Cour d'Appel de Saint-Denis-de-La Réunion

Ordonnance du 19 avril 2022 n° 21/01868

19/04/2022

Non renvoi

COUR D'APPEL

 

DE SAINT-DENIS

 

166 rue Juliette Dodu - CS 61035

 

97404 SAINT-DENIS CEDEX

 

Chambre civile TGI

 

ordonnance DU 19/04/2022

 

REFUS DE TRANSMISSION

 

DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

 

DOSSIER : N° RG 21/01868 - N° Portalis DBWB-V-B7F-FUCV

 

N° Minute :

 

Demandeur à la question prioritaire :

 

Monsieur [H] [V] Profession : urologue

 

né le 14 Septembre 1976 à RIO DE JANEIRO - BRESIL

 

15 bis, rue Maréchal Leclerc

 

97400 SAINT DENIS

 

Représenté par Me Eloïse ITEVA, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

 

Défendeur :

 

Caisse CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE FRANCE (CARMF) La Caisse Autonome de Retraite des Médecins de France (CARMF), Section professionnelle de l'organisation d'assurance vieillesse et invalidité décès des professions libérales (TITRE IV du Livre VI du Code de la Sécurité Sociale) dont le siège est à 75017 PARIS, 46 rue Saint-Ferdinand, immatriculée sous le numéro 75L04, agissant en vertu de l'article L 122-1 du Code de la Sécurité Sociale poursuites et diligences de son Directeur en exercice domicilié es qualité audit siège ;

 

46, rue Saint Ferdinand

 

75841 PARIS CEDEX 17

 

Représentée par Me Patrice SANDRIN, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

 

COMPOSITION lors de l'audience du 15 février 2022 :

 

Patrick CHEVRIER, Président

 

assisté de Véronique FONTAINE, greffier

 

Ordonnance mis à disposition le 19 avril 2022

 

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Par acte en date du 11 février 2021, la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF) a signifié à Monsieur [H] [V] deux commandements aux fins de saisie-vente, en exécution d'un arrêt de la cour d'appel de céans en date du 19 mars 2019 et d'un jugement prononcé par le pôle social du tribunal de grande instance de Saint-Denis de la Réunion en date du 18 décembre 2019, en vertu d'une contrainte délivrée le 21 septembre 2018, pour obtenir le paiement en principal des sommes de 29.282,35 euros et 31.274,61 euros.

 

Par assignation en date du 25 février 2021, Monsieur [V] a saisi le juge de l'exécution près le tribunal judiciaire de Saint-Denis aux fins de mainlevée de ces deux commandements.

 

Par jugement en date du 23 septembre 2021, le juge de l'exécution a statué en ces termes :

 

Déboute Monsieur [V] de ses demandes de nullité, mainlevée et dommages et intérêts,

 

Valide les commandements de payer,

 

Condamne Monsieur [V] à payer à la CARMF une indemnité de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

 

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

 

Rappelle que l'exécution provisoire est de droit,

 

Condamne Monsieur [V] aux dépens de l`instance.

 

Monsieur [H] [V] a interjeté appel de la décision par déclaration au greffe de la cour déposée le 5 octobre 2021. L'affaire a été enregistrée sous les références RG/21-1718.

 

Puis, par mémoire déposé le 26 octobre 2021 par RPVA, le Conseil de l'appelant a saisi « la cour d'appel de Saint-Denis » d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Cette instance a été enregistrée sous les références RG/21-1868.

 

Aux termes de ce mémoire, Monsieur [V] demande de :

 

Vu l'article 61-1 de la Constitution,

 

Vu la loi organique n° 2009-1523 du 10.12.2009,

 

Vu le décret n° 2010-148 du 16 Février 2010 portant application de la loi organique ci-dessus mentionnée,

 

Vu le bloc constitutionnel,

 

Vu le litige opposant les parties et le lien entre la question posée et ce dernier,

 

Transmettre à la Cour de Cassation pour renvoi au Conseil Constitutionnel la question suivante : les dispositions de l'article L. 122-1 du code de sécurité social français portent-elles atteinte aux droits et libertés garantis par les articles 1er et 6 de la Déclaration des Droits de L'Homme et du Citoyen du 26 Aout 1789, intégrée au bloc constitutionnel, au point 9 du Préambule de la Constitution de 1946 et aux articles 1 et 2 de la Constitution de la République française '

 

Sursoir à statuer jusqu'à décision définitive sur la question prioritaire de constitutionnalité.

