

Devant la cour, les parties conviennent qu'aucune des opérations visées 1er de la Loi, 1° à 6°, n'a été effectivement conclue et constatée dans un seul acte écrit contenant l'engagement des parties. La société Acore ne demande d'ailleurs pas le paiement d'une commission sur une vente réalisée mais le paiement de la clause pénale prévue au contrat.

 

Le paiement d'une éventuelle clause pénale est régie par les dispositions de l'article 6- I alinéa 6, et non pas par l'article 6-I alinéa 5.

 

La société Acore se prévaut cependant des dispositions contractuelles prévoyant que le mandant s'oblige à signer toute promesse de vente régulièrement présentée :

 

II / Obligations du mandant

 

3. Signaler au mandataire tout litige ou tout événement existant à la signature du présent mandat ou après sa signature et dont la nature est susceptible de modifier la valeur des biens. Signaler, après signature du mandat, toute modification juridique ou matérielle pouvant modifier le dossier.

 

4. De convention expresse et à titre de condition essentielle sans laquelle le mandataire n'aurait pas accepté la présente mission, le mandant s'engage à signer aux prix et charges et conditions convenus au présent mandat et/ou aux éventuels avenants, toute promesse de vente ou tout compromis de vente, éventuellement assortie d'une demande de prêt avec tout acquéreur présenté par le mandataire.

 

Et de l'obligation de payer une indemnité compensatrice en cas de non respect de cette obligation :

 

En cas de non respect des obligations énoncées ci-dessus paragraphe II, le mandant s'engage expressément à verser au mandataire une indemnité compensatrice forfaitaire égale au montant de la rémunération prévue par le présent mandat, en vertu de l'article 11442 du code civil.

 

Comme l'invoque la société Acore, la jurisprudence de la Cour de cassation, au visa des dispositions législative invoquées en l'espèce, prohibe le paiement d'une telle indemnité lorsque la clause emporte obligation de conclure la vente:

 

Civ. 1ère 16 novembre 2016, n°15-22,010 Publié au Bulletin :

 

Sur le moyen relevé d'office, après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile :

 

Vu l'article 6-1, alinéa 3, de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, dans sa rédaction issue de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006, ensemble l'article 72 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972, dans sa rédaction issue du décret n° 2010-1707 du 30 décembre 2010 ;

 

Attendu qu'il résulte du rapprochement de ces textes qu'aucune somme d'argent n'est due, à quelque titre que ce soit, à l'agent immobilier avant que l'opération pour laquelle il a reçu un mandat écrit ait été effectivement conclue et constatée dans un seul acte contenant l'engagement des parties ; qu'un tel mandat ne permettant pas à l'intermédiaire qui l'a reçu d'engager le mandant pour l'opération envisagée à moins qu'une clause ne l'y autorise expressément, le refus de ce dernier de réaliser cette opération aux conditions convenues dans le mandat ne peut lui être imputé à faute pour justifier sa condamnation au paiement de dommages-intérêts, hormis s'il est établi que le mandant a conclu l'opération en privant le mandataire de la rémunération à laquelle il aurait pu légitimement prétendre ;

 

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 30 novembre 2010, Mme X... (la mandante) a confié à la société Jean-Baptiste Clément immobilier (l'agent immobilier), pour une période irrévocable de trois mois, renouvelable par périodes successives de trois mois sans pouvoir excéder un an, un mandat exclusif aux fins de vendre son appartement au prix « net vendeur » de 1 900 000 euros, la réalisation de cette opération ouvrant droit au profit du mandataire à une rémunération égale à 4 % HT du prix de vente, à la charge de l'acquéreur ; que, le 11 mars 2011, après qu'elle eut notifié la révocation de ce mandat, avec effet au 14 mars 2011, la mandante a reçu de l'agent immobilier une offre d'achat au prix de 1 980 000 euros, comprenant une commission de négociation réduite à la somme de 80 000 euros, offre qu'elle a déclinée ; qu'invoquant une violation de son engagement exprès de « signer aux prix, charges et conditions convenus toute promesse de vente ou tout compromis de vente, éventuellement assortie d'une demande de prêt immobilier [...] avec tout acquéreur présenté par le mandataire », stipulé à titre de clause pénale, l'agent immobilier l'a assignée en paiement de l'indemnité conventionnelle forfaitaire, égale au montant de sa rémunération initiale, sanctionnant l'inexécution de cet engagement ;

 