 

Selon le requérant, l'article L 122-1 du code de sécurité sociale est contraire au bloc constitutionnel en ce qu'il :

 

- constitue une violation (totalement injustifiée et notamment injustifiée par l'intérêt public) du « principe de l'égalité » (sic) ;

 

- constitue une violation de la Constitution et notamment du point 9 du Préambule de la Constitution de 1946 qui dispose « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. »

 

Au soutien de ses prétentions, Monsieur [V] expose qu'en imposant à certaines personnes morales de droit privé (et non à d'autres) les obligations qui découlent de l'article L 122-1 du CSS, l'Etat viole le principe d'égalité. Ce traitement discriminatoire n'est pas justifié. Ainsi, l'appelant plaide qu'il y a « violation du principe de l'égalité et du bloc constitutionnel » et notamment de

 

- la Constitution de la République française du 04 octobre 1958 en sa rédaction actuelle et notamment en ses articles 1er, 2,

 

- la Déclaration Universelle des Droits de l'homme et du Citoyen insérée dans le préambule de la Constitution de 1958, notamment en ses articles 1er et 6.

 

Invoquant en outre la violation du point 9 du Préambule de la Constitution, le requérant affirme qu'en imposant aux personnes morales de droit privé, qui sont des organismes de sécurité sociale, des obligations particulières compte tenu du monopole de fait (sécurité sociale) qui serait le leur, la violation de ces dispositions est patente. En effet, il faudrait que les personnes concernées par les obligations de l'article L 122-1 du CSS soient la propriété de la collectivité (soit, des établissements publics). Il est pourtant constaté que l'article L 122-1 CSS exclut les établissements publics du cadre de son application).

 

Selon le requérant, il est patent que les dispositions de l'article L. 122-1 du code de la sécurité sociale « portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution », selon la formulation de l'article 23-1 de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution.

 

Le procureur général près la cour d'appel a adressé son avis par mémoire en date du 8 novembre 2021, déposé par RPVA le 12 novembre 2021.

 

Il considère que les dispositions de l'article L. 122-1 du CSS n'a jamais été examinée par le Conseil Constitutionnel, qu'elles sont applicables au litige. Mais, la question ne présente pas de caractère sérieux justifiant sa transmission.

 

La CARMF a déposé une note par RPVA aux termes de laquelle elle demande à la cour de :

 

Rejeter la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le Docteur [V] dans la mesure où celle-ci n'est pas sérieuse,

 

Constater en conséquence qu'il n'y a pas lieu de la transmettre à la Cour de cassation,

 

Renvoyer l'affaire à une prochaine audience pour un examen au fond.

 

L'intimée rappelle que le régime d'assurance vieillesse des professions libérales relève d'une organisation autonome (article L. 840-1 du code de la sécurité sociale). Elle a été instituée par le décret n° 48.1179 du 19 juillet 1948 pour assurer la gestion de l'assurance vieillesse et invalidité décès des médecins conformément aux dispositions du Livre VI Titre IV du Code de la sécurité sociale (CSS). Elle est donc l'une des dix sections professionnelles de l'organisation autonome d'assurance vieillesse des professions libérales, tenant des dispositions de l'article L. 641-1 du CSS la personnalité juridique et l'autonomie financière depuis l'origine, sans nécessité d'autres conditions.

 

Selon l'intimée, les cotisations réclamées par la CARMF sont dues à titre obligatoire par les praticiens du fait même de l'exercice médical non salarié.

 

La CARMF affirme que le requérant ne démontre à aucun moment en quoi la rédaction de l'article L. 122-1 serait contraire au principe d'égalité puisque cette obligation concerne tous les organismes de sécurité sociale. La distinction opérée par l'article L. 122-1 afin d'identifier les organismes de sécurité sociale qui n'ont pas l'obligation d'avoir un directeur ne peut pas être analysée comme étant une violation du principe d'égalité.

 

Sur le second moyen soulevé par Monsieur [V], la CARMF soutient que le Point 9 du Préambule à la Constitution de 1946 fait référence uniquement à un « bien ' ' ou à une « entreprise '', « dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait''. Or, la CARMF ne saurait être assimilée à une entreprise.

 

En outre, le Point 11 du même Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 prévoit que la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, á la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé la sécurité matérielle le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».

 

Conformément aux exigences constitutionnelles précitées, c'est le législateur qui a établi le principe affirmé à l'article L. 111-1 du CSS, selon lequel « l'organisation de la sécurité sociale est fondée sur le principe de solidarité nationale '', qui « garantit les travailleurs et leur famille contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain '' [...] par l'affiliation des intéressés et le rattachement de leurs ayants droit à un (ou (plusieurs) régime obligatoires. » En l'espèce, les dispositions contestées permettent ainsi d'assurer le service des allocations de vieillesse, tel qu'exigé par le Préambule de la Constitution de 1946 précité. Cette mission ne pouvant en aucun cas être assimilée à la gestion d'un bien ou à une entreprise, il ressort que le Point 9 du Préambule de la constitution de 1946 ne trouve pas application en matière de sécurité sociale.

 

L'affaire a été examinée à l'audience du 15 février 2022.

 

MOTIFS

 

Il convient de se référer pour plus ample exposé à l'ensemble des conclusions et avis des parties régulièrement déposées et communiquées.

 

L'article 61'1 de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit que lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

 

Selon l'article 3-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, la juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

 

1°- La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

 

2°- Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

 

3°- La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

 

Sur la recevabilité de la QPC :

 

Selon les articles 23-1 et 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est présenté, à peine d'irrecevabilité, dans un écrit distinct et motivé.

 

En l'espèce, la question prioritaire de constitutionnalité a fait l'objet d'un mémoire distinct et motivé. Elle est donc recevable.

 

Sur l'applicabilité des dispositions contestées au litige :

 

Le présent litige concerne un jugement rendu par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Saint-Denis ayant été saisi en mainlevée de deux commandements de payer aux fins de saisie vente délivrés en vertu de la condamnation de l'appelant prononcée par l'arrêt de la cour d`appel de Saint-Denis en date du 19 mars 2019.

 

Ainsi, le présent litige porte sur des actes d'exécution forcée et non sur le titre exécutoire définitif constitué par l'arrêt de la cour d'appel.

 

Or, Monsieur [V] conteste le fondement même de la condamnation ordonnée par l'arrêt de la cour d'appel au travers de cette question prioritaire de constitutionnalité, en posant la question de la constitutionnalité de l'article L. 122-1 du code de la sécurité sociale, qui n'est pas applicable à la contestation des commandements de payer aux fins de saisie-vente devant le juge de l'exécution.

 

Ainsi, le juge de l'exécution, dont la présente cour exerce les fonctions en appel, n'a pas le pouvoir de remettre en cause le fondement du titre exécutoire alors qu'il résulte de l'arrêt du 19 mars 2019 que Monsieur [V] avait déjà soulevé une question prioritaire de constitutionnalité relativement à l'article L. 642-1 du code de la sécurité sociale.

 

En conséquence, s'agissant de la contestation d'une mesure d'exécution forcée en vertu d'un titre exécutoire non contesté, il s'ensuit que la question posée par le requérant, relative à l'article L. 122-1 du code de la sécurité sociale n'est pas applicable au présent litige puisque son éventuelle inconstitutionnalité serait sans incidence sur la procédure d'exécution forcée diligentée en vertu d'un arrêt de la cour d'appel ayant force exécutoire.

 

La demande de transmission de la question à la cour de cassation doit être rejetée.

 

Le requérant supportera les dépens de la présente instance.

 

PAR CES MOTIFS

 

Nous Patrick CHEVRIER, président de la chambre civile, statuant publiquement et contradictoirement,

 

DECLARE RECEVABLE la question prioritaire de constitutionnalité ;

 

LA REJETTE en ce que l'application de l'article L. 122-1 du code de la sécurité sociale est étrangère au litige devant le juge de l'exécution ;

 

CONDAMNE Monsieur [H] [B] aux dépens de l'instance ;

 

Réserve les dépens.

 

Le Greffier

 

Le Président

 

Véronique FONTAINE Patrick CHEVRIER