Attendu que, pour accueillir cette demande, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la mandante, qui a décliné l'offre d'achat transmise par l'agent immobilier les 14, 15 et 25 mars 2011, a ainsi manqué, par trois fois, à l'engagement de vendre au prix du mandat stipulé au paragraphe « a » de la clause pénale, de sorte que sa faute contractuelle est acquise ; qu'il ajoute que cette faute ayant privé l'agent immobilier de sa commission, la pénalité est due ;

 

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la vente n'avait pas été effectivement conclue, de sorte que l'agent immobilier ne pouvait se prévaloir des dispositions de la clause litigieuse, laquelle emportait obligation de conclure la vente sauf à payer la somme contractuellement prévue même en l'absence de faute imputable au mandant, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

 

Cette jurisprudence est directement invoquée par M. et Mme [D] dans leurs conclusions au fond déposées devant la cour d'appel. Les dispositions de l'article 6-1, alinéa 3, de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, dans leur rédaction issue de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006, telles que visées par l'arrêt de la Cour de cassation cité supra, correspondent aux dispositions de l'article l'6-I alinéa 5 de la loi n°70-9 du 2 janvier 1970 dans leur rédaction en vigueur à la date de la convention en litige en l'espèce.

 

Le Conseil Constitutionnel a clairement affirmé que tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective d'une interprétation jurisprudentielle constante. La seule réserve du Conseil est que la jurisprudence ait été soumise à la cour suprême compétente, ce qui est le cas en l'espèce.

 

Il apparaît ainsi que la règle de droit visée par la question est applicable au litige.

 

III ) Absence de déclaration de conformité à la Constitution :

 

Les dispositions contestées n'ont jamais fait l'objet d'un contrôle de constitutionnalité.

 

Ces articles ne figurent pas dans le tableau des dispositions déjà déclarées conformes à la Constitution mis en ligne sur le site internet du Conseil constitutionnel.

 

Aucune QPC portant sur ces articles n'est actuellement en cours d'examen devant la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat.

 

IV ) Nouveauté du principe dont il est demandé l'application :

 

Le Conseil constitutionnel a indiqué qu'une question prioritaire de constitutionnalité ne peut être nouvelle au seul motif que la disposition législative contestée n'a pas déjà été examinée par lui. Le Conseil constitutionnel doit être saisi de l'interprétation de toute disposition constitutionnelle dont il n'a pas encore eu l'occasion de faire application.

 

En l'espèce, le caractère de nouveauté ne paraît pas devoir être retenu, dès lors que les dispositions constitutionnelles invoquées (principes de la liberté d'entreprendre et de la liberté contractuelle, ainsi que l'exigence constitutionnelle de responsabilité civile, ) font partie des textes et principes dont le Conseil constitutionnel fait une application courante.

 

V ) Caractère sérieux de la question :

 

La société Acore fait valoir que les dispositions critiquées méconnaitraient la liberté d'entreprendre en interdisant à l'agent immobilier titulaire d'un contrat d'entremise de percevoir la moindre rémunération ou indemnisation en contrepartie de la parfaite exécution du son contrat lorsque le mandant refuse finalement de conclure la vente.

 

La liberté d'entreprendre découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Elle comprend non seulement la liberté d'accéder à une profession ou à une activité économique mais également la liberté dans l'exercice de cette profession ou de cette activité. Il est loisible au législateur d'apporter à cette liberté des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

 

De même, il est loisible au législateur d'apporter à la liberté contractuelle, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

 

La société Acore invoque également une violation du principe de la responsabilité en faisant valoir que les dispositions visées conduiraient à refuser une indemnisation du mandataire de ses efforts et dépenses.

 

Le principe selon lequel tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer résulte de l'article 4 de la Déclaration de 1789.

 

Il apparaît en l'espèce que le législateur n'a pas interdit toute rémunération ou indemnisation de l'agent immobilier. Il a conditionné cette rémunération à l'existence d'une clause d'exclusivité ou d'une clause pénale ou encore d'une clause aux termes de laquelle des honoraires sont dus par le mandant, même si l'opération est conclue sans les soins de l'intermédiaire.

 

Le législateur a ainsi entendu conditionner dans tous les cas le paiement d'une rémunération ou indemnisation à la conclusion de la vente en vue de laquelle le mandat a été conclu. Le mandat de présentation est un mandat de résultat. La mandataire n'accomplit pleinement ses obligations que lorsque son inter médiation abouti au résultat recherché, à savoir la vente.

 

Le mandataire doit, de principe, rester libre de décider s'il accepte ou non de vendre le bien à l'acquéreur présenté, sauf à permettre une atteinte disproportionnée au droit de propriété, valeur également de nature constitutionnelle.

 

Les dispositions en discutées en l'espèce résultent de la reprise des dispositions de l'article 3 de la loi n°60-580 du 21 juin 1960. Les travaux préparatoires de la loi du 2 janvier 1970 montrent que la reprise et la modification de ces dispositions résulte d'un amendement de M. [W], rapporteur pour avis de la commission des lois devant le Sénat. Dans son rapport, il avait insisté sur la nécessité primordiale de rechercher la sécurité de la clientèle :

 

La législation actuelle, l'ordonnance du 16 décembre 1958 réglementant les agences de transactions immobilières, la loi du 21 juin 1960 et le décret de 1965, s'appliquant à tous les intermédiaires qui reçoivent des fonds prévoit qu'aucune somme ne peut être versée par les clients des agences avant que l'opération n'ait été effectivement conclue et constatée par écrit.

 

L'intérêt de cette disposition est évident. Il évite des abus fréquents par suite de versements de consignations, frais de dossiers, frais de recherches qui parfois ne correspondent aucun service rendu et qui sont, ensuite, difficilement récupérables par le client. La presse rapporte souvent des escroqueries de ce genre. Il a donc paru nécessaire, non seulement de maintenir cette disposition mais encore, en vertu du principe que nous avons adopté, de la rendre applicable à tous les agents, qu'ils reçoivent des fonds ou non.

 

La commission des lois a jugé utile de rendre cette obligation plus précise en prévoyant que le rapprochement des consentements devrait être constaté par un seul acte écrit, signé par les deux parties. Cette exigence, nous ne nous le dissimulons pas, est dérogatoire au droit commun qui admet qu'une convention peut résulter de l'engagement simultané, du rapprochement de consentements donnés sur des documents différents, mais nous comprenons également que cette obligation entraînera pour les intermédiaires quelques complications et la nécessité pour eux d'attendre, pour encaisser leurs commissions, qu'un acte définitif soit signé. Nous avons voulu remédier à certains abus émanant de gens d'affaires douteux, de ceux qui, nous l'espérons, se trouveront éliminés de la profession par le nouveau texte. En effet, il arrive que vendeurs et acquéreurs s'aperçoivent qu'une différence entre l'offre et la demande a été retenue par l'intermédiaire ; mais s'ils arrivent à s'en apercevoir, c'est beaucoup trop tard et ils n'ont plus la possibilité de modifier quoi que ce soit.

 

Le mandataire peut, à condition que ce soit en toute connaissance de cause, renoncer à ce droit de renonciation à la vente. Seule une clause spécifique en ce sens peut emporter renonciation du mandant à sa liberté de conclure ou non l'opération et de choisir son cocontractant, libertés qui participent de la protection constitutionnelle de la liberté contractuelle.

 

C'est d'ailleurs en ce sens que la jurisprudence de la Cour de cassation invoquée en l'espèce à réservé la possibilité pour le mandat d'autoriser expressément le mandataire à l'engager le mandant pour l'opération envisagée. Sauf renonciation expresse, le mandant doit rester libre de renoncer à la vente et seule l'absence totale de rémunération ou indemnisation est de nature à garantir l'exercice effectif de cette liberté contractuelle du mandant. Il est à noter qu'en l'espèce, les parties n'ont pas choisi d'insérer une telle clause permettant au mandataire d'engager le mandant.

 

La rémunération des efforts et dépenses invoquée par la société Acore ne correspond pas à l'indemnisation d'une faute mais à une absence de rémunération. Le simple fait de refuser de vendre ne saurait constituer en soi une faute, sauf à limiter le droit du mandant de ne renoncer à vendre.

 

Il apparaît ainsi que la question posée n'est pas sérieuse et qu'il n'y a donc pas lieu de la transmettre à la Cour de cassation.

 

Sur les frais et dépens :

 

Il y a lieu de condamner la société Acore aux dépens de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité et à payer à M. et Mme [D] la somme de 2.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

 

PAR CES MOTIFS :

 

La cour :

 

- Dit n'y avoir lieu à transmission de la question prioritaire de constitutionnalité posée à la Cour de cassation,

 

- Condamne la société Acore à payer à M. [D] et Mme [J], son épouse, la somme de 2.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

 

- Condamne la société Acore aux dépens afférents à la question prioritaire de constitutionnalité posée.

 

Le Greffier, Le Président,